Opinion
De la Libye et de
la Syrie
Tariq
Ramadan
Tariq
Ramadan
Dimanche 28 août
2011
Le régime de Kadhafi est en train de
s’effondrer. Personne ne sait exactement
quand ni dans quel état - vivant ou mort
- il sera trouvé. Mais la partie est
finie. La Libye est à présent en train
de tourner une sombre page de sa récente
histoire. Le régime libyen était brutal
et impitoyable envers ses opposants.
Torture et exécutions sommaires ont
reflété l’excentricité, la folie, ainsi
que l’intelligence de Kadhafi. Le peuple
libyen était assoiffé de liberté ; il a
suivi les traces des Tunisiens et des
Égyptiens. Nous devons rendre hommage à
son courage, à son engagement, ainsi
qu’à sa détermination. Personne n’aurait
imaginé que Kadhafi partirait avant sa
mort, car son comportement était si
imprévisible qu’il aurait réprimé et tué
sans une once de considération pour les
conséquences. La fin de son règne fut
plus aisée que prévu.
Pourtant, il faut se poser certaines
questions essentielles. Contrairement à
la Tunisie et à Égypte et leurs
mobilisations non violentes, en Libye le
mouvement de masse s’est transformé en
guerre civile totale avec des armes
lourdes utilisées par les deux côtés.
L’OTAN, qui a d’abord justifié son
engagement en prétendant protéger les
civils, a aidé la résistance à gagner
des combats sur le terrain. Nous savons
que les agents de renseignements
américains et européens ont conseillé
les opposants sur le plan militaire
quant à la meilleure stratégie à adopter
pour renverser Kadhafi et ses fils. Cela
s’est passé après que la France, suivie
par trente pays, a officiellement
reconnu le Conseil National de
Transition en tant que représentant
légitime du nouvel Etat libyen. Ce
Conseil, présidé par d’anciens membres
du régime, a à trois reprises annoncé de
manière erronée qu’il avait arrêté les
fils de Kadhafi. Dès lors, la question
est la suivante : Comment a-t-on pu
accepter de faire confiance aussi
rapidement à un Conseil si curieux alors
que tous les signes montrent qu’il
s’agit d’un groupe de personnes et de
visions très contradictoires ?
Il se peut effectivement que de
sombres nuits soient derrière nous, mais
qui peut prévoir de futurs jours
ensoleillés ? La Libye est un pays riche
et stratégique. L’intervention étrangère
n’est pas un hasard. Qui contrôlera sa
richesse, comment sera-t-elle utilisée
et/ou répartie parmi les compagnies
pétrolières occidentales transnationales
(au lieu qu’elle ne le soit par le
gouvernement chinois, qui avait des
contrats avec la Libye et s’est opposé à
la guerre) ? Pouvons-nous espérer un
processus démocratique véritable et
transparent ? Rien n’est moins sûr et
rien n’est garanti, car il demeure
difficile d’évaluer le niveau
d’autonomie des forces d’opposition. La
Libye a été contrôlée par un dictateur
imprévisible et pourrait demeurer sous
contrôle, exercé au moyen d’une pseudo
démocratie non transparente. Notre joie
de voir tomber le dictateur ne doit pas
venir à bout de notre prudence quant à
ce qui se prépare pour la Libye. Notre
devoir moral est d’être aux côtés de
ceux qui revendiquent la liberté sous un
régime démocratique qui exerce un
contrôle total sur les richesses du
pays. En Libye, la partie est loin
d’être finie.
Et en Syrie, elle n’est pas finie non
plus. Plus de 2500 personnes ont à ce
jour déjà été tuées par le régime de
Bachar al-Assad, qui est en train de
montrer son vrai visage. Parmi les
victimes figurent des adolescents, des
femmes et même des réfugiés
palestiniens. En empêchant les médias
internationaux de couvrir les événements
et en étouffant la parole, le régime
pensait qu’il serait capable de réprimer
en silence. Sans alliés occidentaux,
sans l’OTAN, sans “communauté
internationale” et sans armes, les
Syriens continuent de dire “Non ! Nous
n’abandonnerons pas !”, et jour après
jour ils manifestent et protestent. Jour
après jour, ils ont été tués, les mains
dépourvues d’armes, la poitrine
innocente en avant. Nous ne devrions pas
être naïfs concernant le mouvement
d’opposition : il demeure un mélange
étrange de forces et d’intérêts
politiques (comme ceux qui se sont
réunis en Turquie afin d’organiser et de
coordonner la résistance). Néanmoins, il
est de notre devoir moral, également, de
dire à nos gouvernements occidentaux
d’arrêter de supporter la démocratie du
seul bout des lèvres, de ne pas attendre
six mois avant de demander à Bachar al-Assad
de partir. Six mois de bavardages,
n’ayant abouti à aucun résultat. Il
aurait été possible d’isoler le pays de
manière efficace sans option militaire.
Les pouvoirs occidentaux n’ont rien fait
alors qu’il est consternant d’entendre
le président vénézuélien Hugo Chavez
appeler Bachar al-Assad “un humaniste,
un frère”.
Nous devons rendre hommage au courage
des Syriens, nos sœurs et frères en
humanité. Leur mouvement non violent
l’emportera, mais bien d’autres Syriens
mourront en cours de route. Le mouvement
de non violence syrien nous demande, en
ce mois de Ramadan, de prier le 28 août
pour les disparus et les morts. Prions
et joignons-nous avec d’autres personnes
dotées de conscience, croyantes ou non
croyantes, au souvenir du sort de
peuples innocents qui luttent pour leur
liberté et leur dignité. Soyons dignes
nous-mêmes en tant qu’êtres humains
vivants en apportant notre soutien à la
dignité de leurs morts.
© Tariq Ramadan
2008
Publié le 4 septembre 2011
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