Opinion
Le Ramadan et ses
enseignements
Tariq
Ramadan
Tariq
Ramadan
Lundi 9 juillet 2012
Le mois du Ramadan arrive et toutes
les musulmanes et tous les musulmans
vont entrer dans l’une des meilleures et
des plus belles écoles de la vie. Le
mois du jeûne est une école de la foi,
de la spiritualité, de la conscience, du
don, de la solidarité, de la justice, de
la dignité et de l’union. Au moins. Ce
devrait être le mois de la plus grande
introspection des musulmans en même que
celui de la plus grande de leurs
contributions à l’humanité. Ce mois est
aujourd’hui le jeûne le plus pratiqué
parmi les hommes sur la surface de la
terre et pourtant ses enseignements sont
minimisés, négligés, voire trahis (aux
détours d’une application parfois
littérale des règles oubliant les
objectifs de ces dernières). Il faut
pourtant y revenir et comme le mois du
Ramadan revient chaque année, il faut
répéter, se répéter, et approfondir
toujours plus, les enseignements de ce
mois de jeûne, de cette école de la
proximité divine, de l’humanité et de la
dignité. Le jeûne est l’aspiration
solitaire au divin qui exige de chacun
un rayonnement solidaire : en ce sens,
le mois du Ramadan est, par essence, un
mois de la spiritualité humaniste.
Pendant ces journées de jeûne, il
nous est demandé de nous priver de
manger, de boire comme de répondre à nos
instincts, pour renouer avec notre être,
notre cœur et le sens de notre vie.
Jeûner nécessite de vivre l’expérience
de la sincérité, de l’observation de ses
manques, de ses contradictions, et de
ses démissions. Ne plus se cacher, ne
pas se mentir et concentrer ses efforts
sur la quête de soi, du sens et des
priorités de la vie. Au-delà de la
nourriture, jeûner exige de se prendre
en charge, de reconnaître ses limites,
avec humilité et d’exiger de soi une
réforme, avec ambition. C’est un mois de
renouveau, de bilan critique sur sa vie,
ses exigences, ses oublis, ses
espérances. Il importe de prendre du
temps pour soi, de s’occuper de soi, de
méditer, de contempler, de simplement
penser et aimer. Le mois du Ramadan, en
ce sens, est l’anticonsumérisme par
excellence : il s’agit d’être avant
d’avoir et de se libérer des dépendances
qu’entretiennent et amplifient les
sociétés de consommation du Nord comme
du Sud. En appelant à maîtriser nos
instincts, le jeûne questionne la notion
moderne de liberté. Qu’est ce qu’être
libre ? Comment accéder à la liberté
profonde de l’être et dépasser ses
dépendances ? Un mois pour faire le
point, année après année, pour rester
humain, devenir un être humain devant
Dieu et parmi les hommes. Le jeûne vrai
est l’ennemi des mises en scène.
La tradition du jeûne fut prescrite,
nous dit le Coran, à toutes les
traditions religieuses avant l’islam.
Nous partageons cette pratique avec
toutes les spiritualités et les
religions et elle porte ainsi la marque
de la famille et de la fraternité
humaines. Jeûner, c’est s’inscrire dans
l’Histoire des religions, dans une
Histoire qui a un sens, qui a des
exigences et est mue par des destinées
et des objectifs. Il existe une unité de
la filiation spirituelle, du dépassement
de l’humain, qui unit toutes les fois,
toutes les croyances. L’islam l’inscrit
dans le sens du tawhid, de l’unicité de
Dieu reconnue qui s’ouvre sur le
diversité parmi les hommes quant à leur
façon de pratiquer et de vivre cette
expérience. Et ce même parmi les
musulmans, car si la temporalité et les
rythmes des jeuneurs sont similaires,
les cultures de la rupture, des repas,
de la nuit sont diversifiées. Unité de
sens, diversités des pratiques. Le mois
du Ramadan porte cet enseignement
fondamental et rappelle aux musulmans
eux-mêmes, sunnites ou chiites, de
quelque école qu’ils soient, qu’ils
partagent la même religion et qu’ils
doivent apprendre à se connaître et à se
respecter. Comme c’est le cas avec les
autres traditions puisqu’il s’agit de
"se connaître mutuellement" comme nous
l’enseigne le Coran.
Le mois qui vient et celui de la
dignité. La Révélation nous rappelle que
l’être humain est une créature noble et
digne : "Nous avons donné la dignité aux
enfants d’Adam (l’ensemble des
humains)". Seuls ces derniers, en
conscience, se voient prescrire le jeûne
et sont appelés à s’y élever. L’être
humain est la seule créature qui jeûne
et elle doit s’y engager en quête de
rapprochement avec l’Unique, d’égalité
de noblesse entre les êtres, les femmes
et les hommes, et de solidarité avec les
plus démunis. Telle est l’essence de la
vie retrouvée : revenir à son cœur, se
réformer à la lumière de l’essentiel et
célébrer la vie dans la solidarité.
L’expérience du dénuement, désiré et
embellissant, et le refus de la
pauvreté, imposée et dégradante. Il
s’agit de se maîtriser, de s’élever, de
se détacher, de devenir indépendant et
libre, au-delà des besoins superficiels,
pour s’intéresser aux vrais besoins,
élémentaires, des pauvres et des
nécessiteux. En cela le mois du Ramadan
est un exil très loin des illusions et
des modes et un pèlerinage au cœur de
soi, du sens et d’autrui. Être libre
pour soi en même temps que le serviteur
de tous les êtres emprisonnés par la
pauvreté, l’injustice, ou l’ignorance de
soi.
Les musulmans sont accompagnés,
trente jours durant, par ce mois de
lumière. Si seulement ils pouvaient,
plus encore, ouvrir les yeux, leur cœur,
leur être et accueillir cette lumière et
l’offrir comme le plus grand don de leur
spiritualité à leurs sœurs et leurs
frères en humanité. Au rythme des
psalmodies du Coran, ils sont appelés à
se maîtriser et à donner, à méditer et à
pleurer, à prier et à aimer. Vrai,
jeûner c’est prier, prier c’est aimer.
© Tariq Ramadan
2010
Publié le 9 juillet 2012
Le sommaire de Tariq Ramadan
Le dossier religion musulmane
Les dernières mises à jour
|