Il est toujours amusant de voir comment la presse française
rapporte (ou ne rapporte pas) mes activités dans les autres pays
du monde. On a affaire à une couverture pour le moins sélective
et il faut dire que peu de journaux ou de magazines font
exception. Hormis quelques journalistes courageux, tout porte à
croire que les articles – pour être acceptés – doivent
correspondre au schème préétabli dans le paysage médiatique
national : en parlant de « Tariq Ramadan » on doit rappeler et
faire apparaître qu’il est « le petit fils du fondateur des
Frères Musulmans », « controversé », « adepte du double
langage », « accusé d’être un fondamentaliste », « opposé aux
droits des femmes », « soupçonné d’être antisémite »,
« homophobe », et tout à l’avenant. Bref, maintenir vivante la
figure du diable, du paria ou de la « crapule intellectuelle »
pour citer la belle formule dont M. Bernard Kouchner m’avait
affublé il y a quelques années. Amusant, et surtout surfait.
Dans
un article récemment publié par Le Monde (mardi 28
avril) sur la situation à Rotterdam, le journaliste Jean-Pierre
Stroobants accumulent quelques-uns des éléments de caricature
cités ci-dessus, les vérités partielles et, plus gravement,
l’information tronquée et mensongère. La bassesse de la manœuvre
est simplement pathétique.
Au-delà de ces tristes manipulations, voilà
ce que Le Monde ne dit pas et qu’il serait bon que l’on
retienne :
1. Le
journal Gay Krant (prioritairement destiné aux
homosexuels) qui m’a accusé de double discours et de propos
homophobes au Pays-Bas s’est appuyé quasi exclusivement sur
les propos rapportés par Caroline Fourest, dans son « Frère
Tariq » : sur son site – en reprenant les termes de
l’article de Jean-Pierre Stroobants, Caroline Fourest se
présente, entre autres titres, comme une journaliste au…
Monde. (cf
lien)
2. Après enquête (traduction et analyse
des cassettes et des propos que j’ai tenus depuis 15 ans),
le Conseil exécutif de la municipalité dans son ensemble a
fait savoir par la voix du maire-adjoint Rik Grashoff – lors
d’une conférence de presse tenue à Rotterdam le 15 avril –
que les propos rapportés par le Gay Krant (donc par Caroline
Fourest… du journal Le Monde) étaient partiels,
tronqués, voire totalement faux (parfois « exactement
contraire à ce que dit Tariq Ramadan »). Contrairement à ce
qu’affirme le journaliste du Monde, le contrat
avait déjà été signé et il était simplement reconfirmé car
les allégations étaient infondées ! De plus, je ne suis pas
un conseiller aux « affaires islamiques » mais j’occupe une
chaire universitaire et suis engagé dans un projet social
traitant de la citoyenneté, l’identité et le sentiment
d’appartenance : trois rapports ont été rendus sur
L’éducation, Le marché de l’emploi et Les médias. Le
journaliste n’en dit rien, n’en sait rien.
3. Le
journaliste ne dit rien non plus des manœuvres politiciennes
entre les partis politiques qui se disputent la droite et
l’extrême-droite de l’électorat. M. Friz Bolkestein, du
parti libéral, fut le premier à lancer une attaque contre
moi le 11 septembre 2008. Il s’appuyait lui aussi
exclusivement sur le livre de Mme Fourest (11 sur 12
citations) et sa conseillère est celle-là même qui a
constitué le dossier du Gay Krant ! La prestation
de M. Bolkestein peut être visionnée sur mon
site : il fut pitoyable, beaucoup le lui ont fait
remarqué. Par ailleurs, l’éditeur en chef du Gay Krant,
Henk Krol, fut lui-même le collaborateur personnel de
Bolkestein… et membre du parti libéral.
4. Il s’agit donc de basses manœuvres
politiciennes qui déjà commencent, à une année des
élections, en attaquant les symboles visibles de l’islam
(dont je fais partie) et cela fait recette dans l’électorat.
Le parti libéral a vu Gerd Wilders quitter ses rangs il y a
quelques années parce ce dernier estimait que le parti
libéral n’était pas assez tranché et dur sur les questions
de l’islam et de l’immigration. Les statistiques montrent
désormais que le parti du dissident Wilders est en passe de
devenir le premier parti du pays, lequel penche
dangereusement donc vers la droite extrême et raciste, alors
que le parti libéral, en perte de vitesse, verse lui dans la
surenchère.
5. Au
lieu de rendre compte de ces réalités complexes, graves et
dangereuses pour l’avenir des Pays-Bas et de l’Europe, le
journaliste du Monde fait dans le propos simple,
simpliste, réducteur et parfois clairement mensonger. On est
à la limite de la propagande dont on peut se demander ce qui
en constitue le facteur le plus dangereux : le copinage
malhonnête, la stigmatisation bête ou l’aveuglement profond.
Un certain
nombre de chercheurs ou de journalistes se sont empressés de
reprendre à leur compte ces critiques. « Tariq Ramadan a des
problèmes partout où il passe… c’est la preuve que nous,
Français, nous avions raison ! » Sauf que ce sont toujours les
mêmes allégations… venues de France… répétées jusqu’à l’overdose
encore et encore… Quand elles sont vérifiées, comme ici par la
municipalité de Rotterdam, il apparaît qu’elles sont fausses et
infondées.
Sourions. Mon engagement demeure, la
municipalité affirme avec force et après enquête que je n’ai pas
de double discours, les deux élus du parti libéral (à la source
de cette polémique) ont quitté leur fonction, le parti d’extrême
droite Leefbaar a vu son ultime motion contre ma
présence rejetée… Sourions… les basses manœuvres politiciennes
et les couvertures médiatiques propagandistes n’ont pas toujours
raison de la force des faits.
Enfin, j’aimerais tant - mon dernier
souhait - que M. Jean-Pierre Stroobants, ou tout autre
journaliste « libre » du Monde, enquête et écrive un
article simplement « objectif » sur « le double discours » de
leurs intellectuels-ressources, collègues et amis : Caroline
Fourest et Philippe Val qui défendent avec grandiloquence la
liberté d’expression en France et vont en Belgique expliquer
qu’il est juste que je sois interdit de parole à (lien
1,
lien 2 ). Ou encore Gilles Kepel, comme Bernard Henri-Lévy,
expliquant au Département d’Etat américain et aux responsables
politiques de l’administration Bush, qu’il est préférable de
m’interdire l’accès au territoire américain. Grands penseurs,
grands intellectuels, grands journalistes, en vérité. A en
rester coi !
C’est ce que Le Monde,
malheureusement, ne couvrira pas.