|
Tariq Ramadan.com
Le
Tibet: boycotter tient de la dignité !
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Vendredi 4 avril 2008
Cela fait vingt sept ans
que la résistance tibétaine a rencontré ma route, vingt-sept
ans déjà que j’ai pu voir la force, la détermination et la
dignité des Tibétains face au silence indigne de la communauté
internationale. En 1981, en hiver, j’ai écouté le témoignage
d’une femme : une européenne révoltée par
l’hypocrisie « de tous ces démocrates sans conscience,
esclaves de l’argent, du profit et des marchés. »
Puis j’ai lu, beaucoup,
et je me suis renseigné. J’ai rencontré des femmes et des
hommes, des Tibétains en exil avec leur conscience et leur
engagement. D’aucuns étaient pour la non-violence affirmée,
d’autres n’y croyaient plus : « Il faudra des
morts et des médias ! » m’avait murmuré un Tibétain
qui avait, un jour, clandestinement traversé l’Himalaya.
En 1989,
je m’étais beaucoup investi dans l’information sur la cause
tibétaine et nous avions lancé un projet de « solidarité
avec les réfugiés tibétains en Inde ». En 1990, je me
suis rendu à Dharamsala, en Inde, où se trouvait déjà le Dalaï-Lama
et le gouvernement tibétain en exil. Je l’ai rencontré et nous
avons parlé ensemble de sa spiritualité, de son combat, de sa
volonté de paix infinie mariée à celle d’une justice minimum.
Avec de jeunes lycéens, nous avions également visité et soutenu
le centre d’accueil et de formation des exilés tibétains à
Birr, au Nord de l’Inde. Une cause juste qui souffrait d’un
silence si lâche !
Les Jeux
Olympiques vont donc se dérouler en Chine…On nous dit qu’il s’agit
de sport, bien sûr, et qu’il ne faut pas mêler le sport et la
politique. Comme si le choix de la Chine n’était pas un choix politique !
Au demeurant, ce sont ceux qui ont fait ce choix qui ont imposé l’amalgame
et la confusion : on ne célèbre pas ainsi une autorité
politique, un gouvernement, et on ne peut pas faire du « sport »
quand un peuple est oppressé, nié, humilié par ce même
gouvernement. Les marchés économiques, les intérêts financiers
(qui ont acheté déjà tant de nos silences) ne devraient plus être
les circonstances atténuantes de nos calculs quand des images si
honteuses, et depuis si longtemps, nous parviennent du Tibet
occupé.
On ne peut
pas se laisser piéger par des actes hautement politiques et symboliques
que l’on nous présente comme des gestes « purement sportifs »
ou « purement culturels » (il est d’ailleurs sidérant
de voir certains de ceux qui nous ont critiqués sur notre position
vis-à-vis du Salon du Livre de Paris et de la Foire
de Turin quant au boycottage de la célébration d’Israël
– dont le gouvernement poursuit l’oppression des Palestiniens
- utiliser exactement les mêmes arguments que nous quand il s’est
agi de dénoncer la Chine). De qui se moque-t-on !? Nous avons
un devoir de cohérence : pas de critiques sélectives, pas de
lâches complicités silencieuses, pas de culture ni de sport sans
éthique ni dignité. Boycotter les Jeux Olympiques, alors que les
Tibétains sont écrasés, tient de la dignité humaine et de la décence
intellectuelle.
On ne peut
s’en tenir à philosopher et à gloser, dans nos cabinets, nos salons
et nos universités, sur les bienfaits de « la non-violence »
et la grandeur d’âme de ses leaders et de ses promoteurs et tout
faire par ailleurs, par nos lâchetés politiques et nos hypocrisies
politiciennes, pour pousser à la violence des résistants à qui
il ne reste plus rien à perdre puisqu’ils ont déjà tout
perdu.
Ces lignes…
pour les femmes et les hommes du Tibet, pour celles et ceux qui, sur
la route, sont restés debout…pour mes amis de cette résistance
qui ont décidé de n’accepter aucun silence complice ni aucune
dénonciation sélective. Quel qu’en soit le prix...
Ce monde est moins laid avec
vous, et l’humanité moins triste.
|