Opinion

Kadhafi, le colonel de tous les dangers
Soraya Hélou

Muammar Kadhafi

Mercredi 23 février 2011

Il fut un temps où cet homme amusait les journalistes, créant l’événement avec son attitude hors normes, ses femmes soldats, ses tentes et ses tenues originales. Ils guettaient la moindres de ses déclarations, notamment durant les longues séances de discours des sommets arabes ou à l’Assemblée plénière des Nations Unies. Mais depuis les images terribles des jeunes tués par ses troupes de mercenaires alors qu’ils manifestaient contre lui, Moammar Kadhafi ne fait plus rire, ni sourire. Il fait pleurer.
Installé dans son palais détruit par les avions américains au cours du raid autorisé par le président Ronald Reagan, le chef de la Jamahirya s’est adressé à son peuple pour annoncer qu’il compte pendre tous ceux qui ont manifesté, commettant un crime
« de lèse-colonel » et pour appeler ses partisans à descendre à leur tour dans la rue. Soit cet homme est totalement fou, soit il est au-delà de toute sensibilité. Tout en confondant sa personne avec la République libyenne, affirmant que si son pays est désormais connu dans le monde, c’est grâce à lui, il a promis aux manifestants, qui ne sont, selon lui, que des mercenaires, manipulés par des services étrangers notamment frères, qu’il compte se battre jusqu’au bout. Alors qu’on avait annoncé qu’il promettrait des réformes importantes dans son discours, l’homme a rappelé pendant près d’une heure « sa lutte contre
l’impérialisme américain, son courage, sa révolution et sa détermination », rejetant toutes les revendications des manifestants et brandissant son « fameux livre vert », qui sert de constitution, voire de Bible aux Libyens.
La scène est incroyable, cet homme semble totalement déconnecté de ce qui se passe autour de lui, uniquement soucieux de sa propre personne. En psychiatrie, cela pourrait s’appeler de la mégalomanie. En politique, cela s’appelle la dictature la plus odieuse et la plus sanguinaire qui puisse exister. Et c’est à cet homme hors du temps et de l’Histoire que sont livrés les millions de Libyens qui se battent avec un courage désespéré contre celui qui leur a volé leur avenir et leur dignité depuis près de 40 ans. Son système de gouvernement qu’il qualifie de « Jamahiriya », autrement dit le pouvoir du peuple se résume en un seul mot: lui. Sous prétexte d’une démocratie directe, il n’y a ni gouvernement, ni Parlement, le Guide détient tous les pouvoirs au nom du peuple et il a établi un régime policier d’une dureté rare, confiant tous les rouages à ses proches, qu’il peut d’ailleurs démettre du jour au lendemain, sans la moindre raison valable.
Il est arrivé aux Libanais de Libye d’en faire l’amère expérience: certains avaient acheté des maisons, construit des usines et ouvert des commerces. Un beau jour, le Guide a décidé d’interdire la propriété privée. Tous les propriétaires ont ainsi perdu leurs biens du jour au lendemain. Ce n’est pas là la seule originalité de ce chef hors normes. Depuis la disparition en Libye de l’imam Moussa Sadr, le chef de la Jamahirya voue d’ailleurs une grande animosité aux Libanais, ou à une partie d’entre eux. Il a tenté par tous les moyens de pousser les autorités libanaises à fermer ce dossier, quitte à payer comme il l’a fait pour l’avion de Lockerbee, mais ni son chantage ni ses promesses n’ont eu d’impact sur les responsables libanais qui continuent à réclamer la vérité sur le sort de l’imam et à déranger ainsi le leader qui se croit tout permis.
Comme si tout le pays était sa propriété, il est convaincu d’avoir le droit de faire ce qu’il veut et désormais, c’est sa volonté contre celle des manifestants qui ont montré au cours des derniers jours qu’ils avaient brisé le mur de la peur. Mais en Libye, à cause du colonel de tous les dangers, la partie s’annonce très difficile et surtout sanglante. « En avant »  a hurlé le colonel Kadhafi pour pousser se partisans à réagir. Mais c’est peut-être à lui qu’il devrait donner cet ordre, car nul ne peut plus arrêter le cours de l’Histoire lorsqu’il se met en marche.

Article publié sur Résistance islamique au Liban

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