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Opinion
2011 : le printemps
arabe ?
Samir Amin
Samedi 28 mai 2011
L’année 2011 s’est ouverte par une série d’explosions
fracassantes de colère des peuples arabes. Ce printemps arabe
amorcera-t-il un second temps de « l’éveil du monde arabe » ? Ou
bien ces révoltes vont-elles piétiner et finalement avorter –
comme cela été le cas du premier moment de cet éveil évoqué dans
mon livre L’éveil du Sud.
Dans la première hypothèse, les avancées du monde arabe
s’inscriront nécessairement dans le mouvement de dépassement du
capitalisme / impérialisme à l’échelle mondiale. L’échec
maintiendrait le monde arabe dans son statut actuel de
périphérie dominée, lui interdisant de s’ériger au rang d’acteur
actif dans le façonnement du monde.
Il est toujours dangereux de généraliser en parlant du « monde
arabe », en ignorant par là même la diversité des conditions
objectives qui caractérisent chacun des pays de ce monde. Je
centrerai donc les réflexions qui suivent sur l’Égypte, dont on
reconnaîtra sans difficulté le rôle majeur qu’elle a toujours
rempli dans l’évolution générale de la région.
L’Égypte a été le premier pays de la périphérie du capitalisme
mondialisé qui a tenté « d’émerger ». Bien avant le Japon et la
Chine, dès le début du XIXe siècle Mohammed Ali avait conçu et
mis en œuvre un projet de rénovation de l’Égypte et de ses
voisins immédiats du Mashreq arabe. Cette expérience forte a
occupé les deux tiers du XIXe siècle et ne s’est essoufflée que
tardivement dans la seconde moitié du règne du Khédive Ismail,
au cours des années 1870. L’analyse de son échec ne peut ignorer
la violence de l’agression extérieure de la puissance majeure du
capitalisme industriel central de l’époque – la Grande Bretagne.
Par deux fois, en 1840, puis dans les années 1870 par la prise
du contrôle des finances de l’Égypte khédivale, enfin par
l’occupation militaire (en 1882), l’Angleterre a poursuivi avec
acharnement son objectif : la mise en échec de l’émergence d’une
Égypte moderne. Sans doute le projet égyptien connaissait-il des
limites, celles qui définissaient l’époque, puisqu’il s’agissait
évidemment d’un projet d’émergence dans et par le capitalisme, à
la différence du projet de la seconde tentative égyptienne
(1919-1967) sur laquelle je reviendrai. Sans doute, les
contradictions sociales propres à ce projet comme les
conceptions politiques, idéologiques et culturelles sur la base
desquelles il se déployait ont-elles leur part de responsabilité
dans cet échec. Il reste que sans l’agression de l’impérialisme
ces contradictions auraient probablement pu être surmontées,
comme l’exemple japonais le suggère.
L’Égypte émergente battue a été alors soumise pour près de
quarante ans (1880-1920) au statut de périphérie dominée, dont
les structures ont été refaçonnées pour servir le modèle de
l’accumulation capitaliste / impérialiste de l’époque. La
régression imposée a frappé, au-delà du système productif du
pays, ses structures politiques et sociales, comme elle s’est
employée à renforcer systématiquement des conceptions
idéologiques et culturelles passéistes et réactionnaires utiles
pour le maintien du pays dans son statut subordonné.
L’Égypte, c’est à dire son peuple, ses élites, la nation qu’elle
représente, n’a jamais accepté ce statut. Ce refus obstiné est à
l’origine donc d’une seconde vague de mouvements ascendants qui
s’est déployée au cours du demi-siècle suivant (1919-1967). Je
lis en effet cette période comme un moment continu de luttes et
d’avancées importantes. L’objectif était triple : démocratie,
indépendance nationale, progrès social. Ces trois objectifs –
quelles qu’en aient été les formulations limitées et parfois
confuses – sont indissociables les uns des autres. Cette
interconnexion des objectifs n’est d’ailleurs rien d’autre que
l’expression des effets de l’intégration de l’Égypte moderne
dans le système du capitalisme / impérialisme mondialisé de
l’époque. Dans cette lecture, le chapitre ouvert par la
cristallisation nassériste (1955-1967) n’est rien d’autre que le
dernier chapitre de ce moment long du flux d’avancée des luttes,
inauguré par la révolution de 1919-1920.
Le premier moment de ce demi-siècle de montée des luttes
d’émancipation en Égypte avait mis l’accent – avec la
constitution du Wafd en 1919 – sur la modernisation politique
par l’adoption d’une forme bourgeoise de démocratie
constitutionnelle et sur la reconquête de l’indépendance. La
forme démocratique imaginée permettait une avancée laïcisante –
sinon laïque au sens radical du terme – dont le drapeau
(associant le croissant et la croix – un drapeau qui a fait sa
réapparition dans les manifestations de janvier et février 2011)
constitue le symbole. Des élections « normales » permettaient
alors non seulement à des Coptes d’être élus par des majorités
musulmanes, mais encore davantage à ces mêmes Coptes d’exercer
de très hautes fonctions dans l’Etat, sans que cela ne pose le
moindre problème.
Tout l’effort de la puissance britannique, avec le soutien actif
du bloc réactionnaire constitué par la monarchie, les grands
propriétaires et les paysans riches, s’est employé à faire
reculer les avancées démocratiques de l’Égypte wafdiste. La
dictature de Sedki Pacha, dans les années 1930 (abolition de la
constitution démocratique de 1923) s’est heurtée au mouvement
étudiant, fer de lance à l’époque des luttes démocratiques
anti-impérialistes. Ce n’est pas un hasard si, pour en réduire
le danger, l’ambassade britannique et le Palais royal ont alors
soutenu activement la création des Frères musulmans (1927) qui
s’inspiraient de la pensée « islamiste » dans sa version « salafiste »
(passéiste) wahabite formulée par Rachid Reda, c’est à dire la
version la plus réactionnaire (antidémocratique et anti progrès
social) du nouvel « Islam politique ».
La conquête de l’Ethiopie entreprise par Mussolini et la
perspective d’une guerre mondiale se dessinant, Londres s’est
trouvé obligé de faire des concessions aux forces démocratiques,
permettant le retour du Wafd en 1936 et la signature du Traité
anglo-égyptien de la même année – un Wafd au demeurant lui-même
« assagi ». La seconde guerre mondiale a, par la force des
choses, constitué une sorte de parenthèse. Mais le flux de
montée des luttes a repris dès le 21 février 1946, avec la
constitution du bloc étudiant-ouvrier, renforcé dans sa
radicalisation par l’entrée en scène des communistes et du
mouvement ouvrier. Là encore, les forces de la réaction
égyptienne soutenues par Londres ont réagi avec violence et
mobilisé à cet effet les Frères musulmans qui ont soutenu une
seconde dictature de Sedki Pacha, sans parvenir à faire taire le
mouvement. Le Wafd
revenu au gouvernement, sa dénonciation du Traité de 1936,
l’amorce de la guérilla dans la zone du Canal encore occupée,
n’ont été mis en déroute que par l’incendie du Caire (1951), une
opération dans laquelle les Frères musulmans ont trempé.
Le premier coup d’État des Officiers libres (1952), mais surtout
le second inaugurant la prise de contrôle de Nasser (1954) sont
alors venus pour « couronner » cette période de flux continu des
luttes selon les uns, ou pour y mettre un terme, selon les
autres. Le
nassérisme a substitué à cette lecture que je propose de l’éveil
égyptien un discours idéologique abolissant toute l’histoire des
années 1919-1952 pour faire remonter la « révolution
égyptienne » à juillet 1952. A l’époque, beaucoup parmi les
communistes avaient dénoncé ce discours et analysé les coups
d’Etat de 1952 et 1954 comme destinés à mettre un terme à la
radicalisation du mouvement démocratique. Ils n’avaient pas
tort, car le nassérisme ne s’est cristallisé comme projet
anti-impérialiste qu’après Bandoung (avril 1955). Le nassérisme
a alors réalisé ce qu’il pouvait donner : une posture
internationale résolument anti-impérialiste (associée aux
mouvements panarabe et panafricain), des réformes sociales
progressistes (mais non « socialistes »). Le tout, par en haut,
non seulement « sans démocratie » (en interdisant aux classes
populaires le droit de s’organiser par elles-mêmes et pour
elles-mêmes), mais en « abolissant » toute forme de vie
politique. Le vide créé appelait l’Islam politique à le remplir.
Le projet a alors épuisé son potentiel d’avancées en un temps
bref – dix années de 1955 à 1965. L’essoufflement offrait à
l’impérialisme, dirigé désormais par les États-Unis, l’occasion
de briser le mouvement, en mobilisant à cet effet leur
instrument militaire régional : Israël. La défaite de 1967
marque alors la fin de ce demi-siècle de flux. Le reflux est
amorcé par Nasser lui-même, choisissant la voie des concessions
à droite – (« l’infitah »
– l’ouverture, entendre « à la mondialisation capitaliste »)
plutôt que la radicalisation pour laquelle se battaient, entre
autres, les étudiants (dont le mouvement occupe le devant de la
scène en 1970, peu avant puis après la mort de Nasser). Sadate
qui succède, accentue la portée de la dérive à droite et intègre
les Frères musulmans dans son nouveau système autocratique.
Moubarak poursuit dans la même voie.
La période de reflux qui suit (1967-2011) couvre à son tour
presqu’un demi-siècle. L’Égypte, soumise aux exigences du
libéralisme mondialisé et aux stratégies des Etats-Unis, a cessé
d’exister comme acteur actif régional et international. Dans la
région, les alliés majeurs des Etats-Unis – l’Arabie saoudite et
Israël – occupent le devant de la scène. Israël peut alors
s’engager dans la voie de l’expansion de sa colonisation de la
Palestine occupée, avec la complicité tacite de l’Égypte et des
pays du Golfe.
L’Égypte de Nasser avait mis en place un système économique et
social critiquable mais cohérent. Nasser avait fait le pari de
l’industrialisation pour sortir de la spécialisation
internationale coloniale qui cantonnait le pays à l’exportation
de coton. Ce système a assuré une répartition des revenus
favorable aux classes moyennes en expansion, sans
appauvrissement des classes populaires. Sadate et Moubarak ont
œuvré au démantèlement du système productif égyptien, auquel ils
ont substitué un système totalement incohérent, exclusivement
fondé sur la recherche de la rentabilité d’entreprises qui ne
sont pour la plupart que des sous-traitants du capital des
monopoles impérialistes. Les taux de croissance égyptiens,
prétendument élevés, qu’exalte depuis trente ans la Banque
mondiale, n’ont aucune signification. La croissance égyptienne
est vulnérable à l’extrême. Cette croissance, par ailleurs,
s’est accompagnée d’une incroyable montée des inégalités et du
chômage qui frappe une majorité de jeunes. Cette situation était
explosive ; elle a explosé.
L’apparente « stabilité du régime » que Washington vantait
reposait sur une machine policière
monstrueuse (1 200 000 hommes contre 5 00 000 seulement
pour l’armée), qui se livrait à des abus criminels quotidiens.
Les puissances impérialistes prétendaient que ce régime
« protégeait » l’Égypte de l’alternative islamiste. Or, il ne
s’agit là que d’un mensonge grossier. En fait, le régime avait
parfaitement intégré l’Islam politique réactionnaire (le modèle
wahabite du Golfe) dans son système de pouvoir, en lui concédant
la gestion de l’éducation, de la justice et des médias majeurs
(la télévision en particulier). Le seul discours autorisé était
celui des mosquées confiées aux Salafistes, leur permettant de
surcroît de faire semblant de constituer « l’opposition ». La
duplicité cynique du discours de l’establishment des États-Unis
(et sur ce plan Obama n’est pas différent de Bush) sert
parfaitement ses objectifs. Le soutien de fait à l’Islam
politique annihile les capacités de la société à faire face aux
défis du monde moderne (il est à l’origine du déclin
catastrophique de l’éducation et de la recherche), tandis que la
dénonciation occasionnelle des « abus » dont il est responsable
(assassinats de Coptes, par exemple) sert à légitimer les
interventions militaires de Washington engagé dans la soit
disant « guerre contre le terrorisme ». Le régime pouvait
paraître « tolérable » tant que fonctionnait la soupape de
sécurité que représentait l’émigration en masse des pauvres et
des classes moyennes vers les pays pétroliers. L’épuisement de
ce système (la substitution d’immigrés asiatiques à ceux en
provenance des pays arabes) a entraîné la renaissance des
résistances. Les grèves ouvrières de 2007 – les plus fortes du
continent africain depuis 50 ans – la résistance obstinée des
petits paysans menacés d’expropriation par le capitalisme
agraire, la formation de cercles de protestation démocratique
dans les classes moyennes (les mouvements
Kefaya et du 6 avril)
annonçaient l’inévitable explosion - attendue en Égypte, même si
elle a surpris les « observateurs étrangers ». Nous sommes donc
entrés dans une phase nouvelle de flux des luttes d’émancipation
dont il nous faut alors analyser les directions et les chances
de développement.
Les composantes du
mouvement démocratique
La « révolution égyptienne » en cours illustre la possibilité de
la fin annoncée du système « néolibéral », remis en cause dans
toutes ses dimensions politiques, économiques et sociales. Ce
mouvement gigantesque du peuple égyptien associe trois
composantes actives : les jeunes « re-politisés » par leur
propre volonté et dans des formes « modernes » qu’ils ont
inventées, les forces de la gauche radicale, celles rassemblées
par les classes moyennes démocrates.
Les jeunes (environ un million de militants) ont été le fer de
lance du mouvement. Ils ont été immédiatement rejoints par la
gauche radicale et les classes moyennes démocrates. Les Frères
musulmans dont les dirigeants avaient appelé à boycotter les
manifestations pendant les quatre premiers jours (persuadés que
celles-ci seraient mises en déroute par la répression) n’ont
accepté le mouvement que tardivement, lorsque l’appel, entendu
par l’ensemble du peuple égyptien, a produit des mobilisations
gigantesques de 15 millions de manifestants.
Les jeunes et la gauche radicale poursuivent trois objectifs
communs : la restauration de la démocratie (la fin du régime
militaire et policier), la mise en œuvre d’une nouvelle
politique économique et sociale favorable aux classes populaires
(la rupture avec la soumission aux exigences du libéralisme
mondialisé), et celle d’une politique internationale
indépendante (la rupture avec la soumission aux exigences de
l’hégémonie des États-Unis et du déploiement de son contrôle
militaire sur la planète). La révolution démocratique à laquelle
ils appellent est une révolution démocratique anti-impérialiste
et sociale. Bien que le mouvement des jeunes reste diversifié
dans sa composition sociale et ses expressions politiques et
idéologiques, il se situe dans l’ensemble « à gauche ». Les
manifestations de sympathie spontanées et fortes avec la gauche
radicale en sont le témoignage.
Les classes moyennes se rassemblent dans l’ensemble autour du
seul objectif démocratique, sans nécessairement remettre
intégralement en cause le « marché » (tel qu’il est) et
l’alignement international de l’Égypte. On ne doit pas ignorer
le rôle d’un groupe de blogueurs qui participent – consciemment
ou pas – à un véritable complot organisé par la CIA. Ses
animateurs sont généralement des jeunes issus des classes
aisées, américanisés à l’extrême, qui se posent néanmoins en
« contestataires » des dictatures en place. Le thème de la
démocratie, dans la version que sa manipulation par Washington
impose, domine leurs interventions sur le « net ». Ils
participent de ce fait à la chaîne des acteurs des
contrerévolutions orchestrées par Washington, déguisées en
« révolutions démocratiques » sur le modèle « des révolutions
colorées » de l’Europe de l’Est. Mais on aurait tort de conclure
que ce complot est à l’origine des révoltes populaires. La CIA
tente néanmoins de renverser le sens du mouvement, d’éloigner
les militants de leurs objectifs de transformation sociale
progressiste et de les dévoyer sur d’autres terrains. Les
chances de succès du complot deviennent sérieuses si le
mouvement échoue dans la construction de la convergence de ses
diverses composantes, à identifier des objectifs stratégiques
communs et à inventer des formes d’organisation et d’action
efficaces. On connaît des exemples de cet échec, aux Philippines
et en Indonésie par exemple. Il est intéressant de noter à ce
propos que nos blogueurs, qui s’expriment en anglais plutôt
qu’en arabe ( !), partis dans la défense de la « démocratie » -
à l’américaine- développent souvent, en Egypte, des arguments
destinés à légitimer les Frères Musulmans.
L’appel à la manifestation formulé par les trois composantes
actives du mouvement a été rapidement entendu par l’ensemble du
peuple égyptien. La répression, d’une violence extrême les
premiers jours (plus d’un millier de morts) n’a pas découragé
ces jeunes et leurs alliés (qui, à aucun moment, n’ont appelé à
leur secours les puissances occidentales comme on a pu le voir
ailleurs). Leur courage a été l’élément décisif qui a entraîné
dans la protestation à travers tous les quartiers des grandes et
des petites villes, voire de villages, une quinzaine de millions
de manifestants pendant des jours et des jours (et parfois des
nuits). Ce succès politique foudroyant a produit ses effets : la
peur a changé de camp ; Hilary Clinton et Obama ont découvert
alors qu’il leur fallait lâcher Moubarak qu’ils avaient soutenu
jusqu’alors, tandis que les dirigeants de l’armée sortaient du
silence, refusaient de participer à la relève de la répression –
sauvegardant ainsi leur image – et finalement déposaient
Moubarak et quelque uns de ses suppôts majeurs.
La généralisation du mouvement à l’ensemble du peuple égyptien
constitue par elle-même un défi positif. Car ce peuple est,
comme tous les autres, loin de constituer un « bloc homogène ».
Certains des segments qui le composent renforcent
incontestablement la perspective d’une radicalisation possible.
L’entrée dans la bataille de la classe ouvrière (environ 5
millions de travailleurs) peut être décisive. Les travailleurs
en lutte (à travers de nombreuses grèves) ont fait progresser
des formes d’organisation amorcées depuis 2007. On compte
désormais plus d’une cinquantaine de syndicats indépendants. La
résistance opiniâtre des petits paysans aux expropriations
rendues possibles par l’annulation de la réforme agraire (les
Frères musulmans ont voté au parlement pour ces lois scélérates,
sous prétexte que la propriété privée serait « sacrée » dans
l’Islam et que la réforme agraire était inspirée par le diable
communiste !) participe également de la radicalisation possible
du mouvement. Il reste qu’une masse gigantesque de « pauvres »
ont participé activement aux manifestations de février 2011 et
se retrouvent souvent dans des comités populaires constitués
dans les quartiers pour « défendre la révolution ». Ces
« pauvres » peuvent donner l’impression (par les barbes, les
voiles, les accoutrements vestimentaires) que le pays profond
est « islamique », voire mobilisé par les Frères musulmans. En
fait, leur entrée en scène s’est imposée à la direction de
l’organisation. La course est donc engagée : qui des Frères et
de leurs associés islamistes (les Salafistes) ou de l’alliance
démocratique parviendra à formuler des alliances efficaces avec
les masses désorientées, voire à les « encadrer » (terme que je
récuse) ?
Des avancées non négligeables dans la construction du front uni
des forces démocratiques et des travailleurs sont en cours en
Egypte. Cinq partis d’orientation socialiste (le Parti
Socialiste égyptien, l’Alliance populaire démocratique –une
majorité sortie de l’ancien parti du
Tagammu, le Parti
démocratique des travailleurs, le Parti des Socialistes
révolutionnaires –trotskiste, et le Parti Communiste égyptien
–qui avait été une composante du
Tagammu) ont
constitué en avril 2011 une Alliance des forces socialistes, et
se sont engagés à poursuivre, à travers elle, leurs luttes en
commun. Parallèlement un Conseil National (Maglis
Watany) à été constitué par toutes les forces politiques et
sociales acteurs du mouvement (les partis à orientation
socialiste, les partis démocratiques divers, les syndicats
indépendants, les organisations paysannes, les réseaux de
jeunes, de nombreuses associations sociales). Les Frères
Musulmans et les partis de droite ont refusé de participer à ce
Conseil, réaffirmant ainsi ce qu’on sait : leur opposition à la
poursuite du mouvement. Le Conseil rassemble environ 150
membres.
Face au mouvement
démocratique : le bloc réactionnaire
Tout comme dans la période de flux des luttes du passé, le
mouvement démocratique anti-impérialiste et social se heurte en
Égypte à un bloc réactionnaire puissant. Ce bloc peut être
identifié dans les termes de ses composantes sociales (de
classes, évidemment) mais il doit l’être tout également dans
ceux qui définissent ses moyens d’intervention politique et des
discours idéologiques au service de celle-ci.
En termes sociaux, le bloc réactionnaire est dirigé par la
bourgeoisie égyptienne considérée dans son ensemble. Les formes
d’accumulation dépendante à l’œuvre au cours des 40 dernières
années ont produit l’émergence d’une bourgeoisie riche,
bénéficiaire exclusive de l’inégalité scandaleuse qui a
accompagné ce modèle « libéral-mondialisé ». Il s’agit de
dizaines de milliers non pas « d’entrepreneurs inventifs » -
comme le discours de la Banque mondiale les présente – mais de
millionnaires et de milliardaires qui tous doivent leur fortune
à leur collusion avec l’appareil politique (la « corruption »
est une composante organique de ce système). Cette bourgeoisie
est compradore (dans la langue politique courante en
Égypte le peuple les qualifie de « parasites corrompus »). Elle
constitue le soutien actif de l’insertion de l’Égypte dans la
mondialisation impérialiste contemporaine, l’allié
inconditionnel des États-Unis. Cette bourgeoisie compte dans ses
rangs de nombreux généraux de l’armée et de la police, de
« civils » associés à l’État et au parti dominant (« National
démocratique ») créé par Sadate et Moubarak, de religieux (la
totalité des dirigeants des Frères musulmans et des cheikhs
majeurs de l’Azhar, sont tous des « milliardaires »). Certes, il
existe encore une bourgeoisie de petits et moyens entrepreneurs
actifs. Mais ceux-là sont les victimes du système de racket mis
en place par la bourgeoisie compradore, réduits le plus souvent
au statut de sous-traitants dominés par les monopoles locaux,
eux-mêmes courroies de transmission des monopoles étrangers.
Dans le domaine de la construction, cette situation est presque
généralisée : les « gros » raflent les marchés puis les
sous-traitent avec les « petits ». Cette bourgeoisie
d’entrepreneurs authentiques sympathise avec le mouvement
démocratique.
Le versant rural du bloc réactionnaire n’est pas moins
important. Il s’est constitué de paysans riches qui ont été les
bénéficiaires majeurs de la réforme agraire nassérienne, se
substituant à l’ancienne classe des grands propriétaires. Les
coopératives agricoles mises en place par le régime nassérien
associaient les petits paysans et les paysans riches et de ce
fait fonctionnaient principalement au bénéfice des riches. Mais
le régime avait pris des précautions pour limiter les agressions
possibles contre les petits paysans. Ces précautions ayant été
abandonnées par Sadate et Moubarak, sur la recommandation de la
Banque mondiale, la paysannerie riche s’emploie maintenant à
accélérer l’élimination de la petite paysannerie. Les paysans
riches ont toujours constitué dans l’Égypte moderne une classe
réactionnaire et ils le sont plus que jamais. Ils sont également
le soutien majeur de l’Islam conservateur dans les campagnes et,
par leurs rapports étroits (souvent de parenté) avec les
représentants des appareils d’État et de la religion (l’Azhar
est en Égypte l’équivalent d’une Église musulmane organisée)
dominent la vie sociale rurale. De surcroît une bonne partie des
classes moyennes urbaines (en particulier les officiers de
l’armée et de la police, mais également les technocrates et les
professions libérales) sont sorties directement de la
paysannerie riche.
Ce bloc social réactionnaire dispose d’instruments politiques à
son service : l’armée et la police, les institutions de l’État,
le parti politique privilégié (une sorte de parti unique de
fait) – le Parti national démocratique créé par Sadate –,
l’appareil religieux (l’Azhar), les courants de l’Islam
politique (les Frères musulmans et les Salafistes). L’aide
militaire octroyée par les États-Unis à l’armée égyptienne (1,5
milliard de dollars annuels) n’a jamais été destinée à renforcer
la capacité de défense du pays mais au contraire à en annihiler
le danger par la corruption systématique, non pas connue et
tolérée, mais soutenue positivement, avec cynisme. Cette
« aide » a permis aux plus hauts officiers de s’approprier des
segments importants de l’économie compradore égyptienne, au
point qu’on parle en Égypte de « la société anonyme / armée » (Sharika
al geish). Le commandement de l’armée qui a pris la
responsabilité de « diriger » la période de transition, n’est de
ce fait pas « neutre » bien qu’il ait pris la précaution de
paraître l’être en se dissociant de la répression. Le
gouvernement « civil » à ses ordres (dont les membres ont été
nommés par le haut commandement) composé en partie d’hommes de
l’ancien régime, choisis néanmoins parmi les personnalités les
moins visibles de celui-ci, a pris une série de mesures
parfaitement réactionnaires destinées à freiner la
radicalisation du mouvement. Parmi ces mesures une loi scélérate
antigrève (sous prétexte de remettre en route l’économie du
pays), une loi imposant des restrictions sévères à la
constitution des partis politiques qui vise à ne permettre la
possibilité d’entrer dans le jeu électoral qu’aux courants de
l’Islam politique (les Frères musulmans en particulier) déjà
bien organisés grâce au soutien systématique du régime ancien.
Et cependant, en dépit de tout cela, l’attitude de l’armée
demeure en dernier ressort imprévisible. Car en dépit de la
corruption de ses cadres (les soldats sont des conscrits mais
les officiers sont des professionnels) le sentiment nationaliste
n’est pas toujours absent chez tous. De surcroît l’armée souffre
d’avoir pratiquement été écartée du pouvoir au profit de la
police. Dans ces circonstances, et parce que le mouvement a
exprimé avec force sa volonté d’écarter l’armée de la direction
politique du pays, il est probable que le haut commandement
envisagera pour l’avenir de rester dans les coulisses, renonçant
à présenter ses hommes dans les élections à venir.
Si, évidemment, l’appareil policier demeure intact (aucune
poursuite n’est envisagée contre ses responsables) comme
l’ensemble de l’appareil d’État (les nouveaux gouverneurs sont
tous des anciens du régime), le Parti national démocratique a
par contre disparu dans la tourmente et sa dissolution prononcée
par la justice. Néanmoins faisons confiance à la bourgeoisie
égyptienne, elle saura faire renaître son parti sous des
appellations nouvelles diverses.
L’Islam politique
Les Frères musulmans constituent la seule force politique dont
le régime avait non seulement toléré l’existence, mais dont il
avait soutenu activement l’épanouissement. Sadate et Moubarak
leur avaient confié la gestion de trois
institutions fondamentales : l’éducation, la justice et la
télévision. Les Frères musulmans n’ont jamais été et ne peuvent
pas être « modérés », encore moins « démocratiques ». Leur chef
- le mourchid
(traduction arabe de « guide » - Führer) est autoproclamé et
l’organisation repose sur le principe de la discipline et de
l’exécution des ordres des chefs, sans discussions d’aucune
sorte. La direction est constituée exclusivement d’hommes
immensément riches (grâce, entre autre, au soutien financier de
l’Arabie Saoudite, c'est-à-dire de Washington), l’encadrement
par des hommes issus des fractions obscurantistes des classes
moyennes, la base par des gens du peuple recrutés par les
services sociaux de charité offerts par la confrérie (et
financés toujours par l’Arabie Saoudite), tandis que la force de
frappe est constituée par les milices (les
baltaguis) recrutés
dans le lumpen.
Les Frères musulmans sont acquis à un système économique basé
sur le marché et totalement dépendant de l’extérieur. Ils sont
en fait une composante de la bourgeoisie compradore. Ils ont
d’ailleurs pris position contre les grandes grèves de la classe
ouvrière et les luttes des paysans pour conserver la propriété
de leur terre. Les Frères musulmans ne sont donc « modérés » que
dans le double sens où ils ont toujours refusé de formuler un
programme économique et social quelconque et que, de fait, il ne
remettent pas en cause les politiques néo-libérales
réactionnaires, et qu’ils acceptent de facto la soumission aux
exigences du déploiement du contrôle des États-Unis dans le
monde et dans la région. Ils sont donc des alliés utiles pour
Washington (y-a-t-il un meilleur allié des États-Unis que
l’Arabie Saoudite, patron des Frères ?) qui leur a décerné un
« certificat de démocratie » !
Mais les États-Unis ne peuvent avouer que leur stratégie vise à
mettre en place des régimes « islamiques » dans la région. Ils
ont besoin de faire comme si « cela leur faisait peur ». Par ce
moyen, ils légitiment leur « guerre permanente au terrorisme »,
qui poursuit en réalité d’autres objectifs : le contrôle
militaire de la planète destiné à réserver aux
États-Unis-Europe-Japon l’accès exclusif aux ressources.
Avantage supplémentaire de cette duplicité : elle permet de
mobiliser « l’islamophobie » des opinions publiques. L’Europe,
comme on le sait, n’a pas de stratégie particulière à l’égard de
la région et se contente de s’aligner au jour le jour sur les
décisions de Washington. Il est plus que jamais nécessaire de
faire apparaître clairement cette véritable duplicité de la
stratégie des États-Unis, dont les opinions publiques –
manipulées avec efficacité – sont dupes. Les États-Unis, (et
derrière eux l’Europe) craignent plus que tout une Égypte
réellement démocratique qui, certainement, remettrait en cause
son alignement sur le libéralisme économique et la stratégie
agressive des États-Unis et de l’OTAN. Ils feront tout pour que
l’Égypte ne soit pas démocratique et, à cette fin, soutiendront,
par tous les moyens, mais avec hypocrisie, la fausse alternative
Frères musulmans qui ont montré n’être qu’en minorité dans le
mouvement du peuple égyptien pour un changement réel.
La collusion entre les puissances impérialistes et l’Islam
politique n’est d’ailleurs ni nouvelle, ni particulière à
l’Égypte. Les Frères musulmans, depuis leur création en 1927
jusqu’à ce jour, ont toujours été un allié utile pour
l’impérialisme et le bloc réactionnaire local. Ils ont toujours
été un ennemi féroce des mouvements démocratiques en Égypte. Et
les multimilliardaires qui assurent aujourd’hui la direction de
la Confrérie ne sont pas destinés à se rallier à la cause
démocratique ! L’Islam politique est tout également l’allié
stratégique des États-Unis et de leurs partenaires subalternes
de l’OTAN à travers le monde musulman. Washington a armé et
financé les Talibans, qualifiés de « héros de la liberté » (« Freedom
Fighters ») dans leur guerre contre le régime national
populaire dit « communiste » (avant et après l’intervention
soviétique). Lorsque les Talibans ont fermé les écoles de filles
créées par les « communistes », il s’est trouvé des
« démocrates » et même des « féministes » pour prétendre qu’il
fallait « respecter les traditions » !
En Égypte, les Frères musulmans sont désormais épaulés par le
courant salafiste (« traditionaliste »), tout également
largement financé par les pays du Golfe. Les Salafistes
s’affirment extrémistes (wahabites convaincus, intolérants à
l’égard de tout autre interprétation de l’Islam) et sont à
l’origine des meurtres systématiques perpétrés contre les
Coptes. Des opérations difficiles à imaginer sans le soutien
tacite (et parfois davantage de complicité) de l’appareil
d’État, en particulier de la Justice, largement confiée aux
Frères musulmans. Cette étrange division du travail permet aux
Frères musulmans de paraître modérés ; ce que Washington feint
de croire. Il y a néanmoins des luttes violentes en perspective
au sein des courants religieux islamistes en Égypte. Car l’Islam
égyptien historique dominant est « soufi » dont les confréries
rassemblent aujourd’hui 15 millions de fidèles. Islam ouvert,
tolérant, insistant sur la conviction individuelle plutôt que
sur la pratique des rites («il y a autant de voies vers Dieu que
d’individus » disent-ils), le soufisme égyptien a toujours été
tenu en suspicion par les pouvoirs d’État, lesquels, néanmoins,
maniant la carotte et le bâton, se gardaient d’entrer en guerre
ouverte contre lui. L’Islam wahabite du Golfe se situe à ses
antipodes : il est archaïque, ritualiste, conformiste, ennemi
déclaré de toute interprétation autre que la sienne, laquelle
n’est que répétitive des textes, ennemie de tout esprit critique
– assimilé au Diable. L’Islam wahabite a déclaré la guerre au
soufisme qu’il veut « extirper » et compte sur l’appui des
autorités du pouvoir pour y parvenir. En réaction, les soufistes
d’aujourd’hui sont laïcisants, sinon laïques ; ils appellent à
la séparation entre la religion et la politique (le pouvoir
d’État et celui des autorités religieuses reconnues par lui,
l’Azhar). Les soufistes sont des alliés du mouvement
démocratique. L’introduction de l’Islam wahabite en Égypte a été
amorcée par Rachid Reda dans les années 1920 et repris par les
Frères musulmans dès 1927. Mais il n’a pris toute sa vigueur
qu’après la seconde guerre mondiale lorsque la rente pétrolière
des pays du Golfe, soutenus par les États-Unis en conflit avec
la vague de libération nationale populaire des années 1960, a
permis d’en démultiplier les moyens financiers.
La stratégie des
États-Unis : le modèle pakistanais
Les trois puissances qui ont dominé la scène moyen-orientale au
cours de toute la période de reflux (1967-2011) sont les
États-Unis, patron du système, l’Arabie Saoudite et Israël. Il
s’agit là de trois alliés intimes. Ils partagent tous les trois
la même hantise de l’émergence d’une Égypte démocratique. Car
celle-ci ne pourrait être qu’anti-impérialiste et sociale,
prendrait ses distances à l’égard du libéralisme mondialisé,
condamnerait l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe à
l’insignifiance, réanimerait la solidarité des peuples arabes et
imposerait la reconnaissance de l’État palestinien par Israël.
L’Égypte est une pièce angulaire dans la stratégie états-unienne
de contrôle de la Planète. L’objectif exclusif de Washington et
de ses alliés Israël
et l’Arabie Séoudite est de faire avorter le mouvement
démocratique en Égypte et, à cette fin, veulent impose un
« régime islamique » dirigé par les Frères Musulmans, qui est le
seul moyen pour eux de perpétuer la soumission de l’Égypte. Le
« discours démocratique » d’Obama n’est là que pour tromper les
opinions naïves, celles des États-Unis et de l’Europe en premier
lieu.
On parle beaucoup, pour donner une légitimité à un gouvernement
des Frères musulmans (« ralliés à la démocratie ! »), de
l’exemple turc. Mais il ne s’agit là encore que de poudre aux
yeux. Car l’armée turque, qui reste présente dans les coulisses,
bien que certainement non démocratique et de surcroit un allié
fidèle de l’OTAN, reste la garantie de la « laïcité » en
Turquie. Le projet de Washington, ouvertement exprimé par Hilary
Clinton, Obama et les
think tanks à leur service, s’inspire du modèle
pakistanais : l’armée (« islamique ») dans les coulisses, le
gouvernement (« civil ») assumé par un (ou des) parti islamique
« élu ». Évidemment, dans cette hypothèse, le gouvernement
« islamique » égyptien serait récompensé pour sa soumission sur
l’essentiel (la non remise en cause du libéralisme et des soit
disant « traités de paix » qui permettent à Israël la poursuite
de sa politique d’expansion territoriale) et pourrait
poursuivre, en compensation démagogique, la mise en œuvre de ses
projets « d’islamisation de l’État et de la politique », et les
assassinats des Coptes ! Belle démocratie que celle conçue à
Washington pour l’Égypte. L’Arabie Séoudite soutient évidemment
avec tous ses moyens (financiers) la mise en œuvre de ce projet.
Car Ryad sait parfaitement que son hégémonie régionale (dans le
monde arabe et musulman) exige la réduction de l’Égypte à
l’insignifiance. Et le moyen est « l’islamisation de l’État et
de la politique » ; en fait, une islamisation à la wahabite,
avec tous ses effets – entre autres celui de dévoiements
fanatiques à l’égard des Coptes et d’une négation des droits à
l’égalité des femmes.
Cette forme d’islamisation est-elle possible ? Peut être, mais
au prix de violences extrêmes. La bataille est conduite sur
l’article 2 de la constitution du régime déchu. Cet article qui
stipule que « la sharia
est la source du droit », est une nouveauté dans l’histoire
politique de l’Égypte. Ni la constitution de 1923, ni celle de
Nasser ne l’avaient imaginé. C’est Sadate qui l’a introduit dans
sa nouvelle constitution, avec le soutien triple de Washington
(« respecter les traditions » !), de Ryad (« le Coran tient lieu
de Constitution ») et de Jérusalem (« l’État d’Israël est un
État juif »).
Le projet des Frères Musulmans demeure la mise en place d’un
Etat théocratique, comme en témoigne leur attachement à
l’article 2 de la Constitution de Sadate/Moubarak. De surcroît
le programme le plus récent de l’organisation renforce encore
cette vision passéiste par la proposition de mise en place d’un
« Conseil des Ulémas » chargé de veiller à la conformité de
toute proposition de loi aux exigences de la
Sharia. Ce conseil
constitutionnel religieux, est l’analogue de celui qui, en Iran,
contrôle le « pouvoir élu ». Le régime est alors celui d’un
super parti religieux unique et tous les partis qui se
revendiqueraient de la laïcité deviennent « illégaux ». Leurs
partisans, comme les non Musulmans (les Coptes), sont, de ce
fait, exclus de la vie politique. En dépit de tout cela les
pouvoirs à Washington et en Europe font comme si on pouvait
prendre au sérieux la récente déclaration des Frères
« renonçant » au projet théocratique (sans modifier leur
programme !), une déclaration opportuniste mensongère de plus.
Les experts de la CIA ne savent-ils donc pas lire l’arabe ? La
conclusion s’impose : Washington préfère le pouvoir de Frères,
qui leur garantit le maintien de l’Egypte dans leur giron et
celui de la mondialisation libérale, à celui de démocrates qui
risqueraient fort de remettre en question le statut subalterne
de l’Egypte. Le Parti de la Justice et de la Liberté, créé
récemment et inspiré visiblement du modèle turc, n’est guère
qu’un instrument des Frères. Les Coptes y seraient admis ( !),
ce qui signifie qu’ils sont invités à accepter l’Etat musulman
théocratique consacré par le programme des Frères, s’ils veulent
avoir le droit de « participer » à la vie politique de leur
pays. Passés à l’offensive, les Frères Musulmans créent des
« syndicats », des « organisations paysannes » et une kyrielle
de « partis politiques » revêtant des noms divers, dont le seul
objectif est de diviser les fronts unis ouvriers, paysans et
démocratiques en voie de construction, au bénéfice, bien
entendu, du bloc contrerévolutionnaire.
Le mouvement démocratique égyptien sera-t-il capable d’abroger
cet article dans la nouvelle constitution à venir ? On ne peut
répondre à cette question que par un retour sur un examen des
débats politiques, idéologiques et culturels qui se sont
déployés dans l’histoire de l’Égypte moderne.
On constate en effet que les périodes de flux sont caractérisées
par une diversité d’opinions ouvertement exprimées qui relèguent
la « religion » (toujours présente dans la société) à
l’arrière-plan. Il en fut ainsi pendant les deux tiers du XIXe
siècle (de Mohamed Ali au Khédive Ismaïl). Les thèmes de la
modernisation (dans une forme de despotisme éclairé plutôt que
démocratique) dominent alors la scène. Il en fut de même de 1920
à 1970 : l’affrontement est ouvert entre les « démocrates
bourgeois » et les « communistes » qui occupent largement le
devant de la scène jusqu’au nassérisme. Celui-ci abolit ce débat
pour lui substituer un discours populiste pan arabe, mais
simultanément « modernisant ». Les contradictions de ce système
ouvrent la voie au retour de l’Islam politique. On constate, en
contrepoint, que dans les phases de reflux la diversité
d’opinions s’efface, laissant la place au passéisme prétendu
islamique, qui s’octroie le monopole du discours autorisé par le
pouvoir. De 1880 à 1920 les Britanniques ont construit cette
dérive, entre autre par la condamnation à l’exil (en Nubie, pour
l’essentiel) de tous les penseurs et acteurs modernistes
égyptiens formés depuis Mohamed Ali. Mais on remarquera aussi
que « l’opposition » à cette occupation britannique se range
également dans cette conception passéiste. La
Nahda (inaugurée par
Afghani et poursuivie par Mohamed Abdou) s’inscrit dans cette
dérive, associée à l’illusion ottomaniste défendue par le
nouveau Parti Nationaliste de Moutapha Kemal et Mohammad Farid.
Que cette dérive ait conduit vers la fin de l’époque aux écrits
ultra-réactionnaires de Rachid Reda, repris par Hassan el Banna,
fondateur des Frères musulmans, ne devrait pas surprendre.
Il en est de même encore dans la période de reflux des années
1970-2010.Le discours officiel du pouvoir (de Sadate et de
Moubarak), parfaitement islamiste (la preuve : l’introduction de
la Sharia dans la
constitution et la délégation de pouvoirs essentiels aux Frères
musulmans), est également celui de la fausse opposition, la
seule tolérée, celle du discours des mosquées. L’article 2 peut
paraître de ce fait, bien solidement ancré dans la
« conviction » générale (la « rue » comme on se plaît à dire,
par imitation du discours étatsunien). On ne saurait
sous-estimer les effets dévastateurs de la dépolitisation mise
en œuvre systématiquement pendant les périodes de reflux. La
pente n’est jamais facile à remonter. Mais cela n’est pas
impossible. Les débats en cours en Égypte sont axés –
explicitement ou implicitement – sur cette question de la
prétendue dimension « culturelle » du défi (en l’occurrence
islamique). Indicateurs positifs : il a suffi de quelques
semaines de débats libres imposés dans les faits pour voir le
slogan « l’islam est la solution » disparaître dans toutes les
manifestations au bénéfice de revendications précises sur le
terrain de la transformation concrète de la société (liberté
d’opinion, de formation des partis, syndicats et autres
organisations sociales, salaires et droits du travail, accès à
la terre, école et santé, rejet des privatisations et appel aux
nationalisations etc.) Signe qui ne trompe pas : aux élections
des étudiants, l’écrasante majorité (80%) des voix données aux
Frères musulmans il y a cinq ans (lorsque seul ce discours était
accepté comme prétendue opposition) a fait suite à une chute des
Frères dans les élections d’avril à 20% ! Mais l’adversaire sait
également organiser la riposte au « danger démocratique ». Les
modifications insignifiantes de la constitution (toujours en
vigueur !) proposées par un comité constitué exclusivement
d’islamistes choisis par le conseil suprême (l’armée) et
adoptées à la hâte en avril par referendum (23% de « non », mais
une majorité de « oui », forcée par les fraudes et un chantage
massif des mosquées) ne concernent évidemment pas l’article 2.
Des élections présidentielles et législatives sont prévues pour
septembre / octobre 2011. Le mouvement démocratique se bat pour
une « transition démocratique » plus longue, de manière à
permettre à ses discours d’atteindre
véritablement les masses désemparées. Mais Obama a choisi
dès les premiers jours de l’insurrection : une transition brève,
ordonnée (c’est à dire sans remise en cause des appareils du
régime) et des élections (donnant une victoire souhaitée aux
Islamistes). Les « élections » comme on le sait, en Égypte comme
ailleurs dans le monde, ne sont pas le meilleur moyen d’asseoir
la démocratie, mais souvent celui de mettre un terme à la
dynamique des avancées démocratiques.
Un dernier mot concernant la « corruption ». Le discours
dominant du « régime de transition » place l’accent sur sa
dénonciation, associée
de menaces de poursuites judiciaires (on verra ce qu’il
en sera dans les faits). Ce discours est certainement bien reçu,
en particulier par la fraction sans doute majeure de l’opinion
naïve. Mais on se garde d’en analyser les raisons profondes et
de faire comprendre que la « corruption » (présentée comme une
déviance morale, façon discours moralisant étatsunien) est une
composante organique nécessaire à la formation de la
bourgeoisie. Non seulement dans le cas de l’Égypte et dans les
pays du Sud en général, s’agissant de la formation d’une
bourgeoisie compradore dont l’association aux pouvoirs d’État
constitue le seul moyen pour son émergence. Je soutiens qu’au
stade du capitalisme des monopoles généralisés, la corruption
est devenue un élément constitutif organique de la reproduction
du modèle d’accumulation : le prélèvement
de la rente des monopoles exige la complicité active de
l’État. Le discours idéologique (« le virus libéral ») proclame
« pas d’État » ; tandis que sa pratique est : « l’État au
service des monopoles ».
La zone des tempêtes
Mao n’avait pas tort lorsqu’il affirmait que le capitalisme
(réellement existant, c'est-à-dire impérialiste par nature)
n’avait rien à offrir aux peuples des trois continents (la
périphérie constituée par l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine
– cette « minorité » qui rassemble 85% de la population de la
planète !) et que donc le Sud constituait la « zone des
tempêtes », c'est-à-dire des révoltes répétées, potentiellement
(mais seulement potentiellement) porteuses d’avancées
révolutionnaires en direction du dépassement socialiste du
capitalisme.
Le « printemps arabe » s’inscrit dans cette réalité. Il s’agit
de révoltes sociales potentiellement porteuses de la
cristallisation d’alternatives, qui peuvent à long terme
s’inscrire dans la perspective socialiste. C’est la raison pour
laquelle le système capitaliste, le capital des monopoles
dominants à l’échelle mondiale, ne peut tolérer le développement
de ces mouvements. Il mobilisera tous les moyens de
déstabilisation possibles, des pressions économiques et
financières jusqu’à la menace militaire. Il soutiendra, selon
les circonstances, soit les fausses alternatives fascistes ou
fascisantes, soit la mise en place de dictatures militaires. Il
ne faut pas croire un mot de ce que dit Obama. Obama, c’est
Bush, mais avec un autre langage. Il y a là une duplicité
permanente dans le langage des dirigeants de la triade
impérialiste (États-Unis, Europe occidentale, Japon).
Je n’ai pas l’intention, dans cet article, d’examiner avec
autant de précision chacun des mouvements en cours dans le monde
arabe (Tunisie, Libye, Syrie, Yémen et autres). Car les
composantes du mouvement sont différents d’un pays à l’autre,
tout comme le sont les formes de leur intégration dans la
mondialisation impérialiste et les structures des régimes en
place.
La révolte tunisienne a donné le coup d’envoi et certainement
fortement encouragé les Egyptiens. Par ailleurs le mouvement
tunisien bénéficie d’un avantage certain : la semi laïcité
introduite par Bourguiba ne pourra sans doute pas être remise en
cause par les Islamistes rentrés de leur exil en Grande
Bretagne. Mais simultanément le mouvement tunisien ne paraît pas
être en mesure de remettre en question le modèle de
développement extraverti inscrit dans la mondialisation
capitaliste libérale.
La Libye n’est ni la Tunisie, ni l’Égypte. Le bloc au pouvoir (Khadafi)
et les forces qui se battent contre lui n’ont rien d’analogues
avec ce qu’ils sont en Tunisie et en Égypte. Khadafi n’a jamais
été qu’un polichinelle dont le vide de la pensée trouve son
reflet dans son fameux « Livre vert ». Opérant dans une société
encore archaïque, Khadafi pouvait se permettre de tenir des
discours successifs - sans grande portée réelle -
« nationalistes et socialistes » puis se rallier le lendemain au
« libéralisme ». Il l’a fait « pour faire plaisir aux
Occidentaux » !, comme si le choix du libéralisme n’aurait pas
d’effets dans la société. Or, il en a eu, et, très banalement,
aggravé les difficultés sociales pour la majorité. Les
conditions étaient alors créées qui ont donné l’explosion qu’on
connaît, immédiatement mise à profit par l’Islam politique du
pays et les régionalismes. Car la Libye n’a jamais vraiment
existé comme nation. C’est une région géographique qui sépare le
Maghreb et le Mashreq. La frontière entre les deux passe
précisément au milieu de la Libye. La Cyrénaïque est
historiquement grecque et hellénistique, puis est devenue
mashréqine. La Tripolitaine, elle, a été latine et est devenue
maghrébine. De ce fait, il y a toujours eu une base pour des
régionalismes dans le pays. On ne sait pas réellement qui sont
les membres du Conseil national de transition de Benghazi. Il y
a peut-être des démocrates parmi eux, mais il y a certainement
des islamistes, et les pires d’entre eux, et des régionalistes.
Dès l’origine « le mouvement » a pris en Lybie la forme d’une
révolte armée, faisant feu sur l’armée, et non celle d’une vague
de manifestations civiles. Cette révolte armée a par ailleurs
appelé immédiatement l’Otan à son secours. L’occasion était
alors donnée pour une intervention militaire des puissances
impérialistes. L’objectif poursuivi n’est certainement ni la
« protection des civils », ni la « démocratie », mais le
contrôle du pétrole et l’acquisition d’une base militaire
majeure dans le pays. Certes, les compagnies occidentales
contrôlaient déjà le pétrole libyen, depuis le ralliement de
Khadafi au « libéralisme ». Mais avec Khadafi on n’est jamais
sûr de rien. Et s’il retournait sa veste et introduisait demain
dans son jeu les Chinois ou les Indiens ? Mais il y a plus
grave. Khadafi avait dès 1969 exigé l’évacuation des bases
britanniques et états-uniennes mises en place au lendemain de la
seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, les États-Unis ont besoin
de transférer l’Africom
(le commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique,
une pièce importante du dispositif du contrôle militaire de la
planète, toujours localisé à Stuttgart !) en Afrique. Or l’Union
Africaine refuse de l’accepter et jusqu’à ce jour aucun État
africain n’a osé le faire. Un laquais mis en place à Tripoli (ou
à Benghazi) souscrirait évidemment à toutes les exigences de
Washington et de ses alliés subalternes de l’OTAN.
Les composantes de la révolte en Syrie n’ont jusqu’à présent pas
fait connaître leurs programmes. Sans doute la dérive du régime
baassiste, rallié au néo libéralisme et singulièrement passif
face à l’occupation du Golan par Israël est-elle à l’origine de
l’explosion populaire. Mais il ne faut pas exclure
l’intervention de la CIA : on parle de groupes qui ont pénétré à
Diraa en provenance de la Jordanie voisine. La mobilisation des
Frères Musulmans, qui avaient été à l’origine il y a quelques
années des insurrections de Hama et de Homs, n’est peut-être pas
étrangère au complot de Washington, qui s’emploie à mettre un
terme à l’alliance Syrie/Iran, essentielle au soutien de
Hezbollah au Liban et de Hamas à Gaza.
Au Yemen l’unité s’était construite sur la défaite des forces
progressistes qui avaient gouverné le Sud du pays. Le mouvement
va-t-il rendre sa vitalité à ces forces ? Pour cette raison on
comprend les hésitations de Washington et du Golfe.
A Bahrein la révolte a été tuée dans l’œuf par l’intervention de
l’armée séoudienne et le massacre, sans que les médias dominants
n’y aient trouvé à redire. Deux poids, deux mesures, comme
toujours.
La « révolte arabe » ne constitue pas l’exemple unique, même si
elle en est l’expression la plus récente, de la manifestation de
l’instabilité inhérente à la « zone des tempêtes ».
Une première vague de « révolutions », si on les appelle ainsi,
avait balayé certaines dictatures en Asie (les Philippines,
l’Indonésie) et en Afrique (le Mali), qui avaient été mises en
place par l’impérialisme et les blocs réactionnaires locaux.
Mais ici les États-Unis et l’Europe étaient parvenus à faire
avorter la dynamique de ces mouvements populaires, parfois
gigantesques par les mobilisations qu’ils ont suscitées. Les
États-Unis et l’Europe veulent répéter dans le monde arabe ce
qui s’est passé au Mali, aux Philippines et en Indonésie : tout
changer pour que rien ne change ! Là-bas, après que les
mouvements populaires se sont débarrassés de leurs
dictateurs, les puissances impérialistes se sont
employées à ce que l’essentiel soit préservé par la mise
en place de gouvernements alignés sur le néolibéralisme et les
intérêts de leur politique étrangère. Il est intéressant de
constater que dans les pays musulmans (Mali, Indonésie), l’Islam
politique a été mobilisé à cet effet.
La vague des mouvements d’émancipation qui a balayé l’Amérique
du Sud a par contre permis des avancées réelles dans les trois
directions que représentent la démocratisation de l’État et de
la société, l’adoption de postures anti-impérialistes
conséquentes, l’engagement sur la voie de réformes sociales
progressistes.
Le discours dominant des médias compare les « révoltes
démocratiques » du tiers monde à celles qui ont mis un terme aux
« socialismes » de l’Europe orientale à la suite de la chute du
« mur de Berlin ». Il s’agit là d’une supercherie pure et
simple. Car, quelles qu’aient été les raisons (compréhensibles)
des révoltes en question, celles-ci s’inscrivaient dans la
perspective de l’annexion de la région par les puissances
impérialistes de l’Europe de l’Ouest (au bénéfice de l’Allemagne
en premier lieu). En fait, réduits désormais au statut de
« périphéries » de l’Europe capitaliste développée, les pays de
l’Europe orientale connaîtront demain leur révolte authentique.
Il y en a déjà les signes annonciateurs, dans l’ex-Yougoslavie
en particulier.
Les révoltes, potentiellement porteuses d’avancées
révolutionnaires, sont à prévoir partout ou presque dans les
trois continents, qui demeurent, plus que jamais, la zone des
tempêtes, démentant par là les discours sirupeux sur le
« capitalisme éternel » et la stabilité, la paix, le progrès
démocratique qu’on lui associe. Mais ces révoltes, pour devenir
des avancées révolutionnaires, devront surmonter de nombreux
obstacles : d’une part, surmonter les faiblesses du mouvement,
construire des convergences positives entre ses composantes,
concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces, mais
aussi d’autre part mettre en déroute les interventions (y
compris militaires) de la triade impérialiste. Car toute
intervention militaire des États-Unis et de l’OTAN dans les
affaires des pays du Sud, sous quelque prétexte que ce soit
fût-il d’apparence sympathique - comme l’intervention
« humanitaire » - doit être proscrite. L’impérialisme ne veut ni
le progrès social, ni la démocratie pour ces pays. Les laquais
qu’il place au pouvoir quand il gagne la bataille resteront des
ennemis de la démocratie. On ne peut que déplorer que la
« gauche » européenne, même radicale, ait cessé de comprendre ce
qu’est l’impérialisme.
Le discours dominant aujourd’hui appelle à la mise en œuvre d’un
« droit international » qui autorise en principe l’intervention
lorsque les droits fondamentaux d’un peuple sont bafoués. Mais
les conditions ne sont pas réunies pour permettre d’avancer dans
cette direction. La « communauté internationale » n’existe pas.
Elle se résume à l’ambassadeur des États-Unis, suivi
automatiquement par ceux de l’Europe. Faut-il faire la longue
liste de ces interventions plus que malheureuses, criminelles
dans leurs résultats (l’Irak, par exemple) ? Faut-il rappeler le
principe « deux poids, deux mesures » qui les caractérise (on
pensera évidemment aux droits bafoués des Palestiniens et au
soutien inconditionnel à Israël, aux innombrables dictatures
toujours soutenues en Afrique) ?
Le printemps des peuples
du Sud et l’automne du capitalisme
Les « printemps » des peuples arabes, comme ceux que les peuples
d’Amérique latine connaissent depuis deux décennies, que
j’appelle la seconde vague de l’éveil des peuples du Sud – la
première s’était déployée au 20 ième siècle jusqu’à la
controffensive du capitalisme/impérialisme néo libéral – revêt
des formes diverses allant des explosions dirigées contre les
autocraties qui ont précisément accompagné le déploiement néo
libéral à la remise en cause de l’ordre international par les
« pays émergents ». Ces printemps coïncident donc avec
« l’automne du capitalisme », le déclin du capitalisme des
monopoles généralisés, mondialisés et financiarisés. Les
mouvements partent, comme ceux du siècle précédent, de la
reconquête de l’indépendance des peuples et des Etas des
périphéries du système, reprenant l’initiative dans la
transformation du monde. Ils sont donc avant tout des mouvements
anti impérialistes et donc seulement potentiellement anti
capitalistes. Si ces mouvements parviennent à converger avec
l’autre réveil nécessaire, celui des travailleurs des centres
impérialistes, une perspective authentiquement socialiste
pourrait se dessiner à l’échelle de l’humanité entière. Mais
cela n’est en aucune manière inscrit à l’avance comme une
« nécessité de l’histoire ». Le déclin du capitalisme peut
ouvrir la voie à la longue transition au socialisme comme il
peut engager l’humanité sur la voie de la barbarie généralisée.
Le projet de contrôle militaire de la planète par les forces
armées des Etats Unis et de leurs alliés subalternes de l’Otan,
toujours en cours, le déclin de la démocratie dans les pays du
centre impérialiste, le refus passéiste de la démocratie dans
les pays du Sud en révolte (qui prend la forme d’illusions para
religieuses « fondamentalistes » que les Islam, Hindouisme et
Bouddhisme politiques proposent) opèrent ensemble dans cette
perspective abominable. La lutte pour la démocratisation laïque
prend alors une dimension décisive dans le moment actuel qui
oppose la perspective d’une émancipation des peuples à celle de
la barbarie généralisée.
Lectures complémentaires :
Hassan Riad,
L’Egypte nassérienne,
Minuit 1964
Samir Amin, La nation
arabe, Minuit 1976
Samir Amin,
A life looking forward,
Memories of an independent Marxist, Zed, London 2006
Samir Amin,
L’éveil du Sud; Le temps des cerises, 2008
Le lecteur y trouvera mes lectures des
réalisations du Vice-Roi Muhammad Ali (1805-1848) et des
Khédives qui lui ont succédé, en particulier d’Ismail (1867-79),
du Wafd (1920-1952), des positions du communisme égyptien face
au nassérisme, de la dérive de la
Nahda d’Afghani à
Rachid Reda.
Gilbert Achcar,
Les Arabes et la Shoah,
Actes Sud, 2009.
Il s’agit là de la meilleure analyse des composantes de l’Islam
politique (de Rachid Reda et des Frères Musulmans, des
Salafistes modernes).
Concernant le rapport entre le conflit
nord/Sud et celui qui oppose l’amorce de la transition
socialiste à la poursuite du déploiement du capitalisme, voir :
Samir Amin,
La crise, sortir de la
crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ? ;
Le Temps des Cerises, 2009
Samir Amin, La loi de la
valeur mondialisée ; Le temps des cerises, 2011
Samir Amin, Pour la
cinquième internationale ; Le temps des cerises, 2006
Samir Amin,
The long trajectory of historical capitalism ;
Monthly Review, New
York, february 2011
Gilbert Achcar, Le
choc des barbaries, Ed Complexe, Bruxelles
Le Caire et Paris, mai 2011
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jour
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