Opinion
Syrie : Conflit
américano-russe et
hécatombe d'officiers du renseignement !
Sami Kleib
Jeudi 8 novembre
2012
Depuis le début du dit « printemps
arabe », nombre
d'officiers
du renseignement de la région ont été
écartés ou assassinés. D’où une question
lancinante : coup du destin et pure
coïncidence, ou bien signes d’une lutte
secrète préparant l’élaboration des
nouvelles lignes de la politique
internationale au Moyen-Orient ?
Hier, en Arabie saoudite, le prince
Mohammed ben Nayef a été nommé ministre
de l'Intérieur suite à d’importantes
mutations au sein des services du
renseignement saoudiens dirigés par le
prince Bandar ben Sultan. Ceci, dans le
contexte d’une suite
d'attentats survenus dans le
royaume et dont certains sont restés
secrets ou gardés sous le boisseau pour
détourner les soupçons. Les tendances du
prince Mohammed ben Nayef en matière de
sécurité sont notoirement connues. Il a
été lui-même la cible à abattre par des
extrémistes islamistes. Mais on ne sait
pas grand chose de ce qui se prépare
pour la prochaine étape, sinon qu’il
existe une précipitation vigoureuse à
dominer les vents du changement qui
soufflent sur le royaume tout en en
essayant de calmer les esprits, car le
ressentiment ne se limite pas à la
région Est du pays. D’autant plus, que
la mauvaise santé du roi Abdallah et
l'absence de deux princes influents,
Sultan et Nayef, exacerbent une
situation des plus tendues.
Au Liban, le Général Wissam al-Hassan a
été liquidé et il est absolument
impossible d’exclure que cette
liquidation ne soit pas en rapport avec
l’axe qui relie l'Arabie Saoudite au
Liban, à la Jordanie, aux États-Unis, et
à certaines capitales de l’Occident et
des Pays du Golfe. Une telle suspicion
est partagée par nombre d’observateurs,
car
Wissam al-Hassan était
directement impliqué non seulement dans
l’incendie qui consume la Syrie, mais
aussi dans les conflits internationaux
et régionaux.
Cet assassinat a été précédé du décès du
chef des renseignements et
vice-président égyptien Omar Suleiman
[1] ; de l’assassinat
du
sous-ministre de la Défense et de
responsables de la Sécurité en Syrie
[attentat du 18 juillet 2012 à Damas,
NdT] ; suivi de la mise à l’ombre d’Ali
Mamlouk, chef du bureau de la Sécurité
nationale syrienne, pour suspicion de
complot dans
l’Affaire Michel Samaha au
Liban ; tandis que Hakan Fidan,
directeur adjoint du Renseignement turc
était assassiné à son tour ; et que
Mohammed al-Zahabi, ancien chef du
Renseignement jordanien, était arrêté
pour corruption financière.
Il est difficile de comprendre ce qui se
passe sans lier ces événements
à
quatre dossiers principaux ; ceux de
l’Iran, de la Syrie, des mouvements
salafistes, et de la concurrence
politique et économique entre la Russie
et les Etats-Unis. Le conflit entre les
différentes coalitions régionales et
internationales est à son comble.
L’Occident, l'Arabie Saoudite, le Qatar,
ainsi que d’autres Pays du Golfe ont
substantiellement soutenu certains
partis de l’opposition syrienne. Rien
que pour le Qatar, on parle de 11
milliards de dollars. Le nombre
d’insurgés armés et les tonnes d’armes
passées en Syrie ont ainsi atteint un
niveau qui empêche la Russie de récolter
les fruits de son soutien au
gouvernement du Président Bachar al-Assad,
mais qui néanmoins reste insuffisant
pour le renverser.
Entretemps, plusieurs ministres russes,
tels ceux de la Défense et des Affaires
étrangères, n’hésitent plus à déclarer
haut et fort leur soutien aux autorités
syriennes et leur refus de laisser
tomber le Président Al-Assad. Moscou est
devenu une sorte de bouclier du
gouvernement syrien. Elle accuse
l’Occident, critique l’opposition,
répète inlassablement qu’il n’y a
de solution que par la négociation, le
Président syrien devant en rester partie
prenante. Finalement, jusqu’ici elle a
réussi à contrarier les projets
occidentaux visant à modifier le pouvoir
en Syrie.
Washington, profitant de la crise
syrienne, a réussi son escalade
agressive contre l'Iran. Elle a durci
l’ensemble des sanctions à son encontre,
a étranglé son économie, et a contribué
avec certains de ses alliés à exacerber
le sectarisme confessionnel contre ce
pays et le Hezbollah libanais à la fois.
Mais, M. Obama est arrivé en fin de
mandat sans obtenir la chute du
Président syrien qu’il appelle de ses
vœux depuis plus d'un an et demi. Al-Assad
est toujours en place et l’Armée
syrienne se bat depuis près de deux ans.
D’un autre côté, la même coalition
anti-syrienne s’est arrangée pour
atteindre son objectif consistant à
compromettre la Turquie dans sa guerre
contre la Syrie ; laquelle a réagi en
laissant la bataille l’atteindre à ses
frontières et même en son cœur, à
travers les Kurdes, les Alaouites et la
province du Hatay.
Les chances de compréhension entre les
pays du Golfe et les autorités syriennes
sont désormais réduites à néant. Il se
dit que l'Émir du Qatar s'est rendu à
Gaza pour rétablir sa popularité parmi
les arabes à travers la cause
palestinienne, après en avoir perdu une
bonne partie dans « les pays du
printemps arabe ». Mais, il se dit aussi
que cette visite devrait servir de
couverture à la préparation d’une
opération prochaine, politique ou
militaire, en Syrie. L’opération
pourrait débuter
dans
le nord par la création d’une zone
tampon avec augmentation du niveau de
l’armement de l'opposition et formation
d’un gouvernement en exil. De plus,
L'Émir du Qatar aurait promis à ses
alliés occidentaux de calmer les ardeurs
du président palestinien Mahmoud Abbas,
pour la reconnaissance d’un État
palestinien par l’ONU.
Du côté opposé, l'Iran, la Syrie, et la
Russie ont, dans une large proportion,
réussi à
attirer l’Irak dans leur camp.
Des préoccupations, externe et interne,
ont été suffisantes pour ramener la
Jordanie à une
neutralité minimale ; tandis que
le Liban s'enfonce dans les
répercussions de la guerre contre la
Syrie et risque de payer un prix encore
plus élevé si la guerre se prolonge.
Au plus fort des tentatives
d'étranglement de l'Iran par l’économie,
et de la Syrie par les armes, trois pays
voient leur
sécurité interne menacée :
l'Arabie saoudite, le Bahreïn et la
Turquie. La situation politique pose
problème en Jordanie. Le ton monte
encore aux Émirats Arabes par la voix du
chef de la police de Dubaï [2] qui s’en
prend aux Frères musulmans ; tandis que
nombre de décideurs invitent à
plus de précautions à leur égard dans
les Pays du Golfe, et que d’autres
s’inquiètent de l’expansion iranienne au
Yémen et aux limites de l’Arabie
saoudite.
Par conséquent, il est probable que nous
ayons assisté à une guerre entre les
différents services de renseignement,
mais il est certain que la région est au
bord de la guerre. Personne n’ose
appuyer sur la gâchette le premier, mais
la situation atteint l’intolérable. Il
est difficile de s’imaginer que l’Iran
puisse rester silencieux alors qu’il est
asphyxié économiquement. Il est encore
plus difficile de s’imaginer que la
Syrie reste sans réagir en
attendant l'arrivée des missiles
anti-aériens entre les mains des
insurgés armés sévissant dans tout le
pays. Sans oublier que l’Occident
commence à sérieusement s’inquiéter pour
ses intérêts, et ceux d’Israël, devant
l'élargissement du mouvement salafiste
djihadiste de l'Irak à la Syrie, via la
Jordanie et le Nord Liban, vers le Sinaï
égyptien !
Il faut donc une guerre ou un accord.
Les deux sont plus que jamais possibles,
surtout depuis que les USA ont élu leur
nouveau président. Nul ne peut se
permettre un échec dans cette bataille
des coalitions, car celui qui échouera
pourrait tout perdre !
Sami Kleib
07/11/2012
Article original : As-Safir
«مجزرة» استخبارات
المنطقة ومجازر سوريا الصراع
الأميركي ـ الروسي بين الحرب والصفق
http://m.assafir.com/content/1352251871195731100/Fi%20Assafir
Article traduit de l’arabe par Mouna
Alno-Nakhal [Biologiste]
Lire aussi :
[1] 19 Juillet 2012, le jour où la CIA
s’est moquée de nous et du monde
http://www.tunisiatimes.com/19-juillet-2012-le-jour-ou-la-cia-sest-moque-de-nous-et-du-monde/
[2] La Syrie se renforce… le Liban
s’affaiblit !
http://www.mondialisation.ca/la-syrie-se-renforce-le-liban-saffaiblit/5309675
Sami
Kleib,
journaliste libanais de nationalité
française, est diplômé en Communication,
Philosophie du Langage et du Discours
Politique. Il a été Directeur du Bureau
du journal As-safir libanais, à Paris,
et Rédacteur en chef du Journal de
RMC-Moyen Orient. Responsable de
l’émission « Visite spéciale » sur Al-Jazeera,
il a démissionné en protestation contre
l’orientation politique de cette chaîne.
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