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Entretien
« La Havane
n'a aucune leçon à recevoir »
Salim Lamrani
Salim Lamrani
17 août 2008
Salim Lamrani, le spécialiste des
relations entre Cuba et les Etats-Unis, récuse dans son dernier
livre la stigmatisation du régime castriste en matière de
respect des droits de l’homme.
Enseignant, écrivain et journaliste, Salim
Lamrani est un spécialiste des relations entre Cuba et les
Etats-Unis. Après son livre intitulé Cuba face à l'Empire,
l'auteur français a publié cette année un nouvel ouvrage
consacré à l'analyse du rapport d'Amnesty International sur le
respect des droits de l'homme dans le monde. Dans Double
Morale. Cuba, l'Union européenne et les droits de l'homme,
Salim Lamrani récuse sur le fond la légitimité des sanctions
politiques et diplomatiques imposées à Cuba par l'Union
européenne entre 2003 et 2005*. Entretien…
Dans votre dernier livre, vous
affirmez, au vu du rapport annuel d'Amnesty International que
Cuba est loin d'être le plus mauvais des élèves de la classe
mondiale en matière de respect des droits de l'homme. Quel rang
lui attribuez-vous ?
Amnesty International est sans nul doute
l'organisation de défense des droits de l'homme la plus sérieuse
et la plus prestigieuse au monde. Elle est extrêmement critique
à l'égard du gouvernement de La Havane, à tel point que ce
dernier a rompu les relations avec l'ONG en 1988. Néanmoins,
d'après le rapport d'Amnesty sur les droits de l'homme, Cuba est
le pays d'Amérique latine qui les viole le moins. Au niveau
européen, 23 des 25 nations qui ont voté les sanctions
politiques et diplomatiques contre Cuba en 2003 présentent une
situation des droits des l'homme bien plus désastreuse que celle
de Cuba. En un mot, La Havane n'a aucune leçon à recevoir de
personne.
Quelles sont les différences
notables entre la situation cubaine et celles des Nations
latino-américaines et européennes ?
Commençons par l'Union européenne qui est
censée être un havre de démocratie et de respect des droits de
l'homme. Pour ce qui est de Cuba, Amnesty n'a rapporté aucun cas
d'assassinat politique (contrairement au Royaume-Uni), de
torture ou de traitement inhumain (Belgique, France, Grèce,
Italie, etc.), d'utilisation de preuves obtenues sous la torture
(Allemagne), de disparition (Estonie), d'enlèvement de personnes
par les autorités (l'Italie), d'impunité suite à un crime commis
par des agents de l'Etat (Autriche, Espagne, France, Grèce,
etc.), de trafic d'êtres humains (Grèce), d'enfants privés
d'accès à l'éducation en raison de leur origine ethnique (Grèce,
Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Lettonie, Slovénie), de
stérilisation forcée de femmes issues de minorités (République
tchèque, Slovaquie), d'incitation à la haine raciale et à la
discrimination par les autorités (Hongrie, Lettonie).
Sur le continent américain, la situation
est pire. Cuba se distingue aisément des autres nations. Amnesty
n'a jamais rapporté à l'encontre de La Havane un cas
d'assassinat et d'exécution extrajudiciaire commis par les
forces de l'ordre (contrairement aux Bahamas, Brésil, Canada,
Colombie, République dominicaine, Guatemala, Haïti, Jamaïque,
Mexique, Nicaragua, Pérou, Porto Rico, Trinidad, Tobago,
Venezuela, Etats-Unis), d'assassinat politique (Etats-Unis),
d'assassinats d'enfants par les forces de l'ordre (Honduras), de
viols commis par la police (Bahamas, Colombie), d'impunité pour
des policiers ou des membres de l'armée ayant commis un crime
(Chili, Colombie, Guatemala, Haïti, Etats-Unis, etc.), d'usage
de la torture par les forces de l'ordre (Belize, Brésil,
Colombie, Etats-Unis, etc.).
De la même manière, pour Cuba, Amnesty n'a
évoqué aucun cas de mise en esclavage des populations indigènes
y compris d'enfants (Bolivie), de travail forcé pour les enfants
(Bolivie), d'exploitation économique d'enfants (Equateur,
Paraguay etc.), d'exploitation sexuelle d'enfants (Equateur,
Paraguay etc.), de trafic d'enfants (Bolivie), de torture
d'enfants par les forces de l'ordre (Brésil), d'enfants en
prison (Bolivie), de conscription militaire d'enfants
(Paraguay), de présence d'escadrons de la mort composés de
membres de la police (Brésil), de massacre de paysans (Brésil),
d'utilisation d'esclaves (Brésil), d'ouvriers morts de fatigue
(Brésil), d'assassinats de militants des droits de l'homme par
les forces de l'ordre (Brésil, Colombie, Honduras), d'extorsion
orchestré par les forces de l'ordre (Brésil), de kidnappings
généralisés où les autorités sont impliquées (Colombie, Haïti),
d'assassinats de syndicalistes (Colombie), d'assassinats de
journalistes (Colombie, Haïti, Mexique), de criminalisation de
l'homosexualité (Nicaragua), de torture et d'assassinat
d'homosexuels (Equateur, Jamaïque, Mexique), ou de torture
contre les indigènes (Equateur). On voit bien que s'il y a
une spécificité cubaine sur le continent américain, c'est que ce
pays est celui qui respecte le mieux les droits de l'homme.
Malgré cette réalité bien
contrastée, l'Union européenne s'est alignée en 2003 sur la
position américaine en imposant à Cuba des sanctions légitimées
par son irrespect des droits de l'homme. Pour vous, cette
stigmatisation repose exclusivement sur le refus cubain de
l'économie de marché ?
L'Union européenne est une puissance
économique indéniable, mais un nabot politique et diplomatique
incapable d'adopter une position constructive et indépendante de
Washington dans ses relations avec Cuba. L'UE, en raison des
nombreuses violations des droits de l'homme dont elle se rend
coupable, ne dispose d'aucune autorité morale pour s'ériger en
donneur de leçons et stigmatiser Cuba. La rhétorique officielle
pour justifier les sanctions – les droits de l'homme – s'écroule
dès qu'elle est confrontée à la réalité. Ce qui gène l'UE, c'est
le système politique, économique et social cubain. Il est temps
que Bruxelles se range du côté de la raison et elle a effectué
un pas en ce sens en éliminant les sanctions politiques et
diplomatiques illégitimes et arbitraires, le 20 juin 2008*. Il
est désormais indispensable de supprimer la Position commune de
1996.
Double Morale. Cuba, l'Union
européenne et les droits de l'homme. Préface de Gianni Miná.
Paris, Editions Estrella, 2008. 123 pages. 10 euros. Pour
commander l'ouvrage :
lamranisalim@yahoo.fr
(*). Suspendues en 2005, ces sanctions
(restriction des visites de haut niveau, réduction de la
participation européenne aux événements culturels cubains et
invitation de dissidents par les ambassades européennes) ont été
définitivement levées le 20 juin dernier par l'Union européenne.
Entretien réalisé par Nicolas Ethève pour
La Marseillaise
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