Opinion
De la colonisation en Palestine
Rudolf Bkouche
Rudolf Bkouche - Photo Palestine
Solidarité
Samedi 27 mars 2010
Il
n'y a pas de colonisation en Palestine. Le terme "colonisation"
non seulement traduit mal l'anglais "settlement" mais transforme
le sens de ce qui se passe en Palestine.
Revenir sur ce terme permet de mieux
comprendre la position de Netanyahou face à Obama, lequel semble
n'avoir rien compris aux sources du conflit.
Quant à ceux qui se
contentent de dénoncer le gouvernement de droite, voire
d'extrême droite, de Nétanyahou et Libermann, s'ils affichent
ainsi une bonne conscience à peu de frais, ils montrent leur
incompréhension du conflit et de l'idéologie qui en est la
cause, le sionisme.
La position des
sionistes de gauche qui prônent un retour aux frontières d'avant
1967 et dénoncent la colonisation dans les territoires conquis
en 1967, si elle manque de cohérence historique, a au moins le
mérite d'une certaine cohérence idéologique : comme l'explique Zeev Sternhell, la guerre d'indépendance marquait
"le droit des hommes à
être maîtres de leur destin"
et la proclamation de l'Etat d'Israël marquait la victoire de
l'idée sioniste. En écrivant ces lignes, Sternhell oublie ainsi
que la question de la maîtrise de leur destin concerne aussi les
Palestiniens, mais c'est la position des sionistes de gauche que
de refuser d'entendre le point de vue des Palestiniens. Ils
peuvent alors, et les adeptes de
La Paix Maintenant
s'y complaisent, dénoncer les méchants colons qui s'opposent à
la paix, occultant ainsi le fait que la colonisation participe
de la politique israélienne, et que cette politique a été mise
en place dès 1967 alors que les travaillistes, c'est-à-dire la
gauche israélienne, étaient au pouvoir.
On réduit ainsi le
conflit à l'occupation qui a suivi la guerre de 1967 et on évite
de répondre aux colons qui posent la question :
"En quoi s'installer à
Hébron serait-il plus illégitime que s'installer à Haïfa ?"
comme le raconte Alain Finkielkraut dans
La réprobation d'Israël.
Les conséquences de la conquête de 1948, c'est-à-dire la Naqba,
la destruction de la société palestinienne, disparaissent
derrière un discours qui se veut de paix.
On oublie aussi
que la seule tentative de paix a été faite par Yasser Arafat qui
proposait en 1988 le principe de la reconnaissance de deux
Etats, l'israélien sur le frontière de 1949 (soit 78% du
territoire palestinien), le palestinien sur les 22% restant.
C'était poser le principe de
"la paix contre les
territoires" mais il n'y a jamais eu de réponse israélienne.
Ce qu'on appelle la
colonisation n'est en fait qu'une annexion déguisée. On peut
alors poser la question : pourquoi l'Etat d'Israël qui a annexé
Jérusalem n'a-t-il pas annexé les territoires qu'il convoite et
qu'il considère comme faisant partie de son territoire ?
Annexer Jérusalem avait
une valeur symbolique et cela permettait cette rodomontade qui
consiste à proclamer Jérusalem capitale éternelle d'Eretz Israël
; qu'importe alors que les nations, y compris les nations
alliées d'Israël, ne reconnaissent pas cette annexion, c'est
l'Etat d'Israël et lui seul qui décide de sa capitale. Alors
pourquoi ne pas annexer la Judée-Samarie qui est, pour le
sionisme, le berceau de la nation juive. Ce n'est pas une
question de droit international pour un Etat qui a montré qu'il
savait s'en moquer. Annexer la Judée-Samarie implique que la
population qui y réside devienne israélienne, autrement dit
l'annexion implique un surplus de population indésirable et cela
l'Etat d'Israël ne peut l'accepter.
Face à ce problème,
l'Etat d'Israël a décidé de pratiquer une annexion de fait.
Occuper le maximum de territoire tout en rendant la vie de plus
en plus difficile pour les Palestiniens qui s'entêtent à rester
dans leur pays. L'occupation a un objectif, préparer l'annexion
de ce que les Israéliens appellent "les territoires disputés",
comme si le statut de ces territoires restait indéfini dans
l'attente qu'ils reviennent à leur propriétaire naturel, Eretz
Israël.
La guerre de 1948
n'est pas achevée comme l'expliquait Tania Reinhart,
la Judée-Samarie, terre juive, ne peut être que juive.
Alors quand le
président des Etats-Unis demande le gel des implantations pour
relancer les négociations, Israël peut s'en moquer et finit pas
proposer un compromis : gel de dix mois des implantations,
lequel ne prend pas en compte les bâtiments en construction et
ne concerne pas Jérusalem. Et pour mieux montrer sa
détermination, le gouvernement israélien annonce, lors de la
visite du vice-président Biden, pourtant sympathisant d'Israël,
la construction de 1600 logements à Jérusalem-Est ; devant la
réaction américaine, Netanyahou s'excuse :
"il ne fallait pas
l'annoncer pendant la visite de Biden", comme si la question
était celle de la visite de Biden. A cela s'ajoute la
construction d'une synagogue à Jérusalem-Est, double
provocation, d'une part envers les Palestiniens pour leur
rappeler qui est le maître, d'autre part envers les alliés
occidentaux pour leur rappeler qu'Israël ne transige pas. Que
cette synagogue soit la reconstruction d'une ancienne synagogue
détruite par les Jordaniens importe peu ici, la question est
moins religieuse que politique, il s'agit de montrer aux
Palestiniens que Jérusalem est une ville juive donc israélienne.
Une fois de plus, l'Etat d'Israël utilise le religieux pour
mettre en avant sa politique.
A ces provocations
israéliennes, ses alliés, les Etats-Unis et l'Union Européenne
n'opposent que des prières :
"Messieurs les
Israéliens, cessez de provoquer, acceptez de gelez les
implantations pour reprendre les négociations". Comme s'il y
avait des négociations à reprendre ! Et comme toujours on
demande à l'Autorité Palestinienne de reprendre des négociations
qui n'existent pas en oubliant l'occupation, l'annexion rampante
que constituent les implantations, le blocus de Gaza. Que les
Palestiniens se montrent compréhensifs pour deux ! tel est le
discours de ceux qui jouent à la paix. Et on pourra dire ensuite
que si les négociations ont échoué, la responsabilité incombe
aux Palestiniens incapables de faire la moindre concession,
discours qui revient à chaque fois qu'un processus dit de paix
s'arrête, occultant ainsi que l'objectif d'un processus de paix
est de ne pas aboutir.
Il semble que cette
fois-ci l'Autorité Palestinienne refuse de jouer au processus et
à la négociation. Mahmoud Abbas vient de déclarer, lors de la
réunion de la Ligne Arabe, que, sans gel de la colonisation, il
n'y aurait pas de négociations, directes ou indirectes. C'est le
minimum que l'on puisse exiger. On sait que, dans l'état actuel
des territoires laissés aux Palestiniens, il n'y a pas d'Etat
possible, autrement dit que la solution de deux Etats, proposée
il y a plus de vingt ans par Arafat, n'a aucun sens. On sait
aussi que si la concession faite en 1988 par Arafat pouvait
avoir un sens à l'époque, aujourd'hui elle n'a plus de sens et
les gouvernements israéliens successifs sont là pour le
rappeler. Israël refuse la solution des deux Etats tout
simplement parce qu'il exige toute la Palestine.
Quant au Secrétaire
Général de l'ONU, après être allé à Gaza, il se contente de
demander aux Israéliens de lever le blocus. A sa décharge, il
sait qu'il n'a aucun moyen de coercition sur Israël, il sait que
ces moyens dépendent du bon vouloir des Etats-Unis et de l'Union
Européenne et que l'ONU n'a aucun pouvoir de décision.
Quant au célèbre
quartette qui devait conduire à la création de l'Etat de
Palestine en 2005, il se contente encoure une fois de demander à
Israël de faire quelques concessions.
Israël peut dire "NON",
il sait que les puissances se contenteront de quelques prières
auxquelles il ne répondra pas. Ainsi occupation et annexion
rampante peuvent continuer. Les seuls qui en souffrent sont les
Palestiniens. Mais qui s'en soucie ?
Tel est aujourd'hui
l'état des lieux. Devant l'incapacité des puissances, incapacité
volontaire ou non peu importe, il ne reste que le soutien aux
Palestiniens, et c'est le rôle de BDS (boycott,
désinvestissement, sanction) que de marquer ce soutien. Ce rôle
est double, d'une part soutenir la lutte des Palestiniens,
d'autre part dénoncer la complicité des Etats qui laissent faire
voire soutiennent la politique israélienne.
Que certains voient
dans BDS une forme d'antisémitisme à réprimer montre seulement
leur complicité avec une politique de conquête et d'oppression.
Mais c'est l'argument essentiel d'Israël et de ses alliés de
lancer des accusations d'antisémitisme dès qu'on critique la
politique israélienne, effet de manche facile alors qu'il est
nécessaire de distinguer Juifs et sionistes et d'exiger que les
responsables israéliens cessent de jouer aux représentants des
Juifs du monde.
Rudolf Bkouche, membre de l'UJFP (Union Juive Française pour la Paix) et de IJAN
(International Jewish AntiZionist Network).
Professeur émérite, Université de Lille 1
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