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Opinion
Un appel à la raison
bien déraisonnable
Rudolf Bkouche
Rudolf Bkouche - Photo Palestine
Solidarité
Mardi 4 mai 2010
Un appel doit être publié sous le titre JCall qui se veut un
appel à la raison sur la question Israël-Palestine. Cet appel
lancé par des Juifs d'Europe veut être l'analogue du JStreet des
Etats-Unis. Mais si JStreet se présente comme un autre lobby
juif (il faut entendre le terme lobby au sens anglo-saxon, un
groupe de pression) pour contrer le pro-israélisme d'AIPAC,
JCall apparaît essentiellement comme un appel à sauver Israël
d'une politique israélienne qui le conduit, selon les auteurs du
texte, au naufrage. Mais JCall oublie que la politique
israélienne du gouvernement actuel à l'encontre des Palestiniens
s'inscrit dans la continuité et que cette politique, avant que
d'être la politique de tel ou tel parti est inspirée par une
idéologie, le sionisme, C'est le sionisme qui est en cause et
les geignardises de "partisans de la paix" n'y peuvent rien. Se
contenter de condamner la politique israélienne actuelle n'est
qu'un leurre. Que les auteurs de ce texte soient sincères ou non
importe peu.
Plutôt que de reprendre point par point les quatre principes de
l'appel, nous nous proposons démontrer en quoi ce texte n'ouvre
aucune perspective, se contentant de ressasser le discours du
sionisme de gauche.
Le point essentiel de l'appel est le renvoi à l'Etat juif et
démocratique, leit-motiv du discours sioniste de gauche. Quand
bien même la solution : "deux peuples, deux Etats" serait encore
possible, on ne peut que rappeler que 20% de la population de
l'Etat d'Israël dans ses frontières de 1949 définies par ce que
l'on appelle la ligne verte est palestinienne et n'a aucune
raison de devenir juive si on donne à ce terme la définition
nationale de la doctrine sioniste. Dans ces conditions, demander
que l'Etat d'Israël soit un Etat juif et démocratique revient à
refuser la citoyenneté à une partie de sa population conduisant
à une politique de discrimination, sauf à réaliser l'expulsion
de la partie non juive de la population, ce que certains appelle
pudiquement le transfert. En soutenant le principe d'un Etat
juif et démocratique l'appel se situe dans un sionisme
intransigeant oubliant que l'Etat d'Israël s'est construit au
détriment des habitants de la terre sur laquelle il s'est
constitué.
Il est vrai que l'appel répond à ce qu'il considère comme un
danger, la démographie. Des lorsqu'il a décidé de construire
l'Etat juif en Palestine, le sionisme a rencontré le problème
démographique. Il s'est alors donné pour objectif de renverser
la démographie de la Palestine en renforçant l'immigration
juive, politique facilitée par le refus des Etats européens de
recevoir les Juifs qui fuyaient les persécutions nazies. Après
la décision de partage par l'ONU et la guerre de 1948, l'Etat
d'Israël se retrouvait avec 78% du territoire palestinien,
situation qu'il acceptait en attendant mieux. Le mieux est
arrivé en 1967 avec l'achèvement de la conquête de la Palestine.
Mais le gouvernement israélien de l'époque ne pouvait annexer
les territoires conquis, ce qui lui aurait apporté un surplus de
population indésirable. Si, pour des raisons d'ordre symbolique
l'Etat d'Israël annexait Jérusalem promis à devenir la "capitale
éternelle" de l'Etat d'Israël, les gouvernements israéliens, à
commencer par les gouvernements de gauche au pouvoir en 1967,
ont pratiqué une politique d'annexion rampante sous la forme
d'implantations, appelés communément en français "colonies". Ces
annexions de fait rendent impossible la mise en place d'un Etat
palestinien viable. Au mieux un tel Etat ne serait qu'une
dépendance de l'Etat d'Israël.
Tout cela l'appel ne le dit pas en laissant entendre que la
solution réside dans le principe "deux peuples, deux Etats".
Rappelons que cette solution a été proposée par Yasser Arafat en
1988 et renouvelé en 1993 avant la signature des Accords d'Oslo,
proposition que l'Etat d'Israël n'a jamais voulu entendre. Et
pourtant la proposition d'Arafat acceptait que l'Etat d'Israël
occupe 78% de la Palestine, l'Etat de Palestine se contentant
des 22% restant ; "la paix contre les territoires" pourrait-on
dire.
Alors que signifie aujourd'hui cet appel au principe "deux
peuples, deux Etats". Pour le comprendre il faut revenir à une
fiction entretenue par les sionistes de gauche. On dénonce la
guerre de 1967 et les implantations dans les territoires
occupées mais on oublie 1948. Ainsi on se dispense de parler du
sionisme et de la conquête de la Palestine. On peut alors
attaquer les gouvernements de droite en oubliant que les
gouvernements de gauche ont pratiqué la même politique et
dénoncer les "méchants colons" qui dénaturent le sionisme et
mettent l'Etat d'Israël en danger. Effectivement il y a, pour
les sionistes de gauche, un double danger, le danger
démographique dont nous avons parlé ci-dessus, la dégradation de
la belle image d'Israël, ce petit pays entouré d'ennemis qui a
su reconstituer l'antique nation d'Israël et faire fleurir le
désert. Aujourd'hui l'Etat d'Israël apparaît comme un pays
guerrier, celui de l'agression contre Gaza, agression qui
comprend à la fois les bombardements contre les civils de
l'hiver 2008-2009 et le blocus qui empêche la population de Gaza
de vivre normalement, celui aussi de l'occupation de la
Cisjordanie dont on prend conscience de la brutalité, celui
enfin de la discrimination à l'encontre de la population non
juive de l'Etat d'Israël.
C'est cela qui fait la trame de JCall : sauver Israël.
Cet appel à la raison qui se veut un appel pour la paix n'est en
fait qu'un appel à venir au secours d'Israël. Les Palestiniens
ne comptent pas, sauf pour dire qu'ils représentent un danger
démographique pour Israël. Il faut donc organiser un divorce à
l'amiable pour permette à Israël de trouver la paix en tant
qu'Etat juif et démocratique.
Il suffit de lire les commentaires de certains signataires pour
comprendre combien ils sont contradictoires entre eux mais aussi
contradictoires à l'appel. Apparaissant comme un appel à la
paix, JCall a été entendu comme tel par nombre de signataires ;
on comprend alors qu'ils l'aient signé même s'ils émettent des
réserves sur les termes de cet appel. Cela s'appelle, de la part
des auteurs du texte, de la manipulation. On se présente à peu
de frais comme des partisans de la paix, et en ce qui concerne
la France comme une autre voix juive qui s'oppose à un CRIF qui
apparaît de plus en plus comme la voix du gouvernement
israélien.
En cela JCall relève de la malhonnêteté intellectuelle.
Rudolf Bkouche, membre de l'UJFP (Union Juive Française pour la Paix) et de IJAN
(International Jewish AntiZionist Network).
Professeur émérite, Université de Lille 1
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