Tribune libre de Vigile
Troisième guerre mondiale
C'est pour bientôt
Richard Le
Hir
Vendredi 3 août
2012
La France et
le Canada avalés par la folie guerrière
des États-Unis et d’Israël ?
À la toute fin du mois de novembre,
la détérioration rapide et alarmante de
la situation politique en Europe et au
Moyen-Orient m’avait amené à soulever la
possibilité,
ici même sur Vigile, du
déclenchement d’une Troisième Guerre
Mondiale .
J’avais en effet été sidéré de
découvrir, sur un site américain
d’information financière, l’extrait d’un
bulletin de nouvelles chinois où
un responsable militaire de haut niveau
avertissait les États-Unis, le Canada et
la France, que son pays n’hésiterait pas
à protéger l’Iran contre toute
agression, même au risque d’une
Troisième Guerre Mondiale .
Cet article avait attiré l’attention
d’un journaliste algérien qui communiqua
avec moi quelques semaines plus tard
pour savoir si je serais disposé à
expliciter ma position dans une entrevue
qui serait publiée dans son journal en
début d’année. Sans me douter le
moindrement du traitement qui serait
réservé à cette entrevue (manchette
en première page), et de la
diffusion qu’elle allait connaître ,
j’acceptai son invitation à répondre à
une série de questions qui allaient me
permettre d’aborder le cas de la Syrie
et de suggérer qu’avec l’alignement des
positions russe et chinoise sur la
question du Moyen-Orient, nous étions en
train d’assister à une réémergence des
blocs, comme au temps de la Guerre
Froide.
Les événements de l’hiver allaient me
donner raison. Au cours des derniers
mois, la Chine et la Russie ont exercé à
trois reprises leur droit de veto au
Conseil de sécurité des Nations Unies
pour contrecarrer la volonté des
États-Unis de la France et du
Royaume-Uni d’intervenir militairement
en Syrie pour déloger le gouvernement de
Bachir Al-Assad et favoriser un
changement de régime.
Et malgré tous les efforts en
sous-main pour déstabiliser Assad,
celui-ci demeure encore en poste, un
exploit qui serait totalement impossible
s’il ne jouissait pas du soutien très
large de la population syrienne. Ceux
qui en doutent feraient bien de se
remémorer l’effondrement du régime
communiste en ex-Allemagne de l’Est et
la chute du mur de Berlin, en quelques
jours, sans aucune effusion de sang. Et
pour des exemples plus locaux, voir le
renversement des régimes Ben-Ali en
Tunisie et Moubarak en Égypte,
relativement pacifiques.
Après avoir évincé les « contras » de
Homs et de Damas, revenues à la paix
civile, le régime Assad tente désormais
de les déloger de deux quartiers d’Alep,
toute proche des frontières de la
Turquie qui les alimente en hommes et en
armes. Et le spectacle de ces centaines
de milliers d’habitants qui fuient les
quartiers sous contrôle des contras pour
se réfugier dans les quartiers contrôlés
par les forces du régime Assad confirme
éloquemment la légitimité démocratique
de son pouvoir.
Aucun régime ne peut tenir très
longtemps contre la volonté de sa
population. Et c’est justement l’absence
de cette volonté populaire de changement
qui nous amène à nous questionner sur
les raisons profondes de pays comme les
États-Unis, la France, le Royaume-Uni et
le Canada à souhaiter si ardemment un
changement de régime en Syrie après
l’avoir souhaité et obtenu en Libye, et
l’avoir souhaité sans l’obtenir en Iran
(fiasco de la Révolution Verte).
***
Pour ce qui est des États-Unis, les
motivations sont assez claires, même si
les intérêts (pas nécessairement les
mêmes) et l’influence politique d’Israël
viennent un peu brouiller les cartes.
Mais c’est quand on se met à
s’interroger sur les motivations de pays
comme le Royaume-Uni, la France et le
Canada que le problème se complexifie.
Le cas du Royaume-Uni est assez
facile à régler. Ce pays a depuis
longtemps fait le choix de l’alliance
géostratégique avec les États-Unis, mais
était malgré tout parvenu à conserver
une certaine indépendance dans sa
politique étrangère au Moyen-Orient sur
la base de sa longue expérience
politique dans cette région du monde.
Cette situation allait changer
dramatiquement après le 11 septembre
2001 et le déclenchement de la guerre
contre l’Irak. Le premier ministre
travailliste Tony Blair causa une
certaine surprise, du moins dans ses
propres rangs, en s’alignant sans
hésitation et sans faille aux côtés des
États-Unis de George W. Bush, alors que
la France de Chirac et le Canada de Jean
Chrétien refusaient de le faire.
La France était parvenue à maintenir
pendant toutes les années depuis le
départ de De Gaulle jusqu’à l’arrivée de
Sarkozy au moins les apparences d’une
certaine indépendance vis à vis des
États-Unis et d’un préjugé favorable aux
pays musulmans qui s’expliquait, comme
dans le cas des Anglais, par sa longue
fréquentation de cette culture.
Pays colonial, la France a imposé
pendant longtemps sa tutelle sur le
Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Ceux qui
sont moins familiers avec l’histoire de
France savent moins que la France de
Napoléon s’était aventurée jusqu’en
Égypte et que, même si cette aventure
fut de courte durée, elle était parvenue
à y conserver une importante influence
culturelle et commerciale, dans ce
dernier cas avec la construction par
Ferdinand de Lesseps du Canal de Suez à
compter de 1858 et son exploitation de
1868 jusqu’en 1957 par
La Compagnie universelle du canal
maritime de Suez en vertu d’une
concession emphytéotique de 99 ans.
« À la suite de la
nationalisation du canal par Nasser
en 1956, quand le patrimoine
égyptien de la Compagnie universelle
du canal maritime de Suez a été
transféré à la Suez Canal Authority,
la société touche d’importantes
indemnités car elle dispose d’une
concession jusqu’en 1968. Rebaptisée
Compagnie financière de Suez en
1958, elle engage sa reconversion en
multipliant participations et
investissements dans divers secteurs
de l’économie. »
On notera au passage qu’il s’agit de
l’entreprise à l’origine de GDF-Suez
dans laquelle le duo Paul
Desmarais/Albert Frère détient une
participation importante.
Il faut aussi rappeler que la France
et la Grande-Bretagne s’étaient partagé
les dépouilles de l’empire ottoman en
1920, et que la France avait pour sa
part hérité de ce qui allait par la
suite devenir la Syrie et le Liban.
Quant au Royaume-Uni, il récupérait
l’Irak, la Transjordanie et la
Palestine. Le Liban allait acquérir son
indépendance en 1943, la Syrie en 1946,
et Israël, découpée dans le territoire
de la Palestine par les Nations Unies,
en 1948.
La présence de la France sur
l’échiquier politique du Moyen-Orient
est donc une donnée de base, d’autant
plus que d’importants liens commerciaux
ont survécu au mouvement de
décolonisation après la fin de la
Deuxième Guerre Mondiale.
On comprendra dès lors que la France
ait joué un rôle actif dans la Crise du
canal de Suez qui survient en 1956,
lorsque l’Égypte de Gamal Abdel Nasser
décide de nationaliser le canal.
Wikipédia résume succinctement les faits
de la façon suivante :
« La crise du canal de Suez,
aussi connue sous le nom de guerre
de Suez, campagne de Suez ou
opération Kadesh, est une guerre qui
éclata en 1956 en territoire
égyptien. Le conflit éclata entre
l’Égypte et une alliance secrète, le
protocole de Sèvres, formée par
l’État d’Israël, la France et le
Royaume-Uni, suite à la
nationalisation du canal de Suez par
l’Égypte.
Cette alliance entre deux États
européens et Israël répondait à des
intérêts communs : les nations
européennes avaient des intérêts
politiques, économiques et
commerciaux dans le canal de Suez,
et Israël avait besoin de
l’ouverture du canal pour assurer
son transport maritime (ce dernier
justifiait toutefois son
intervention militaire contre
l’Égypte comme étant une réponse aux
attaques fedayins qu’il subissait de
plus en plus régulièrement sur son
territoire). De plus cette crise est
considérée comme particulièrement
importante car elle survient pendant
la période de guerre froide. Plus
que les intérêts des pays européens,
elle symbolise aussi une union
encore contestée de l’Union
soviétique et des États-Unis (deux
blocs en opposition) et constitue
donc un moment clef de cette période
de conflits. L’union reste contestée
car il semble qu’elle aurait aussi
pu être interprétée comme une sorte
« d’échange de bons procédés » entre
les deux puissances. Ce sont ces
deux États qui ont imposé l’arrêt du
conflit en renvoyant chez elles les
forces françaises et britanniques.
[...] »
La crise de Suez allait être
l’occasion de la première grande
intervention du Canada en politique
internationale avec sa proposition de
créer une force d’interposition entre
les belligérants (les Casques Bleus).
Voici comment l’Encyclopédie canadienne
présente l’affaire :
« Le 26 juillet 1956, le
président égyptien Nasser s’empare
de l’importante Compagnie du canal
de Suez, qui exploite le canal
depuis 1869 ; les principaux
actionnaires de la compagnie sont la
France et l’Angleterre. Cette
occupation par Nasser du canal
reliant la Méditerranée et la mer
Rouge porte un coup à la fierté et
au commerce de l’Occident. La
diplomatie ayant échoué,
l’Angleterre, la France et Israël
conviennent en secret d’une action
contre l’Égypte. Israël passe à
l’attaque le 29 octobre et, en un
seul jour, avance à un peu moins de
42 km du canal. Tel que convenu avec
Israël, l’Angleterre et la France
somment Israël et l’Égypte de se
retirer de la région immédiate du
canal. Nasser refuse. Le 31 octobre,
l’Angleterre et la France
interviennent directement en
bombardant la zone du canal.
Dans les coulisses, le
gouvernement du Canada se montre
irrité par ce geste qui divise le
Commonwealth et qui aliène les
États-Unis. Toutefois, publiquement,
le Canada joue le rôle de
conciliateur. Le 4 novembre, L.B.
Pearson, secrétaire d’État aux
Affaires extérieures du Canada, et
ses collègues aux Nations Unies
obtiennent un appui écrasant de
l’Assemblée générale en proposant la
création d’une force internationale
chargée de maintenir la sécurité et
de coordonner la cessation des
hostilités. Le général canadien
E.L.M. Burns est aussitôt nommé
commandant de la Force d’urgence des
Nations Unies (FUNU). Les Anglais et
les Français décident cependant de
passer outre à la résolution de
l’ONU et larguent des parachutistes
dans la zone du canal tard le 4
novembre. Grâce à la pression,
principalement américaine, exercée
sur le premier ministre britannique
sir Anthony Eden, un cessez-le-feu
est conclu le 6 novembre. Pearson se
bat avec succès pour que des soldats
canadiens fassent partie de la FUNU,
dont les unités d’avant-garde
arrivent à la mi-novembre. Bien que
Pearson reçoive le Prix Nobel de la
paix en 1957 en récompense pour ses
efforts de conciliation, bien des
gens en Angleterre et au Canada sont
consternés par le manque apparent de
soutien envers l’Angleterre de la
part d’Ottawa. La défaite du
gouvernement libéral aux élections
générales de 1957 est sans doute en
partie attribuable à ce facteur. »
En 1956, la France est dirigée par un
gouvernement socialiste aux prises avec
la décolonisation. Elle a perdu
l’Indochine à l’issue d’une guerre en
1954, et cherche encore à conserver
l’Algérie. Ces conflits la déchirent sur
le plan politique et la laissent
exsangue sur le plan financier,
conditions qui vont favoriser le retour
aux affaires du général Charles De
Gaulle, l’homme qui a sauvé la France de
la déroute en 1940 et qui s’est retiré «
en réserve de la République » en 1946,
en désaccord avec l’Assemblée
constituante élue pour doter la France
d’un nouveau régime politique sur la
question des rôles respectifs de l’État
et des partis politiques.
De Gaulle, c’est également l’homme
qui a tenu tête aux Américains, aux
Anglais et aux Russes malgré la
précarité de sa position, et qui a
permis, par la force incroyable de sa
volonté, que la France figure parmi les
vainqueurs de la Seconde Guerre
Mondiale.
Pour De Gaulle, tout tenait à « une
certaine idée » qu’il se faisait de la
France :
« Toute ma vie, je me suis fait
une certaine idée de la France. Le
sentiment me l’inspire aussi bien
que la raison. Ce qu’il y a en moi
d’affectif imagine naturellement la
France, telle la princesse des
contes ou la madone aux fresques des
murs, comme vouée à une destinée
éminente et exceptionnelle. J’ai
d’instinct l’impression que la
Providence l’a créée pour des succès
achevés ou des malheurs exemplaires.
S’il advient que la médiocrité
marque, pourtant, ses faits et
gestes, j’en éprouve la sensation
d’une absurde anomalie, imputable
aux fautes des Français, non au
génie de la patrie. Mais aussi, le
côté positif de mon esprit me
convainc que la France n’est
réellement elle-même qu’au premier
rang : que seules de vastes
entreprises sont susceptibles de
compenser les ferments de dispersion
que son peuple porte en lui-même ;
que notre pays tel qu’il est, parmi
les autres, tels qu’ils sont, doit,
sous peine de danger mortel, viser
haut et se tenir droit. Bref, à mon
sens, la France ne peut être la
France sans grandeur. » (Charles de
Gaulle, Mémoires de guerre,
tome 1, Plon, Paris, 1954)
Dans les dix années qui suivent son
retour aux affaires, De Gaulle va
remettre la France sur pied, d’abord sur
le plan économique, avec la
collaboration de son ministre des
Finances Antoine Pinay, et de son
principal conseiller Jacques Rueff, Ce
dernier croit aux vertus disciplinaires
de l’or pour empêcher la fuite en avant
par les déficits, sur lesquels les
États-Unis commencent à compter pour
financer leur guerre au Viet-Nam.
La France est bien placée pour le
savoir. Les coffres de la Banque de
France débordent des dollars US que les
banques françaises encore majoritaires
au Vietnam après son indépendance lui
envoient sans dérougir. De Gaulle décide
d’exiger sa conversion en or au taux
officiel de 35 $ l’once » Il envoie aux
États-Unis des navires de guerre chargés
de dollars, et ceux-ci rentrent en
France chargés de l’or obtenu en
échange. Les Américains sont furieux.
Et ils le sont encore davantage
lorsqu’ils voient De Gaulle se lancer,
sur la base du redressement économique
de la France et de l’indépendance
qu’elle lui confère, dans une offensive
diplomatique tous azimuts qui l’amènera
à quitter l’OTAN, se doter de l’arme
nucléaire et proposer aux pays non
alignés une troisième voie dans une
série de discours à travers le monde qui
vont s’inscrire résolument en faux
contre les pratiques hégémonistes
américaines.
Ainsi, le 28 septembre 1964, De
Gaulle déclare en Bolivie
« Que chaque peuple dispose à
tous égards de lui-même, afin que
son avance en fait de civilisation
soit effectivement la sienne. Qu’il
fasse en sorte que son progrès soit
celui de tous ses enfants pour
susciter dans les profondeurs les
ardeurs et les capacités qui
multiplient les efforts, qu’il
transforme en émulation créatrice et
productrice par rapport aux autres
nations, ce qui demeure trop souvent
rivalité d’ambitions, que les
puissances qui en ont le moyen
prêtent leur concours au
développement des moins avantagés,
cela suivant les affinités
réciproques, et sans qu’il y ait,
sous aucune forme, intervention
étrangère dans les affaires de qui
que ce soit, voilà, en effet,
quelles sont, pour la France, les
conditions nécessaires de
l’équilibre général, du progrès de
tous et de la paix dans l’univers.
»(Pochette du disque « Charles De
Gaulle, Discours aux peuples du
monde », Disques Déesse DDLX 87,
Paris)
À Pnom-Penh, le 1er septembre 1966,
De Gaulle s’en prend directement à la
soif de guerre des États-Unis .
Voici le commentaire du professeur et
président du parti UPR François
Asselineau dans le cadre de la dernière
campagne présidentielle française :
« Le 1er Septembre 1966, présent
dans la capitale Cambodgienne, le
Général de Gaulle prononce devant
plus de 200 000 personnes, le «
Discours de Phnom-Penh ». Ce
discours est un des plus habiles de
l’histoire politique de l’humanité.
En effet, tout en rappelant
l’indépendance de la France, il
affirme l’existence d’une troisième
voie représentée par les
non-alignés. Cependant, le Général
de Gaulle est également visionnaire
et marque un tournant dans la
manière d’envisager les relations
Internationales pour les anciennes
puissances coloniales. Ces propos
ont été ressentis à l’époque comme
une gifle et une trahison par les
américains alors en guerre au
Vietnam. Les Américains outrés,
n’ont alors pas compris toute la
subtilité et les nuances de ces
paroles car il rend aussi un hommage
aux valeurs de libertés qui fondent
la démocratie américaine. Ils n’ont
pas non plus saisi la lucidité de
ses propos. En 1968, c’est à Paris
que s’ouvrira la conférence qui
mettra fin à la guerre du Vietnam
(la guerre la plus inutile et la
plus chère de l’histoire des
Etats-Unis après la guerre d’Irak).
Ce qui est impressionnant, c’est
qu’après plus de 40 ans, ces paroles
résonnent encore d’une manière
originale et sont plus que jamais
d’actualité concernant par exemple
la guerre en Afghanistan. » (Voir
aussi)
La visite du général de Gaulle au Québec
from
Delorimier on
Vimeo.
L’été suivant, le 24 juillet 1967, De
Gaulle, venu rendre visite à son « ami
Johnson »
http://www.vigile.net/La-visite-du-...
à l’occasion de l’Expo 67, lançait son
« Vive le Québec libre » depuis le
balcon de l’Hôtel de ville de Montréal .
À lire ce qui précède, on comprend
facilement que cette déclaration était
loin d’être spontanée, qu’elle était
mûrement réfléchie et qu’elle procédait
d’un plan bien défini. On n’est pas
général pour rien.
D’ailleurs, cette analyse est
confirmée par un de ses intimes, Jacques
Foccart, qui relate son échange avec De
Gaulle le 27 juillet 1967 dans son
Journal de l’Élysée paru chez Fayard en
1998 (t. I, p. 685), au cours duquel lui
aurait déclaré ceci :
« Le fait est qu’un jour le
Canada français deviendra une grande
puissance et que nous y aurons aidé
et que la France en tirera un
bénéfice. Bien sûr, pas moi. Ce
n’est pas pour tout de suite, bien
que, du fait de notre attitude, nous
ayons considérablement accéléré le
processus. C’est une affaire dont
l’avenir s’inscrit d’avance, et de
manière certaine depuis notre
action, et le développement,
croyez-moi, sera beaucoup plus
rapide qu’on ne le croit. […] Il
fallait le faire, c’était évident.
Je savais à quoi m’en tenir à partir
du moment où j’y allais. Alors on
m’a dit : Ottawa… Ottawa, je m’en
fous ! C’est au Canada français que
je rendais visite, c’était
l’essentiel. […] J’aime mieux crever
que d’aller au Canada porter un
toast à la reine d’Angleterre !
Croyez-moi, j’étais bien soulagé
quand ils m’ont offert l’occasion de
m’en aller : j’ai sauté dessus avec
bonheur. Tout cela va faire des
remous, c’est sans importance. Tout
cela va donner des motifs d’articles
à toute cette presse infâme et
avachie, aux pieds et à la botte des
Américains, des Israéliens et de
tous les autres, mais qui ne
soutient pas la France parce qu’ils
ont honte de parler de la France ou
de défendre la France : tout cela
est sans importance. »
On connaît la réaction au Canada. Mais
c’en est également trop pour Washington
et pour ses alliés en France. Le premier
ministre George Pompidou, ancien
directeur général de la Banque
Rothschild, s’inquiète de plus en plus
des projets de De Gaulle.
Chez les acteurs économiques, la «
troisième voie » passe mal :
« En sus des Américains, De
Gaulle avait à dos leurs suiveurs
atlantistes, de Mitterrand à
Lecanuet, sans compter Jean-Jacques
Servan-Schreiber [alors rédacteur en
chef de l’hebdomadaire d’information
L’Express et l’auteur du
Défi américain, une apologie de
l’Amérique] qui, en plein mois de
mai, dénonçait « la dictature
intellectuelle du Général qui avait
tout gelé en France ». Et cela dans
un magazine américain : « Life » qui
par ailleurs voyait dans l’Elysée un
nid d’espions du KGB. Aux USA une
campagne de presse antigaulliste
d’une violence et d’une bêtise
inouïes battait son plein...
Participaient encore à cette
curée, le ban et l’arrière ban du
vichysme et de l’OAS : « mai »
c’était l’occasion de régler son
compte à l’homme de la France libre
et au décolonisateur de l’Algérie.
Sans compter les milieux d’affaire :
« De Gaulle a pour opposants les
mêmes gens, haute finance et classe
moyenne, qui firent tomber le
gouvernement Blum dans les années
trente en spéculant contre le franc
et en plaçant leur argent à
l’étranger (écrit Hannah Arendt dans
une lettre à Mary Mc Carty fin 68).
Le tout non pas en réaction aux
émeutes étudiantes, mais aux idées
grandioses de De Gaulle sur la
participation des travailleurs dans
les entreprises »... ».
En fait, quand on examine qui avait
intérêt en 1968 à ce que la situation
politique se dégrade rapidement en
France, celui des Américains et de leurs
« suiveurs atlantistes » est tellement
évident qu’ils y ont nécessairement
contribué s’ils n’en sont pas carrément
les instigateurs, ce que les historiens
finiront éventuellement par nous
révéler.
Après la
démission de De Gaulle devant le rejet
de son référendum sur la participation
le 27 avril 1969 , la France retombe
rapidement sous l’influence des
États-Unis.
En 1971, l’administration Nixon,
enlisée dans l’aventure vietnamienne, et
incapable de faire face aux dettes et
aux obligations de conversion du pays,
décide de dévaluer sa monnaie en
supprimant sa convertibilité en or. La
banque centrale des États-Unis (la FED)
a désormais les mains libres pour
monétiser la dette, avec les résultats
que nous découvrons aujourd’hui.
La France emprunte le même modèle en
1973 en adoptant sa Loi du 3 janvier
1973 sur la Banque de France. Même
modèle, même endettement catastrophique
aujourd’hui.
Mais si les Américains sont parvenus
à reprendre le contrôle du jeu
économique avec l’élimination de De
Gaulle, la France n’en conserve pas
moins quelques velléités d’indépendance
diplomatique à l’égard des États-Unis
qui vont lui coûter très cher
lorsqu’elle s’aventurera à les exercer,
l’expérience la plus probante à cet
égard étant survenue lors de son refus
très spectaculaire de suivre les
États-Unis dans sa guerre contre l’Irak.
Dominique de Villepin à l'ONU - 14 février 2003 par Chroniques-vieille-europe
On se souviendra de l’indignation que
la brillante prestation du ministre
français des Affaires étrangères,
Dominique de Villepin, devant
l’Assemblée générale des Nations Unies
le 14 février 2003 , avait soulevé
aux États-Unis. La France avait alors dû
affronter un boycott de ses intérêts que
son patronat avait très mal vécu.
« Comme par hasard », de Villepin
s’était retrouvé peu de temps après au
coeur d’une affaire politique tordue,
l’affaire Clearstream, qui allait
prendre rapidement une tournure
judiciaire grave, coupant court à ses
ambitions présidentielles pour 2007 et
laissant la voie libre à Nicolas
Sarkozy.
C’est sans doute le même « hasard »
qui a valu à Dominique Strauss-Kahn,
brillant économiste et directeur général
du FMI, quelques mois d’emprisonnement
dans une prison de New York pour une
pitoyable affaire de moeurs alors que
son véritable crime, tout comme le
Général De Gaulle en son temps, avait
été de
remettre en cause l’hégémonie du dollar
US .
Et parce qu’Israël et les États-Unis
voguent de concert et que l’affront fait
à l’un vaut pour l’autre, que penser de
l’audace « irresponsable » du président
Chirac qui avait accueilli en 2004 sur
son territoire le chef historique des
Palestiniens, Yasser Arafat, gravement
malade, pour qu’il puisse s’y faire
soigner, qui s’était même rendu à son
chevet pour lui offrir ses voeux de
rétablissement, et qui, à son décès, lui
avait fait rendre les hommages de la
France lors d’une cérémonie officielle à
l’aérodrome militaire de Villacoublay
avant de le transporter au Caire ?
Heureusement pour lui, Chirac était
en fin de mandat et n’était plus en
mesure de nuire aux intérêts américains.
On comprend dès lors beaucoup mieux
comment Nicolas Sarkozy, que
les Américains contrôlaient entièrement,
y compris par des liens familiaux ,
a pu servir leurs intérêts au point même
de leur permettre de se cacher derrière
lui (et derrière le Canada de Harper) à
certains moments, comme dans l’opération
contre la Libye.
Mais Sarkozy parti, ce qui surprend
et déçoit sûrement une bonne partie de
l’électorat de gauche en France, c’est
de voir le président Hollande suivre
exactement la même politique étrangère
que son prédécesseur et se ranger
docilement, sans le moindre bémol, dans
le camp des États-Unis et d’Israël au
Moyen-Orient.
Le Canada n’a pas une histoire
diplomatique aussi riche que celle de la
France. Comme je l’ai souligné plus
haut, sa première intervention marquante
sur la scène internationale fut sa
suggestion de créer les casques bleus
dans la foulée de la guerre du Canal de
Suez en 1956.
Pour le reste, voisin des États-Unis,
sa marge de manoeuvre n’est pas très
grande, ce qui n’a pas empêché l’ancien
premier ministre Libéral, Pierre-Elliott
Trudeau, mort en 2000, de multiplier les
pieds de nez à leur endroit, en
entretenant notamment des
liens d’amitié avec Fidel Castro qui
s’est d’ailleurs déplacé à Montréal pour
ses funérailles .
En 2003, le Canada n’avait pas, lui
non plus, suivi les États-Unis dans leur
engagement militaire en Irak. Le refus
du premier ministre Jean Chrétien,
Libéral lui aussi, était lié à des
considérations bassement électoralistes.
Si, dans son ensemble, l’électorat
canadien était également divisé sur
l’opportunité de cet engagement, la
ventilation des résultats par régions
donnait une toute autre image de la
situation, les Québécois y étant très
majoritairement opposé.
La question de la participation du
Canada à cette guerre était même
parvenue à mobiliser à Montréal, en
plein hiver, 150 000 personnes qui
n’avaient pas hésité à
braver un froid de -26 °C pour faire
connaître leur opposition, tant la
tradition pacifiste est forte au Québec.
Pour des raisons sur lesquelles les
Américains n’ont eu aucune influence,
les Libéraux allaient se retrouver à la
tête d’un gouvernement minoritaire aux
élections générales suivantes en 2004,
et par la suite perdre le pouvoir aux
mains du Parti Conservateur de Stephen
Harper, d’abord appelé à former un
gouvernement minoritaire en 2006, puis
majoritaire en 2011.
Depuis son élection en 2006, Harper
n’a eu de cesse d’aligner les positions
canadiennes dans tous les domaines sur
celles des États-Unis, au point même de
se distinguer parfois par son excès de
zèle, notamment sur la question de son
soutien à Israël.
Cette inféodation systématique de la
France et du Canada aux intérêts des
États-Unis et d’Israël est
particulièrement intrigante, survenant à
un moment où les États-Unis sont en
perte de puissance, tant sur le plan
économique que politique, une réalité si
forte qu’elle ne peut échapper aux
stratèges des deux pays. Cette réalité
commanderait de la part de la France et
du Canada une stratégie totalement
différente, sauf si...
Oui, sauf si les dirigeants de ces
deux pays étaient au courant d’une
menace si forte et si effrayante
qu’elles les privait de toute marge de
manoeuvre et qu’elle les contraignait au
soutien inconditionnel des États-Unis et
d’Israël, et au reniement de tous les
principes démocratiques sur lesquels ils
sont fondés.
Si tel est le cas, on aimerait bien
le savoir... Quelle menace ? Une
Troisième Guerre Mondiale ? Car au
rythme auquel s’accumulent, s’enchaînent
et se succèdent les événements, c’est
pour bientôt.
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