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Opinion
Christian Blanc et
la Middle East Airlines:
Un cigare fatal à son destin
René Naba
Dimanche 21 novembre
2010
Le cigare aura été fatal à son destin. Le cigare lui a sauvé
la vie. Le cigare signera sa chute politique.
Il se raconte qu’un certain matin de septembre 2001,
Christian Blanc, alors président de la filiale française de
Merrill Lynch, pris d’un soudain besoin de nicotine, sort de son
hôtel, dans le World Trade Center pour fumer son premier cigare
de la journée. Il était 9 heures du matin, le 11 septembre 2001.
La première bouffée tirée, le ciel s’abattait sur le complexe.
Neuf ans plus tard, une autre affaire de cigares le plombe,
contraint à la démission du gouvernement français, le 4 juillet
2010, dans la foulée de la polémique suscitée par sa
consommation abusive de Havane aux frais de contribuables.
Ancien socialiste de tendance rocardienne, l’homme épousera
la gamme des sensibilités de l’échiquier politique français,
devenant tour à tour chiraquien, puis centriste, enfin
sarkozyste. Christian Blanc, qui a fait son entrée au
gouvernement en mars 2008, en tant que secrétaire d’état chargé
du Grand Paris, lâché par son camp, a donc dû prendre la porte,
à la demande du chef de l’Etat. Ce n’est pas la première fois
que Blanc, dont certains critiquent l’entêtement et le manque
d’écoute, doit démissionner. En 1992, il avait quitté son poste
de patron de la RATP, (régie autonome des transports parisiens)
faute d’avoir obtenu un service minimum dans le métro les jours
de grève, face au gouvernement de Pierre Bérégovoy. PDG d’Air
France, il claque la porte en 1997, parce qu’il avait voulu
privatiser l’entreprise contre l’avis du Premier ministre
socialiste, Lionel Jospin, et de son ministre communiste des
Transports, Jean-Claude Gayssot.
L’homme s’est aussi distingué au Liban du temps de
son parachutage à la tête de la compagnie aérienne libanaise
Middle East Airlines à Beyrouth.
Entre deux bouffées de Havane, l’homme sait tisser des liens
qui survivent aux veloutés. Chiraquien, à la tête d’Air
France, il atterrira, comme par hasard, après son débarquement
d’Air France, sur une terre de mission, le Liban, chasse gardée
du tandem Jacques Chirac Rafic Hariri, alors à l’apogée de sa
puissance, avec pour mission de redynamiser l’aéroport de
Beyrouth Khaldé, sinistré par la guerre civile, et la compagnie
aérienne vedette de la flotte commerciale arabe, Middle East
Airlines.
Un des principaux gisements d’emploi du pays, une des
principales sources de revenus, l’aéroport de Beyrouth Khaldé,
devenu depuis Aéroport Rafic Hariri, à la suite de l’assassinat
de l’ancien premier ministre libanais, est un lieu de trafic par
destination et représente à ce titre un enjeu de taille.
Sa réhabilitation passera sans doute dans la chronique libanaise
de la fin du XX me siècle comme un exemple achevé
d’instrumentalisation de l’état au service d’intérêts privés,
comme une vaste opération de spoliation organisée, à ciel
ouvert. Projet grandiose au départ, sa réhabilitation sera l’une
des opérations les plus controversées de l’ère Hariri par
l’ampleur de ses dérives successives. Les modalités
d’attribution des contrats de réfection de l’aéroport, tout
comme la désignation des bénéficiaires des concessions de la
zone franche constituent à cet égard une parfaite illustration
de l’affermage arbitraire des services publics.
Fortement endommagé durant les hostilités, l’Aéroport de
Beyrouth, théâtre de nombreux détournements d’avion, longtemps
un des hauts lieux de la symbolique révolutionnaire du
tiers-monde, a néanmoins réussi malgré les turbulences à tenir
la dragée haute à ses concurrents. Au premier rang du classement
aéroportuaire du Moyen-Orient pendant près de 30 ans, l’aéroport
peut, à juste titre, être considéré comme le poumon du Liban. Le
chiffrage du projet estimé, en 1994, à 200 millions de dollars
avait franchi la barre du milliard de dollars, en 1998, sans que
l’on soit assuré avec certitude du coût définitif du projet.
Pour sa défense, Rafic Hariri indiquera que le coût global de
la réhabilitation de l’Aéroport de Beyrouth, selon le schéma
directeur établi par l’Aéroport de Paris, s’est élevé à 551
millions de dollars, un coût inférieur pour des travaux
similaires à Bangkok, New York, Hongkong, Washington et Pékin,
négligeant dans cette étude comparative l’équation de la main d’oeuvre
libanaise extrêmement bon marché, les réquisitions d’office des
terrains pour l’entreposage du matériel ou le désablonnage
gracieux des plages pour la constitution de travaux de
terrassement.
L’emprise sur les infrastructures au sol assurée par le biais
de l’association Hochtief CCC, M. Hariri va se tourner vers le
ciel pour une restructuration de l’aviation civile libanaise
sous son égide et à son profit. Il phagocytera dans un
premier temps la compagnie de fret aérien, TMA (Trans
Mediterranean Airlines), avant d’imposer la fusion entre les
deux compagnies aériennes libanaises, TMA et MEA Middle East
Airlines, les deux fleurons de l’aviation civile libanaise qui
se sont distinguées, chacune dans sa spécialité, la première
pour les activités cargo, la seconde pour le transport civil.
Longtemps dirigée par de prestigieux patrons d’entreprise, le
très flegmatique Najib Alamuddine ou son infatigable successeur
Assaad Nasr, «la Middle East», ainsi qu’elle est familièrement
désignée, occupe une place à part dans le coeur des Libanais. La
compagnie, dont les hôtesses étaient habillées par de grands
couturiers libanais, constitue un symbole de la présence
élégante du Liban à travers le monde. L’atterrissage de ces
appareils dans les pays de la diaspora, au plus fort de la
guerre du Liban, était salué par les expatriés comme la marque
d’une espérance, la preuve de la capacité d’endurance du Liban
et de sa survie. «Durant les dix sept années d’enfer,
l’existence de la MEA n’a tenu qu’à la vaillance insensée de ses
équipages et au courage démesuré de ses cadres et employés, qui
ont porté à bout de bras le cadavre du Liban, en faisant croire
au monde qu’il était vivant», déclarera M. Marwane Salha, membre
du conseil d’administration, le 1er juin 1999, lors du vol
inaugural concrétisant le nouvel accord d’alliance MEA Air
France (6).
MEA représente une charge émotive et pour l’avoir négligé M.
Hariri va se heurter à rudes parties. Assaad Nasr, ancien P.D.G.
de la MEA, et Assaad Koteit, ancien secrétaire général de
l’organisation internationale de l’aviation civile, déclineront
l’offre de participer à un «comité de surveillance», dont
l’objet officiel était de chapeauter les deux compagnies, mais
qu’ils soupçonnaient de viser en fait à placer leur ancienne
société sous le joug de l’équipe Hariri. Celui-ci n’aurait
jamais pu parvenir à bout de la résistance de la MEA n’était-ce
le retournement du président Elias Hraoui, en 1995. Le chef de
l’état songeait à la reconduction de son mandat et le premier
ministre à la fusion des deux compagnies. Le troc s’imposait
donc pour des raisons personnelles, présentées comme étant
d’impérieuses nécessités d’intérêt national. M. Hraoui a été
reconduit dans ses fonctions et le conseil d’administration
renouvelé de la MEA décréta la fusion avec TMA. La Banque
Centrale, présidée par l’ancien courtier de M. Hariri, Riad
Salameh, financera d’autorité sans faire appel aux autres
souscripteurs une augmentation du capital de l’ordre de cent
millions de dollars, s’imposant de fait comme l’actionnaire
quasi-unique de la compagnie aérienne libanaise: 99 pour cent
des actions pour la banque centrale contre 1% pour Air France.
La fusion TMA-MEA va donner le coup d’envoi à une
privatisation déguisée des activités aéroportuaires, en
collaboration avec «Aéroport de Paris» (ADP), qui s’associera
avec les trois autres soumissionnaires: Le groupe hôtelier
Albert Abela, concessionnaire de la restauration, le groupe
saoudien Abou Jadayel, ainsi que MEA-TMA. Ce quatuor constituera
un holding monopolisant la totalité des activités de maintenance
de l’aéroport de Beyrouth, en lieu et place de la Middle East
Airlines, qui en assurait la totalité des prestations
(maintenance et réparation des appareils arabes et étrangers, le
fret, le trafic passager, la maintenance du matériel roulant et
du parc automobile).
En guise de bouquet final à ce feuilleton, l’homme de
la privatisation avortée d’Air France, Christian Blanc, va être
parachuté au sein du conseil d’administration de la Middle East
Airlines et à la grande surprise du personnel libanais, le haut
fonctionnaire français, au lieu d’oeuvrer au développement de
son réseau international, va s’employer à filialiser la
compagnie libanaise pour la placer en situation de
complémentarité avec Air France.
Christian Blanc va opérer une subdivision du travail
entre les deux compagnies, selon le mode colonial. Il confinera
la libanaise au transport régional, limitant ses activités à la
sphère Moyen-Orient, réservant à la française, le trafic noble,
le trafic transcontinental à destination de l’Europe, des
Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de l’Afrique. Des pays
qui constituent, comme nul ne l’ignore, d’importants points de
la diaspora libanaise et à ce titre porteurs de trafic. Avec en
prime, pour faire avaler la pilule amère, il propose le
transfert d’escale de la Middle East d’Orly à Roissy.
Grand commis de l’Etat français, un des artisans du règlement
du contentieux de la Nouvelle Calédonie, ancien patron de
grandes entreprises publiques françaises, Christian Blanc jouit
d’une considération certaine. Son rapport inspiré sans doute par
des considérations de rentabilité et de compétitivité
internationale, passe pour avoir ignoré la dimension humaine et
psychologique du problème posé par la restructuration. A ce
titre, il a été mal ressenti à Beyrouth par des employés fiers
d’une compagnie internationale qui avait vaillamment survécu aux
vicissitudes de la guerre et que l’on voulait transformer en
manutentionnaire d’une compagnie régionale en retrait par
rapport aux autres compagnies arabes à vocation internationale.
Au delà du débat sur le bien fondé technique et économique de
cette opération, l’atterrissage de l’ancien P.D.G. d’Air France
à Beyrouth en pleine discussion sur la restructuration de la
compagnie libanaise, dans la foulée de sa démission après un
mouvement de grève consécutif à un débat similaire dans son
entreprise, a constitué incontestablement une erreur
psychologique d’autant plus grave qu’elle s’est doublée du
parachutage à ses côtés d’un autre proche du président français,
M. Jean Eudes Rabut, ancien chef de cabinet de Jacques Chirac à
la Mairie de Paris, également recyclé à Beyrouth pour la
circonstance après ses déboires à la tête d’Air Charter.
Sauf à y voir la marque d’une cécité politique, le double
parachutage à Beyrouth de ces deux personnalités françaises,
-dont les forts émoluments dans une entreprise en difficulté a
nécessité leur émargement sur le budget de la banque centrale
libanaise-, a été ressenti sinon comme une provocation du moins
comme la marque d’une indifférence à l’égard des préoccupations
matérielles du personnel, fruit du «copinage» du Président
français et de son ami libanais.
Présentant toutes les apparences d’une survivance coloniale,
le parachutage en contre-emploi de M. Christian Blanc à Beyrouth
a accentué la crispation du personnel devant des pratiques
surannées et l’affaire Blanc Rabut a tendu à accréditer l’idée
que M. Hariri et ses amis français envisageaient la MEA comme
une voie de garage pour les anciennes gloires des ailes
françaises, insensibles aux préoccupations du personnel devant
sa précarité professionnelle, aux préoccupations des
contribuables devant ces nouvelles charges indues et des
passagers devant les nouveaux tarifs prohibitifs.
Concrétisation d’une association qui remonte à 1949, l’accord
d’alliance MEA Air France est entré en vigueur depuis le 1er
juin 1999, vingt jours avant la signature d’un
contrat similaire entre la compagnie française et Delta
Airlines, 3me transporteur aérien américain, le 22 juin 1999.
S’inscrivant dans le prolongement de cet accord, la MEA
filialisée paraît avoir servi de faire valoir à Air France. Elle
aurait même constitué son apport au nouveau partenariat
franco-américain. C’est du moins ainsi que l’opération a été
perçue dans les milieux aéronautiques libanais. Disposant
désormais d’un marché captif, le pool MEA Air France a inauguré
sa coopération en instituant des prix dissuasifs sur la liaison
Paris Beyrouth, trois fois supérieurs aux tarifs des autres
compagnies aériennes, suscitant un tollé des passagers libanais
et une pétition de vingt deux associations de la diaspora contre
les pratiques abusives résultant d’une position dominante.
Pour prix de sa contribution à la mise en synergie Air
France- Middle East, en fait la mise sous tutelle de la
compagnie libanaise par sa rivale française, Christian Blanc
sera gratifiée d’une étonnante promotion. Par un phénomène de
serendipity, un heureux hasard, il sera désigné, au terme de sa
mission à Beyrouth à la tête de la filiale européenne de Merril
Lynch, l’ancienne entreprise de son interface libanais, le
pourvoyeur de ses somptueuses dépenses, Riad Salameh, gouverneur
de la Banque du Liban, l’ancien gestionnaire du portefeuille de
Rafic Hariri à «Merril Lynch». Un effet de la mécanique des
fluides entre les deux commensaux beyrouthins expliquerait
partiellement la présence à New York, le 11 septembre 2001, de
Christian Blanc, en sa qualité de chef de la filiale européenne
de la société américaine de courtage en bourse. Entre fumeurs de
cigares, la cause était entendue.
Sauf que Nicolas Sarkozy n’appartient pas à cette
corporation, ni surtout à la coterie chiraquienne, et que la
France, en 2010, en état de faillite, ne pouvait s’offrir le
luxe de gratifier un de ses serviteurs, fut il le plus éminent,
de la possibilité de laisser s’envoler en fumée, près de onze
mille euros par an, pour le plaisir.
L’impunité du cigare de New York ne valait pas sauf conduit
pour l’éternité. Une bonne conduite aurait certainement
constitué un meilleur gage de pérennité.
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Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 22 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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