Blog René Naba
Média et
Démocratie :
Les Médias comme véhicule d’une idéologie dominante
René Naba*
Paris
le 15 septembre 2007
Le développement de la diffusion satellitaire, la
multiplication des chaînes transfrontières et d'autres canaux de
diffusion tels l'Internet (Web), le courrier électronique, le
blog ou encore le fax ou le mobile (téléphone portable) ont porté
les sociologues et analystes politiques à célébrer l'avènement
d'une "société de l'information" comme la marque
caractéristique du XXI me siècle, l'échec du totalitarisme et
le terme ultime de la démocratie néo-libérale.
Toutefois, le contrôle accru des grands conglomérats
industriels sur les vecteurs d'information, l'importance prise par
ailleurs par les stratégies de communication, au détriment de
l'information proprement dite, l’endogamie croissante au sein du
couple médias et politique de même que l’interactivité des
divers acteurs au sein de ce même couple, tendent à relativiser
ce premier constat au point que se pose la question de la viabilité
d'un débat démocratique dans une société où les principaux
vecteurs d'information sont dominés par les puissances d'argent
et la promotion des intérêts privés.
Dans ce contexte, le langage, moyen de communication et d'échange
par excellence, devient un marqueur d'identité culturel de par la
terminologie empruntée ou l'accent utilisé par le locuteur.
L'effondrement d’une idéologie à dimension humaniste, utile
contrepoids à l'hégémonie capitaliste, a accéléré cette évolution
au point que le langage apparaît désormais comme un redoutable
instrument de sélection et de discrimination, de domination et
d'exclusion.
I- Le débat démocratique face à la profusion
d’information
La société de l’information ou le village planétaire.
Jamais dans l’histoire de l’humanité, l’information
n’a été si abondante et si instantanée au point que
l’information mondialisée, abolissant les frontières physiques
et linguistiques, a transformé la planète es un «village planétaire»
Tous les grands évènements mondiaux se vivent dans une quasi
communion universelle, (Mondial du foot, Jeux olympiques, les
grandes catastrophes naturelles, telles le Tsunami en Asie en Décembre
2004, l’ouragan Katrina durant l’été 2005 au sud des
Etats-Unis, de même que les deux guerres d’Irak en 1990 et
2003, ainsi que la destitution de la statue du président irakien
Saddam Hussein, en avril 2003.
Depuis la révolution technologique opérée il y a vingt ans,
des chaînes d’information continue ont supplanté les chaînes
généralistes (CNN aux Etats-Unis, LCI et France info, en France)
développant des programmes interactifs avec interventions des
auditeurs téléspectateurs dans les débats politiques, induisant
avant le terme un débat participatif.
L’exemple le plus manifeste, en France, s’est déroulé sur
TF1 à l’occasion du débat sur le referendum constitutionnel,
en avril 2005, entre le président Jacques Chirac et un panel de
jeunes, ainsi qu’à l’occasion de la campagne présidentielle
française de 2007 toujours sur TF1 dans l’émission «j’ai
une question à vous poser», où le candidat à l’élection présidentielle
était confronté pendant 90 minutes à un échantillon représentatif
de la population française.
Même la presse écrite a opéré une mutation, couplant son édition
papier par une édition électronique donnant ainsi la possibilité
à un plus large lectorat, au delà les océans, d’accéder aux
informations du journal.
En France, par exemple, les grands quotidiens parisiens peuvent
être consultés électroniquement depuis l’Afrique ou l’Asie,
contournant la censure généralement en vigueur dans les pays
autoritaires. Dans le Monde arabe, où la censure est la norme, le
quotidien «Al-Qods Al-Arabi » journal critique
trans-arabe, offre quotidiennement l’hospitalité de ses
colonnes à certains des principaux proscrits intellectuels arabes
et contourne ainsi depuis Londres les restrictions édictées par
les gouvernements arabes.
De même, à coté de la presse payante, une presse gratuite
s’est développée dans les pays occidentaux accentuant
l’offre d’information. En outre, un service de messagerie à
la demande (à la carte) a été aménagé pour les usagers des téléphones
portables.
A. Surinformation ou désinformation ?
Toutefois, la concertation médiatique, la profusion de
l’information contribue-t-elle pour autant à une meilleure
connaissance des problèmes? A une meilleure diffusion du savoir ?
Contribue-t-elle à une amélioration du débat démocratique ? La
surinformation favorise-t-elle l’information ou débouche-t-elle
sur une désinformation. ?
Dans les années 1980, cinquante méga compagnies dominaient le
paysage médiatique aux Etats-Unis, mais, moins de dix ans plus
tard, il n’en restait plus que vingt trois pour une domination
comparable. «La vague des énormes marchés conclus dans les années
1990 et la mondialisation rapide ont laissé l’industrie médiatique
centralisée en neuf conglomérats internationaux:AOL-TimeWarner,
Viacom CBS) News corporation, Bertelsman (Allemagne), General
Electric (NBC), Sony, ATT-LIBERTY Media et Vivendi Universal
France).
Quatre d’entre eux (Disney, AOL Time Warner, Viacom et News
corporation) contrôlent tout le cycle de la production (films,
livres, magazine, journaux, programmes de télévision, musique
vidéo, jeux) ainsi que la distribution (radio, câble, grandes
surfaces, salles de cinéma multiplex) (1).
Mais cette concentration médiatique, pour impressionnante
qu’elle soit avec les immenses possibilités de diffusion
qu’elle recèle, contribue-t-elle à une amélioration de
l’information du citoyen et du débat démocratique ?
La réponse ne saurait être tranchée à en juger par les déboires
enregistrés tant par les Etats-Unis que par la France dans deux
moments clés de leur histoire contemporaine:la guerre d’Irak
pour les Etats-Unis et le referendum sur le traité
constitutionnel par la France.
B. Les Etats-Unis et la guerre d’Irak.
Les Etats-Unis ont baigné dans une ferveur nationaliste cimentée
par l’horreur des attentats anti-américains du 11 septembre
2001 contre les symboles de l’hyper puissance américaine, les
tours jumelles (Twin Tower) de New York et le Pentagone à
Washington. Cette ferveur a d’ailleurs été attisée par les médias
avec leur longue évocation des scènes d’horreur et leurs
commentaires conséquents.
Cette unanimité nationale a atteint son paroxysme lors de la
guerre d’Afghanistan, en Octobre-Novembre 2001, engagée par les
Etats-Unis avec la caution de l’ONU et perçue dans l’opinion
américaine et internationale comme des représailles aux
attentats du 11 septembre.
Cette unanimité s’est reproduite avec la même ferveur lors
de la guerre d’Irak, engagée deux ans plus tard, en mars 2003,
grâce notamment au travail de mobilisation de la presse américaine,
quand bien même la guerre d’Irak a été engagée sans la
caution des Nations-Unies. Les grands médias américains ont
longtemps relayé les thèses de l’administration néoconservatrice
américaine avant de reconsidérer leurs positions avec les déboires
militaires américains sur le terrain, le pillage du Musée de
Bagdad, les tortures de la prison d’Abou Ghraib et les révélations
sur les mensonges de la guerre (absence d’armes de destruction
massive, lien du régime de Saddam Hussein avec l’organisation
Al-Qaîda)
Une journaliste vedette du New York Times, Judith Miller,
l’une des plus actives propagatrices de la thèse mensongère
des armes de destruction massive en Irak, a été licenciée de
son journal et de grands journaux tels le Washington Post et le
New York Times ont publiquement reconnu leurs erreurs.
Il n’empêche les médias américains dans la guerre d’Irak
ont été complices de la plus grande mystification de l’opinion
publique relayant sans la moindre retenue et sur une longue période,
la propagande de guerre du président George Bush jr.
La guerre d’Irak a démontré au grand jour la connivence
entre le pouvoir politique et le monde médiatique, au détriment
de la Démocratie.
C. La France et le référendum sur le traité
constitutionnel.
Les dirigeants des principales formations politiques et la
quasi totalité des grands commentateurs des grands médias se
sont prononcés en faveur du Traité européen, stigmatisant
l’archaïsme de ses opposants, quand bien même le texte soumis
à référendum était long, touffu, confus et inaccessible au
lecteur de base.
Les partisans du Oui, -grands patrons de presse et grands
dirigeants politiques- ont été désavoués d’une manière
manifeste, sans que soient remis en cause leur mode de
fonctionnement.
Dans le cas de la France, si la connivence est aussi manifeste
qu’aux Etats-Unis, le désaveu est plus marqué.
Contrairement aux Etats-Unis, les grands médias français,
tels Le Monde ou TFI, n’ont jamais formulé la moindre
autocritique, pas plus pour la guerre d’Irak que pour la
campagne référendaire européenne ou la couverture de la précédente
campagne présidentielle française, celle de 2002, où déjouant
tous les pronostics, le chef de l’extrême droite française,
Jean Marie Le Pen, chef du Front National, avait supplanté, au
premier tour des élections, le premier ministre Lionel Jospin,
candidat du parti socialiste, éliminant la gauche de la première
compétition majeure du XXI me siècle.
Jamais le Journal «Le Monde» ne s’est expliqué
sur cette emphatique sentence décrétée par son ambitieux
directeur selon laquelle «Nous sommes tous Américains» après
les attentats anti-américains du 11 septembre. Nul non plus ne
l’a interpellé sur ce pouvoir prescripteur qu’il s’est
arrogé de se faire le porte-parole des Français, sans le moindre
mandat électif.
Six ans après cette profession de foi, alors que l’Amérique
s’enlise dans le bourbier irakien, M. Colombani a été déchargé
de ses responsabilités, en juin 2007, par un vote de défiance
des journalistes de son établissement s’opposant à la
reconduction de son mandat.
Auparavant, Patrick Poivre d’Arvor, présentateur vedette de
TFI, la plus importante chaîne télévisuelle d’Europe, a été
convaincu de «bidouillage», manipulation de l’information,
sans que cela n’entraîne le moindre discrédit. Poivre d’Arvor
s’était abusivement attribué une interview du dirigeant cubain
Fidel Castro, en substituant son image à celle de l’interview
et en reformulant les questions afin de donner à l’entretien un
cachet personnel.
Jean Marie Colombani et Patrick Poivre d’Arvor ont été cités
dans des procès en relation avec l’affaire Pierre Botton,
l’ancien gendre de l’ancien député chiraquien de Lyon,
Michel Noir, sans que cela, non plus, n’entrave leur fulgurante
carrière. PPDA a même été décoré, en mars 2007, de l’ordre
du mérite, au rang de chevalier, par le ministre de la culture
Renaud Donnedieu de Vabres, sans doute à titre de reconnaissance
pour sa contribution à la déontologique journalistique.
De son côté Serge July, fondateur de l’ancien journal de
gauche «Libération», plutôt que de s’interroger sur sa
fausse perception de la société française, a laissé percé son
dépit après l’échec du referendum constitutionnel européen,
en Mai 2005, fustigeant ses compatriotes de tous les maux, sans la
moindre critique à l’égard de l‘élite dirigeante qui avait
établi un texte long et complexe. Sans chercher à faire œuvre
de pédagogie politique sur la portée et la signification de la
construction européenne, ou même sans chercher à mettre en
cause le président Jacques Chirac pour sa manœuvre démagogique
qui avait instrumentalisé l’enjeu européen et le référendum
constitutionnel pour rebondir sur la scène politique locale après
ses déboires électoraux.
Ainsi donc, deux fois, en cinq ans, la classe politico-médiatique
française a été désavouée, sans que cela n’entraîne une réforme
des rapports entre le Pouvoir politique et les Médias au point
qu’une tendance à l’endogamie paraît se développer à en
juger par le nombre de mariages croisés entre politiciens et
journalistes.
Les Médias français se proclament et se vivent comme un «contre
pouvoir». Mais «la presse écrite et audiovisuelle est
dominée par un journalisme de révérence, par des groupes
industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux
de connivence ( ... ) Alors, dans un périmètre idéologique
minuscule, se multiplient les informations oubliées, les
intervenants permanents, les notoriétés indues, les
affrontements factices, les services réciproques ( ... ) un petit
groupe de journalistes omniprésents – et dont le pouvoir est
conforté par la loi du silence- impose sa définition de l’information-marchandise
à une profession de plus en plus fragilisée par la crainte du chômage.
Ces appariteurs de l’ordre sont les nouveaux chiens de garde de
notre système économique».
Le constat, féroce, s’apparente, par moments, à la réalité.
Il a été dressé par un journaliste du mensuel Le Monde
diplomatique» Serge Halimi, dans un opuscule au titre ravageur,
«Les Nouveaux Chiens de Garde », Editions «Raisons d’agir»,
2me édition-2005.
La forme la plus achevée de l’imbrication du journalisme au
pouvoir politique aura été le journalisme embarqué «embedded
», littéralement dans le même lit, durant la Guerre
d’Irak. Cette proximité a été jugée malsaine par bon nombre
des membres de la profession car elle faussait l’esprit critique
dans la mesure où le journaliste était littéralement incorporé
au sujet de son observation, sans la moindre distanciation.
En immersion totale avec son sujet et le combat de son
colocataire du char, sa capacité d’appréciation était
immanquablement biaisée. Cette technique a réussi à retarder,
sans totalement l’annuler, l’appréciation objective d’une
politique, comme ce fut le cas lors de l’invasion américaine de
l’Irak, en mars 2003.
(Pour ce qui est de la France, cf à ce propos l’article du même
auteur «Média et Démocratie I De la consanguinité entre
Politique et Média en France ou «l’embedded à la française».
http://renenaba.blog.fr/2007/09/06/p2935657#more2935657
II- Les Chiffres de la publicité et le
neuro-marketing
La communication tend à se substituer à l’information et
ses dérives nous renvoient à la propagande de base des régimes
totalitaires que les pays démocratiques sont censés combattre.
«Spin doctor’s», c’est le nom que l’on donne aux
Etats-Unis et au Royaume uni à ses «maîtres de l’embobine»
chargés de gérer l’opinion publique.
A la fin des années 1990, le budget américain de
l’industrie des relations publiques a dépassé celui de la
publicité. Selon une étude de John Stauber et Sheldon Rampton,
qui passent pour être les meilleurs spécialistes de la
profession et co-auteurs d’un remarquable ouvrage sur la
question (Toxic sludge is good for you- Common Courage presse
1995), le nombre des salariés des agences des relations publiques
(150.000) dépasse celui des journalistes (130.000).
Aux Etats-Unis, 40 pour cent de ce qui est publié dans la
presse est directement reproduit, sans altération, des communiqués
des «Public relations» (3) soutient Paul Moreira, producteur de
l’émission de référence de Canal + et auteur d’un ouvrage
documenté sur «Les nouvelles censures- dans les coulisses de la
manipulation de l’information» (Editions Robert Laffont février
2007).
Deux chiffres suffisent à caractériser l'Empire des Médias:
il vit aux deux tiers de la publicité, et il dépense chaque année
deux fois le budget de l'état français. Au niveau mondial, le
chiffre d'affaires mondial de la télévision, hors subventions,
est voisin de 220 milliards de dollars en 2006, dont environ 160
milliards financés par la publicité, soit 70%.
Le chiffre d'affaires mondial des journaux et magazines est voisin
en 2006 de 275 milliards de dollars, dont environ 175 milliards
financés par la publicité, soit 65%, en augmentation, avec un
maximum de 88% aux Etats-Unis. En ajoutant les radios, cela fait
environ 540 milliards de dollars par an, soit presque deux fois
les dépenses annuelles de l'état français.
«Entertainment» (divertissement) comme outil et «advertising»
(publicité) comme finalité. Le but n'est pas d'informer, mais
d'attirer assez l'attention pour faire passer le vrai produit : la
publicité. L'«information» là-dedans est un excipient comme un
autre, dont le but n'est pas d'informer mais d'attirer l'attention
et de véhiculer des messages publicitaires.
L’information devient « infotainement », une information de
divertissement. Ce qui explique en France que les grandes émissions
politiques des précédentes décennies, comme l’ «Heure de vérité»
sur France 2, faite par des journalistes, a depuis longtemps cédé
la place aux émissions de divertissement. Les hommes politiques
préfèrent, et de loin, passer chez les animateurs Michel Drucker
ou Marc Olivier Fogiel pour promouvoir leurs idées
Le temps de cerveau disponible du lecteur ou téléspectateur
humain ingurgite chaque année pour 400 milliards de dollars américains
de messages intéressés. Emis par qui? Sur les 360 milliards
fournis aux anciens médias par la publicité, selon ce document
du groupe Lagardère, 160 milliards, soit 44%, sont «attribués»
par les sept premiers groupes de publicité, qui font un chiffre
d'affaires direct d'environ 50 milliards.
La captation de l’imaginaire et le conditionnement
psychologique des consommateurs se fait à un âge de plus en plus
précoce. Selon une étude d’une équipe de chercheurs de l’Université
de Stanford (Californie), 48 pour cent des enfants âgés entre 3
et 5 ans sont conditionnés par la publicité dans leur goût
alimentaire.
Le directeur de l’équipe, le Docteur Thomas Robinson, chef du département
de pédiatrie à la Faculté de médecine de Stanford, dont les
conclusions ont été publiées, en Août 2007, dans la revue «The
Archives of Pediatrics & Adolescent Medicine, préconise de «réguler
voire de bannir la publicité et le marketing des produits
hautes-calories et à faible valeur nutritionnelle, ou d'interdire
tout marketing visant directement les jeunes enfants». D'autant,
estiment les chercheurs, qu'une telle pub est «par essence déloyale»
(inherently unfair), parce que «les moins de 7/8 ans sont
incapables de comprendre les visées persuasives de la publicité».
Avec le lancement de la campagne présidentielle française, en
2007, les publicitaires ont affiné leurs recherches et leur
ciblage. Ils se livrent désormais au «Neuromarketing», une
technique qui permet de déterminer la combinaison média idéale
qui permettre la meilleure pénétration du message. En gros,
quels médias choisir pour que ma publicité rentre bien la tête
du consommateur.
Dans le jargon professionnel, l’étude peut déterminer
l’impact d’un message publicitaire sur la «mémoire explicite»
(la mémoire consciente) ainsi que sur la «mémoire implicite»,
ce que le cerveau enregistre à l’insu de la personne.
Certes, la multiplication des sources d’information est la
garantie de la démocratie car elle permet la formation d’une
opinion libre par recoupement des connaissances.
Mais la profusion des vecteurs hégémoniques dans leur approche
globalisante, (avec le contrôle du contenant et du contenu, la
production et la distribution)
porte en elle le risque d’un dévoiement de la démocratie, par
les manipulations que les opérateurs du champ médiatique sont
tentés de procéder en vue de la satisfaction d’objectifs
personnels qui peuvent se révéler, par contrecoup, fatal tant
pour la liberté de pensée que pour la démocratie.
III- Le Langage comme marqueur d’identité
culturelle ou la guerre sémantique
Le langage est un marqueur d’identité culturelle de la manière
que les empreintes digitales, le code génétique, les mesures
anthropométriques sont des marqueurs biologiques et physiques.
L’accent, l’usage des termes, le ton révèlent l’identité
culturelle de l’être.
Sous une apparence trompeuse, (des termes généraux, lisses et
impersonnels,) le langage est codifié et pacifié. Il devient
alors un redoutable instrument de sélection et de discrimination.
Un Plan social renvoie à une réalité immatérielle
contrairement au terme douloureux de licenciement massif.
De même qu’ «externalisation et sous traitance» à des opérateurs
fonctionnant en dehors des normes de la législation sociale ou
encore «Délocalisation» et Optimiser rendement en exploitant
une main d’œuvre bon marché et surexploitée des pays pauvres
et souvent dictatoriaux, sans la moindre protection sociale, ou
enfin «Privatisation » opération qui consiste souvent à transférer
à des capitalistes d’entreprises du service public souvent
renflouées par les deniers publics, c'est-à-dire les
contribuables.
Même au niveau du discours politique le langage est aseptisé
au point que l’ancien premier ministre socialiste Pierre Mauroy
avait reproché au candidat socialiste aux présidentielles de
2002, Lionel Jospin, d’avoir gommé dans son discours le terme
de «travailleurs». Dans le langage convenu l’on préfère le
terme pudique de «Gens de condition modeste» à celui plus
parlant de «pauvres» de même pour le tandem «Exclus et «exploités».
Ou encore Classes (qui suggère idée de lutte) et couches
sociales. Couches comme couches de peinture.
Le langage est connoté. Le seul licite est le LQR «Lingua
Quintae Respublicae» (4), le langage en vogue sous la Vme République
Française, homologué, estampillé. Gare à quiconque recourt à
un langage personnalisé, forgé dans un vocabulaire qui lui est
propre. L’homme risque l’ostracisme, aussitôt mis à
l’index, affublé d’une tare absolue, irrémédiable: «ringard»,
«tricard», etc…..
La Langue substitue aux mots de l’émancipation et de la
subversion, ceux de la conformité et de la soumission. L’on prône
la fléxibilité au lieu de la précarité, dans un pays qui a érigé
la rente de situation en un privilège à vie, notamment au sein
de la haute fonction publique. Les Enarques ont une rente de
situation à vie, mais quiconque ose relever cette incongruité
est accusé de faire le lit du « populisme».
Il en est de même au niveau diplomatique: Problème du Moyen
Orient ou Question d’Orient.
Pour un problème, la réponse est unique, le problème ouvre
la voie à des experts qui doivent techniquement apporter la
solution. Mais la question d’Orient est plus floue. Une question
suggère des réponses multiples, et induit l’absence de
solution immédiate. Selon que vous utilisez un terme ou l’autre
vous serez classé « moderne et dynamique » ou «ringard».
Un exemple «Le Figaro » du 28 Août 2004 titre en
manchettes «L’aveu du président Bush», sans que le
journal ne précise en quoi consistait cet aveu, à propos de
quoi. Dix ans auparavant, tout autre journal complaisant aurait
titré:«Le président Bush admet son échec dans ses prévision
sur l’Irak». Mais si par malheur un journaliste audacieux avait
titré la stricte vérité « Bush, le grand perdant de la guerre
d’Irak », vous serez aussitôt accusé d’«anti-américanisme
primaire».
La «Novlangue» résulte de la présence de plus en plus
manifeste de décideurs- économistes et publicitaires- dans le
circuit de la communication, assurant une installation en douceur
de la pensée néo-libérale.
Guerre psychologique autant que guerre sémantique, la guerre médiatique,
vise à soumettre l’auditeur récepteur à la propre dialectique
de l’émetteur, en l’occurrence la puissance émettrice en lui
imposant son propre vocabulaire, et, au delà, sa propre
conception du monde.
Si la diffusion hertzienne est la moins polluante des armes sur
le plan de l’écologie, elle est, en revanche, la plus corrosive
sur le plan de l’esprit. Son effet est à long terme. Le phénomène
d’interférence opère un lent conditionnement pour finir par
subvertir et façonner le mode de vie et l’imaginaire créatif
de la collectivité humaine ciblée. Nulle trace d’un dégât
immédiat ou d’un dommage collatéral. Point besoin d’une
frappe chirurgicale ou d’un choc frontal. Dans la guerre des
ondes règne le domaine de l’imperceptible, de l’insidieux, du
captieux et du subliminal. Qui se souvient encore de «Tal
Ar-Rabih» (La colline du printemps)?
Près d’un siècle d’émissions successives et répétitives
a dissipé ce nom mélodieux, synonyme de douceur de vivre, pour
lui substituer dans la mémoire collective une réalité nouvelle.
“Tal AR-Rabih” est désormais mondialement connu, y compris au
sein des nouvelles générations arabes, par sa nouvelle désignation
hébraïque, Tel Aviv, la grande métropole israélienne. Le
travail de sape est permanent et le combat inégal.
Il en est de même des expressions connotées:
L’extermination d’une population en raison de ses origines
s’appelle en français «génocide». (génocide arménien en
Turquie, génocide des tutsus au Rwanda). Lui préférer
l’expression hébraïque du terme biblique de «Shoah»
(holocauste) signe son appartenance au camp pro-israélien.
Israël n’a jamais reconnu le caractère de «génocide» aux
massacres des Arméniens en Turquie au début du XX me siècle,
sans doute pour marquer le caractère unique des persécutions
dont les Juifs ont été victimes en Europe. D’abord en Russie,
les «pogroms» de la fin du XIX me siècle, puis en Allemagne et
en France durant la Seconde Guerre mondiale (1939-45).
Il en est aussi des termes antisémitisme et antiracisme.
Arabes et Juifs sont des sémites, mais l’anti-sémitisme ne
concerne que les Juifs, pour se distinguer des autres, alors que
l’anti-racisme englobe Arabes, Noirs, Musulmans, Asiatiques
etc.).
Le Président Jacques Chirac, lui-même, en fustigeant «l’antisémitisme
et le racisme» dans son discours d’adieu, le 27 mars dernier, a
consacré dans l’ordre subliminal un racisme institutionnel.
Jusqu’à présent, les pays occidentaux en général, les
Etats-Unis en particulier, auront exercé le monopole du récit médiatique,
un monopole considérablement propice aux manipulations de
l’esprit, qui sera toutefois brisé à deux reprises avec fracas
avec des conséquences dommageables pour la politique occidentale:
la première fois en Iran, en 1978-79, lors de la «Révolution
des cassettes» du nom de ces bandes enregistrées des sermons de
l’Imam Ruhollah Khomeiny du temps de son exil en France et
commercialisées depuis l’Allemagne pour soulever la population
iranienne contre le Chah d’Iran,
La deuxième fois à l’occasion de l’Irangate en 1986, le
scandale des ventes d’armes américaines à l’Iran pour le
financement de la subversion contre le Nicaragua, qui a éclaté
au grand jour par suite d’une fuite dans un quotidien de
Beyrouth «As-Shirah», mettant sérieusement à mal
l’administration républicaine du président Ronald Reagan.
Hormis ces deux cas, les Etats-Unis auront constamment cherché
à rendre leurs ennemis inaudibles, au besoin en les discréditant
avec des puissants relais locaux ou internationaux, tout en
amplifiant leur offensive médiatique, noyant les auditeurs sous
un flot d’informations, pratiquant la désinformation par une
perte de repères due à la surinformation en vue de faire des
auditeurs lecteurs de parfaits «analphabètes secondaires», pour
reprendre l’expression de l’allemand Hans Magnus Einsensberger
(5)
Non des illettrés, ou des incultes, mais des êtres étymologiquement
en phase de processus de «désorientation», psychologiquement
conditionné et réorienté dans le sens souhaité. Pur produit de
la phase de l’industrialisation, de l’hégémonie culturelle
du Nord sur le Sud, de l’imposition culturelle comme un préalable
à l’envahissement et à l’enrichissement des marchés, «l’analphabète
secondaire n’est pas à plaindre. La perte de mémoire dont il
est affligé ne le fait point souffrir. Son manque d’obstination
lui rend les choses faciles.
Une inversion radicale du schéma économique se produit et la
loi de l’offre et de la demande se décline désormais selon un
mode radicalement différent: la fabrication du désir de
consommation détermine désormais l’activité d’une
entreprise. Ce n’est plus le consommateur qui commande le rythme
de la production mais le producteur qui orchestre désormais le désir
de consommation. Le contrôle de l’appareil de production parait
compter désormais moins que la maîtrise de la demande de
consommation.
Le citoyen actif cède ainsi le pas au consommateur passif,
l’aventurier de l’esprit au télé phage, le journaliste à
l’animateur de divertissement, le patron de presse au
capitaliste, entraînant du coup le glissement du journalisme vers
le règne de l’«infotainement» néologisme provenant de la
contraction de l’information et de l’entertainement (terme américain
de divertissement). La mondialisation des flux d’information
permet ainsi la mise sous perfusion éditoriale d’un organe de
presse et par voie de conséquence la sédentarisation
professionnelle de l’information, stade ultime de l’anaphabétisme
secondaire.
Toutefois ce viol du monde par la publicité et la propagande
par la profusion des sons et des images, dans le paysage urbain,
sur les écrans dans la presse, au sein même des foyers, se
heurte à des résistances éparses mais fermes. De même que le
monopole du savoir par la technocratie est battu en brèche, sur
le plan international, par des contrepouvoirs notamment les
acteurs paraétatiques (Greenpeace, Médecins sans frontières,
Confédération paysanne), démultipliant les sources
d’information non contrôlées, de même l’informatique a développé
au niveau de l’information une sphère d’autonomie
contestataire à l’ordre mondial américain.
Chaque percée technologique s’est accompagnée d’une
parade. A la cassette du temps de la révolution khomeyniste, a
succédé le fax puis les sites Internet enfin le blog, le journal
électronique en ligne, dont le développement s’est accéléré
depuis la guerre d’Irak et la dernière campagne présidentielle
de George Bush jr (2004), des parades qui retentissent comme la
marque d’une revanche de l’esprit contestataire et de la sphère
de la liberté individuelle, en réaction au matraquage de la
propagande et la concentration capitalistique des médias.
BIBLIOGRAPHIE
1- Noam Chomsky et Edward Herman «The
manufacturing consent–La Fabrique de l’Opinion publique, la
politique économique des médias américains » Ed. Le Serpent à
plumes (2003) ».
2- Serge Halimi «Les Nouveaux Chiens de Garde»,
éditions «Raisons d’agir», 2me édition-2005.
3- Paul Moreira, producteur de l’émission
de référence de Canal + et auteur d’un ouvrage documenté sur
« Les nouvelles censures- dans les coulisses de la manipulation
de l’information» (Editions Robert Laffont février 2007).
Nota bene: l’ouvrage de John Stauber et Sheldon Rampton (Toxic
sludge is good for you- Common Courage presse 1995) est cité dans
le livre de Paul Moreira cf supra.
4- LQR «Lingua Quintae Respublicae», par
Eric Hazan, éditions « raisons d’agir »-2006
5- «Analphabètes secondaires»,
l’expression est de l’allemand Hans Magnus Enzensberger,
auteur de «Médiocrité et folie» Editions Gallimard-1991. cf à
ce propos «Aux ordres du Nord, l’ordre de l’information» de
Jacques Decornoy dans le bimestriel du journal Le Monde «Manière
de voir» N°74 «les 50 ans qui ont changé notre Monde».
René Naba
Auteur « aux origines de la tragédie arabe »
Editions Bachari 2006
« Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français »
Harmattan 2002
« Rafic Hariri, un homme d'affaires premier ministre »
- Harmattan 2000
« Guerre des ondes, guerre des religions, la bataille
hertzienne dans le ciel méditerranéen »- Harmattan 1998
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Publié le 20 septembre 2007 avec l'aimable autorisation de
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