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Opinion
Le président
Ahmadinejad à Beyrouth
René Naba
Mardi 12 octobre 2010
«Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux»
Etienne de La Béotie (Discours sur la servitude volontaire).
Iran – Liban – Israël
Le président Ahmadinejad à Beyrouth: La présence du
croquemitaine de l’Occident dans un pays pivot de la
confrontation arabo israélienne, dans une capitale, Beyrouth,
fief par excellence du clan pro saoudien des Hariri.
Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad effectuera, les 13
et 14 octobre, une visite officielle au Liban, qui constitue,
d’ores et déjà, au delà de toute autre considération, une
démonstration éclatante de la place qu’occupe désormais l’Iran
dans cette ancienne chasse gardée de l’Occident, enfant chéri de
la France.
Par son retentissement psychologique, sa portée symbolique et
sa mobilisation populaire, ce premier déplacement du président
iranien au Liban depuis les exploits militaires de son poulain
chiite, le Hezbollah libanais, en juillet 2006, contre Israël,
est comparable, toute proportion gardée, à la visite du chef de
file du combat nationaliste arabe, le président égyptien Gamal
Abdel Nasser à l’Algérie, dans la foulée de l’indépendance de ce
pays, au terme d’une guerre nationale de libération menée contre
la France, en juillet 1962.
Dans une ambiance électrifiée par les menaces ad hominem
formulées à son encontre par Israël pour le dissuader
d’entreprendre ce voyage, la présence du croquemitaine de
l’Occident dans ce pays pivot de la confrontation arabo
israélienne, qui plus est à Beyrouth, fief par excellence du
clan pro saoudien des Hariri, apparaît comme un acte de bravade
en même temps que de bravoure, face à Israël et aux pays
occidentaux, sur fond de bruits de botte tant dans le Golfe
qu’au Liban, en superposition à l’exaspération du débat sur le
dossier nucléaire iranien, sur une possible criminalisation du
Hezbollah dans l’enquête internationale sur l’assassinat de
Rafic Hariri et la persistance de l’impasse sur le règlement de
la question palestinienne.
Le Liban qui s’est abstenu, l’été dernier, lors du vote de
nouvelles sanctions contre l’Iran par le Conseil de sécurité des
Nations Unies, a voulu compenser, sa passivité lors du vote
onusien, par cette visite officielle en guise de gratitude à un
pays qui a fourni une importante contribution à la reconquête du
territoire national, via le Hezbollah, et à la restauration
urbaine du sud Liban, sinistré par l’aviation israélienne.
Deux temps forts marqueront le séjour libanais de M.
Ahmadinejad:
-Sa rencontre très attendue avec le chef charismatique du
Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’homme qui donne le tournis aux
Occidentaux et aux Israéliens de par son palmarès politique et
militaire rare dans le monde arabe, l’atout maître du tandem
syro iranien dans son bras de fer avec ses adversaires. Les deux
hommes devraient apparaître, conjointement, dans une
manifestation populaire dans la banlieue sud de Beyrouth, dans
une cérémonie en double hommage, en hommage à l’Iran pour sa
contribution à la libération du territoire libanais et à la
restauration des bourgades démolies par les Israéliens, en
hommage de l’Iran au Liban dont les exploits militaires ont
grandement élargi sa marge de manoeuvre face aux Occidentaux et
aux Israéliens.
-Son déplacement dans le sud Liban, dans la région
frontalière libano israélienne, zone de concentration de la
population chiite et théâtre de glorieux faits d’armes du
mouvement face à Israël.
Le président iranien se rendra dans deux localités qui se
sont particulièrement distinguées dans leur résistance à la
contre offensive israélienne dans la phase finale du conflit de
juillet 2006. En plein débat sur la stratégie militaire
libanaise et sur sa politique d’achat d’armes, il entend ainsi
réaffirmer, par sa présence physique sur le champ de bataille,
la vigueur de la stratégie de résistance à l’hégémonie israélo
saoudo américaine dans la zone.
Bravant son ennemi qui le menace de vitrification, faisant fi
du survol incessant de l’aviation israélienne de l’espace aérien
libanais, le président Ahmadinejad se rendra à la pointe extrême
du Liban méridional, à Maroun el Ras, la bourgade mitoyenne
d’Israël, se plaçant ostensiblement à portée de voix de l’Etat
Hébreu, au lieu dit «la porte de Fatima», dans l’ancienne zone
de déploiement et d’infiltration des supplétifs de l‘armée
dissidente des généraux Saad Haddad et Antoine Lahad, pour
prononcer un grand discours de politique internationale depuis
Bint Jbeil, dans ce qui apparaît comme une démonstration de
force contre les manoeuvres d’intimidation d’Israël et de son
allié américain.
Bint Jbeil revendique en effet le rare exploit d’avoir mis
hors circuit une quarantaine de soldats israéliens, en deux
temps, lors des confrontations libano israéliennes. En 2006, une
dizaine de soldats israéliens ont été tués dans la dernière
contre offensive précédant le cessez le feu. En 1982, une
trentaine de soldats israéliens avaient péri sous les décombres
du PC israélien dynamité par un commando suicide.
Haut lieu de la résistance Libanaise, le choix de la bourgade
n’est nullement anodin. Il traduit la volonté de l’Iran de faire
honneur «au choix des armes», de saluer les vainqueurs des
Israéliens, en rendant hommage à la bravoure de ses défenseurs,
28 ans après le dynamitage du PC israélien lors de l’invasion
israélienne du Liban, en 1982. Initiateur des premiers attentats
suicide au Liban, si meurtriers par la suite pour les forces
occidentales et israéliennes opérant dans le pays, l’attaque
contre le PC israélien, aux premiers jours de l’invasion de juin
1982, avait décapité le commandement des forces d’assaut, tuant
le chef du bataillon israélien au sud Liban et une trentaine de
ses collaborateurs, retardant leur progression vers Beyrouth.
L’Iran qui a fourni une assistance financière de près d’un
milliard de dollars pour la restauration de la banlieue sud de
Beyrouth, fief du Hezbollah où près de 250 immeubles ont été
détruits par l’aviation israélienne, en juillet 2006, a assuré
la réhabilitation urbaine de Maroun ar Rass, et, le goudronnage
de la route frontalière reliant la bourgade chrétienne de
Marjeyoun à Nakoura, le poste frontière libano israélien,
fluidifiant la circulation dans cette zone escarpée. L’Iran
devrait d’ailleurs allouer au Liban un prêt, à long terme, à
faible taux d’intérêt, d’une valeur de 450 millions de dollars,
dans le cadre d’un accord de coopération dans le domaine de
l’énergie, visant à pallier les pénuries de courant fréquents
dans un pays gouverné depuis près de vingt ans par le clan
Hariri, et dont la dette publique est de l’ordre de cinquante
milliards (50) milliards de dollars.
La visite de M. Ahmadinejad au Liban est la première d’un
président iranien depuis celle de Mohammed Khatami, en mai 2003.
C’est au cours de cette visite, survenue dans la foulée de la
chute de Bagad, que le président réformiste iranien avait
formulé la stratégie iranienne visant à faire face à la
vassalisation du Moyen orient à l’ordre israélo américain, par
la mise en place d’un cordon sanitaire formé par un quatuor de
quatre pays (Iran, Syrie, Liban Hezbollah et Palestine Hamas),
désigné par le vocable de la constellation des «Douwal al
Moumanaha’’», un système de pré alerte constitué par les pays de
l’immunisation contre le virus de la soumission.
Précédée d’une importante démonstration de la solidité des
relations syro iraniennes, matérialisée par deux sommets Bachar
el Assad Ahmadinejad, -le 13 septembre à Damas, et le 2 octobre
à Téhéran-, la présence de M. Ahmadinejad à Beyrouth constitue
aussi une réplique à une montée de tension dans le Golfe après
l’annonce d’un important contrat d’armement entre les Etats-Unis
et les pétromonarchies, de l’ordre de 123 milliards de dollars à
quatre pays (Arabie saoudite, Koweït, Emirats arabes Unis et
sultanat d’Oman) visant à renforcer leur capacité défensive face
à l’Iran.
Qualifiée de «provocation» par les Etats-Unis, elle
intervient de surcroît alors que le gouvernement pro occidental
de Saad Hariri paraît sur la défensive du fait des révélations
du camp antioccidental au Liban sur le noyautage israélien du
réseau libanais des télécommunications, et, sur les
dysfonctionnements du Tribunal Spécial sur le Liban résultant de
la présence de faux témoins dans l’enquête sur l’assassinat de
l’ancien premier ministre.
La Syrie et l’Arabie saoudite se sont portés garants de la
stabilité du Liban lors d’une visite conjointe du Roi Abdallah
d’Arabie et du président syrien Bachar al Assad, fin juillet, au
Liban, qui a scellé une entente tacite entre les deux pays
arabes, longtemps rivaux au Liban.
Cette entente portait sur la neutralisation du Tribunal
spécial sur le Liban, en contrepartie de la préservation par la
Syrie du leadership du clan Hariri sur la communauté sunnite du
Liban, et, partant, sur sa prééminence gouvernementale par
rapport aux autres familles sunnites libanaises, aspirant aux
mêmes responsabilités.
Le premier ministre libanais a admis, fin Août, que le
Tribunal Spécial sur le Liban chargé de déterminer les
responsabilités dans l’assassinat de son père avait été mu par
des motivations politiques et que la présence de faux témoins
dans la phase préliminaire de l’enquête avait nui à sa bonne
marche. Mais le chef du clan saoudo américain au Liban s’est
abstenu de tirer les conséquences de cet aveu, à savoir la
traduction en justice des faux témoins, et, à défaut d’une mise
en cause, à tout le moins, la mise en question du fonctionnement
de l’institution internationale. Face à ses atermoiements, la
Syrie a lancé un mandat d’arrêt par défaut contre 33 personnes,
ayant participé à la campagne visant à la discréditer dans cette
affaire, incluant la garde rapprochée de Saad Hariri.
L’Arabie saoudite, le meilleur allié arabe des Etats-Unis, le
principal bailleur de fonds de ses équipées militaires dans la
sphère arabo musulmane, le plus gros client de son industrie
d’armement, n’aurait pas réussi à infléchir la position
américaine sur le tribunal spécial sur le Liban, dont l’acte
d’accusation devrait être rendu public à l’automne 2010.
Caution arabe à l’invasion américaine de l’Irak et à la
«déstabilisation constructive» du Liban, selon le schéma et les
slogans de la firme publicitaire américaine «Saatchi and
Saatchi», aiguillonnée par le Département d’état, l’Arabie
saoudite pourrait être la grande perdante de la chute du régime
baasiste irakien et des exploits militaires du Hezbollah
libanais, conséquence du pari malheureux du royaume sur la
politique néo conservatrice américaine.
A défaut d’une compensation politique de la part de la Syrie
et de l’Iran en Irak, un pays qui lui est limitrophe, à l’effet
de lui redonner quelque crédit, le royaume pourrait
difficilement inciter son poulain libanais à une plus grande
flexibilité dans l’épreuve de force qui se déroule au Liban, au
risque d’un camouflet supplémentaire au niveau du leadership
sunnite libanais.
Mais le comportement dilatoire du clan Hariri sur la
responsabilité du camp pro occidental dans l’instrumentalisation
de la justice pénale internationale pour la préservation de son
leadership local fait peser, par contrecoup, un risque sur la
longévité gouvernementale de M. Saad Hariri, à l’effet
d’entraîner le Liban dans un nouveau cycle de violences.
La coalition pro occidentale, notamment le premier ministre
de l’époque, Fouad Siniora, avait accueilli à bras ouverts, avec
forces accolades, Condoleeza Rice, secrétaire d’état américain,
en juillet 2006, à Beyrouth, en plein bombardement destructeur
israélien des infrastructures libanaises. Elle a émis, cette
fois, des «réserves» concernant la visite du président iranien,
allié majeur du Hezbollah, l’artisan de la libération du
territoire national.
Depuis son accession au pouvoir, Saad Hariri a repris, à six
reprises, le chemin de Damas pour des entretiens avec les
dirigeants syriens, mais, ce sera la première fois que l’homme
lige des néo conservateurs saoudiens au Liban rencontrera le
chef de file du courant révolutionnaire chiite, alors que ses
contacts avec Damas sont quasiment interrompus depuis le
lancement, le 3 octobre, de mandats d’arrêts internationaux à
l’égard des principaux collaborateurs politiques et militaires
du premier ministre libanais pour leur participation dans la
fabrication des «faux témoins» du procès Hariri.
Pays frontalier de l’Irak et de l’Afghanistan, les deux plus
importants abcès de fixation de l’armée américaine de l’époque
contemporaine, bordant tout aussi bien le golfe arabo-persique
que l’Océan indien, l’Iran représente l’une des plus fortes
concentrations industrielles de la zone intermédiaire qui va de
sud de l’Europe aux confins de l’Inde. La réussite de sa
stratégie d’autosuffisance technologie et militaire valoriserait
son poids régional, de la même manière qu’un succès politique ou
militaire du Hezbollah chiite libanais ou du Hamas sunnite
palestinien réhabiliteraient l’esprit de résistance face à la
finlandisation des esprits en cours dans le monde arabe, à
l’effet de réhabiliter la guérilla criminalisée sous l’ère Bush
au prétexte de la «guerre contre le terrorisme».
Le succès iranien ferait en outre perdre à Israël son statut
de relais stratégique majeur de l’Occident dans la zone et
frapperait de caducité l’option arabe de vassalisation à l’ordre
israélo américain, déterminant du coup la nouvelle hiérarchie
des puissances dans l’ordre régional. Tel est le véritable
enjeu, sans doute le plus important par sa force d’attraction
symbolique, de la confrontation irano israélienne, dont le Liban
en est le théâtre dérivé.
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partielle de cette page faite sans le consentement écrit de René
Naba serait illicite (Art L.122-4), et serait sanctionnée par
les articles L.335-2 et suivants du Code.
Publié le 13 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
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