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Actualité
Le Tribunal spécial sur le Liban à
l'épreuve de la guerre de l'ombre
Part 2/3
René Naba
Paris, le 10 août 2010
III -Les Libanais «des analphabètes
secondaires»,
Le Liban,
banc d’essai de la théorie de la désorientation informative et
de la dissension sociale
La neutralisation de cet important lot d’agents pro
israéliens, dont un officier supérieur en charge de la lutte
antiterroriste au sein du renseignement militaire libanais, le
général Fayez Karam, fait gravissime, proche collaborateur du
général Michel Aoun, principal allié chrétien du Hezbollah,
témoigne du degré d’infiltration d’Israël dans l’appareil
libanais. Il révèle, par contre coup, la porosité de la société
libanaise et sa vulnérabilité. Une société pourtant l’une des
plus rebelles du monde arabe, mais, paradoxalement, la plus
affligée par le phénomène de désorientation informative, la plus
affectée par la théorie de la dissension sociale.
Théâtre de la première et de la plus longue guerre civile
urbaine de l’époque contemporaine, le terrain y est davantage
propice aux manipulations du fait de la division ethnico
communautaire du pays, l’institutionnalisation du
confessionnalisme en tant que mode de gouvernement, et, du
communautarisme en tant qu’horizon indépassable de la société.
Ce phénomène s’est amplifié du fait de la guerre intestine par
l’effondrement des structures familiales et la recomposition des
alliances claniques, donnant lieu à une prolifération de
groupuscules se proposant de développer des solidarités
parallèles en marge des réseaux habituels. Un phénomène
accentué par un vigoureux prosélytisme religieux d’origine anglo
saxonne, particulièrement au sein des couches paupérisées de la
population, ainsi que par la cupidité à tout crin d’une fraction
du patronat libanais mû par un capitalisme cosmopolite apatride.
Pionnier d’un journalisme pluraliste, voire quasi anarchique, le
Liban comptait déjà, à son indépendance en 1943, 132
publications dont 17 quotidiens et 15 revues hebdomadaires pour
une population de 1,5 millions d’habitants et une superficie de
10.400 km2, record mondial absolu pour la densité démographique
per capita, alors que la presse du Golfe était encore à ses
premiers balbutiements et que l’analphabétisme était le lot
général d’une grande fraction de l’ensemble arabe. Vingt ans
plus tard, à la faveur de la guerre civile (1975-1990), sous
l’impulsion des factions combattantes, le Liban se flattait de
disposer d’une cinquantaine de télévisons privées et de plus de
cent cinquante stations radio, faisant du pays par rapport à sa
population de quatre millions d’habitants, la plus forte
concentration médiatique du Moyen orient et sans doute du tiers
monde.
Véritables rhéteurs de la géostratégie mondiale, non sans
quelque prétention parfois, davantage portés sur la casuistique
que sur la dialectique, –Byzance et sa querelle sur le sexe des
anges est à portée de vol de Beyrouth–, les Libanais, sont, en
fait, dans le domaine de l’information, au-delà des apparences,
les victimes privilégiées d’un processus de désinformation par
la surinformation, de véritables «analphabètes secondaires», un
phénomène qui se traduit par une perte de repères, un état
propice à toutes les manipulations, propices à tous les
emballements qui expliquerait cette disponibilité libanaise à la
sous traitance des guerres pour le compte d’autrui.
Plus
connue dans le langage journalistique sous le nom de «théorie du
combat des chiens», la théorie de la dissension sociale,
corollaire de la désinformation, consiste à exacerber
les antagonismes sociaux et à susciter la guerre civile entre
communautés en vue de faire diversion sur un conflit majeur ou
de préparer la partition du pays. Expérimentée au Liban, lieu de
préfiguration des guerres d’épuration ethnique de l’ère post
soviétique, cette théorie a été mise en œuvre avec succès dans
l’ancienne Fédération de Yougoslavie, en Irak et en Afghanistan
par Peter Galbraith, fils de l’économiste John Kenneth
Galbraith, ancien interface pour le compte de la CIA de Benazir
Bhutto, ancien premier ministre du Pakistan, assassinée en 2007.
Tout au
long d’une séquence d’un demi-siècle, les pays occidentaux en
général, les Etats-Unis en particulier, auront exercé le
monopole du récit médiatique, particulièrement en ce qui
concerne le Moyen orient, un monopole considérablement propice
aux manipulations de l’esprit, qui sera toutefois brisé,
avant la percée médiatique de la chaîne transfrontière «Al-Jazira»,
à deux reprises avec fracas, avec des conséquences dommageables
pour la politique occidentale: la première fois en Iran, en
1978-79, lors de la «Révolution des cassettes» du nom de ces
bandes enregistrées des sermons de l’Imam Ruhollah Khomeiny du
temps de son exil en France et commercialisées depuis
l’Allemagne pour soulever la population iranienne contre le Chah
d’Iran. La deuxième fois à l’occasion de l’Irangate en 1986, le
scandale des ventes d’armes américaines à l’Iran pour le
financement de la subversion contre le Nicaragua. Un scandale,
est-il besoin de le rappeler, qui a éclaté au grand jour par
suite d’une fuite dans un quotidien de Beyrouth «As-Shirah»,
mettant sérieusement à mal l’administration républicaine du
président Ronald Reagan.
Hormis
ces deux cas, les Etats-Unis et Israël auront
constamment cherché à rendre leurs ennemis inaudibles, au besoin
en les discréditant avec des puissants relais locaux ou
internationaux, tout en amplifiant leur offensive médiatique,
noyant les auditeurs sous un flot d’informations, pratiquant la
désinformation par une perte de repères due à la surinformation
en vue de faire des auditeurs lecteurs de parfaits «analphabètes
secondaires». Non des illettrés, ou des
incultes, mais des êtres étymologiquement en phase de processus
de «désorientation», psychologiquement conditionné et réorienté
dans le sens souhaité, dont l’ignorance constitue,
paradoxalement, une marque de supériorité.
«Pur produit de la phase de l’industrialisation, de
l’hégémonie culturelle du Nord sur le Sud, de l’imposition
culturelle comme un préalable à l’envahissement et à
l’enrichissement des marchés, l’analphabète secondaire n’est pas
à plaindre. La perte de mémoire dont il est affligé ne le fait
point souffrir. Son manque d’obstination lui rend les choses
faciles. Il apprécie de ne pouvoir jamais se concentrer et tient
pour avantages son ignorance et son incompréhension de tout ce
qui lui arrive», soutient l’auteur de l’expression, l’allemand
Hans Magnus Einsensberger, dans un
ouvrage au titre prémonitoire «Médiocrité et folie».
La
frénésie diplomatique occidentale au Liban, sans pareille
partout ailleurs dans le monde, a conduit un intellectuel
libanais, l’économiste Georges Corm, ancien ministre des
finances, a asséné un vigoureux rappel à
l’ordre aux « Chers ambassadeurs des grandes puissances»:
«Vous vous fondez si bien dans le paysage politique que l’on en
vient à oublier que vous êtes des ambassadeurs et l’on vous
compte le plus souvent comme faisant partie des plus hautes
autorités responsables du pays. (…) Dans les périodes de crise,
votre passion pour le Liban est telle que vous n’hésitez pas à
vous adresser publiquement et directement à nous, en faisant fi
des conventions de Vienne», écrira-t-il dans une lettre ouverte
publiée le 16 juillet 2010 dans la revue libanaise «Magazine».
A des
moments cruciaux de son histoire, le Liban a constitué une
passoire, mais le plus petit pays arabe a quelque peu compensé
cette faille en enregistrant deux faits d’armes glorieux contre
Israël, en 2000 et en 2006, unique pays arabe à revendiquer un
tel palmarès, unique pays arabe à avoir provoqué un dégagement
militaire israélien de son territoire, sans négociations, ni
traité de paix. A sa décharge, toutefois, comparaison n’est pas
raison, le Liban ne détient pas le monopole de la connivence
israélienne.
Des
instructeurs israéliens sont présents en Irak, particulièrement
dans la zone kurdophone, pour l’encadrement et la formation des
soldats kurdes, les anciens peshmergas,
sollicités pour des opérations de maintien de l’ordre à Bagdad
au cours du premier semestre de 2007. Le magazine News
night du 19 septembre 2006 avait présenté des images exclusives
de vastes installations et de ces entraînements. Interop et
Colosseum, deux sociétés israéliennes de mercenariat serviraient
de couverture à cette activité de l’armée israélienne.
Les officiers transiteraient par Djibouti pour masquer leur
origine. Les Israéliens auraient pris la succession de sociétés
américaines de mercenariat, déjà présentes au Kurdistan irakien
depuis la création de la zone de non survol, à l’issue de
l’opération Tempête du désert, en 1991. Ces deux sociétés
agissent de concert avec le Shin Beth, les services de
renseignements israéliens, et, s’agissant du Moyen-Orient, en
coordination avec le bureau des «minorités périphériques», le
vocable par lequel les services israéliens désignent les
ressortissants des pays arabes qu’ils croient susceptibles de
collaborer avec eux, comme ce fut le cas lors de la guerre du
Liban avec les Forces Libanaises (1975-2000), et comme c’est le
cas dans la nouvelle guerre d’Irak.
Sous
couvert de double nationalité, des Israéliens sont présents sous
uniforme de l’armée américaine, depuis 2003, comme spécialistes
de la guérilla urbaine à Fort Bragg. C’est dans ce centre des
forces spéciales américaines, en Caroline du Nord, que fut mise
sur pied la fameuse Task Force 121 qui, avec des
peshmergas de l’UPK du président irakien Jalal Talabani, procéda
à l’arrestation de l’ancien président irakien Saddam Hussein. La
coopération israélo américaine se développa en outre sur le
terrain extrajudiciaire avec la liquidation de 310 scientifiques
irakiens entre avril 2003 et octobre 2004. Des hommes d’affaires
israéliens interviennent en outre comme sous-traitants de
sociétés jordaniennes ou turques sur le marché irakien.
En 2008, le site Internet Roads to Iraq
décomptait 210 entreprises israéliennes intervenant masquées sur
le marché irakien, véritable aubaine pour les agents recruteurs
du Mossad. Le Roi Hussein de Jordanie passe pour avoir
été un «indic» de la CIA et la dynastie marocaine bride mal son
tropisme israélien exacerbé, comme en témoignent le concours du
Mossad à l’élimination du chef de l’opposition marocaine Mehdi
Ben Barka et le déploiement de l’Institut Amadeus, sous traitant
officieux de la diplomatie marocaine. Sans compter l’Arabie
saoudite, principal bénéficiaire des coups de butoir d’Israël
contre le noyau dur du Monde arabe.
IV – Une parodie de justice, un vaudeville
tragique
Ni le
cinéaste américain Mel Brooks, Ni Eddy Murphy, ni aucun autre
facétieux d’Hollywood n’aurait imaginé pareil vaudeville
tragique. En cinq ans de fonctionnement, le tribunal
aura accumulé les faux pas, comme en un comique de répétition,
privilégiant, sans craindre la subornation de témoins, une
enquête à charge, exclusivement à charge contre la Syrie
d’abord, ses alliés au Liban ensuite, incarcérant
arbitrairement quatre officiers supérieurs libanais, qu’il sera
contraint de relâcher, quatre ans plus tard, faute de preuve.
Une désinvolture qui a entraîné une cascade de
démission, -cinq en deux ans, deux procureurs et deux greffiers
en chef et une porte parole- (7), faisant du Tribunal spécial
sur le Liban, unique tribunal ad hoc en la matière, la risée
universelle.
Un magma
absolu. Un capharnaüm. Décryptage.
L’incarcération des généraux Jamil Sayyed et Ali al Hajj avait
pour objectif déguisé d’écarter des postes sensibles des
services de sécurité des responsables de confession chiite,
particulièrement avertis de l’affairisme syro-haririen, pour
leur substituer des sunnites (le général Achraf Riffi et le
colonel Wissam al Hassan), en phase avec les desiderata des
revanchards,
Jacques Chirac et Saad Hariri, le tandem à l’origine de la mise
en œuvre du Tribunal international. Achraf Riffi a été promu
général, en avril 2005, deux mois après l’assassinat de Rafic
Hariri et propulsé à la tête des forces de sécurité. La
désignation à la vindicte publique des quatre officiers
supérieurs hâtivement impliqués et arbitrairement incarcérés
pour leur rôle présumé dans l’attentat anti-Hariri répondait au
souci des dirigeants pro occidentaux de neutraliser des «témoins
gênants». L’instrumentalisation de magistrats libanais pour une
besogne contraire à la souveraineté de la justice libanaise en
vue de valider la piste syrienne dans l’assassinat de Rafic
Hariri, a desservi la cause de la justice internationale et de
la magistrature libanaise, dont l’épilogue a fait l’effet d’un
coup de massue, sur le plan psychologique, sur le camp
occidental. Les généraux Jamil Sayyed, directeur de la
sûreté nationale, Ali Hajj, directeur des renseignements
généraux, Raymond Azar, directeur du renseignement militaire, et
Moustapha Hamdane, chef de la garde présidentielle, étaient
détenus depuis le 30 août 2005. Le juge a jugé leur dossier trop
léger pour les maintenir en détention. Aucun d’eux,
curieusement, n’a fait l’objet d’une inculpation. Aucun d’eux,
non moins curieusement, n’a été réintégré dans ses fonctions, ni
fait l‘objet d’aucune réparation morale ou matérielle. Leur
Libération, le 29 avril 2009, a retenti comme un camouflet pour
leurs détracteurs.
Marwane
Hamadé, un vibrionnaire pourfendeur du Hezbollah à la tête d’un
ministère noyauté par les Israéliens
L’antenne pirate israélienne du relais hertzien du Mont Barouk
est située dans la région montagneuse du Chouf, fief de Walid
Joumblatt, partenaire de Saad Hariri dans la révolte anti
syrienne. Son installation s’est faite sous le mandat du
lieutenant de Walid Joumblatt du temps de son passage au
ministère des télécommunications, Marwane Hamadé, à une période
charnière allant de 2005 à 2008, c’est-à-dire du début de
l’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri,
principalement fondée sur le décryptage de communications
biaisées par les services israéliens, à son épreuve de force
avec le Hezbollah en mai 2008, en passant à la guerre de juillet
2006 où il s’était placé à l’avant-garde de la dénonciation du
mouvement chiite. Le plus ferme partisan du
démantèlement du réseau de transmission autonome du Hezbollah
s’est trouvé être, curieusement, à la tête d’une administration
noyautée par les taupes israéliennes: Un des grands
experts de l’OGERO, Milad Eid, l’organisme gestionnaire du câble
sous marin reliant Beyrouth au Sud Liban, la zone de déploiement
du Hezbollah, s’est révélé être un grand espion d’Israël et le
régulateur des transmissions filaires de l’Etat libanais équipé
d’un logiciel de conception israélienne.
Habituellement prolixe particulièrement dans les médias
français, Marwane Hamadé, vibrionnaire pourfendeur de
l’omnipotence du Hezbollah, est mutique depuis la révélation du
noyautage de son ancienne administration.
L’interlocuteur privilégié du proconsul américain Jeremy Feltman,
le chouchou de Bernard Kouchner, ministre français des affaires
étrangères qu’il avait mis dans la confidence au sujet de
l’assaut contre le système des communications du mouvement
chiite ne s’est jamais expliqué sur le fait d’attribuer à une
société israélienne KAPIRA, sous couvert d’une société écran
française, la gestion des communications transitant par
l’organisme gouvernemental OGERO, ni sur son comportement à tout
le moins désinvolte sur l’ensemble du dossier. En plein
naufrage politique, le flamboyant stratège de «la révolution des
Cèdres» n’est maintenu au seuil de la ligne de flottaison que
par la volonté de son mentor Joumblatt. L’homme le plus détesté
de la banlieue sud de Beyrouth a dû se faufiler, sous forte
escorte, dans le cortège funéraire lors des obsèques de Cheikh
Mohamad Fadlallah, guide spirituel de la communauté chiite
libanaise, en juillet 2010, en vue de la présentation de ses
condoléances, dans une démarche interprétée comme une forme de
repentance, signe indiscutable de la disgrâce d’un homme au halo
de «martyr vivant» écorné.
Se
pose alors la question du bien fondé de sa requête. N’aurait
elle gagné en crédibilité si elle avait été précédée d’une
épuration de son ministère des espions israéliens ? Par
extension, se pose la question de savoir si l’attentat dont il a
été victime, en 2004, dans la foulée de la résolution 1559 de
l’ONU enjoignant la Syrie à retirer ses forces du Liban,
constituait un coup de semonce de ses adversaires contre son
trop grand tropisme occidental? Ou bien s’agissait-il d’une
tentative de camouflage pour le crédibiliser dans sa démarche
qui s’est révélée a posteriori criminelle en ce qu’elle aurait
débouché, si elle avait abouti, à la paralysie complète du
Hezbollah, voire à son anéantissement, dans son combat contre
Israël ? La même question se pose en ce qui concerne
Elias el Murr, autre girouette de la vie politique libanaise,
beau frère de Gébrane Tuéni, et, surtout gendre du président
Emile Lahoud, victime lui aussi d’un attentat en 2005 dans la
mesure ou l’antenne pirate israélienne a été greffée sur
l’antenne pilote de Murr TV (MTV), la propre chaîne de la
famille du ministre libanais de la défense. La question mérite
d’être posée à l’égard de cibles nullement anodines sur cette
coïncidence curieuse et troublante.
La
profusion des faux témoins, une dizaine au total, record mondial
absolu de tous les temps, fera du tribunal spécial un véritable
capharnaüm. Telle une curée sur un magot, appâtée à coups de
dépositions monnayées, la profusion ne relevait certainement pas
du hasard. Elle résultait des calculs des divers protagonistes
de la coalition occidentale dans la satisfaction de leurs
objectifs, complémentaires dans leur finalité mais
contradictoires dans leurs priorités.
Le faux
transfuge des services de renseignement syriens, Zouheir Siddiq
(8), présentait une aubaine pour le tandem Hariri-Chirac pour
l’implication de la Syrie.
Théâtrale en diable, c’est lui qui a pris l’initiative de
convier à sa résidence de Marbella, (Espagne), Detliv Mehlis
pour lui narrer son témoignage, aux mépris des règles
élémentaires de la procédure. Et l’inspecteur allemand,
sans crainte du ridicule, de s’empresser d’opiner, sans le
moindre recoupement de précaution. Ténébreux personnage, c’est
lui qui a désigné, en premier, les quatre officiers supérieurs
libanais dans l’attentat anti-Hariri, de même que le beau frère
du président Bachar al Assad, le colonel Assaf Chawkat, chargé
de la sécurité du régime syrien. Témoin clé, il sera traité avec
tous les égards dus à son rang de Témoin Roi. Un roi vénal. Son
témoignage aurait été monnayé pour la coquette somme de cinq
millions de dollars, un fait qu’il aurait lui-même clamé sur le
réseau hertzien au cours d’une communication cellulaire avec un
membre de sa famille. Siddiq aurait avoué à son frère être
devenu «millionnaire» en récitant ce qu’il lui avait
été demandé de dire, notamment les noms de sept officiers du
renseignement syrien et de quatre généraux libanais prétendument
impliqués dans l’assassinat. Durant son séjour en France, il
résidait dans la localité cossue de Chatou, dans la région
parisienne, gracieusement, aux frais du contribuable français.
Devenu témoin encombrant pour Jacques Chirac, le pensionnaire
posthume de son ami assassiné, Siddiq sera expulsé vers les
pétromonarchies du Golfe, alors que le Liban réclamait son
extradition, exfiltré à l’aide d’un faux passeport délivré par
Nicolas Sarkozy à l’époque ministre de l’intérieur. Convoyé par
deux officiers français, il sera remis à Abou Dhabi aux services
de sécurité égyptiens et maintenu depuis lors sous bonne garde.
Le
saoudien Faysal Akbar (9), par sa revendication de son
appartenance à «Al Qaida» et sa connexion syrienne,
représentait, quant à lui, un parfait alibi pour
l’administration Bush en vue de la mise en cause de la Syrie, et
de la justification de l’invasion de l’Irak et de la poursuite
de la «Guerre contre le terrorisme».
L’homme a avoué sa participation à l’assassinat de Rafic Hariri,
annonçant au passage aux enquêteurs, tel un appât, sa proximité
avec Aboul Moussab Al Zarkaoui, le commandant opérationnel d’Al
Qaida en Irak….de quoi faire rêver le renseignement
américain sur une possible capture de Oussama Ben Laden, leur
ennemi public n° 1. Il se rétractera par la suite accusant
des «étrangers» de lui avoir soufflé le nom d’Assaf Chawkat,
beau frère du président syrien Bachar al Assad, en tant
que commanditaire de l’assassinat de Rafic Hariri.
Un
troisième faux témoin, Ahmad Merhi, au palmarès à faire pâlir
Illich Ramirez Sanchez, le fameux Carlos, le croquemitaine de
l’Occident de la décennie 1970-1980, a prétendu, lui, avoir
trempé dans tous les complots tramés depuis le 11 septembre 2001
(attentat de New York) au 14 Février 2005 (Assassinat Hariri).
Il s’arrangera pour entrer dans les bonnes grâces des services
de renseignements du Danemark.
En échange de la protection danoise, il leur offrira sa
collaboration dans la dénonciation des meneurs des
manifestations anti danoises dans le Monde arabe, organisées à
la suite de la publication des caricatures du prophète dans un
journal danois. Cet indic multicarte se révélera être surtout
impliqué dans l’assassinat du ministre libanais de l’industrie,
Pierre Gemayel, le fils de l’ancien président de la république
Amine Gemayel, et mêlé aux troubles du camp palestinien de Nahr
el Bared (Nord-Liban).
Un
quatrième, un syrien trafiquant de drogue, Akram Chakib Mourad,
extralucide, aurait repéré la Mitsubishi, la camionnette qui a
déclenché l’explosion, six mois avant son vol et son affectation
à la mission suicide au Liban, alors qu’elle était encore au
Japon. Il aurait même avoué l’avoir aperçu dans la banlieue sud
de Beyrouth, le fief du Hezbollah alors qu’elle se trouvait
encore au Japon.
Un
cinquième, un palestinien agent du Mossad, condamné par la
justice militaire et expulsé du Liban, en 2003, y reviendra, en
2005, sous une nouvelle identité, à l’aide d’un passeport
suédois pour déposer cotre la Syrie et ses alliés libanais.
Expulsé du Liban sous le nom de Abdel Basset Bani Awdah, il
reviendra sous le nom de Antonius Bani Awdah estampillé sur un
passeport suédois.
L’allemand Detliv Mehlis, qui lui avait promis le financement
d’une opération de chirurgie esthétique pour le rendre
méconnaissable, lui conférera la protection découlant du statut
de «témoin privilégié. Il cloisonnera l’affaire et conservera
par devers lui son témoignage, dont il s’en servira comme d’un
fil conducteur dans son enquête, jaloux de son butin, ne
partageant ses informations avec aucun autre de ses collègues
jusqu’à la découverte du pot aux roses.
Curieusement, la piste de l’unique personne qui a revendiqué
publiquement l’assassinat, Ahmad Abou Addas, le jour de
l’attentat depuis la chaîne transfrontière «Al Jazira» a été
négligée. L’homme habitant du secteur ouest de Beyrouth, avait
disparu de son domicile trois semaines avant l’attentat et sa
disparition signalée par son père aux services de police. «Salafiste
Jihadiste», selon la désignation dont il se revendiquait, il
vouait aux gémonies «tous les dirigeants arabes qui gouvernaient
d’une manière contraire à la volonté de Dieu » et tenait des
propos hostiles à Rafic Hariri.
Les
connexions sulfureuses de Gébrane Tuéni.
Pis,
dernière et non la moindre des anomalies, le «héros martyr» de
la presse libanaise, Gébrane Tuéni, pour stupéfiante que cela
puisse paraître, entretenait des relations d’affaires avec la
Mafia. Le symbole du printemps de la liberté du Liban et fer de
lance du combat anti syrien louait sa voiture blindée aux fins
de rentabilisation de son coût à un chef de gang libanais
opérant au sein de la Mafia en Bulgarie.
Le
véhicule blindé, acquis à 350.000 dollars, était loué à raison
de mille dollars par jour, durant les nombreux déplacements à
l’étranger du directeur du journal «An-Nahar». Les deux derniers
locataires de cette voiture étaient un mafieux libanais opérant
en Bulgarie et un ancien garde de corps du chef d’une formation
milicienne de la droite libanaise, recyclé par les affaires
mafieuses en Europe orientale. La voiture a été rendue à
son propriétaire la veille du retour de M. Tuéni de Paris. Les
enquêteurs internationaux et la presse occidentale ont toujours
incriminé la Syrie, sans jamais soulever l’hypothèse d’un
règlement de comptes mafieux visant le locataire et non le
propriétaire de la voiture, ou l’hypothèse d’une connexion entre
l’attentat et les activités de l’ancien garde du corps milicien,
un attentat par défaut en somme. Le préposé au louage,
en fait le rabatteur de cette clientèle glauque, était lui-même
en relations d’affaires avec le syrien Hassam Hassam, un autre
grand faux témoin, faisant de cette enquête internationale un
véritable nœud de vipère par son déroulement et
ses effets dévastateurs sur la paix civile
libanaise.
Un «prix
Gébrane Tuéni» est décerné chaque année à un journaliste arabe
qui s’est distingué dans le domaine de la Liberté de la presse,
sans que le bénéficiaire ou le public, voire même le jury, ne
soient avertis des connexions sulfureuses du journaliste, passé
à la postérité en tant comme symbole du combat démocratique au
Liban et dans le monde arabe, alors qu’il était généralement
décrié au sein de l’opinion libanaise comme le parfait
représentant des alliances rotatives du Liban de l’après guerre
avec le pouvoir et le pouvoir de l’argent, tout comme d’ailleurs
son oncle Marwane Hamadé et son beau frère Elias el Murr, trois
politiciens qui auront sinistré l’engagement politique par leur
contorsionnement permanent. Sauf à entretenir la confusion
mentale et la perdition morale, quelles vertus pédagogiques
recèle l’exaltation des êtres de grande versatilité et de
moindre moralité pour l’ édification civique des générations
futures ?
Un
véritable capharnaüm.
Le
journal Al-Akhbar qui a consacré, fin juillet 2010, un dossier
complet sur le dysfonctionnement du Tribunal spécial, a énuméré
le nom d’une dizaine de faux témoins (Zouheir Siddiq, Faysal
Akbar, Ahmad Merhi, Hassam Hassam, Abdel Basset Bani Awdah,
Ibrahim Jarjoura, Akram Chakib Mourad, Iman Ali, Lou’ay as
Saka), sans qu’il ait été possible de déterminer, avec
certitude, au terme de quatre ans d’audition, si cette somme
documentaire répondait aux diktats de leurs commanditaires, ou,
résultait, au contraire, d’une imagination fertile, de la
mystification, d’une tentative d’intoxication ou d’extorsion de
fonds ou plus simplement d’entrisme et de contre manipulation en
vue de discréditer les opérateurs occidentaux. Un
morceau d’anthologie, à l’allure d’une conjuration de colportes,
en tout état de cause, révélatrice des phobies occidentales et
de leurs présupposés idéologiques sur les motivations profondes
de «la guerre contre le terrorisme».
En
contrechamps, la Syrie aura eu un comportement nettement plus
expéditif et martial. Répondant à la requête internationale,
elle avait pris la précaution de filmer l’interrogatoire de son
principal témoin, le Général Ghazi Kanaan, son ancien
pro consul au Liban, non pas tant pour sa participation
au complot, mais pour se servir de ses propres aveux comme d’une
pièce à conviction contre sa propre personne. Le Général
Kanaan sera «suicidé» dans la foulée de son
interrogatoire, sanction de sa connivence avec le clan Hariri
dans la réforme de la carte électorale libanaise qui a eu
pour effet de faciliter le retour au pouvoir de l’ancien premier
ministre, et de son enrichissement fabuleux, de
l’ordre de 800 millions de dollars, selon les estimations les
plus généralement admises.
Suivra…
3me volet
de ce papier le 19 août
Les
Etats-Unis une justice à la carte, la France en suspicion
légitime
La criminalisation du Hezbollah, une guerre de substitution à
l’Iran
Références
7 - La liste des démissionnaires du Tribunal Spécial sur le
Liban: Deux greffiers en chef, Robin Vincent juin 2009 et David
Tolbert, 12 janvier 2010; Deux procureurs, le controversé Detlev
Mehlis (Allemagne) et le belge Serge Brammentz, 2010; enfin, la
porte parole, la libanaise Radhia Achour, 24 mai 2010.
8- Zouheir Siddiq, qui se présentait comme un membre important
des services secrets syriens au Liban et prétendait tout savoir
sur l’implication de la Syrie dans l’assassinat du Premier
ministre libanais Rafic Hariri, était en fait un escroc protégé
par Rifaat al-Assad, ancien dirigeant syrien, réfugié en Espagne
qui rêvait de renverser son neveu, le Président Bachar al-Assad.
Selon
Der Spiegel (22/10/05)
Siddiq avait avoué à son frère être devenu
«millionnaire»
en récitant ce qu’il lui avait été demandé de dire, notamment
les noms de sept officiers du renseignement syrien et de quatre
généraux libanais prétendument impliqués dans l’assassinat. Dans
une interview au quotidien koweitien
Al-Siyassah,
en date du 12 avril 2010, il a affirmé que le Cabinet de Nicolas
Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, lui avait remis,
«pour le protéger»,
un faux passeport tchèque lui permettant de quitter le
territoire français alors que le Liban réclamait son
extradition. Il a été condamné en 2009 à Abou Dhabi à 6 mois de
prison et expulsé pour être entré dans les Emirats Arabes Unis
avec de faux papiers d’identité. Il s’est justifié en affirmant
ne pas savoir
que «ce passeport était faux».
9 – Cf. Dossier Spécial sur les dysfonctionnements du Tribunal
Spécial sur le Liban à propos de l’enquête sur l’assassinat de
Rafic Hariri, réalisé par le Journal libanais Al Akhbar et
diffusé sur plusieurs épisodes Mardi 27 juillet 2010: «Au-delà
des faux témoins, une révélation sur les enquêtes, Faysal Akbar,
le saoudien qui est allé au devant des enquêteurs», par Hassan
Alik; Mercredi 28 juillet «Des brèches dans les règles de
fonctionnement du Tribunal : Ahmad Merhi, le témoin muet,
l’homme des services de renseignements du 11 septembre (attentat
de New York 2001), au 14 février (Assassinat Hariri 2005) par
Hassan Alik et Omar Nachabbé (chroniqueur judiciaire du journal
et membre du Carnegie Endowement
for International Peace – Middle East Center –Beyrouth –
Liban).
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Publié le 12 août 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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