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Opinion
Al-Qods en danger !
Epuration ethnico-religieuse en cours
Raghida Ousseiran
Samedi 24 avril 2010 Al-Qods (nom
arabo-musulman de Jérusalem) est bel et bien menacé ! L’année
2009 a assisté à une recrudescence de sa judaïsation par les
responsables sionistes. La mosquée al-Aqsa risque de s’écrouler
à cause de l’intensification du creusement des tunnels, l’Eglise
du St-Sépulcre est de plus en plus souvent fermée aux fidèles,
et notamment lors des fêtes religieuses. Les autorités de
l’occupation interdisent aux fidèles palestiniens de se rendre
de la bande de Gaza et de la Cisjordanie vers la ville d’al-Qods,
et notamment lors des célébrations religieuses. Depuis plusieurs
années, l’occupant interdit fréquemment aux Palestiniens de
moins de 50 ans, de Cisjordanie et même de la Palestine occupée
en 48 (Galilée, villes côtières, Naqab et région du Triangle),
de se rendre à la mosquée al-Aqsa. Pendant les cinq dernières
années, il a érigé le mur de l’annexion qui devrait isoler la
Cisjordanie et les villages densément peuplés qui entourent al-Qods,
de la ville sainte, tout en annexant des terres de Cisjordanie
pour les rattacher à la grande municipalité de Jérusalem, sous
administration sioniste. Dans cette opération, les responsables
sionistes ont repoussé les Palestiniens vers une Cisjordanie de
plus en plus amputée de ses terres, réduisant le nombre de ceux
qui peuvent circuler librement dans al-Qods, séparant les
membres d’une même famille, les élèves de leurs écoles, les
malades de leurs centres de soins, pour réduire le taux de la
population palestinienne dans la ville. Et pour accélérer le
processus de la judaïsation, ils s’attaquent à présent aux
Palestiniens qui vivent dans les quartiers entourant la vieille
ville : Sheikh Jarrah, Silwan, Jabal al-Mukabbir, entre autres.
Avec ou sans l’aide de colons, ils s’emparent des maisons des
Palestiniens, les remettent aux colons, démolissent d’autres et
installent des colonies, tout en exerçant une terrible
répression contre toute volonté de leur résister : les tentes de
la solidarité sont démolies, les responsables religieux et
civils palestiniens de la ville sont arrêtés ou interdits de se
déplacer et les prêcheurs interdits d’entrer dans la mosquée al-Aqsa.
Au cours de l’année 2008, 4.500 cartes de résidence ont été
supprimées[1]
et depuis 1967, ce sont 13.150 cartes de résidence qui l’ont
été, ce qui signifie l’expulsion de toutes ces familles hors de
la ville d’al-Qods. A cause du mur de l’annexion, les
statistiques palestiniennes parlent de 125.000 cartes de
résidence supprimées dans les prochaines années.
Ce sont donc toutes ces mesures récentes et
accélérées qui visent à étouffer la ville occupée d’al-Qods,
prélude à une épuration ethnico-religieuse implacable, comme le
furent plusieurs villes de Palestine : Safad, Tabaraya, au nord,
Beer al-Saba’ au sud, Lid et Ramleh au centre. Mais aujourd’hui,
il s’agit de la ville sainte d’al-Qods, ville sacrée pour les
religions monothéistes, ville promue pour être la ville de la
paix comme l’ont nommée ses fondateurs, les Jabusites,
« Ur-Salem », ville chargée tout au long de son histoire d’une
signification sacrée, au point de devenir « la porte du ciel »
ou « le lien entre la terre et le ciel ».
Al-Qods : ville indéniablement
arabo-musulmane
Lieu sacré, lieu historique, la ville d’al-Qods
est avant tout une ville arabo-musulmane. Ni son ancienneté
pré-islamique ni la présence de lieux saints appartenant à
d’autres religions ne peuvent lui dénier ce caractère de ville
arabo-musulmane.
Fondée par les Jabusites (tribu canaanite)
vers 3000 avant l’ère chrétienne[2],
Ur-Salem ne connaîtra pas d’autres peuples avant 1600 av. l’ère
chrétienne, les Araméens d’abord puis les Hébreux, vers l’an
1152 avant l’ère chrétienne. Ces derniers ne furent qu’une des
tribus ayant vécu sur cette terre, fondant un royaume qui se
maintint à peine quelques centaines d’années. Plusieurs
prophètes y vécurent ou auraient vécu[3],
d’abord Abraham, venant de Mésopotamie, puis Moïse et David, et
enfin Jésus.
Bien avant la conquête musulmane, al-Qods
fut sanctifiée par l’islam, puisqu’elle fut le lieu du Voyage
Nocturne du Prophète (al-isrâ’ wal mi’râj). Al-Qods fut donc la
première qibla des fidèles musulmans et est, depuis, considérée
comme la « porte du ciel », « le lien entre la terre et le
ciel », lieu de paix et lieu sacré de la religion monothéiste.
Les peuples et armées qui envahirent al-Qods,
durant l’antiquité, furent nombreux, la Palestine étant située
entre deux puissances régionales, la Mésopotamie et l’Egypte :
Assyriens, Babyloniens, Perses, puis Grecs et Romains, avant
d’être conquise par les musulmans, en 636 de l’ère chrétienne.
Depuis cette date, la Palestine et la ville sainte demeurèrent
sous la souveraineté musulmane jusqu’à l’occupation britannique,
au début du XXème siècle, à l’exception de l’épisode croisé (qui
s’acheva au XIIème siècle).
Il est communément admis que la période
arabo-musulmane est la plus longue de l’histoire de la
Palestine, al-Qods y compris, mais la propagande sioniste et
coloniale, voulant semer le doute et falsifier l’histoire pour
justifier l’installation juive en Palestine considérée comme un
« retour » et prouver que la période hébraïque fut la plus
longue, ont sectionné les périodes musulmanes en fonction de
l’appartenance ethnique et raciale des gouverneurs, ignorant que
la civilisation et la culture musulmanes s’élèvent au-dessus de
tels critères et que la démographie et la civilisation
témoignent d’une continuité arabo-islamique.
Tout au long de la période islamique, la
ville d’al-Qods a assisté, comme les autres villes de la région,
à des périodes fastes et glorieuses, comme à des périodes moins
brillantes. Mais en tant que ville sainte et haut lieu du
monothéisme, elle fut particulièrement choyée par les
gouverneurs et les personnages pieux, musulmans et chrétiens. De
multiples fondations religieuses, éducatives et sociales y
furent bâties, et la ville participa, par ses savants et ulémas,
à la grandeur de la civilisation islamique. C’est au cours de la
période umayade que le dôme du Rocher et la mosquée al-Qibli
(dans la mosquée al-Aqsa) furent édifiés, plusieurs années après
l’arrivée des musulmans, avec le calife ‘Umar b. al-Khattâb, en
l’an 16 de l’hégire, accompagné de nombreux compagnons du
prophète Muhammad. Plusieurs d’entre eux d’ailleurs décèdent en
Palestine et sont enterrés dans le cimetière de Ma’manullah,
cimetière situé dans la partie de la ville occupée en 1948, et
profané par les sionistes qui, depuis quelques années, déterrent
les morts et détruisent les tombes, pour construire un « musée
de la tolérance » !, sous la bénédiction de l’UNESCO.
Des centaines de savants enseignèrent et/ou
se formèrent dans la mosquée al-Aqsa qui était l’une des grandes
écoles-universités dans le monde musulman[4].
Dr. Asali dénombre, dans son ouvrage « les instituts savants à
Bayt al-maqdis » (en arabe) 69 écoles fondées dès la période
ayyubide (après la libération de la ville de l’occupation
croisée). Elles furent fondées par les sultans, gouverneurs,
femmes de gouverneurs ou princesses, commerçants ou hommes de
religion, soit pour s’attirer l’allégeance des sujets, soit pour
la satisfaction de Dieu. Les fondateurs de ces instituts
assuraient également leur fonctionnement en leur consacrant des
awqâf (fondations pieuses) qui étaient souvent des terres
agricoles, des échoppes ou des savonneries. Aujourd’hui, la
plupart des terres appartenant aux awqâf musulmans, notamment
dans la partie de la Palestine occupée en 1948, ont été
confisquées par les sionistes.
La plupart des écoles étaient situées près
ou dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa. Aujourd’hui, selon
l’Institution Internationale d’al-Quds, douze bâtiments se
trouvent à l’intérieur même de l’enceinte de la mosquée al-Aqsa,
certaines récentes mais d’autres anciennes, certaines utilisées
comme maisons et d’autres confisquées par les autorités
sionistes. L’école Tankaziyya, par exemple, dont une partie est
située hors de l’enceinte, fut fondée par l’émir Tankaz al-Nâsiri,
en 729 h (1328). En 1969, les sionistes s’en emparent pour en
faire un poste de police.
1948 : Occupation
sioniste d’al-Qods
Lorsque les sionistes occupent la partie
occidentale de la ville d’al-Qods, en 1948, violant le plan de
partage de l’ONU, qui avait conçu que la ville serait
internationale, et non sous domination israélienne, al-Qods
était une grande ville, dont les limites s’étendaient bien
au-delà de l’ancienne ville intra-muros[5].
En effet, au cours du XIXème siècle, comme la plupart des villes
ottomanes, al-Qods assiste à une expansion de son territoire
dans trois directions essentiellement : le nord, l’ouest et le
sud. Jusqu’à une époque récente dans les milieux universitaires,
et jusqu’à présent, dans d’autres milieux (politique,
médiatique, populaire), parler d’al-Qods au XIXème siècle
revenait à décrire une ville en déclin, abandonnée, appauvrie,
qui n’attendait que l’arrivée des sionistes ou des occidentaux
pour s’épanouir, dans la pure tradition coloniale et
orientaliste. Les écrivains ou voyageurs qui l’avaient visitée
ont préféré s’y regarder soi-même plutôt que de décrire ce
qu’ils voyaient. Ils n’y voyaient que les lieux qu’ils
recherchaient, en fait, c’est-à-dire les lieux mentionnés dans
la Bible. Mais les recherches historiques, et avant tout, la
mémoire préservée de sa population montrent que la réalité était
tout autre, même si la ville d’al-Qods a gardé une place
privilégiée en tant que lieu saint plutôt que tout autre
(culturel ou économique).
Avant même l’occupation britannique
(1920-1948) de la Palestine, plusieurs quartiers s’étaient
développés extra-muros du fait de l’exiguité de l’ancienne
ville, du développement économique, de l’état de sécurité
instauré par les autorités ottomanes dans le pays, ainsi que du
rôle grandissant des églises chrétiennes occidentales qui
achetèrent des terres après l’introduction des réformes dans
l’empire ottoman[6].
Comme dans toute la région, les réformes ottomanes du XIXème
siècle et l’épisode du règne égyptien de Muhammad ‘Ali et de son
fils Ibrâhim Ali avaient donné cours à une intervention de plus
en plus marquée des puissances européennes par le biais
notamment des églises, orthodoxe, catholique, copte, arménienne,
syriaque, protestante, etc.. Interventions et concurrence seront
évidemment plus vives et critiques dans la ville d’al-Qods,
étant le lieu saint par excellence : des terrains seront
achetés, des écoles et hôpitaux fondés pour promouvoir la
situation des chrétiens dans le pays et notamment dans la ville
sainte. Ces puissances interviennent et attisent les conflits
entre les chrétiens eux-mêmes, répartis en plusieurs églises.
Alors que les relations entre chrétiens et musulmans étaient
relativement calmes, amicales et stables, les relations entre
les diverses églises chrétiennes étaient souvent troublées par
les querelles sur l’administration de certains lieux de culte et
pour la plus importante, l’église orthodoxe plus
particulièrement, par la lutte des orthodoxes nationaux contre
ses dirigeants grecs[7].
C’est donc tout autour de l’ancienne ville que se développent
progressivement de nouveaux quartiers, habités par des
Palestiniens et les nouveaux venus, chrétiens ou juifs. Ce
furent des quartiers modernes, cosmopolites, prévus pour un
développement économique et culturel moderne, comme la plupart
des capitales arabes du XXème siècle. Mais une grande partie de
ces quartiers subissent une épuration ethnique implacable en
1948, lorsque les bandes terroristes sionistes (avant la
fondation de leur Etat) les envahissent, suite au massacre de
Deir Yassin et la capture du village d’al-Qastal (après le
martyre de Abdel Qader al-Hussaynî). La chute d’al-Qastal est le
prélude à l’invasion d’al-Qods, les dirigeants sionistes voulant
s’accaparer le maximum de terres avant la date fatidique du 14
mai 1948, prévue pour proclamer l’Etat d’Israël. La partie d’al-Qods
occupée en 48 (considérée comme la partie occidentale de la
ville) est victime, d’après les nombreux témoignages
palestiniens et étrangers, d’une campagne de terreur inégalée
dans l’histoire contemporaine du monde : Les habitants des
quartiers de Qatamon, de sheikh Badr (où se trouve le bâtiment
du Knesset), Abu Thor, Nabi Dawud, Shinler, Buqaa Tahta et Buqaa
Fawqa, sont expulsés et poussés vers l’Est (la Jordanie)[8].
Soixante mille Palestiniens sont ainsi expulsés de leurs maisons
et leurs quartiers, pour devenir des réfugiés. Les maisons sont
pillées, jusqu’à la nourriture qui s’y trouvait. Lors de cette
épuration ethnico-religieuse, les bandes terroristes sionistes
avaient utilisé des porte-voix et criaient : « fuyez, fuyez,
sinon vous subirez le même sort que Deir Yassine ». Pour
précipiter l’exode de la population, elles font exploser l’hôtel
Semiramis. Les villages proches sont également « épurés » de
leurs populations et rattachés à la municipalité de
Jérusalem-ouest : Beit Safafa, Ayn Karem (où sera construit
l’hôpital israélien Hadassa), Malha et Shirfat. En 1948, 2%
seulement des terres de la ville d’al-Qods appartenaient aux
Juifs, ce qui veut dire que la majeure partie des terres
occupées dans la partie occidentale de la ville appartenaient
soit aux Palestiniens (privés) soit aux fondations religieuses (waqf
musulman ou chrétien)[9].
Une Jérusalémite, Hala Sakâkînî[10]
témoigne sur ces jours terribles de la Nakba : « Finalement,
après le massacre de Deir Yassine, nous pensons sérieusement
quitter al-Qods. Les récits les plus épouvantables, nous les
avons entendus par les témoins qui ont réussi à en échapper.
Nous ne pouvions imaginer que les Juifs soient si cruels,
barbares et sauvages. Des femmes enceintes et des enfants
torturés jusqu’à la mort, des jeunes filles dévêtues, violées et
mises sur des camions qui faisaient le tour des quartiers juifs
où elles étaient accueillies par les crachats du public. Les
Juifs « civilisés » n’ont pas eu honte de leurs crimes, et nous
savons tous qu’ils sont capables de recommencer, s’ils le
peuvent, en tout lieu et en tout temps. Aujourd’hui, et dans
quelques jours, nous allons être obligés de quitter notre
maison. Je n’aime pas penser à cela. » (Sakakini, Jerusalem and
I).
Haget Shalonski, infirmière dans l’armée
sioniste, témoigne sur le pillage du quartier palestinien d’al-Qatamon[11] :
« Je me rappelle très bien le pillage du quartier d’al-Qatamon.
J’étais infirmière… et un soir, je suis sortie avec un soldat me
promener dans le quartier. J’ai été stupéfaite par la beauté des
maisons, nous sommes entrés dans l’une d’elles, tout était beau,
le piano, les tapis, les lustres étaient magnifiques.
De là où je vivais, je pouvais voir la
route qui reliait al-Qatamon aux quartiers juifs. De ma fenêtre,
je voyais les gens transporter les objets volés. Des dizaines de
gens passaient, avec les objets volés. Cela avait un rapport
avec ma visite à la maison, avec le soldat, car je reconnaissais
certains objets. Je voyais les gens, jour après jour. Non
seulement les soldats, mais les civils aussi. Ils pillaient
comme des fous et transportaient même la nourriture, en plein
jour, voulant montrer aux autres ce qu’ils avaient volé…. »
Confiscation des biens et invasion
des quartiers palestiniens
Avant même la proclamation du
cessez-le-feu, en juin 1948, les biens palestiniens des
quartiers « épurés » furent confisqués : la loi des « absents »
fut appliquée alors qu’elle n’était pas encore promulguée (elle
le sera en 1950) : les biens de tout Palestinien « absent »
entre le 29/11/ 1947 et le 1/9/48 furent confisqués par les
autorités sionistes. L’installation des colons juifs commença
avant septembre 48 : les nouveaux colons furent installés dans
les quartiers « Colonie allemande », Al-Qatamon, al-Baqaa, al-Musrara,
Abu Thor et Talbiya. Arnon Golan, auteur sioniste, écrit que
l’installation des nouveaux « immigrants » dans les quartiers
arabes de la partie occidentale d’al-Qods n’était pas due à
l’absence de maisons dans d’autres quartiers, mais plutôt à une
stratégie politique : « le peuplement des quartiers répondait à
un fait politique important pour consolider le combat contre
toute tentative de reprendre la ville ou certains de ses
quartiers. Dès septembre, le gouvernement appliqua une politique
d’annexion effective de la partie tombée sous sa domination,
bien qu’il n’ait pas rejeté officiellement sa reconnaissance du
plan de partage des Nations-Unies. Le peuplement des Juifs dans
les quartiers arabes visait à créer une situation de fait
accompli qu’il sera difficile de modifier par la suite dans le
cadre d’un accord politique… »[12].
Alors que l’ONU propose en 1948 et que son assemblée générale
vote une résolution en décembre 1949 (résolution 303 – 4)
réclamant la démilitarisation et l’internationalisation de la
ville, les troupes sionistes profitent de la trêve proclamée en
mai 48 pour grignoter du terrain et s’avancer vers la vieille
ville. Peu de quartiers extra-muros demeurent entre les mains
des Palestiniens, comme sheikh Jarrah, Bab Sahira et Wadi al-Joz.
Il
faut signaler ici le statut particulier fait au site qu’occupe
l’Université hébraïque dès 1924, sur les terres du village ‘Isawiya.
De 1948 à 1967, date de l’occupation de toute la ville,
l’université faisait partie de la zone démilitarisée et
contrôlée par les Nations-Unies. En 1967, de larges superficies
de terrains sont confisqués des villages de Lifta et de ‘Isawiya
pour pouvoir relier l’université à la partie ouest de la ville.
Destruction
du patrimoine arabo-islamique
Dès
les premiers jours de l’occupation sioniste de la partie
orientale d’al-Qods, placée en 1949 sous administration
jordanienne, l’armée sioniste détruit et rase le quartier al-Sharaf dans
la vieille ville pour élargir et construire le nouveau quartier
juif. Sur les 116 dunums confisqués, il y avait 595 bâtiments,
1058 échoppes et magasins, 5 mosquées, 4 écoles, un marché
historique (souk al-Bashura), une rue commerciale tout au long
de laquelle étaient bâties des maisons datant de l’époque
mamelouke. 6000 Palestiniens vivaient dans des quartiers
entièrement ou semi-détruits (al-Maghariba, syriaque, sharaf).
La superficie détruite et confisquée représente 20% de celle de
la vieille ville.[13]
Depuis cette date, le massacre civilisationnel s’est poursuivi,
en Palestine et dans la ville sainte d’al-Qods : contre la
population et contre l’histoire. Contre la population, en
tentant par tous les moyens, y compris les massacres, de
l’expulser ou du moins réduire son nombre, et contre l’histoire
en la falsifiant et inventant une nouvelle histoire « juive »
qui aurait son origine dans le pays. Entre les mains du sionisme
chrétien et juif, la Bible devient un livre de guerre : au
présent, lorsque les rabbins s’en servent pour encourager les
soldats sionistes à tuer le maximum de « non-juifs » et au
passé, lorsque les archéologues occidentaux, munis de ce livre,
effacent et détruisent tous les lieux historiques palestiniens
(pré ou musulmans) pour inventer sur le terrain ce qu’ils ne
trouvent pas concrètement[14].
Ainsi est né, entre autres, le mensonge du troisième temple,
avec des histoires et des lieux mythiques couvrant tous les
lieux convoités, c’est-à-dire toute la Palestine et même
au-delà.
Nature du
conflit : religieuse ou politique ?
Le
président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a
récemment demandé aux responsables sionistes de stopper leurs
agissements provocateurs dans al-Qods, de crainte de susciter
« une guerre religieuse », voulant signifier que les agissements
sionistes visant les lieux saints musulmans pourraient provoquer
des réactions « à caractère musulman ». Cette mise en garde
abbassienne exprime toute la mystification du conflit en
cours.
D’un
côté, les sionistes qui colonisent la Palestine détruisent ou
profanent les lieux sacrés musulmans et chrétiens, au nom du
judaïsme. Dans la Palestine occupée en 48, de nombreuses
mosquées furent transformées non seulement en synagogues, mais
en enclos pour les bêtes, en discothèques, musées ou restaurants[15].
Plusieurs cimetières musulmans et chrétiens ont été profanés par
les colons ou les autorités. Pour les dirigeants sionistes,
l’Etat d’Israël est un Etat juif qui pourrait à la rigueur
tolérer les non-juifs, s’ils acceptent de vivre (dans leur
propre pays !) comme une catégorie exogène, avec des droits
réduits. La récente décision du gouvernement israélien de
transformer des lieux palestiniens, sacrés ou non, en
itinéraires touristiques juifs, relève tout simplement de
l’extermination du passé et de l’histoire palestiniennes,
musulmane, chrétienne ou même pré-chrétienne. Non seulement les
mosquées al-Ibrahimi à al-Khalil et Bilal bin Rabah à Bethléhem
sont menacées, mais tous les sites israéliens ne sont en fait
que des sites palestiniens, judaïsés ou en voie de l’être. Dr
Hassan Khatir, de la coalition islamo-chrétienne pour la défense
d’al-Qods, a notamment expliqué que cette liste de 150 sites
juifs comprend toute l’histoire et les sites palestiniens,
notamment dans les territoires occupés en 48 (déclaration
télévisée sur al-quds TV début mars 2010). Ce qui signifie que
le sionisme combat toute présence musulmane et chrétienne, soit
non-juive, en Palestine, puisqu’il s’appuie sur une certaine
lecture réductrice et déviée du judaïsme.
De
l’autre côté, les Palestiniens, les Arabes ou les musulmans
n’ont jamais considéré ni les juifs ni le judaïsme comme un
ennemi à abattre. Dès le début de la colonisation sioniste en
Palestine, la distinction a été clairement établie, pour la
majeure partie des populations musulmanes, entre d’une part les
juifs qui colonisent la Palestine, et d’autre part la religion
juive et les juifs dans le monde.
Il
faut noter cependant, que depuis le début du sionisme, très peu
de voix juives dans le monde ont contesté le fait colonial
sioniste et essayé de démontrer que le judaïsme n’autorise pas
les agissements criminels israéliens. Un seul mouvement, à notre
connaissance, a « osé » contesté religieusement la conception
religieuse du sionisme, Neture Karta. Quant aux mouvements qui
se considèrent non-sionistes, ils se taisent sur tout ce qui
touche aux lieux saints profanés, la mosquée al-Aqsa, les
églises, le cimetière Ma’manullah, etc.. comme si le fait
d’aborder ces questions, essentielles pour les musulmans et les
chrétiens de Palestine, signifie implicitement participer à une
« guerre de religion ». Pourquoi ce refus d’aborder la question
de la défense des lieux saints musulmans et chrétiens en
Palestine, aux côtés des Palestiniens ? Deux explications
peuvent être avancées, jusqu’à présent : l’une, le refus, en
France notamment, à cause d’une laïcité érigée en loi divine,
d’accorder une considération aux revendications jugées
« religieuses » en Palestine, alors qu’est dénoncée toute
profanation de lieux saints, mosquées, synagogues, cimetières
juifs ou musulmans en France.
L’autre explication est celle du refus délibéré de dénoncer le
sionisme en tant que tel, et de ce fait, ignorer d’une part les
pratiques sionistes à caractère religieux, n’ayant pas remis en
question les prétentions de l’Etat d’Israël quant aux soi-disant
lieux juifs dans la ville d’al-Qods et en Palestine, et d’autre
part, les pratiques sionistes coloniales dans la Palestine
occupée en 1948.
Défendre le
patrimoine menacé c’est défendre aussi l’avenir
Quoiqu’il en soit, le refus de dénoncer les pratiques à
caractère religieux de l’Etat sioniste, qui détruisent la
présence non-juive en Palestine (ce qui signifie en fait la
quasi-totalité de l’histoire et du patrimoine palestiniens) et
de soutenir la lutte « à caractère religieux » des Palestiniens,
soit la défense de leurs mosquées et de leurs églises, leur
lutte contre les profanations et les destructions, alors que
toute leur littérature n’exprime aucune animosité envers le
judaïsme en tant que tel, un tel comportement contribue, dans
les faits, à déraciner le peuple palestinien de sa terre.
Ne
pas admettre son histoire, sa culture et sa civilisation et
considérer qu’il n’existe qu’à partir de l’occupation
britannique du pays, soit, à partir de la déclaration Balfour et
à quelques décennies près, au début de la colonisation sioniste
en Palestine, prive le peuple palestinien de tout
l’environnement arabe et musulman qui doit participer à sa lutte
et lui assurer la libération de sa terre. C’est considérer qu’un
peuple n’existe que lorsqu’un Etat l’enferme dans des frontières
reconnues ou à reconnaître. C’est aussi lui proposer la
« solution » consistant à partager sa terre avec les colons qui
eux, de leur côté, n’ont aucune racine dans le pays. Soit, un
pays pour deux « peuples » déracinés, la Palestine devenant un
pays neuf qui serait à partager.
Une
telle attitude a des implications importantes sur le
comportement international vis-à-vis des lieux saints, et non
seulement sur celui des musulmans ou des chrétiens d’Europe ou
vivant en Europe, vis-à-vis des églises et cimetières chrétiens
transformés en enclos pour les animaux ou des mosquées
détruites, en Galilée et ailleurs. L’Etat sioniste fonde son
existence sur le mensonge, la confiscation et la falsification
de l’histoire de cette terre, il invente un passé pour se forger
une légimité et délégitimer la présence palestinienne. Refuser
de dénoncer ce viol de l’histoire et ne pas inscrire la présence
du peuple arabe de Palestine dans son patrimoine millénaire, qui
fut essentiellement religieux, signifient l’amputer de cette
formidable assise qui lui permet de combattre le sionisme à sa
base.
Cette terre n’est pas née à partir de la déclaration Balfour et
du mandat britannique. Son peuple n’a pas émergé lorsque les
sionistes et les occidentaux l’ont vu et ont décidé de lui voler
sa terre et son histoire. Au-delà des frontières qui l’ont
enfermé dès le mandat britannique dans une tragédie unique dans
l’histoire, son passé s’inscrit dans celui de la région
arabo-musulmane, pétrie de religion et de foi.
Il
ne s’agit ni de guerre religieuse ni de fanatisme quand les
Palestiniens, les Arabes et les musulmans s’insurgent chaque
fois que les lieux saints sont profanés ou atteints par le bras
exterminateur des sionistes. Il s’agit de défendre une histoire,
un patrimoine, un enracinement dans cette terre et dans cette
ville, qui ne peut demeurer symbole de la rencontre des
religions célestes que si elle est libérée des colons et libérée
de toute idéologie négationniste et raciste, le sionisme et le
colonialisme.
[1] Les cartes de résidence
sont accordées aux Palestiniens de la partie d’al-Quds
occupée en 1967. Depuis son annexion par les autorités
sionistes, les résidents maqdisis ont une carte de
résidence qui leur permet de continuer à vivre dans la
ville et de bénéficier des « avantages » sociaux et
économiques auxquels ont droit les Israéliens.
[3] Les recherches
archéologiques et historiques n’ont pas encore
définitivement établi quels prophètes ou personnages
vécurent
réellement en Palestine, l’idéologie sioniste des
archéologues ayant faussé, pendant des décennies, toute
recherche objective.
[4] Dr. Asali, Ma’ahid
al-‘ilm fi bayt al maqdis, Amman, 1981.
[5]
Les murs de
l’ancienne ville furent construites, pour la protéger,
par le calife Soliman (appelé le Magnifique) en 1542,
avec 7 portes et d’une longueur de 4km (Ahmad Abu
Hassan, « écoles et bibliothèques d’al-Quds », site
internet …
[6] La ville ottomane d’al-Quds
extra-muros (en arabe), Rochel Davis, dans al-Quds
al-‘Arabiyya, Institute for Palestine Studies et Badil,
2002
[7]
Cf. Dr. Ahmad Hamid Ibrahim al-Qudat, « Nasara al-Quds.. »
(chrétiens de la ville d’l-Quds: étude à partir
des archives ottomanes) Markaz Dirasat al-Wihda
al-‘Arabiya, 2007, Beirut.
[9]
Dr. Ghazi Hussayn, ibid.
[10]
al-Quds al-‘Arabiyya, Institute for Palestine
Studies et Badil, 2002.
[11] al-Quds al-‘Arabiyya,
ibid.
[12] Al-Quds al-‘Arabiyya,
ibid.
[13] Khalil Tafaqji, al-Istitân
al-sahyouni (la colonisation sioniste) Fondation al-Quds,
Beirut, 2002.
[14] Voir à ce propos
l’excellent livre de Nur Masalha, The Bible and Zionism,
invented traditions, archaeology ans post-colonialism in
Israel-Palestine, Zed Books, 2007. Le rôle du sionisme
chrétien et notamment britannique est souligné dans
cette entreprise de falsification de l’histoire.
[15] Voir le rapport de Arab
Human Rights Association, association située à Nazareth,
site arabhra.org, intitulé « sanctity denied : the
destruction and abuse of muslim and christian holy
places in Israël» décembre 2004.
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