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Réseau Voltaire
La propagande, c’est les autres
Comment
la structure rituelle du Journal télévisé formate nos esprits
Pierre Mellet
18
septembre 2007 Si le téléspectateur
est de plus en plus attentif au traitement d’informations
particulières par les journaux télévisés, il s’interroge
rarement sur la structure même de cette émission. Or, pour
Pierre Mellet, la forme est ici le fond : conçu comme un
rite, le déroulement du journal télévisé est une pédagogie en
soi, une propagande à part entière qui nous enseigne la
soumission au monde que l’on nous montre et que l’on nous
apprend, mais que l’on souhaite nous empêcher de comprendre et
de penser.
Le journal télévisé est le cœur
de l’information contemporaine. Principale source
d’information d’une grande partie des Français, il n’était
pourtant, à ses débuts, en 1949 en France, que le sous-produit
de ce que n’avaient pas voulu diffuser au cinéma la Gaumont et
les Actualités Françaises. Défilé d’images sur lesquels était
posé un commentaire, le « présentateur » ne s’est
installé dans son fauteuil qu’en 1954, quand le journal a été
fixé à 20h. Depuis lors, la mise en scène n’a fait qu’aller
en s’accroissant, et l’information en a été écartée —si
jamais elle était présente au départ— pour faire de ce théâtre
non plus un journal, mais un spectacle ritualisé, une cérémonie
liturgique. Le « 20h » n’a pas pour fonction
d’informer, au sens de dégager une tentative de compréhension
du monde, mais bien de divertir les téléspectateurs, tout en
leur rappelant toujours ce qu’ils doivent savoir.
L’analyse qui suit se base sur
les deux principaux journaux télévisés de 20h français, celui
de TF1 et celui de France 2, mais peut, à bien des égards,
trouver des correspondances avec les journaux télévisés
d’autres pays, principalement en « Occident ».
Le contexte
Fixé à 20h, le journal télévisé
est devenu, comme la messe à son époque, le rendez-vous où se
retrouve (chacun chez soi) toute la société. C’est un lieu de
socialisation essentiel, paradoxalement. Chacun découvre chaque
soir le monde dans lequel il vit, et peut dès lors en faire le récit
autour de lui, en discuter les thèmes du moment avec
l’assurance de leur importance, puisqu’ils ont été montré
au « jt ». Tout est mis en place comme dans un rituel
religieux : l’horaire fixe, la durée (une quarantaine de
minutes), le présentateur-prêtre inamovible, ou presque, qui
entre ainsi d’autant mieux dans le quotidien de chacun, le ton
emprunté, sérieux, distant, presque objectif, mais jamais véritablement
neutre, les images choisies, la hiérarchie de l’information.
Comme dans tout rituel, le même revient en permanence, et s’agrège
autour d’un semblant d’évolution quotidienne. Les mêmes
heures annoncent les mêmes histoires, racontées par les mêmes
reportages, lancées et commentées par les mêmes mots, mettant
en scène les mêmes personnages, illustrées par les mêmes
images. C’est une boucle sans fin et sans fond.
En ouverture, le générique lance
une musique abstraite où s’entend le mélange du temps qui
passe, la précipitation des événements, et une façon
d’intemporel nécessaire à toute cérémonie mystique. Sur la
musique, un globe précède l’apparition du présentateur, ou un
travelling vers ce dernier le fait passer de l’ombre à la lumière.
Tout se passe comme si le monde allait nous être révélé.
Le présentateur y tient rôle de
passeur et d’authentifiant. Personnage principale et
transcendantal, il se trouve au cœur du dispositif de crédibilité
du 20h. C’est par lui que l’information arrive, par lui
qu’elle est légitimée, rendue importante et donnée comme
« vraie ». Par lui également que le téléspectateur
peut être rassuré : si le monde va mal et semble totalement
inintelligible, il y a encore quelqu’un qui « sait »
et qui peut nous l’expliquer.
(Dans d’autre cas, c’est un
duo qui présente le journal télévisé. La relation avec le téléspectateur
est du coup beaucoup moins professorale et paternaliste, mais plus
de l’ordre de la conversation, et peut sembler plus frivole.
Bien évidemment, on ne trouvera jamais deux présentateur, ou
deux présentatrices, mais toujours un duo hétérosexuel. C’est
qu’il s’agit de ne pas choquer la représentation de la
famille bourgeoise chrétienne. Ce type de mise en scène étant
rare en France, nous ne développerons pas ce point plus avant).
Crédibilité et information
« Madame,
Monsieur, bonsoir, voici les titres de l’actualité de ce lundi
6 août », nous dit le présentateur au début de chaque
journal. Il ne s’agit donc pas d’un sommaire, d’un tri de la
rédaction dans l’information du jour, mais bien des « titres
de l’actualité », c’est-à-dire précisément de ce
qu’il faut savoir du monde du jour. Il n’y
a rien à comprendre, le « journalisme »
ne s’applique désormais plus qu’a nous apprendre
le monde. Le présentateur ne donne pas de clé, il ne déchiffre
rien, il dit ce qui est. Ce n’est pas une
« vision » de l’actualité qui nous est présentée,
mais bien l’Actualité.
Ce qui importe, dès lors, pour
lui, c’est « d’avoir l’air ». Sa crédibilité
n’est pas basé sur sa qualité de journaliste, mais sur son
charisme, sur l’empathie qu’il sait créer, sa manière d’être
rassurant, et sur son apparence d’homme honnête et intelligent.
David Pujadas peut bien annoncer le retrait d’Alain Juppé de la
vie politique, et Patrick Poivre d’Arvor montrer une fausse
interview de Fidel Castro, ils sont tout de même maintenus à
leur poste avec l’appui de leur direction, et n’en perdent pas
pour autant leur statut de « journaliste » [1]
et leur crédibilité auprès du public. Tout se passe comme si
l’information délivrée n’avait finalement pas
d’importance. Elle n’est là que pour justifier le rituel,
comme la lecture des Évangiles à la messe,
mais elle n’en est en aucun cas la raison centrale, le cœur,
qui se trouve toujours ailleurs, dans le rappel constant des mots
d’ordres moraux, politiques et économiques de l’époque.
« Voici le Bien, voici le Mal », nous dit le présentateur.
La hiérarchie de l’information
est donc inexistante. Alors que l’un des premiers travail
effectués dans tout « journal » est de dégager les
sujets qui semblent les plus essentiels pour tenter d’en
ressortir un déroulé (propre à chaque rédaction) de
l’information en ordre décroissant, de l’important vers
l’insignifiant, ici, point. On passe de la dépouille du
cardinal Lustiger à l’accident de la Fête des Loges, puis
vient le dénouement dans l’affaire de l’enlèvement du petit
Alexandre à la Réunion, suivit du suicide d’un agriculteur
face aux menées des anti-OGM, à quoi font suite l’allocation
de rentrée scolaire, les enfants qui ne partent pas en vacances,
la hausse du prix de l’électricité, la spéléologue belge
coincée dans une grotte, la campagne électorale états-unienne
chez les démocrates, l’intervention de Reporters sans frontière
pour dénoncer l’absence de liberté d’expression en Chine, la
Chine comme destination touristique, le licenciement de Laure
Manaudou, un accident lors d’une course aux États-Unis, le
festival Fiesta de Sète, le décès du journaliste Henri Amouroux
et enfin celui du baron Elie de Rothschild [2].
Il n’y a aucune cohérence, à aucun moment. Les sujets ne
semblent choisis que pour leur insignifiance quasi-générale, ou
leur semblant d’insignifiance. Tout y est mélangé, l’amour
et la haine, les rires et les pleurs, l’empathie se mêle au
pathos, les images spectaculaires ou risibles aux drames pathétiques,
et l’omniprésence de la fatalité nous rappelle toujours la prédominance
de la mort sur la vie.
Le reportage
Une fois les « titres »
annoncés, le présentateur en vient au lancement du reportage. Le
reportage est la démonstration par l’exemple de ce que nous dit
le présentateur. En effet, tout ce qui va être dit et montré
dans le reportage se trouve déjà dans son lancement. Le présentateur
résume toujours au lieu précisément de présenter. Cela crée
de la redondance. Ce qui est dit une fois en guise
d’introduction est systématiquement répété ensuite dans le
reportage. Ce sont les mêmes informations qui sont énoncées, la
première fois résumées, et la seconde fois étendues pour l’élaboration
de l’histoire contée. Le reportage ajoute très peu de chose à
ce qu’à déjà dit le présentateur, tout juste développe-t-il
les détails anodins qui contrebalancent « l’objectivité »
du présentateur en créant de la « proximité ». Aux
éléments de départ, trouvé dans le lancement, s’ajoute
ensuite à l’histoire les petits détails romanesques nécessaire
à son instruction ludique.
Le reportage est constitué de
deux choses : l’image et son commentaire. Or, si l’on
coupe le son, l’image ne signifie plus rien. Alors même que
tout devrait reposer sur elle, c’est l’inverse précisément
qui se produit à la télévision : le commentaire raconte ce
que l’image ne fait qu’illustrer. Cette dernière n’est là
que comme faire-valoir. C’est une succession de paysages
semblables, de visages et de gestes interchangeables, collés les
uns à côté des autres, et sans lien entre eux. À la télévision,
l’image ne sert qu’à justifier le commentaire, à
l’authentifier. Elle lui permet d’apparaître comme « vrai ».
Et elle le lui permet précisément parce que ne disant rien par
elle-même, le commentaire peut alors la transformer en ce qu’il
veut, et c’est là le principal danger de ce media. L’image
possédant une force de conviction très importante, le
consentement est d’autant plus simple à obtenir une fois que
vous avez dépouillée l’image de tout son sens et l’avez
transformée en preuve authentifiant votre discours. Tout repose
donc désormais sur le commentaire, et sur la vraisemblance de
l’histoire qui va nous être racontée.
« Dans le
reportage, note l’anthropologue Stéphane Breton, le
commentaire est soufflé depuis les coulisses, cet arrière-monde
interdit au téléspectateur (…) et d’où jaillit, dans le
mouvement d’une révélation, un sens imposé à l’image. La
signification n’est pas à trouver dans la scène mais hors
d’elle, prononcée par quelqu’un qui sait » [3].
Le journaliste n’apparaît que très rarement à la fin de son
reportage. Nous entendons donc une voix sans énonciateur. C’est
une parole divine qui s’impose à nous pour nous expliquer ce
que nous ne pourrions comprendre en ne regardant que les images.
Il n’y a pas d’interlocuteur, donc pas de contradiction. Le
reportage est un fil qui se déroule suivant une logique propre,
celle que le journaliste veut nous donner à apprendre, où les
« témoins » ne se succèdent que pour accréditer la
parole qui a de toute manière déjà dit ce qu’ils vont nous
expliquer. Comme avec le lancement, la redondance est omniprésente
dans le reportage. Tout « témoin » est présenté non
pas selon sa fonction, ni dans le but de justifier sa place dans
ce reportage à ce moment là, mais suivant ce qu’il va nous
dire. Et la parole du « témoin » accrédite le
commentaire en donnant un point de vue nécessairement « vrai ».
« Puisqu’il le dit, c’est que c’est comme ça ».
Et bien souvent, le « témoin » n’a strictement rien
à dire, mais va le dire tout de même, le journaliste devant
faire la preuve de son objectivité et de l’authenticité de son
reportage, de son enquête, en démontrant qu’il s’est bien
rendu sur place et qu’il peut donc nous donner à voir ce qui
est.
Le reportage, au journal télévisé,
n’est pas la réalisation d’une enquête qui explore différentes
pistes, mais le récit d’un fait quelconque montré comme
fondamental. C’est une vision du monde sans alternative, qui
tente d’apparaître comme purement objective. Si le présentateur
dit ce qui est, le reportage, lui, le montre. Et c’est précisément
là que l’image pêche par son non-sens, et que le commentaire
semble devenir parole divine. « Voici le monde », nous
dit l’un, « et voilà la preuve », poursuit le
reportage. Et comment contester la preuve alors qu’elle nous est
présentée, là, sous nos yeux ébahis ? La réalité se
construit sur l’anecdote, et non plus sur un ensemble de faits
plus ou moins contradictoires qui permettent de regarder une
situation dans une tentative de vision globale pour pouvoir
ensuite en donner une analyse.
Les mots d’ordre
Tout cela se rapporte à la
logique de diffusion de la morale. Le journal télévisé, comme
la quasi-totalité des médias, est un organe de diffusion des
mots d’ordre de l’époque. Il ne discute jamais le système,
il ne semble d’ailleurs même pas connaître son existence, mais
diffuse à flux tendus les ordres que la classe dominante édicte.
Le journal télévisé fait partie de ce « service
public », dont parle Guy Debord dans les Commentaires
sur la société du spectacle, « qui
[gère] avec un impartial
"professionnalisme" la nouvelle richesse de la
communication de tous par mass media, communication enfin parvenue
à la pureté unilatérale, où se fait paisiblement admirer la décision
déjà prise. Ce qui est communiqué, ce sont des ordres ;
et, fort harmonieusement, ceux qui les ont donnés sont également
ceux qui diront ce qu’ils en pensent » [4]
.
Le 20h, issu d’une société où
la mémoire a été détruite, transmet les mots d’ordre, comme
pour tout conditionnement, par la répétition permanente et
quotidienne. Les histoires racontées semblent toutes différentes,
quand bien même elles sont finalement toutes semblables. Tout y
est répété, soir après soir, constamment, et à tous les
niveaux. Seuls les noms et les visages changent, mais le film,
lui, reste toujours identique. C’est un perpétuel présent qui
est montré et qui permet d’occulter tous les mouvements du
pouvoir. Les évolutions n’étant plus jamais mises en lumière,
c’est bien qu’elles n’ont plus cours. Le journal télévisé
diffuse donc la morale bourgeoise (chrétienne et capitaliste) en
bloc compact. C’est un vomi long et lent qui s’écoule, dilué
et disséminé tout au long du 20h. Ils connaissent plusieurs
modes de diffusions :
- L’accusation.
Elle est constante, et généralement dite par les « témoins »,
ce qui permet de faire croire au journaliste qu’il a donné à
voir un « avis », et qu’il a donc rendu un regard
objectif de la situation. Un incendie ravage une maison, et ce
sont les pompiers qui auraient dû arriver plus tôt. Un violeur
est sorti de prison parce qu’il avait droit à une remise de
peine, et c’est la justice qui dysfonctionne. Un gouvernement
refuse de se plier aux injonctions occidentales, et c’est une
dictature, un pays sous-développé où la stupidité se mêle à
la barbarie, et mieux encore, où la censure bâillonne tous les
opposants, qui sont eux nécessairement d’accord avec le point
de vue des occidentaux mais ne peuvent pas le dire. Il s’agit
toujours de trouver quelqu’un à vouer aux gémonies pour
rappeler ce qui est « bien » et ce qui est « mal »,
et où l’on retrouve toute la sémantique chrétienne du
« pardon », de la « déchéance », etc.
- L’évidence.
Particulièrement utilisée pour régler sans discussions les
questions économiques, elle consiste à diffuser les dogmes ou
les décisions gouvernementales sans jamais les remettre en
question. C’est par exemple le cas de la « croissance »,
qui est toujours la voie nécessaire à la survie jamais remise en
cause et dont le présentateur nous annonce les chiffres avec un
air catastrophé : « la croissance ne sera que de 1,2 %
cette année selon les experts »...
- L’hagiographie.
Commme à la messe, le journal télévisé a ses saints à mettre
en avant. C’est le portrait de quelqu’un qui a « réussi »,
soit qu’il vienne de mourir, soit qu’il ait « tout gagné »,
soit qu’il se soit « fait tout seul », etc. C’est
le prisme de l’exception qui édicte le modèle à suivre en
suscitant admiration et respect. « Voilà ce que vous n’êtes
pas, que vous devriez être, mais ne pourrez jamais devenir, et
que vous devez donc adorer », nous répète le journal télévisé
en permanence.
- Le
voisinage. Particulièrement efficace, il s’agit de
dire que « la France est le dernier pays en Europe à
aborder cette question ». C’est le mécanisme qui régit
la sociabilité de base, l’appartenance au groupe par
l’imitation, par la reproduction de ce qu’il semble faire ou
être. Le présentateur nous dit alors « eux font comme
cela, pourquoi faisons nous autrement ? », présupposant
que notre manière de faire est nécessairement moins bonne. « Travailler
après 65 ans, aux États-Unis ça n’est pas un problème ».
Aucune analyse n’est jamais donnée des points positifs et négatifs
du système voisin, seulement un regard « objectif »,
qui dit : « voilà comment ça se passe là, et
pourquoi c’est mieux que chez nous ».
- Le folklore.
Ici sont présentés, avec le sourire aux lèvres et
l’indulgence pour l’artiste un peu fou mais qui ne fait
finalement pas de mal, des gens qui vivent un peu autrement.
C’est alors, et seulement dans ce genre de sujet, que le présentateur
souligne le caractère « exceptionnel » des personnes
qui vont nous être présentées, pour dissuader quiconque de
suivre leur exemple.
Ce ne sont là que quelques
exemples.
Anecdote et fatalité
Deux modes de représentation du
monde bercent principalement le journal télévisé, et sont les
deux principaux mouvements de diffusion des mots d’ordre :
l’anecdote et la fatalité.
L’anecdote
se trouve au début de chaque sujet. Tout part du fait
particulier, du fait divers du jour, et s’étend vers le problème
plus vaste qu’il semble contenir en lui-même, ou que les
journalistes font mine de croire qu’il contient. C’est une rhétorique
particulière qui se retrouve aujourd’hui à la base de tous les
discours politiques ou journalistiques, un renversement de la
logique, du déroulement effectif de la démonstration et de
l’analyse du monde : c’est l’exception qui explique désormais
la règle, qui la construit. Tout part du fait particulier pour se
prolonger, comme si ce dernier détenait en lui toutes les causes
et toutes les conséquences qui ont fondé la situation plus générale
qu’il est censé démontrer. Le 20h ne se préoccupe jamais de décrire
des phénomènes endémiques, ou les sort toujours de la chaîne
d’événements qui les a amené à la situation présente.
C’est une nécessité dialectique logique pour qui veut
transmettre les consignes sans se mettre en devoir de les
expliquer, sans quoi il se trouve obligé d’apporter de la
complication à sa démonstration et se rend compte que les choses
sont moins simples qu’il ne voulait les faire paraître. Pour
que les mots d’ordre soient diffusés efficacement, il ne faut
pas donner la possibilité d’être contredit, donc il vaut mieux
ne rien expliquer. De toute manière, nous l’avons dit, il ne
s’agit jamais de donner à comprendre, mais
toujours à apprendre.
La fatalité,
elle, berce l’ensemble du journal télévisé. Les événements
arrivent par un malheurs contingent, un hasard distrait qui touche
malencontreusement toujours les mêmes (personnes, pays…).
C’est une lamentation constante : « si les pompiers
étaient arrivés plus tôt », « si le violeurs n’était
pas sorti de prison », « si l’Afrique n’était pas
un continent pauvre et corrompu », etc. Elle est la base de
toute religion puisqu’elle permet de ne rien avoir jamais à
justifier, et rappel le devoir de soumission face à la
transcendance, puisque nous sommes toujours « dépassés ».
La fatalité revient sonner en permanence comme une condamnation,
et ajoute avec dépit (mais pas toujours) : « c’est
comme ça ». Le système se régule tout seul et est
« le meilleur des systèmes possibles », l’homme est
un être « mauvais » et passe son temps à « chuter »
et à « rechuter » malgré toutes les tentatives de
lui « pardonner », le pauvre est responsable de sa
situation parce qu’il est trop fainéant pour chercher des
solutions et les mettre en application alors même qu’on les lui
donne, etc. C’est un soupir constant, un appel permanent à
l’impuissance et à la soumission face à la souffrance. Le
monde va et nous n’y pouvons rien…
Une fois les mots d’ordre
transmis, le messager divin peut nous donner congé, concluant le
sermon du jour en n’omettant jamais de nous donner rendez-vous
le lendemain à la même heure, puis disparaît, rangeant les
papiers qui font foi de son sérieux, la caméra s’éloignant,
l’ombre grandissant, et se fondant progressivement dans cette
sorte de musique qui ouvrait déjà la cérémonie.
[1]
Patrick Poivre d’Arvor, reconnnu comme la star du journalisme
français, n’a pas de carte de presse car ses revenus principaux
ne proviennent pas du journalisme, mais de ses activités de
conseil et d’écriture.
[2]
20h de France 2, lundi 6 août 2007.
[3]
Stéphane Breton, Télévision, Hachette Littérature,
2005.
[4]
Guy Debord, Commentaires sur la société du
spectacle, Gallimard, Folio, 1996.
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