Les tendances d'Orient
Grave revers
politique pour le 14-Mars:
Mikati reste, Hariri et Siniora reculent
Pierre Khalaf
Lundi 22 octobre
2012
Comme il le fait depuis l'assassinat de
l'ancien Premier ministre Rafic Hariri,
en 2005, le 14-Mars a encore une fois
utilisé, dimanche, un attentat non
revendiqué pour tenté d'atteindre son
objectif obsessif, qui consiste à
reprendre le pouvoir au Liban, même au
prix d'une grave discorde.
Avant d'attendre les résultats de
l'enquête qui vient tout juste de
commencer, le 14-Mars a décidé que c'est
la Syrie qui a assassiné le général
Wissam al-Hassan, chef de la section des
renseignements des Forces de sécurité
intérieure (FSI). Et dans une logique
défaillante à tous les égards, la
coalition pro-américaine a estimé que le
gouvernement libanais, "contrôlé par
Damas et le Hezbollah", devait partir,
allant même jusqu'à accuser le Premier
ministre Najib Mikati d'être responsable
de la mort de l'officier des FSI. Les
dirigeants du 14-Mars font semblant
d'oublier que c'est ce même Mikati qui a
refusé de céder aux demandes du 8-Mars
(le Hezbollah et ses alliés) et du
Courant patriotique libre (CPL, du
général Michel Aoun), de remplacer
Wissam al-Hassan, jugé trop proche de
Hariri. C'est Mikati également qui a
signé en début d'année le décret
promouvant le défunt au grade de
général. C'est enfin Mikati qui a
financé le Tribunal spécial pour le
Liban, en dépit des objections du
Hezbollah.
Najib Mikati n'est donc pas la
marionnette que le 14-Mars essaie de
dépeindre. C'est un centriste, qui
dispose d'une grande marge de manœuvre,
et qui n'est pas hostile "par principe"
au Hezbollah.
Le 14-Mars a donc pensé pouvoir rééditer
le scénario de 2005, en mobilisant les
foules, en les orientant, et en
instrumentalisant un attentat attribué à
la Syrie.
Sur ce plan, il est important de
souligner que Wissam al-Hassan est
peut-être un adversaire de la Syrie. Il
est responsable de l'arrestation de
l'ancien ministre Michel Samaha, le 9
août, soupçonné de préparer des
attentats contre des responsables de
l'Armée syrienne libre au Liban, pour le
compte de Damas. Mais le 14-Mars fait
semblant d'oublier (décidément, cette
amnésie est très sélective) que Wissam
al-Hassan est responsable du
démantèlement de 36 réseaux d'espionnage
israéliens au Liban et de l'arrestation
de dizaines de collaborateurs. C'est
aussi un ennemi implacable des cellules
d'Al-Qaïda (surtout celles qui refusent
d'être instrumentalisées).
Depuis l'assassinat du général
al-Hassan, le 14-Mars s'emploie à
exacerber les tensions, en développant
un discours agressif, menaçant et
sectaire. Venu le jour des funérailles,
les gens sont prêts à exploser.
Effectivement, les obsèques se sont
transformées en violents affrontements
entre des manifestants qui réclament la
démission de Najib Mikati et les forces
de l'ordre. A peine l'office religieux
terminé, une foule en colère s'est
dirigée vers le siège du Premier
ministre Najib Mikati, situé à 500
mètres du lieu de la manifestation, dans
le centre-ville de Beyrouth.
Les manifestants ont été entrainés par
un cheikh sunnite extrémiste, Oussama
Rifaï -limogé par Dar el-Fatwa-, qui a
arraché le microphone des mains du
principal orateur, le mufti du
Liban-Nord, cheikh Malek Al-Chaar, pour
lancer une violente diatribe contre le
Premier ministre libanais, la Syrie et
le Hezbollah et inciter les gens à
"agir". Ensuite, l'ancien Premier
ministre Fouad Siniora a pris la parole,
pour poursuivre sur la même lancée. "Le
gouvernement est responsable du crime
qui a tué Wissam. C'est pourquoi il faut
qu'il parte. Mikati, tu ne peux plus
rester à ton poste pour couvrir ce
crime. Si tu restes, c'est-à-dire que tu
es d'accord avec ce qui s'est passé et
avec ce qui se passera", a-t-il encore
dit.
Dernier à entrer en scène, un
journaliste de la chaine de télévision
Futur TV de Saad Hariri, qui a carrément
appelé les gens à marcher sur le Grand
sérail.
En fait, tout était préparé. Des groupes
de jeunes, armés de bâtons, de barres de
fer et de bouteilles vides ont attaqué
les forces de l'ordre. Les manifestants
ont réussi à forcer le premier cordon de
sécurité et sont arrivés à quelques
mètres de l'entrée du Grand sérail.
Les manifestants étaient essentiellement
formés d'islamistes extrémistes
brandissant les étendards noirs d'al-Qaïda,
d'éléments des partis chrétiens du
14-Mars (Forces libanaises, Kataëb et
PNL) et de militants du Courant du
futur, de Saad Hariri.
Les forces de l'ordre ont ensuite réussi
à repousser les manifestants à coups de
gaz lacrymogène et de tirs de sommation.
L'Armée libanaise a envoyé des renforts,
permettant aux forces de l'ordre de
reprendre l'initiative.
Ayant sans doute été réprimandé par ses
alliés occidentaux et du Golfe à cause
de cet acte irresponsable qui risquait
de plonger le Liban dans le chaos, Saad
Hariri a appelé ses partisans, dans un
message diffusé par les télévisions, à
se "retirer immédiatement de la rue".
Embarrassé par la tournure des
événements, il s'est déclaré opposé à
toute attaque contre le Grand sérail.
Quelques minutes plus tard, Fouad
Siniora, est apparu sur les écrans de
télévision pour appeler, lui aussi, au
calme. "Il est inadmissible que le Grand
sérail, qui est une institution de
l'Etat libanais, soit prise pour cible,
a dit ce proche de Hariri. Vous devez
tous sortir des rues et cesser les actes
de violences. Allez plutôt vous
recueillir sur la tombe de Wissan
al-Hassan".
Le mufti sunnite de la République,
cheikh Mohammad Rachid Kabbani, est
également intervenu en soirée pour
dénoncer les tentatives de "renverser le
gouvernement par la force, à travers la
rue". "Hier, aujourd'hui et demain, nous
ferons face à ce genre de
comportements", a-t-il dit.
Après ces interventions le calme est
progressivement revenu, le nombre de
manifestants a baissé et la violence a
cessé.
Cet épisode constitue un revers
politique énorme pour le 14-Mars, qui
perd ainsi l'initiative politique pour
n'avoir pas compris et décodé les
signaux envoyé par l'Occident et ses
alliés arabes.
En effet, Najib Mikati a résisté à la
première vague de pressions en annonçant
qu'il restait au pouvoir dans l'intérêt
national. En fait, son gouvernement
bénéficie d'une forte couverture de la
part de Washington, des Etats européens
influents, et des pays arabes du Golfe.
Les ambassadeurs des Etats-Unis, de
France et de Grande-Bretagne à Beyrouth,
ont ouvertement appelé à la solidarité
et à l'unité entre les Libanais,
invitant le gouvernement à assumer ses
responsabilité.
Ces pays craignent le vide au niveau du
pouvoir exécutif en cas de chute du
gouvernement et le chaos qui en
résulterait.
Des funérailles officielles avaient
auparavant été organisées pour Wissam
al-Hassan dans une caserne de la police,
en présence du président de la
République, Michel Sleiman. Le chef de
l'Etat a appelé la justice libanaise à
rendre public l'acte d'accusation dans
le dossier de l'ancien ministre
pro-syrien Michel Samaha, arrêté le 9
août par al-Hassan, et accusé "d'avoir
préparé des attentats au Liban pour le
compte de la Syrie".
Demandera-t-il à cette même justice de
bouger pour poursuivre ceux qui ont
incité à la violence, au risque de
plonger le Liban dans les affres de la
guerre civile?
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