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Réseau Voltaire
Un relais des États-Unis en France : la
French American Foundation
Pierre Hillard*
Photo Réseau Voltaire
L’opposition politique
fondamentale réside aujourd’hui entre ceux qui soutiennent une
gouvernance unipolaire du monde sous l’autorité des États-Unis
et ceux qui prônent un équilibre des puissances régi par le
droit international. À ce niveau, la grille de lecture
traditionnelle française opposant une gauche à une droite n’a
plus de pertinence – car on retrouve des deux côtés des
partisans de la Pax Americana. Une
organisation non-lucrative, mais richement dotée, la French
American Foundation, a depuis trente ans pour fonction de recruter
les jeunes leaders appelés à occuper des postes de dirigeants
pour les former au soutien de la politique atlantiste. On y trouve
des membres de l’UMP, du PS aussi bien que de l’équipe de
campagne de José Bové.
Lors de sa visite aux États-Unis,
Nicolas Sarkozy prononça un discours, le 12 septembre 2006, à la
French American Foundation (FAF, la « Fondation
franco-américaine »). Rappelant la nécessité de « rebâtir
la relation transatlantique (…) et de favoriser la
constitution d’une Europe politique forte et influente sur la scène
internationale » [1],
le prétendant à l’Élysée a dû ravir par ces propos les
dirigeants de cette Fondation largement méconnue. L’étude de
celle-ci est pourtant profitable afin de mieux saisir les liens ô
combien étroits qui lient les élites franco-américaines.
La FAF doit son origine aux
actions de trois éminents États-Uniens [2] :
James G. Lowenstein, membre entre autres du Council
on Foreign Relations (le CFR) [3]
où s’élabore la politique étrangère des États-Unis et dont
l’équivalent britannique est le Royal Institute
of International Affairs (RIIA dit Chatham House) ; James
Chace, directeur de la rédaction de Foreign
Affairs, revue du CFR et de Nicholas Wahl, professeur de
science politique et fin connaisseur de la classe dirigeante française
lui permettant des contacts en particulier avec le général de
Gaulle et Michel Debré [4].
Dans les années 1970, les trois
hommes mirent en commun leurs réseaux [5]
français dans le monde politique, économique, ainsi que dans la
presse et le milieu universitaire. Parmi leurs relais on trouvait
Olivier Chevrillon, (l’un des fondateurs de la revue Le
Point), Pierre Jouven (président de Péchiney), Jean-Louis
Gergorin (futur membre du comité exécutif d’EADS) et Thierry
de Montbrial (futur président de l’Institut français des
relations internationales, l’IFRI, qui co-dirigeait à l’époque
le Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires
étrangères). Ensemble, ils obtinrent l’appui officiel du président
de la République Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier annonça
– en accord avec son homologue états-unien Gerald Ford et le
secrétaire d’État Henry Kissinger [6]–
la création d’une double fondation franco-américaine, lors
d’un dîner à l’ambassade de France à Washington, le 18 mai
1976.
Il fut décidé que la French
American Foundation aurait un siège à New-York et l’autre
à Paris. Comme le rappellent les textes officiels : « L’objectif
de la Fondation franco-américaine est de renforcer la relation
franco-américaine considérée comme un élément essentiel du
partenariat transatlantique » [7].
Pour accomplir cet idéal, les bonnes fées de la finance, de la
grande presse, de l’université et de la politique se sont
depuis lors pressées autour du tout nouvel institut. Les grâces
ont été particulièrement abondantes. La branche états-unienne
a bénéficié d’appuis inestimables. En raison de la liste
impressionnante des participants, il n’est pas possible de
nommer l’intégralité des dirigeants et des contributeurs
financiers. On peut cependant relever quelques noms parmi les
membres (anciens et nouveaux) en 2007.
Pour commencer, John D. Negroponte [8],
plusieurs fois ambassadeurs puis gouverneur d’Irak, superviseur
de l’ensemble des services de renseignement des États-Unis et,
actuellement, numéro 2 du Département d’État. Toujours présent,
John Negroponte fut par le passé président de la FAF de New
York.
Également membre du conseil d’administration, l’ancien président
du patronat français et européen (le MEDEF et l’UNICE),
Ernest-Antoine Sellière ainsi que l’ancien ambassadeur états-unien
en France, Félix G. Rohatyn et son homologue à Washington François
Bujon de l’Estang [9].
Un nom de plus au hasard, celui de l’actuel président de la FAF
de New York, Nicholas Dungan [10]
dont les activités se sont déployées au sein de la très
atlantiste Chatham House [11].
Parmi les nombreux appuis financiers, on peut relever des noms
prestigieux comme celui de David Rockfeller, fondateur de la
Trilatérale et président honoraire du CFR. On trouve également
l’ancien sous-directeur de la CIA et ancien secrétaire à la Défense
du président Reagan, Franck Carlucci [12].
Par la suite, il a été le directeur du très puissant Groupe
Carlyle. La société d’investissement commune aux failles Bush
et Ben Laden est très impliquée dans l’industrie de la défense [13].
Enfin, nous pouvons relever parmi
les contributeurs de la FAF de New York, EADS, l’Oréal USA [14]
ou encore la Société Générale [15].
La FAF française n’a, de son côté,
pas à rougir de sa jumelle new-yorkaise. Dirigée à ses débuts
par le président de Péchiney, Pierre Jouven, la Fondation est présidée
depuis 1997 par Michel Garcin [16],
directeur général de Hervé Consultants (spécialiste
en accompagnement d’entreprises). Le Conseil de surveillance [17]
réunit EADS France, BNP Paribas, la Caisse des dépôts ainsi que
des représentants comme Yves de Gaulle (secrétaire général de
Suez), Jean-Louis Gergorin (vice-président de la coordination
stratégique chez EADS, mais dont les activités ont cessé avec
l’affaire Clearstream) ou Marwan Lahoud, PDG du leader européen
dans le secteur des missiles MBDA dont EADS est actionnaire à
37,5% et dont le frère Imad Lahoud [18]
a connu quelques démêlées judiciaires en liaison avec
Jean-Louis Gergorin lors de l’affaire Clearstream.
Enfin, nous pouvons ajouter que la
FAF française est soutenue par le ministère des Affaires étrangères,
le ministère de l’Éducation nationale ou encore l’Institut
d’études politiques de Paris [19].
La clef du système d’influence
de la French-American Foundation est sa capacité à recruter des
personnes appelées à occuper de hautes fonctions. Sa grande
force est d’accueillir en son sein les représentants politiques
issus de courants qui, officiellement, s’opposent – des
socialistes à l’UMP en passant par le gaulliste Nicolas
Dupont-Aignan ou le responsable de la communication de la campagne
présidentielle de José Bové, Bernard Loche. Pour éviter toute
conclusion hâtive, soulignons que les personnes approchées par
la Fondation et qui ont accepté de la fréquenter n’ont pas
pour autant accepté les offres de services qui leur ont été ultérieurement
présentées.
C’est dans le programme intitulé
Young Leaders qu’une véritable sélection
s’opère. Comme l’affirment clairement les textes officiels :
« Le programme phare des Young Leaders,
piloté par les deux entités (ndlr : New-York et Paris),
vise à créer et à développer des liens durables entre des
jeunes professionnels français et américains talentueux et
pressentis pour occuper des postes clefs dans l’un ou l’autre
pays » [20].
Les textes officiels précisent
que la sélection s’opère en 3 phases :
1-« La première phase consiste à présélectionner des
candidats. Cette présélection se fait par l’intermédiaire du
réseau de la French-American Foundation, par d’anciens Young
Leaders ou d’actuels membres du Conseil de surveillance. Récemment,
un effort a été entrepris pour diversifier socialement et
professionnellement les candidats, notamment par le repérage dans
la presse des profils prometteurs.
2 - La deuxième phase consiste à recueillir formellement les
candidatures. Les dossiers ainsi constitués contiennent la
biographie du candidat et une lettre de recommandation. Des
entretiens de motivation sont organisés.
3 - La dernière phase de la procédure est la sélection finale
des candidats. Après avoir reçu le dossier de chaque candidat,
le Comité de sélection se réunit. Ce Comité comprend environ
10 membres dont la majorité sont des anciens Young Leaders. Les
candidats ayant obtenu le plus de voix sont sélectionnés ».
Comme on le voit, n’entre pas
qui veut à la FAF. Les membres sélectionnés forment véritablement
une « élite » dont l’objectif officiel est de
« renforcer la relation franco-américaine considérée
comme un élément essentiel du partenariat transatlantique ».
Il est d’autant plus intéressant de connaître leurs noms.
Au sein de la sélection, c’est le professeur de science
politique états-unien et membre du CFR, Ezra Suleiman, qui fut
l’unique responsable de 1981 à 1984, puis de 1994 à 2001, du
recrutement des Young Leaders en France [21].
Après une sélection drastique, seuls 125 États-Uniens et 126
Français composent les Young Leaders depuis 1981. Dans le cas de
la FAF US, nous pouvons citer les noms suivants avec la date
d’admission : Antony Blinken (1998, ancien conseiller en
politique étrangère du président Clinton), Ian Brzezinski
(2001, chargé aux affaires de défense de l’OTAN, fils du célèbre
géopolitologue Zbigniew Brzezinski), le général Wesley K. Clark
(1983, ex-commandant en chef des troupes de l’OTAN en Europe),
le président Clinton (1984) et Hillary Clinton (1983, sénateur) [22].
Dans le cas de la branche française
de la French-American Foundation, nous pouvons relever en
particulier : Philippe Auberger (1989, député UMP), Yves
Censi (2003, député UMP), Jérôme Chartier (2003, député UMP),
Nicolas Dupont-Aignan (2001, député UMP, Debout la République),
Alain Juppé (1981, député UMP), Éric Raoult (1994, député
UMP), Valérie Pécresse (2002, député UMP), Jacques Toubon
(1983, député UMP), François Hollande (1996, député
socialiste), Arnaud Montebourg (2000, député socialiste), Pierre
Moscovici (1996, député socialiste), Alain Richard (1981,
socialiste, ancien ministre de la Défense), Henri de Castries
(1994, Directeur général du groupe AXA assurances), Emmanuel
Chain (1999, journaliste), Jérôme Clément (1982, Président
d’Arte), Annick Cojean (2000, journaliste au Monde), Jean-Marie
Colombani (1983, Directeur de la publication du Monde),
Matthieu Croissandeau (2002, rédacteur en chef adjoint du Nouvel
Observateur), Jean-Louis Gergorin (1994), Bernard Guetta
(1981, journaliste à France Inter), Erik Izraelewicz (1994, rédacteur
en chef des Échos), Laurent Joffrin (1994,
PDG de Libération), Jean-Noël Jeanneney
(1983, président de la Bibliothèque nationale de France), Sylvie
Kaufmann (1998, journaliste au Monde), Yves de
Kerdrel (2005, journaliste aux Échos), Marwan
Lahoud (1999), Anne Lauvergeon (1996, présidente d’Areva), François
Léotard (1981, ancien ministre de la Défense), Alain Minc
(1981), Laurent Cohen-Tanugi (1996, Sanofi-Synthélabo et membre
du conseil d’administration du think tank « Notre Europe »
créé par l’ancien président de la Commission Jacques Delors [23]),
Christine Ockrent (1983), Olivier Nora (1995, président des Éditions
Grasset), Denis Olivennes (1996, président de la FNAC)… [24]
Une telle représentation souligne
l’influence capitale qu’exerce la French-American
Foundation dans les liens franco-états-uniens [25].
De multiples rencontres ont lieu
entre représentants français et états-uniens afin de discuter
de sujets comme la défense, la politique, le journalisme, le
syndicalisme... En fait, il s’agit de « lisser » les
points de vue afin d’aboutir à un consensus favorable au
partenariat transatlantique. Toutes ces rencontres officielles et
officieuses permettent de créer une communion de pensée parmi
les acteurs de la FAF appartenant à des secteurs variés.
Cette fondation organise également différents colloques sur la défense,
le journalisme, l’éducation ou la santé. On trouve parmi les
participants, outre les personnes citées ci-dessus, des noms bien
connus comme François Bayrou, Bernard Kouchner, Jean-François
Copé (porte-parole du gouvernement Chirac en 2007), Michel
Barnier (conseiller politique de Nicolas Sarkozy en 2007), Nicolas
Beytout (Directeur de la rédaction du Figaro),
le général Henri Bentegeat (chef d’état-major des armées)
etc [26].
Tous ces colloques poursuivent, bien entendu, le but suprême de
servir au mieux les intérêts de l’humanité.
Pierre
Hillard
Dernier ouvrage publié : La
Décomposition des nations européennes : De l’Union
euro-Atlantique à l’État mondial (François-Xavier de
Guibert éd.)
[1]
http://www.u-m-p.org
[2]
http://www.frenchamerican.org/board...
[3]
« Comment
le Conseil des relations étrangères détermine la diplomatie US,
Réseau Voltaire, 25 juin 2004.
[4]
http://www.frenchamerican.org/pdf/f...
[5]
http://www.french-american.org/srt/...
[6]
http://www.frenchamerican.org/pdf/f...
[7]
http://www.frenchamerican.org/state...
[8]
« John
Negroponte bientôt à Bagdad », par Arthur Lepic, Réseau
Voltaire, 20 avril 2004.
[9]
http://www.frenchamerican.org/board...
[10]
http://www.frenchamerican.org/about...
[11]
http://www.chathamhouse.org.uk/
[12]
« L’honorable
Frank Carlucci », par Thierry Meyssan, Réseau
Voltaire, 11 février 2004.
[13]
« Le
Carlyle Group, une affaire d’initiés », Réseau
Voltaire, 9 février 2004.
[14]
« Histoire
secrète de L’Oréal », par Thierry Meyssan, Réseau
Voltaire, 3 mars 2004.
[15]
http://www.frenchamerican.org/cgi-b...
[16]
http://www.french-american.org/srt/...
[17]
http://www.french
american.org/srt/...
[18]
Marwan et Iman Lahoud n’ont pas de lien de parenté avec le président
libanais Émile Lahoud, contrairement aux allégations de la
presse française.
[19]
http://www.french-american.org/srt/...
[20]
Rapport d’étude pour le ministère des Affaires
étrangères, analyse du processus de sélection des Young
Leaders français pour la période 1981-2005, French American
Foundation, Paris et New-York, p. 4
[21]
Ibid., p. 6.
[22]
http://www.french-american.org/srt/...
[23]
http://www.notre-europe.eu/fr/qui-s...
[24]
http://www.french-american.org/srt/...
[25]
Cette coopération s’illustre aussi dans le domaine économique.
En effet, la FAF a organisé un colloque intitulé « Économies
européennes et américaines, l’impossible divorce » sous
la direction de Joseph P. Quinlan. Auteur d’un document paru en
2003 sous le titre « Drifting apart or growing together ?
The primacy of the transatlantic economy », Joseph P.
Quinlan a co-écrit avec Daniel S. Hamilton l’ouvrage de référence
en matière de marché transatlantique sans entraves Deep
integration dont le président de la Commission européenne,
José Barraso, a tant vanté la valeur à la School
of Advanced International Studies (SAIS), le 18 octobre 2005.
[26]
Rapport annuel 2003-2004, French-American Foundation. Cette
fondation décerne chaque année le Prix Benjamin Franklin
« à une personne qui, à travers sa vie, a œuvré à
l’amélioration des relations entre la France et les États-Unis »
comme le rappelle le rapport de la FAF. Les lauréats de ce Prix
sont : l’ambassadeur C. Douglas Dillon, l’ambassadeur
Walter J.P. Curley, Médecins sans frontières, Bernard Arnault
(groupe de luxe LVMH), Michel David-Weill (ancien Président de
Lazard Frères), la famille Forbes et Maurice Lévy (Président du
Directoire de Publicis Groupe), op. cit, p. 30
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