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Le Web de l'Humanité
Le phosphore blanc brûle toujours, à
l'hôpital de Gaza
Pierre Barbancey
Photo Help Doctors
Jeudi 22 janvier 2009
Les médecins de toute nationalité dénoncent l’utilisation de
cette arme, dont les dommages sont considérables.
Gaza ville, envoyé spécial.
L’hôpital Shifa, à Gaza, le
principal établissement hospitalier de la ville, a connu des
heures pénibles durant l’agression israélienne. Pendant
vingt deux jours, le va-et-vient des ambulances a été incessant.
La morgue était pleine. Les chirurgiens palestiniens, épaulés
par leurs confrères venus pratiquement de tous les continents,
ne quittaient pas les salles d’opération. Les infirmières, le
personnel technique et de service se dépensaient sans compter.
On n’en est plus là, mais les dégâts humains causés par l’armée
israélienne sont tels que cet hôpital est encore surchargé. Ici,
c’est le courage qui prévaut car depuis deux ans tout le monde
vit enfermé. Même les médecins ne peuvent sortir pour participer
à des conférences à l’étranger.
SANS RESPECT POUR PERSONNE
Israël ne s’est pas embarrassé de questions morales. Les
bombardements ont été intensifs, sans respect pour rien ni pour
personne. Des familles entières ont été décimées. Des maisons
ont été démolies alors que les gens se trouvaient encore à
l’intérieur. Aucun endroit n’était à l’abri d’une frappe, dans
la bande de Gaza. Même les hôpitaux. Celui d’Al- Qods, dans le
quartier de Tal al- Halwa, a été pris pour cible, et une aile a
brûlé. Pis, Israël a utilisé des bombes au phosphore blanc, dont
l’usage est pourtant prohibé dans les zones civiles. La bombe
explose à deux cents mètres d’altitude, projetant en pluie des
billes incandescentes de phosphate qui brûlent pendant plusieurs
jours. Le docteur Nafez Abou Shaaban, chef du service des brûlés
à l’hôpital Shifa, sort un sac en plastique et l’ouvre. On voit
du sable. Il en répand un peu sur le sol. Il y a des morceaux
comme du mazout solidifié. Il en brise un. Une odeur horrible se
dégage. C’est ce fameux phosphore blanc. « Généralement,
lorsqu’un patient présente une brûlure, on sait la soigner, et
surtout il n’y a pas de détérioration. Là, non seulement c’était
impossible, mais en plus la plaie s’élargissait de plus en plus
et, après quelques heures, de la fumée blanche s’en échappait.
La seule solution que nous avions, était d’amener le plus
rapidement possible le patient en salle d’opération ». Pour le
docteur turc Hassan Oz, « on début, on ne voit presque rien,
mais plus le temps passe plus la brûlure devient sévère,
nécrosée ».
« ON AURAIT DIT L’APOCALYPSE »
Dans sa maison du
quartier de Tal al-Halwa qu’il a réintégrée il y a trois jours
seulement, Salah Al Jamal est assis près de son fils Mahmoud,
dix-huit ans. Le jeune homme a été opéré à de multiples
endroits, brûlés par ce phosphate blanc. « Le 11 janvier, les
Israéliens se sont déchaînés, raconte Salah. Ils nous ont
bombardés avec des avions F-16, des hélicoptères Apache, des
navires de guerre. On aurait dit l’Apocalypse tellement c’était
l’enfer… » Affolée, la famille s’enfuit en courant dans tous
les sens. Mahmoud raconte la suite, d’une voix encore faible.
« J’étais vraiment en état de choc. J’ai pris la fuite. J’ai vu
un éclat, un feu et puis plus rien. En courant j’ai senti que
quelque chose de lourd m’avait touché. Je devenais de plus en
plus chaud. C’était comme si j’étais dans un feu. Je suis tombé.
Il y avait un gars près de moi. Je l’ai appelé, appelé… mais il
ne répondait pas. Il était mort. Ensuite, j’ai perdu
connaissance et je ne me souviens de plus rien. » Mahmoud va
rester ainsi plusieurs heures. Personne ne peut approcher.
Lorsqu’au petit matin Salah apprend par des voisins que Mahmoud
est étendu dans un terrain vague, qu’il est peut-être mort.
« Ses habits étaient brûlés, se souvient le père. Quand j’ai
nettoyé son visage qui était noirci, j’ai aussi été brûlé »,
ditil en montrant ses doigts couverts de plaies. « Il avait de
petites brûlures qui se sont agrandies. On voyait l’os. De la
fumée sortait de son corps ». C’est finalement la Croix- Rouge
qui a pu le récupérer et l’emmener à l’hôpital.
« JE N’AI JAMAIS
VU UNE TELLE HORREUR »
Le médecin algérien Mohammed Abed Khoidmi,
qui est resté à l’hôpital Shifa de Gaza pendant toute la guerre,
témoigne aussi. « J’ai assisté à de nombreux conflits mais je
n’ai jamais vu une telle horreur. » Il s’interroge également
sur l’utilisation de certaines armes. « Nous avons opéré
beaucoup de blessés qui avaient perdu les deux membres au niveau
des genoux. Quatre heures après le début de l’intervention, ils
étaient en réanimation mais deux heures après, les plaies
s’ouvraient automatiquement et une hémorragie se déclenchait.
J’ai également constaté des lésions un peu particulières liées
au phosphore blanc. Quand vous coupez la chair, une fumée
blanche et nauséabonde se dégage. Quand on ouvre, les organes
in- ternes commencent à brûler. C’est le produit chimique qui
brûle au contact de l’air. » Le docteur Abou Shaaban l’avoue :
« J’ai peur, maintenant… » Les familles l’appellent sans cesse
pour savoir, pour être rassuré. Il est incapable de le faire.
« Quelles vont être les complications à long terme ? Les
médecins et les infirmiers qui se sont occupés de ces blessés
sont-ils en danger ? », demande- t-il. Le médecin français
Mohamed Salem, venu de Lille, président de l’association Pal-
MedEurope, souligne qu’« on n’avait jamais vu des blessés comme
ça ». Il se souvient par exemple d’un jeune de dix-sept ans
arrivé pour une blessure au ventre. « Nous pensions que ce
n’était pas grave, il n’y avait qu’un petit trou. Quand on lui a
ouvert le ventre, on a trouvé pleins de particules noires et
rouges au niveau des intestins. On a même trouvé une particule
au niveau de l’aorte abdominale et ça a saigné plus tard. Mes
collègues n’ont jamais vu ce type de pathologie. » Ce qui
semblerait attester de l’utilisation du DIME (Dense Inert Metal
Explosion), une arme redoutable dont la particularité est de
pénétrer dans le corps et d’être indétectable à la radiographie.
Le docteur Salem compte emmener plusieurs enfants palestiniens
en France pour y être soignés.
« BESOIN DE MATÉRIEL POUR
OPÉRER »
Le docteur Oz tient à rendre hommage à ses confrères
palestiniens, « qui opèrent avec une rapidité surprenante ».
Profitant de la présence de la presse, il lance un appel. « Les
Palestiniens ont besoin de matériel pour opérer, notamment pour
les gastroscopies adultes et pédiatriques. Avec ça on peut
arrêter une hémorragie intestinale sinon, et c’est ce qui se
fait ici, il faut ouvrir l’abdomen. » Le docteur Abou Shaaban
acquiesce. Il demande également une commission d’enquête sur ces
armes. « Les Israéliens n’ont aucune morale qui les empêcherait
d’utiliser des armes chimiques. Qui les empêcherait ? Les pays
occidentaux ? On est seul. On sert de terrain d’expérimentation.
»
© Journal l'Humanité
Publié le 23 janvier 2009 avec l'aimable autorisation de l'Humanité.
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