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Le Web de l'Humanité
Gaza. Sous le béton, les corps des enfants
morts
Pierre Barbancey
© Photo PCHR
Lundi 19 janvier 2009
GAZA. Alors que le cessez-le-feu est précaire, la population,
encore hébétée par la violence subie, compte ses disparus. Les
reportages de notre envoyé spécial.
Gaza ville (bande de Gaza), envoyé spécial.
Gaza s’est réveillée hier matin encore hébétée par trois
semaines de bombardements intensifs et d’incursions terrestres
particulièrement meurtrières. Peut-être le bilan le plus lourd
en Palestine depuis des décennies. Le centre-ville est devenu un
triste décor de béton brisé, d’immeubles éventrés, de vitres
éclatées. Le plus grand complexe policier de Gaza, Saraya, n’est
plus qu’un souvenir, comme la plupart des commissariats de la
ville. « Ici ils nous ont donné une leçon de démocratie »,
explique mi-rieur miagacé Karim, un jeune Palestinien, en
montrant ce qui reste du Parlement : des pans de murs écroulés,
des grilles tordues, des routes d’enceinte défoncées. Si tout le
monde n’est pas complètement rassuré – il suffit de voir ces
regards vers le ciel, non en un geste miséricordieux mais au
contraire pour surveiller le sale drone qui tourne de façon
exaspérante depuis le milieu de la nuit – il est tout de même
étonnant de constater à quelle allure les Gazaouis retrouvent
une « vie normale ». Une normalité qui se décline pour eux par
des conditions de vie qu’on n’oserait pas infliger à son pire
ennemi. CET ÉTAT PALESTINIEN QUI NE VOIT TOUJOURS PAS LE JOUR La
ville de Gaza ne possède pas d’écoulement des eaux usées.
Lorsqu’il pleut – ce qui était le cas ces derniers jours – de
petits lacs se forment au beau milieu des rues. Lorsqu’on monte
sur une terrasse pas trop ébranlée par les secousses militaires
israéliennes, on a devant soi non pas la vie mais la grisaille
des parpaings de ces maisons jamais peintes et jamais terminées.
L’image même de cet État palestinien qui ne voit toujours pas le
jour. Le cessez-le-feu est fragile. Les avions F-16, qui
survolaient hier encore la ville à très basse altitude, se sont
chargés de le souligner. Les quelques tirs de roquettes depuis
le sol palestinien également. Les chars israéliens sont toujours
en position près des frontières de la bande de Gaza, dont la
continuité nord-sud est encore précaire. Élément nouveau révélé
par le Parti du peuple palestinien (PPP, communiste, membre de
l’OLP) : l’ensemble des organisations palestiniennes se sont
réunies à Gaza, Fatah et Hamas compris. Elles ont décidé
d’accepter le cessez-le-feu mais donnent une semaine à Israël
pour se retirer définitivement. Pour arriver jusqu’à Gaza ville
depuis Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, il a fallu ruser,
passer en contrebande le check point installé par les militaires
israéliens au niveau de leur ancienne colonie, à Netzarim,
prendre les chemins de traverse devenus incontournables, la
route principale ayant été soit détruite soit obstruée par des
amoncellements de sable. À certains endroits, dans la pénombre,
on aperçoit d’ailleurs des chars, prêts à tirer. Enfin c’est
l’arrivée dans la ville de Gaza meurtrie. Si le centre-ville a
été fortement touché, les quartiers périphériques, en fait des
faubourgs agricoles et des zones semi-industrielles, ont payé un
lourd tribut à l’invasion israélienne. C’est le cas de celui de
Zeïtoun, à l’est. Tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à
une usine, a été visé. Tout et n’importe quoi puisque pour les
Israéliens « usine palestinienne » signifie lieu de fabrication
de roquettes ! Une usine de pièces détachées ? On frappe ! Une
entreprise de mise en bouteilles de soda ? On frappe ! Comme
s’ils avaient des détecteurs spéciaux qui se mettaient à siffler
lorsqu’ils repèrent du métal. Alors que nous avançons toujours
plus avant dans Zeïtoun, la chaussée est de plus en plus
obstruée par des tas de terre, des camions renversés. Les murs
des maisons le long de cette voie sont criblés de balles de gros
calibres. Un haut-parleur se met soudain à hurler et la centaine
de personnes qui se trouvaient là se met à refluer. « On nous
dit d’évacuer parce que les chars israéliens reviennent »,
expliquent en soufflant un vieil homme, Abou Ahmed, le keffieh
noué autour de la tête. « J’ai vu un char de loin. »
Effectivement, sur la gauche, en lisière d’une petite colline,
on aperçoit un de ces véhicules à chenille en train de rouler.
Il est assez loin, mais la panique qui s’est emparée de la foule
en dit long sur la violence subie ces dernières semaines. On
comprend mieux la volonté israélienne d’écarter les
journalistes, d’empêcher la publication de ce qui a été perpétré
ici. En refluant, un groupe de femmes crient à notre adresse :
« Allez voir comment ils nous ont massacrées ! Allez voir à
l’intérieur… ». Abou Ahmed surenchérit : « Ils ont détruit
toute ma ferme, coupé mes arbres, tué mes moutons. On continue à
trouver des corps un peu partout. » LE CORPS D’UN ENFANT PORTÉ À
BOUT DE BRAS Au milieu d’un groupe de maisons très abîmées, un
amas de béton de ce qui a été une habitation. Des hommes sont à
la peine pour tenter de déblayer les gravats, d’extraire des
corps totalement enfouis. La colère et l’émotion sont palpables.
Soudain quelqu’un crie « Allah Akbar ! » (Dieu est grand). Un
cadavre est retiré tant bien que mal. L’odeur est intenable.
L’horreur revient quelques minutes après. Cette fois c’est le
corps d’un enfant qui est porté à bout de bras par les
secouristes. Ils veulent qu’on voie ce petit corps sans vie, les
boyaux à l’air, la tête défoncée. C’est là que se trouvait la
famille Samouni, dont on a beaucoup parlé. L’un des rescapés,
Salah Talal, blessé à la tête, raconte : « L’armée israélienne
nous a tous regroupés dans cette maison parce qu’elle
s’installait dans celles qui étaient autour. Nous étions 110.
Comme ils nous avaient laissés sans eau et sans nourriture, on
est sortis pour prendre du bois pour faire du feu et
confectionner du pain. C’est alors qu’ils ont fait feu. Une
première bombe est tombée. Cinq personnes ont été tuées. C’est
là que j’ai été blessé. Puis un deuxième missile s’est abattu,
en tuant 22 autres. » Alors qu’il finit son récit, des cris
retentissent à nouveau. On voit passer quatre hommes portant à
nouveau un mort dans un linceul de plastique. On le place dans
l’ambulance. On l’emporte. Plus besoin de sirène. Il ne reste
que les larmes de la peine et de la rage.
© Journal l'Humanité
Publié le 20 janvier 2009 avec l'aimable autorisation de l'Humanité.
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