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Gaza. Sarkozy face à l'impuissance qu'il a
lui-même légitimée
Pierre Barbancey
Photo l'Humanité
Lundi 5 janvier 2009
Le président français se rend dans la région aujourd’hui. Ses
« chemins de la paix » sont balisés par les tanks d’Israël.
Jérusalem, envoyé spécial.
Équipés de lunettes de vision nocturne et le visage couvert
de peintures de camouflage, les soldats israéliens sont entrés
samedi soir dans la bande de Gaza alors que l’aviation, en
action depuis déjà une semaine, poursuivait ses raids
meurtriers. C’est la plus vaste opération lancée en quarante ans
sur la bande de Gaza.
Dans une intervention télévisée, le ministre de la Défense,
Ehoud Barak, a expliqué : « Ce ne sera pas facile. Je ne veux
induire personne en erreur. » Un porte-parole de la branche
armée du Hamas, les brigades Al Kassam, a prévenu que les
soldats israéliens risquaient la mort ou la capture. « L’ennemi
sioniste doit savoir qu’il va perdre la bataille de Gaza », a
mis en garde Abou Oubaida. Pendant ce temps, à l’ONU, on assiste
à un remake de l’été 2006 (guerre d’Israël contre le Liban). Le
Conseil de sécurité, présidé actuellement par la France,
convoqué en urgence samedi soir, s’est de nouveau séparé sans
avoir adopté la moindre résolution, laissant ainsi les mains
libres à Israël.
Habituellement roi de la communication, Nicolas Sarkozy est
très discret ces derniers jours. L’offensive terrestre
déclenchée samedi soir par Israël n’est d’ailleurs rien d’autre
qu’un camouflet pour lui. Son entrevue avec la ministre des
Affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni, jeudi, n’a servi à
rien. Tel-Aviv continue de se moquer de la communauté
internationale.
Certes, la France condamne l’entrée des troupes israéliennes
dans la bande de Gaza qui « complique les efforts engagés par la
communauté internationale », mais se sent obligée de dénoncer
dans le même temps « la poursuite des tirs de roquettes ». Et
les chars israéliens avancent d’autant plus qu’au Conseil de
sécurité de l’ONU ils profitent du bouclier américain et du peu
de courage des membres permanents. Étrangement, dans l’entourage
du chef de l’État, on fait savoir que l’entrée de troupes
israéliennes dans Gaza « ne change rien au programme » du
président.
Que va faire Sarkozy ? Il poursuit ce que l’Élysée appelle
« des consultations » mais le plan qu’il entend mettre en oeuvre
n’est vraiment pas clair. Il y a bien sûr sa propension à
vouloir jouer un rôle international. Mais le fait qu’il ne
représente plus l’Europe depuis le 1er janvier l’oblige à
quelques contorsions. D’ailleurs, son déplacement a lieu
parallèlement à une autre mission diplomatique européenne,
dirigée par le ministre tchèque des Affaires étrangères dont le
pays préside l’UE depuis le 1er janvier. C’est que Sarkozy, qui
a défini la place de la France dans le cadre de la stratégie
américaine (renforcement des troupes en Afghanistan,
rapprochement avec Israël…), sert souvent de petit télégraphiste
là où Washington rechigne toujours à se rendre.
Dans ce domaine, il pourrait être supplanté par la République
tchèque qui ne voit dans l’opération terrestre israélienne
qu’une « action défensive et non offensive » ! Preuve cependant
que les fortes mobilisations des opinions publiques européennes
sont importantes et nécessaires, plusieurs chancelleries se sont
démarquées de cette position, forçant Prague à un peu plus de
modération dans un second communiqué.
Officiellement, Nicolas Sarkozy veut défendre la « trêve
humanitaire » avancée par les ministres européens. Paris
souhaite que ce cessez-le-feu « permette ensuite de s’inscrire
dans la durée et que les populations civiles de Gaza aient accès
aux biens de première nécessité », selon les précisions données
par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Problème : un tel cessez-le-feu a d’ores et déjà été rejeté par
Israël qui considère que « la situation humanitaire dans la
bande de Gaza est exactement comme elle doit être » (voir nos
informations ci-contre).
Dans sa recherche des « chemins de la paix », Nicolas Sarkozy
entend s’appuyer sur l’Égypte, première étape de sa tournée, et
son homologue Hosni Moubarak, avec qui il copréside l’Union pour
la Méditerranée (UPM). Si cette dernière n’a a priori pas pour
mission d’être partie prenante ès qualités dans la recherche de
la paix, elle a en revanche l’avantage pour le président
français de lui donner un cadre d’intervention.
Nicolas Sarkozy rencontrera aussi le président de l’Autorité
palestinienne, Mahmoud Abbas, à Ramallah en Cisjordanie et le
premier ministre israélien, Ehoud Olmert à Jérusalem. Mardi, il
verra son homologue syrien Bachar El Assad en Syrie avant de se
rendre à Beyrouth où il rencontrera notamment le président
libanais, Michel Sleimane, et le premier ministre, Fouad Siniora.
Dans l’après-midi, il présentera ses voeux aux militaires
français depuis un camp militaire au Liban, comme c’était prévu
de longue date, avant que ce déplacement ne se transforme en
tournée diplomatique.
Preuve des difficultés de l’opération élyséenne, le premier
ministre, François Fillon, souvent absent de la scène
internationale, a cru bon de prévenir : « C’est une mission très
difficile que va remplir le président. Il faut lui laisser le
soin d’écouter tout le monde. »
Si cette mission est difficile c’est d’abord parce que Paris
soutient Tel-Aviv sans réserve et ne sait rien refuser aux
« amis israéliens ». Preuve en est de l’incroyable déclaration
israélienne qui a balayé d’un revers de main la proposition
française, appuyée par l’UE, d’un cessez-le-feu humanitaire. La
France et l’UE refusent toute mesure coercitive à l’encontre
d’Israël, pas de suspension des accords d’échanges et encore
moins de sanction. Au contraire, la politique de l’UE se traduit
par un rehaussement des relations avec Israël. Dans ces
conditions, la marge de manoeuvre n’est pas seulement étroite.
Elle est pratiquement inexistante.
Pour qu’un véritable cessez-le-feu puisse voir le jour, il
faut un engagement des deux parties. Plus de tirs de roquettes
de la part des organisations palestiniennes, certainement, mais
surtout, arrêt total des incursions et des bombardements
israéliens accompagnés d’une levée du blocus. Sans cela, il n’y
a rien à espérer. Les tirs de roquettes ne sont que la
conséquence de l’étranglement d’un territoire et de la poursuite
de l’occupation.
Tant que cela se poursuit, aucun Palestinien ne s’élèvera
contre ce qui n’est qu’un réflexe de survie même si en termes
politiques cela n’amène rien. Si l’UE veut réellement résoudre
politiquement (et pas seulement de manière humanitaire) le
problème, elle ne peut esquiver cette question. Elle doit faire
preuve de courage en inscrivant par exemple sur l’agenda de
l’ONU l’envoi de casques bleus. Pourquoi ce qui est possible au
Liban Sud ne le serait pas en Israël ? Sans cela il s’agira au
mieux d’une agitation diplomatique, au pire d’un blanc-seing
donné à Tel-Aviv pour poursuivre sa besogne sanglante.
© Journal l'Humanité
Publié le 6 janvier 2009 avec l'aimable autorisation de l'Humanité.
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