Opinion
Novembre 1947/ Septembre 2011 :
le crime était presque parfait !
Pierre-Yves Salingue
Samedi 24 septembre
2011
Le scénario avait été particulièrement
travaillé. 64 ans après le vote par
l’ONU du plan de partage de la Palestine
en faveur de l’entreprise coloniale
sioniste et contre la volonté et les
intérêts des peuples arabes de la
région, on allait liquider la cause
palestinienne en faisant croire que « la
solution évidente des deux Etats » avait
enfin été acceptée par tous.
Les déclarations optimistes d’Abbas et
de Fayyad, autorisées et confortées par
divers discours d’Obama en 2009 et 2010,
avaient ancré dans les esprits l’idée de
« l’Etat palestinien en septembre 2011 »
Les dirigeants israéliens eux-mêmes
avaient émis quelques propos élogieux
sur l’excellence de la coopération
sécuritaire pour réprimer la résistance
et sur les convergences des initiatives
de Fayyad avec le plan de « paix
économique » de Netanyahu.
Avant même la mort d’Arafat, les
dirigeants impérialistes avaient assuré
la continuité d’une représentation
palestinienne qui leur convienne. Après
avoir été imposé comme Premier ministre,
Abbas avait été élu Président de
l’Autorité en 2005. Certes, en 2006, le
vote démocratique en faveur du Hamas des
Palestiniens de Cisjordanie et de la
Bande de Gaza avait mis la manœuvre en
péril. Mais les arrestations par l’armée
d’occupation des parlementaires Hamas
nouvellement élus et le blocus imposé
aux Palestiniens qui prétendaient
choisir leur gouvernement avaient permis
d’imposer une équipe menée par Fayyad et
présentant les garanties exigées par les
bailleurs occidentaux de l’Autorité
palestinienne.
Conscient de l’absence totale de
légitimité politique de Fayyad pour les
Palestiniens (2% aux élections de
2006 !), les dirigeants impérialistes
ont fermé les yeux sur la prolongation
unilatérale par Abbas de son mandat
présidentiel expiré depuis janvier
2009 !
Quant au fait que sa « légitimité
révolutionnaire » au sein de l’OLP tient
d’une part à un congrès du Fatah tenu à
Bethléem en 2009 sous contrôle de
l’armée d’occupation et d’autre part à
l’absence totale de fonctionnement
démocratique de l’OLP dont l’instance
suprême de décision ne s’est pas réunie
depuis plus de 10 ans…ils n’en ont
évidemment cure, tant que l’actuelle
direction autoproclamée leur est utile.
On s’acheminait donc vers l’adoption de
« la seule solution possible, connue de
tous, la solution à deux Etats,
israéliens et palestiniens, vivant côte
à côte en paix et en sécurité. »
On allait enfin connaître la fin d’un
« drame de plus de 60 ans » grâce à la
générosité occidentale qui octroyait un
Etat à des Palestiniens méritants et aux
« sacrifices douloureux » des Israéliens
qui renonceraient (provisoirement !) aux
10 à 15 % de la Palestine mandataire
laissés aux Palestiniens.
A défaut de pouvoir rentrer chez eux,
dans leurs foyers, les réfugiés
pourraient voyager grâce à un passeport,
les Palestiniens discriminés en Israël
seraient invités à rejoindre l’un des
bantoustans constituant l’Etat
palestinien, ce bantoustan pouvant
d’ailleurs être le résultat d’un échange
de territoires permettant à Israël
d’annexer les blocs de colonies.
La pièce était jouée ! A l’occasion de
cet « évènement historique », on ne
parlerait ni du siège de Gaza, ni des 12
000 prisonniers palestiniens dans les
geôles israéliennes, ni de la
construction à un rythme effréné des
colonies, ni de la multiplication des
agressions armées des colons fanatiques
en Cisjordanie, ni de la judaïsation
accélérée de Jérusalem, ni de
l’aggravation de la situation des
réfugiés dans les camps…
Tous les projecteurs seraient braqués
sur la proclamation de l’Etat de
Palestine et peu importe que celui-ci
soit vide de toute souveraineté et sans
conséquence aucune sur la réalité de
l’occupation. On maintiendrait à
distance les victimes de l’ultime
braderie des exigences palestiniennes,
réfugiés sans droit au retour réel,
Palestiniens expulsés de Jérusalem,
Palestiniens de 48 soumis à l’apartheid
en Israël etc. dont on couvrirait les
cris de colère par les slogans des
manifestants soutenant le spectacle :
enfants des écoles dont les cours sont
suspendus le temps du rassemblement,
employés de l’Autorité contraints
d’interrompre le travail et d’aller
manifester pour toucher le salaire,
chômeurs qui se voient offrir un
sandwich et du soda en échange de leur
participation…Et dans les
mosquées,
à la fin de la prière, on ferait lire un
texte appelant à soutenir les efforts
extraordinaires du Président !
Insensiblement, au fur et à mesure qu’on
se rapprochait de l’échéance de
septembre 2011, les choses se sont
gâtées. Le scénario consensuel s’est
délité et la direction palestinienne
s’est retrouvée dans cette situation
ubuesque de devoir justifier les raisons
pour lesquelles elle demandait l’état
croupion qui lui avait été
antérieurement consenti par le parrain
US à qui elle avait un fois de plus fait
confiance.
Pour le coup, l’or s’est changé en plomb
et ce qui devait être un acte historique
a été remplacé par une polémique
saugrenue où le sort de millions de
Palestiniens est réduit au dilemme
suivant : la proclamation de l’Etat de
Palestine et son admission à l’ONU
doit-elle précéder la reprise des
négociations entre Israéliens et
Palestiniens ou la négociation doit-elle
forcément reprendre avant la
proclamation de l’Etat ?
La frénésie des rencontres bilatérales,
des voyages éclair, des réunions
d’urgence, des initiatives de la
dernière chance Etc. semble sans effet
sur la possibilité de trouver une
solution à cette variante onusienne du
fameux dilemme de la poule et de l’œuf :
c’est l’Etat qui précède la négociation
ou c’est la négociation qui engendre
l’Etat ?
Un instant déstabilisé on pense
inévitablement à la tirade de Macbeth :
serions-nous en présence d’ « une
histoire racontée par un idiot, pleine
de bruit et de fureur, et qui ne
signifie rien » ?
Mais en étant attentif, on
constate que les acteurs qui
s’écharpent devant les caméras
sont toutefois d’accord sur un
point : tout ceci n’aura en réalité
aucune conséquence sur le quotidien des
Palestiniens qui resteront soumis demain
aux mêmes injustices qu’hier. Les
prisonniers resteront prisonniers, les
réfugiés resteront dans leurs camps, le
blocus de Gaza ne sera pas levé, le mur
de bougera pas d’un pouce, d’autres
colonies sionistes seront construites
sur les terres palestiniennes Etc.
On comprend alors qu’à l’ONU,
la
ligne de partage n’est pas entre ceux
qui défendent les droits nationaux des
Palestiniens et ceux qui soutiennent
l’état colonial sioniste.
Le désaccord « qui fait craindre le
pire » n’est en réalité qu’une
divergence tactique entre ennemis du
peuple palestinien.
Il y a ceux qui disent « la situation
dans la région menace de devenir de plus
en plus instable, il faut essayer de
tromper les Palestiniens tout de suite,
demain on n’aura peut-être plus un Abou
Mazen sous la main pour essayer de faire
passer la pilule » et ceux qui répondent
« c’est justement parce que c’est
instable qu’on doit se donner un peu de
temps, on peut encore faire vivre
l’industrie de la paix en attendant de
voir comment ça évolue notamment en
Egypte, et si Abou Mazen nous lâche, on
se servira d’un autre aujourd’hui en
réserve »
Mais tous sont d’accord
pour empêcher le peuple
palestinien d’exercer son droit à
l’autodétermination.
On pense alors à ces évènements
extraordinaires en Tunisie, en Egypte,
au Bahreïn, au Yémen, au Maroc… qui ont
illuminé
ces derniers mois le ciel obscur du
désespoir palestinien.
Par ses excès mêmes, la dramatisation
du
dérisoire spectacle onusien témoigne de
l’état de panique suscité par la mise en
mouvement des masses arabes.
On comprend que ce désordre général au
sein du camp impérialiste est le
résultat de l’affolement de chacun des
acteurs qui concouraient au dispositif
d’asservissement des peuples arabes en
général et à l’oppression du peuple
palestinien en particulier.
On comprend que la panique a gagné tous
ces grands et petits bénéficiaires du
dispositif de domination : La direction
sioniste avide de poursuivre son plan de
nettoyage ethnique, qu’elle doit parfois
mettre en veilleuse mais qu’elle n’a
jamais abandonné; Les dirigeants US qui
voudraient
créer
les conditions leur permettant de
rétablir un équilibre
menacé
par l’essor du processus révolutionnaire
arabe notamment en Egypte, condition
nécessaire au déploiement de l’ordre
néolibéral sur la région du « Grand
Moyen Orient »; Les dirigeants européens
avant tout soucieux de la stabilité dans
la partie arabe d’une
zone méditerranéenne déjà
fragilisée par la crise du capitalisme
qui menace plusieurs Etats de l’Europe
du Sud ; Les Etats de la Ligue arabe
menacés par la mise en mouvement de
leurs peuples qu’ils pensaient avoir
définitivement neutralisés ; Et bien
sûr, pièce indispensable de l’édifice,
la petite élite palestinienne issue
d’Oslo et d’abord les dirigeants de
l’OLP et de l’AP de Ramallah, qui n’ont
d’autre horizon stratégique que celui de
négocier, avec les dirigeants sionistes
et sous patronage US, les conditions
d’une reddition qui leur laissent quand
même quelques privilèges
matériels
et symboliques.
Depuis plus de 20 ans, le terme attendu
du « processus de paix » était la
normalisation entre le monde arabe et
l’Etat sioniste,
« une intégration pleine et entière,
consentie par ses voisins »
L’état indépendant palestinien dans les
frontières de 67 était la monnaie
d’échange de cette intégration, alibi
nécessaire à la normalisation des
relations avec Israël pour tous les
régimes arabes décidés à prendre leur
place dans l’ordre néolibéral.
Mais la dynamique politique du sionisme
et sa logique de colonisation
ininterrompue
ont
détruit les bases mêmes de l’existence
de cette monnaie d’échange : à force de
coloniser il ne reste plus rien à
offrir !
C’est maintenant qu’éclate cette vérité
parfois ignorée et toujours niée au sein
du mouvement qui affirme sa solidarité
avec le combat des Palestiniens : le
rejet populaire d’Israël de la part de
l’immense majorité des peuples arabes
qui n’ont jamais accepté l’Etat sioniste
imposé par la force au sein de l’Orient
arabe. La réalité, c’est qu’il n’y a
jamais eu d’adhésion populaire aux
sempiternels discours de paix qui
exprimaient seulement la soumission
d’une élite occidentalisée ou la
collaboration de régimes corrompus et
soumis aux exigences impérialistes
d’accepter « le partenariat avec
Israël »
Aujourd’hui les questions se
bousculent : Comment parvenir à faire
oublier cette plaie ouverte
depuis 1948 ? Comment faire pour
supprimer ce ferment de révolution qui
fait dire à tant d’Arabes que le moment
est venu de balayer tous ces régimes
arabes soumis et de poursuivre la lutte
jusqu’à la libération de toute la
Palestine ? Comment faire pour assurer
la victoire de la normalisation alors
que, du Caire à Amman la colère
populaire a remis l’Etat sioniste au
centre de la cible de la révolution ?
Comment faire pour stopper ce mouvement
dont témoignent les actions déterminées
contre les ambassades israéliennes,
l’affirmation du refus de la
normalisation avec Israël dans la
plate-forme de la fédération des
syndicats indépendants d’Egypte, la
montée de l’exigence d’une véritable
ouverture de Rafah, la remise en cause
des accords économiques et politiques de
l’Egypte et de la Jordanie avec l’Etat
sioniste ?
Tel est le vrai dilemme des dirigeants
impérialistes.
La colère qui couve en Palestine et au
sein des peuples arabes n’éclatera pas
en raison d’une prétendue frustration
d’avoir été injustement privé d’un
« Etat ».
Ce qui provoquera demain la colère ce
seront les agressions de l’armée
israélienne dans le Sinaï, la poursuite
du blocus de Gaza et notamment le
scandale de la prétendue ouverture de
Rafah, les agressions croissantes des
colons sionistes contre les villages
palestiniens en Cisjordanie, la
judaïsation accélérée de Jérusalem, les
provocations contre le peuple du Liban,
la répression des mouvements de
réfugiés, la poursuite de l’occupation
de l’Irak, les menaces d’intervention
impérialiste en Syrie Etc.
Ce qui provoquera la colère c’est la
volonté impérialiste de priver les
peuples arabes de leur droit de prendre
en main leur propre destinée, de
disposer des ressources de leur sol et,
s’agissant du peuple palestinien,
d’exercer son droit à
l’autodétermination au sein de toute la
Palestine, partie intégrante du Machrek.
Quand le pitoyable spectacle de
« Palestine 194 » sera terminé, on
pourra peut-être revenir au sujet
oublié : celui de la libération de la
Palestine.
Peut-être sera-t-il alors possible de
comprendre que la faillite totale et
définitive du projet d’une « Palestine
partagée entre deux peuples » est tout
simplement l’aboutissement logique du
plan de colonisation sioniste qui n’a
pas commencé en 1967 et qui ne
s’arrêtera jamais tant qu’existe un Etat
sioniste qui est d’abord l’incarnation
d’une idéologie coloniale réactionnaire,
fauteur de guerre et facteur de haine,
établi pour contrôler et
diviser
les peuples, au service de la domination
impérialiste.
La prochaine débandade de la direction
palestinienne illégitime
annoncera probablement son acte de décès
et c’est tant mieux !
La fin
de ce projet est en réalité une
chance pour l’immense majorité des
Palestiniens : un Etat croupion
palestinien, dépourvu de toute
souveraineté et légitimant l’existence
de l’Etat d’Israël, eut été une étape
supplémentaire dans la fragmentation
territoriale et la division du peuple
arabe.
La disparition de la perspective des
deux Etats mettra un terme à une
séquence historique porteuse d’illusions
et de défaites. La suppression de cet
obstacle est indispensable pour
renouer
le fil de l’Histoire du combat anti
impérialiste et anti colonial mené
pendant des décennies par les peuples de
l’Orient arabe.
L’essor de la révolution arabe va
bouleverser les termes de la lutte des
Palestiniens en lui permettant de
renouer avec la dimension
anti-impérialiste et révolutionnaire qui
a failli être détruite par les accords
d’Oslo.
La question palestinienne va reprendre
sa place centrale au sein de la question
arabe : il ne s’agit pas d’une lutte
pour « le partage de la terre entre deux
peuples » mais de la remise en cause
d’un état pivot de l’impérialisme au
Moyen Orient et d’un combat pour
l’émancipation.
L’affrontement n’est pas entre les 5
millions de Palestiniens et les 6
millions de Juifs israéliens présents
sur la terre de l’ancienne Palestine
mandataire mais entre le puissant essor
des révolutions arabes en cours et
l’Etat sioniste d’Israël, projection de
l’Impérialisme occidental
dans l’Orient arabe.
Cette modification du rapport des forces
va
entraîner une transformation radicale
des termes de l’affrontement et de ses
issues politiques possibles.
Il entrainera aussi une remise en cause
profonde
de la représentation
palestinienne.
Ceux qui pensent que c’est seulement
« de son plein gré qu’Israël évacuera
les territoires occupés », ceux qui
approuvent Abbas quand il affirme
« notre objectif n’est pas d’isoler ou
de délégitimer Israël » vont devoir
s’effacer, emportés par le naufrage de
la stratégie qui a conduit aux accords
d’Oslo.
C’est à la question du partage qu’il
faut revenir en effet, mais en
comprenant que le problème n’est pas
l’absence d’un Etat palestinien.
Le conflit prend
racine dans la création de l’Etat
colonial et c’est pour cette raison que
la solution n’est pas d’appliquer le
plan de partage mais de l’annuler
totalement, au nom de l’émancipation des
peuples arabes contre le projet
impérialiste d’accaparement des
richesses et de contrôle stratégique de
l’Orient arabe et au nom de la
révolution arabe qui s’est remise en
marche et qui se heurtera nécessairement
à l’ Etat sioniste partie intégrante de
la contre révolution.
Pour celles et ceux qui soutiennent
les
droits des Palestiniens, le combat pour
la Palestine n’est certes pas de
soutenir une supplique visant à obtenir
une quelconque reconnaissance de l’ONU
qui a légitimé en 1947 un projet de
nettoyage ethnique et a donné le feu
vert aux troupes sionistes pour mener la
guerre coloniale de dépossession et
d’expulsion des Palestiniens, guerre qui
se poursuit encore aujourd’hui.
Le combat pour la Palestine est dans la
poursuite de l’action visant à isoler
l’Etat sioniste, notamment en
poursuivant la campagne BDS.
Il est dans le développement de l’action
contre le
blocus de Gaza, en prenant place aux
côtés des révolutionnaires égyptiens
dans la campagne pour l’ouverture totale
de Rafah
Il est dans l’engagement de forces
militantes dans les
actions des réfugiés aux
frontières de la Palestine occupée, au
Liban, en Jordanie et en Syrie.
Et il est, bien sûr, dans le soutien aux
révolutions arabes, en solidarité
notamment
avec
les révolutionnaires égyptiens en
première ligne de la confrontation qui
vient.
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