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Justice
Bonbons, esquimaux,
« fruits verts »
Philippe Randa
Philippe Randa
Lundi 28 septembre 2009
Depuis la nouvelle connue de l’arrestation ce week-end à Zurich
du cinéaste Roman Polanski, ce n’est que couinements et
consternation jusqu’au plus haut sommet de l’État français.
Ainsi, le ministre de la culture s’est-il déclaré « stupéfait »
par cette arrestation. « S’étant entretenu avec le président de
la République, Nicolas Sarkozy », il n’a pas manqué d’assurer
que celui-ci suivait le dossier « avec la plus grande attention
et partage(ait) le souhait (...) d’une résolution rapide de la
situation. » Rien de moins. Et le célèbre cinéaste d’accéder
ainsi dans l’opinion publique au statut « d’otage », tel une
Ingrid Bettancourt, une Florence Cassez ou une Clotilde Reiss.
Ni plus, ni moins. À ceux qui croiraient encore que la
pédophilie est un des derniers tabous des sociétés occidentales
- avec la version américaine des attentats-suicides du 11
septembre 2001 dont il n’est guère conseillé de douter - le
démenti est donc cinglant. Car Roman Polanski a fui les
États-Unis en janvier 1978 au lendemain d’une réunion entre ses
avocats et un juge qui comptait le renvoyer sous les verrous
après qu’il eut reconnu des « relations sexuelles » avec une
adolescente de... 13 ans ! Cela ne se faisait pas davantage à
l’époque que de nos jours, que ce soit là-bas ou en France,
voire dans le monde entier, même si certains pays ferment plus
ou moins les yeux sur le « tourisme sexuel », devises oblige.
Nombre d’adultes savent ainsi ce que leur coûte leur attirance
pour les « fruits verts ». Seulement, le terme même de
« pédophilie » n’est étrangement pas prononcé au sujet de Roman
Polanski et la lecture des différents articles de ce jour est
des plus explicite de ce point de vue : « ... Rattrapé par son
passé » (Libération), « Une vieille affaire de mœurs (...)
L’histoire est vieille de 32 ans et la victime, dit-on, a retiré
sa plainte depuis » (Le Figaro), « Les réactions d’indignation
ont succédé à la stupeur » (Le Parisien), etc. La palme du
cynisme revenant sans doute à l’avocat du cinéaste, Me Georges
Kiejman, qui a souligné qu’en France « une affaire de ce type
était prescrite au bout de quinze ans. » Car le plus scandaleux,
sans doute, reste que la France ait accordé voilà trente ans
l’asile à un délinquant sexuel reconnu, faisant l’objet d’un
mandat d’arrêt de l’autre côté de l’Atlantique. Que ce pédophile
soit incontestablement talentueux, que son prestige soit immense
et qu’il ait vécu nombre de drames personnels - depuis son
enfance dans le ghetto de Cracovie en Pologne jusqu’à
l’assassinat de son épouse Sharon Tate, enceinte de huit mois,
par Charles Manson et sa secte de tarés - ne lui donne droit
qu’à d’évidentes circonstances atténuantes, non à une immunité
sexuelle. Il est clair que si l’actuel traitement médiatique de
cette affaire est aussi nauséabond que les faits reprochés à
l’intéressé, c’est à la justice et à elle seule de décider
quelles suites judiciaires y donner. Rappelons à sa décharge que
Roman Polanski a quand même purgé à l’époque une peine de prison
de 47 jours et qu’en 2008, un documentaire réalisé par Maria
Zenovich, Roman Polanski : wanted and desired, laissait entendre
qu’il fut privé à l’époque des faits d’une procédure judiciaire
équitable. S’il fût une époque où « que vous soyez riche ou
pauvre... », les jugements de cour vous rendaient blancs ou
noirs, il est certain qu’aujourd’hui l’adage serait plutôt « que
vous soyez en cour médiatique ou inconnu... », les jugements
vous rendent intouchables ou indignes. « Si le monde de la
culture ne soutenait pas Roman Polanski, cela voudrait dire
qu’il n’y a plus de culture dans ce pays », a encore ajouté
Frédéric Mitterrand... Quand certains entendaient le mot
« culture », ils sortaient leurs révolvers... D’autres,
aujourd’hui, sortent leurs pétitions. C’est moins dangereux, à
défaut d’être beaucoup plus pertinent.
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