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IRIS
Gaza un bilan déjà
lourd :
humainement pour les Palestiniens
et politiquement pour les
Israéliens
Pascal Boniface
Pascal Boniface - Photo IRIS
Mardi 30 décembre 2008
Les opérations militaires aériennes lancées par Israël contre le
Hamas dans la Bande de Gaza ont déjà fait - avant une éventuelle
opération terrestre – plusieurs centaines de morts et un nombre
plus impressionnant encore de blessés côté palestinien. Le
bilan, déjà le plus lourd en un jour depuis 1967, ne pourra que
s’aggraver. Il est déjà temps de dresser un premier bilan.
Qu’espère Israël ? Officiellement la fin des tirs de roquettes
sur son territoire à partir de Gaza. Cet objectif aurait pu
certainement être atteint par la levée du blocus sur Gaza, dont
le Hamas faisait une condition de la poursuite du cessez-le-feu.
Tel Aviv n’a pas voulu accomplir ce geste qui aurait été
interprété et aurait constitué une victoire pour le Hamas. Car,
et ce n’est plus caché désormais, Israël souhaite la défaite ou
le démantèlement du Hamas, mouvement qu’il avait favorisé il y a
une vingtaine d’années pour contrer l’influence des laïcs de
l’OLP.
Un troisième objectif est invoqué par certains observateurs y
compris les Israéliens. Israël souhaite restaurer sa capacité de
dissuasion mise à mal par le semi-échec de la guerre du Liban.
Ces objectifs sont-ils accessibles ? N’y a-t il pas un risque
pour Israël d’apparaître - comme ce fut le cas en 2006 - comme
vaincu s’il n’a pas totalement gagné ? Et une victoire totale
est-elle possible ? Israël comme en 2008 ne va-t-il pas donner
le sentiment de vouloir écraser une noix avec un marteau pilon
et faire un usage excessif de la force, fût-ce pour une cause
initialement compréhensible ? Et enfin, ne va-t-il pas renforcer
ceux qu’il prétend vouloir affaiblir ?
Il est certain que l’envoi de roquettes sur Israël par le Hamas
est militairement et politiquement pathétique. Elles font des
dégâts matériels et des pertes humaines, mais ne sont en aucun
cas de nature à faire plier Israël. L’objectif du Hamas ne peut
être de renverser un rapport de force défavorable aux
Palestiniens. Ces tirs de roquettes ne servent qu’à radicaliser
l’opinion israélienne, affaiblir le camp de la paix. Est-ce
l’objectif du Hamas ? Si oui, l’offensive israélienne peut
s’apparenter à tomber tête baissée dans le piège de
l’adversaire.
Pour éviter ce piège, il faudrait que le Hamas soit vaincu. Cela
peut se produire par une demande de cessez-le-feu du Hamas. On
voit mal le mouvement islamiste faire cela sans rien obtenir en
échange, sauf à perdre toute crédibilité. Ce serait admettre
publiquement que sa stratégie était suicidaire.
Israël peut espérer détruire le Hamas comme mouvement. Mais cet
espoir consiste un peu à prendre sa propre propagande pour la
réalité. Israël présente le Hamas comme un mouvement terroriste.
Les Etats-Unis et l’Europe ont adhéré à cette vision. Mais le
Hamas n’est pas Al Qaeda. Ses racines populaires sont profondes,
et il est à la fois un mouvement armé et une organisation de
masse. Comme le Hezbollah que la guerre de 2006 n’a pas
affaibli, bien au contraire.
En 2008 comme en 2006, Israël espère que les populations qui
souffrent des bombardements se retourneront contre ceux qui ont
été le déclencheur (le Hezbollah pour l’enlèvement des soldats
israéliens, le Hamas pour le tir des roquettes) et non contre
ceux qui bombardent. Cela n’a pas fonctionné en 2006, il est peu
probable que cela fonctionne en 2008.
En Palestine comme partout ailleurs, un peuple qui se sent
attaqué a pour premier réflexe de se regrouper autour de ses
dirigeants. Israël dit souhaiter vouloir éliminer le Hamas pour
favoriser les Palestiniens modérés. Le problème est que la
meilleure aide à apporter à Mahmoud Abbas aurait été de lui
donner des arguments pour convaincre son peuple, que la voie
stratégique qu’il a choisie, la négociation, la condamnation du
terrorisme, la paix avec Israël était payante. Lorsqu’il a
succédé à Arafat en janvier 2005, Israël n’en a pas profité pour
ouvrir avec lui des négociations ou procéder de manière négociée
au retrait de Gaza.
Yossi Beilin avait averti que faute de conforter Abbas par des
vraies négociations, le Hamas sortirait vainqueur des élections
en janvier 2006, et ce fut le cas. Après les espoirs (pour ceux
qui voient le monde avec les lunettes d’Elton John) de la
conférence d’Annapolis, aucun progrès tangible n’a été obtenu
sur aucun point sensible. Bref, Mahmoud Abas est délégitimé par
l’action conjointe du Hamas et d’Israël.
De même, Israël a placé dans un grand embarras un des rares pays
arabes à avoir fait la paix avec lui, car l’Egypte apparaît
comme indirectement complice du blocus de Gaza. Les adversaires
islamistes de Moubarak devraient capitaliser là-dessus.
Quels sont les risques pour Israël ? A court terme, ils sont
inexistants. La capacité de réplique militaire des Palestiniens
est quasi-nulle, les pays arabes resteront prudemment à l’écart,
les pays occidentaux au pire ou au mieux émettront des
condamnations qui resteront purement platoniques.
Mais Israël aurait tort de penser que la colonne "risques" est
quasi nulle par rapport à celle des avantages. Ceci n’est vrai
qu’à court terme. Avant même une éventuelle opération terrestre
qui, du fait de la réalité démographique de Gaza, aurait des
effets humainement terribles, les dégâts pour Israël sont déjà
énormes.
Les arabes modérés, ceux qui veulent négocier sincèrement avec
Israël sont affaiblis. Les opinions arabes qui comptent, même
dans les pays non démocratiques, sont révulsées par les images
qu’elles ont vues. Des images qui sont beaucoup plus horribles
que celles qu’ont montré les medias occidentaux. Mais même ces
derniers, d’habitude très prudents lorsqu’il s’agit d’évoquer le
conflit israélo-palestinien, sont cette fois-ci, et avant que le
bilan humain ne s’alourdisse, plus enclins à condamner Israël.
Les gouvernement européens qui renvoient dos à dos le Hamas et
Israël, et les Etats-Unis qui réservent eux leurs critiques au
Hamas, sont isolés non seulement par rapport aux opinions
publiques mais aussi par rapport aux médias.
L’image d’Israël va subir un nouveau contrecoup terrible alors
que les dégâts nés de la guerre du Liban sont encore vivaces. Et
ceci une fois encore, alors qu’on n’en est qu’au début du
conflit. Comme il est loin d’être certain que l’opération soit
une réussite, militaire et politique, Israël risque à la fois
d’être détesté et de ne plus faire peur. A tout point de vue le
risque pour Israël est d’avoir à Gaza le résultat amplifié de la
guerre du Liban.
Enfin un dernier mot. On a souvent mis en perspective la
concomitance de cette guerre avec la trêve de Noël. Il en est
une autre plus pertinente et qui devrait faire plus réfléchir :
cette guerre a été lancée au moment où Samuel Huntington, le
théoricien du choc des civilisations, s’éteignait. Elle risque
de contribuer à son triomphe posthume.
Pascal Boniface, directeur de l'IRIS
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Publié le 31 décembre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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