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Yediot Aharonot
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Bienvenue à Riyad »
Orly Azoulay
[Pour
la première fois, l'Arabie saoudite a ouvert officiellement ses
portes à un journaliste israélien, qui se trouvait, de surcroît,
être une femme! Anecdotique? Peut-être. Ou peut-être pas. En
tout cas, la journaliste raconte. Nous aurons bien sûr l'occasion
de revenir sur cet important sommet]
Yediot Aharonot, 28 mars 2007
http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3382305,00.html
Je me couvre d'un foulard, comme toutes les autres femmes à bord
de l'avion qatari qui nous conduit à Riyad. J'hésite en présentant
mon passeport. "Vous êtes sur la liste", dit le
fonctionnaire saoudien chargé de la presse, qui nous accueille
chaleureusement. "Bienvenue au Royaume saoudien."
Je marche sur le sol de marbre étincelant, et je n'arrive
toujours pas à y croire. De longs jours se sont écoulés et un
incident diplomatique a failli se produire avant d'avoir pu,
enfin, obtenir l'autorisation d'être le seul journaliste israélien
présent au sommet arabe de Riyad.
Le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, engagé
à promouvoir l'initiative de paix saoudienne entre Israël et les
pays arabes, voulait envoyer un message fort : il a pensé qu'en
emmenant dans le même avion une délégation conjointe comprenant
des journalistes arabes et un représentant des médias israéliens,
il réussirait, au moins partiellement, à briser la glace.
C'est ma seule réussite diplomatique depuis les trois mois que je
suis en poste, me dit avec un grand sourire le secrétaire général,
alors que nous volons vers Riyad. Il y a beaucoup de choses dont
je m'occupe et qui doivent encore mûrir. Dans ce cas-ci, j'ai réussi,
et je suis content. Je lui ai répondu que moi aussi.
Quand j'ai appris que le secrétaire général de l'ONU prévoyait
une visite au Moyen-Orient, j'ai demandé à me joindre à la délégation.
Deux jours plus tard, je recevais une réponse positive.
"Vous êtes dans l'avion",
m'informait son bureau. Avec les autres journalistes [étrangers,
ndt], j'ai remis mon passeport pour une demande de visa.
Les passeports sont rendus dans les temps, sauf le mien. Ma
demande est refusée. Le représentant saoudien aux Nations Unies
a fait savoir au secrétaire général que ma présence n'était
pas vraiment souhaitée. Le
secrétaire général ne baisse pas les bras. Je suis invitée à
embarquer, avec l'assurance qu'il tenterait d'exercer une pression
sur les Saoudiens pendant le vol, pour que je sois autorisée à
entrer. Les Saoudiens ne tardent pas à réagir.
Dimanche dernier, alors qu'il se trouve encore à Jérusalem, le
secrétaire général appelle le ministre saoudien des affaires étrangères,
Saoud Al-Faiçal. Je lui ai demandé de vous permettre d'entrer
parce que vous
faites partie de la délégation, et que je viens avec plein de
journalistes, me dit Ban. Le ministre lui a assuré qu'il y réfléchirait.
Warren Hoge du New York Times, lui aussi membre de la délégation,
publie un long papier qui décrit ces efforts pour obtenir mon
visa.
Au cours de sa rencontre avec Ehoud Olmert, Ban lui parle de ses
efforts pour me faire venir à Riyad. Il dit qu'il a tout essayé,
mais qu'il n'a reçu aucune réponse et qu'il n'est donc pas très
optimiste.
Quelques heures seulement avant le départ, un email arrive du
ministère saoudien, qui annonce que je suis invitée au sommet.
Le secrétaire général fait le "V" de la victoire.
Mardi après-midi, nous atterrissons à Riyad. La route qui mène
au palais des congrès est décorée de tous les drapeaux des pays
arabes qui participent au sommet. 4.000 personnes, plus un millier
de journalistes sont arrivés en ville, devenue complètement
saturée.
Le représentant du ministère saoudien de l'information, venu
nous cherche en voiture, demande à l'un des journalistes s'il est
au courant de quelque chose sur une journaliste israélienne censée
arriver. "Elle voulait absolument venir, mais elle n'a pas eu
son visa", dit-il. Le journaliste éclate de rire :
"Elle a reçu un visa et une invitation du ministre saoudien
des affaires étrangères." L'officiel ouvre grand les yeux
et demande quand cette journaliste doit arriver et où elle se
trouve. "Elle est là, dans votre voiture", dit le
journaliste en me montrant du doigt.
Si son siège n'avait pas été pourvu d'un dossier, il serait
tombé à la renverse. Il me regarde, reste muet un moment, puis
me dit : "Bienvenue à Riyad. Bienvenue, vous n'avez rien à
craindre, nous veillerons sur vous.
Vous êtes notre invitée." Il me montre la liste de
journalistes accrédités à la conférence : mon nom et le nom du
journal, Yediot Aharonot, figurent bien sur la liste. Pour la
première fois, l'Arabie saoudite a officiellement
ouvert ses portes à un journaliste israélien.
Les Saoudiens accordent une extrême importance à ce sommet, au
cours duquel leur initiative de paix doit être réaffirmée. Ils
cherchent à devenir des acteurs majeurs au Moyen-Orient, et récemment,
ils ont mené des pourparlers secrets avec de hauts représentants
du gouvernement israélien (1). Ce mardi, ils ont seulement ouvert
un petit peu plus la porte et invité un journaliste israélien à
couvrir une conférence qu'ils considèrent comme un événement
historique.
"C'est bien que vous soyez ici", me dit un important
journaliste saoudien, rencontré au centre de presse près du
palais des congrès. "Quand le monde arabe aura compris que
nous avons un réel désir de faire advenir la paix, cela fera
avancer le processus", me dit-il, en ajoutant que le fait que
je me trouve là symbolise une ère nouvelle pour beaucoup de
monde. "Inch'Allah", lui dis-je. Avant de partir, il me
souhaite deux fois "Salam
Aleikoum".
Malgré l'accueil chaleureux du premier jour à Riyad, mes hôtes
m'ont fait comprendre que je devais, au début, faire profil bas.
Les mesures de sécurité dans la capitale saoudienne sont sans précédent
: la palais des
congrès est entouré de blocs de béton, et tout véhicule pénétrant
dans le parking, même porteur d'un papillon officiel, doit subir
une inspectionminutieuse.
Car tous ceux qui participent à la conférence n'apprécient pas
l'esprit d'ouverture que tentent de montrer les Saoudiens à l'égard
du processus de paix, et certains éléments radicaux dans le
royaume pourraient essayer de saboter ce processus par un attentat
terroriste. Malgré cela, on m'a donné tous les moyens nécessaires
pour envoyer mes informations depuis la conférence, et le secrétaire
général des Nations Unies Ban a dit que ma présence servirait
sans aucun doute à rapprocher Israël et l'Arabie saoudite.
Depuis des années, il répète que les ennemis doivent discuter
ensemble. Pendant ce voyage, il a prouvé qu'il est prêt à tout
faire pour que cela se produise.
(1) Voir http://www.lapaixmaintenant.org/article1506
où il est fait état, entre autres, d'une rencontre secrète
entre Olmert et l'un des plus proches conseillers du roi Abdallah,
le prince Bandar bin Sultan.
Trad. : Gérard
pour
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