Dieudonné à Bruxelles: des citoyens contournent la censure Olivier Mukuna
Dimanche 9 mai 2010
Interdit de spectacle vendredi passé par le Bourgmestre
Gaëtan Van Goidsenhoven (MR), l’humoriste Dieudonné a pu compter
sur l’aide improvisée d’un réseau de citoyens. En quelques
heures, ceux-ci lui ont trouvé une salle de rechange : la boîte
de nuit du Bazaar. Près de 400 personnes y ont acclamé l’artiste
engagé qui a livré deux représentations de son spectacle «
Sandrine ». Au final : une performance magistrale, une absence
classique de troubles à l’ordre public et une liberté
d’expression restaurée.
Fantasme idéologique ; "De qui parlez-vous, monsieur
l'agent ?", Raison populaire.
Dans la matinée du 30 avril, les censeurs bruxellois remportent
une nouvelle victoire. Le Bourgmestre (maire) d’Anderlecht,
Gaëtan Van Goidsenhoven (MR), vient d’obtenir le renoncement du
propriétaire de la salle Akdeniz-Chambord.
A quoi l’homme renonce-t-il ? A maintenir le spectacle de
l’humoriste Dieudonné prévu depuis deux mois dans sa salle de
fêtes. La veille, ce gérant avait déjà reçu des appels de la
police communale « l’invitant » à annuler le spectacle. Devant
ses refus répétés : il est convoqué au bureau du Bourgmestre !
Au sortir de l’entrevue, le propriétaire confirme
l’annulation.
Servilement rapportés par la presse, les « motifs » de
l’interdiction sont aussi classiques qu’infondés : la salle ne
répond pas aux normes de sécurité, selon le maïeur et sa police.
Pourtant, depuis six ans, ce lieu accueille mariages et concerts
(selon une fréquence hebdomadaire pour les premiers et
trimestrielle pour les seconds) dont l’affluence oscille entre
500 et 1000 personnes par soirée. Comment expliquer qu’en six
ans cette salle « non-conforme » n’aie pas enregistré le moindre
incident de sécurité ?
Comment expliquer que les autorités d’Anderlecht n’aient pas
interdit préalablement un seul de ces événements depuis six ans
(1) ?
Plus étonnant : le propriétaire de la salle Akdeniz-Chambord
avait déjà accueilli Dieudonné à se produire chez lui le 24
septembre 2009. Dans un silence politico-médiatique remarquable.
Résultat : plus d’un millier de spectateurs venus de Bruxelles
et de Wallonie, aucun trouble à l’ordre public et - là encore -
aucune interdiction préalable du Bourgmestre d’Anderlecht.
Fantasme idéologique
On l’a compris : les véritables ressorts de cette soudaine
interdiction sont ailleurs. Comme d’autres propriétaires de
salles bruxelloises qui ont invité Dieudonné en 2009, le gérant
d’origine turque s’est vu menacé par son Bourgmestre Van
Goidsenhoven. En clair : soit il annulait le spectacle soit il
se voyait facturer un dispositif de 50 policiers ajouté aux
éventuels dégâts commis lors de la soirée. Coût minimal annoncé
: près de 20.000 € …
Du point de vue de la jurisprudence comme des oppositions en
présence, l’éventualité de troubles à l’ordre public relève
pourtant du pur fantasme idéologique. De 2004 à 2010, chacune
des représentations de l’artiste controversé en Communauté
française (Woluwé-Saint-Pierre, Seraing, La Louvière, Arlon,
Ixelles, Saint-Josse, Bruxelles-ville et
Anderlecht) se sont soldées par un calme plat. Pas le moindre
incident, le moindre blessé ou la moindre déprédation.
Quant aux militants ultra-sionistes susceptibles de faire « le
coup de poing » avec le public de Dieudonné, c’est simple : ils
n’existent pas ! En six ans, sur une quinzaine de dates dans une
dizaine de villes et communes, seule une trentaine de
manifestants anti-Dieudonné - menés par les islamophobes et
sionistes Alain Desthexe (MR) et Yves De Jonghe d’Ardoy (MR) -
ont exprimé leur désapprobation à Saint-Josse. Dans le calme et
sans autre violence que verbale …
Mais ce type de réalité factuelle n’intéresse pas Gaëtan Van
Goidsenhoven ni les médias aux ordres. Sans le moindre esprit
critique, ces derniers ont relayé la censure maïorale. Pas son
contournement par un réseau de citoyens libres et courageux.
Confirmant, sur le sujet, leur pratique habituelle du «
journalisme par omission » (2). Ni les télés RTBF (3) et RTL-TVI
(4) , ni les quotidiens Le Soir (5) , La Libre Belgique (6) , La
Capitale (7) et La Dernière Heure (8) ne couvriront ou
diffuseront cette information nouvelle : Dieudonné s’est
finalement produit à Bruxelles.
Incompétence, soumission envers l’autoritarisme politique ou
partialité anti-journalistique ? Un peu des trois ? A vous de
choisir …
« De qui parlez-vous, monsieur l’agent ? »
Dans les heures qui suivent l’interdiction, coups de téléphones,
sms et e-mails s’échangent tous azimuts. Il apparaît vite que
plusieurs citoyens anonymes refusent la censure et tentent de
trouver une salle de secours. Une première adresse circule, puis
est abandonnée. Une seconde connaît le même sort. Vers 17h00, la
propriétaire du night-club Le Bazaar nous confirme sa volonté
d’accueillir Dieudonné. L’info circule déjà et se répand comme
une traînée de poudre.
19h00. Devant les portes closes de la salle Akdeniz-Chambord,
quelques spectateurs dépités discutent. Trois voitures
banalisées les surveillent. Un jeune homme se dirige vers l’une
d’elles et demande au conducteur : « C’est bien ici que le
spectacle de Dieudonné doit avoir lieu ? ». « Non, il a été
annulé », répond le policier, « mais le spectacle aura quand
même lieu au Bazaar ». Et l’agent de lui fournir les coordonnées
précises de l’établissement comme s’il cherchait à écourter son
« importante »
surveillance …
19h30. Plusieurs groupes se dirigent vers l’entrée du Bazaar
dont une vingtaine de Français venus de Lille. 20h00. Plus de
200 personnes, serrées sur le trottoir, forment une queue
impressionnante qui encercle la moitié du pâté de maisons. Les
futurs spectateurs sont calmes. L’air est néanmoins électrique.
Soudain, la tension monte. Les combis de la police quadrillent
les alentours.
Une voiture des forces de l’ordre bloque l’entrée de la rue
après qu’un fourgon s’y soit engagé. Le véhicule s’arrête net
devant l’établissement. Un policier en sort rapidement. Il
apostrophe sans ménagement un badaud : « Il est déjà dedans ?!
». « De qui parlez-vous, monsieur l’agent ? », répond
ironiquement le citoyen. « Est-il déjà à l’intérieur, oui ou non
?! », hurle le policier. « Ecoutez, je ne vois pas de qui vous
parlez, nous sommes venus assister à une soirée dansante »,
sourit le jeune homme. Furieux, le policier tourne les talons et
décoche à son interlocuteur : « On s’est très bien compris ! ».
Pendant que les spectateurs entrent par grappe, plusieurs
policiers cherchent fébrilement la gérante du Bazaar. Lorsqu’ils
la trouvent, ils tentent de lui faire annuler l’évènement.
Arguant notamment qu’elle n’a pas demandé « une autorisation
pour organiser une manifestation ». Celle-ci rétorque qu’il ne
s’agit pas d’une « manifestation » et qu’elle n’a enfreint
aucune loi en programmant un spectacle dans son établissement.
Devant l’évidence et l’énervement qu’ils commencent à produire,
les policiers rebroussent chemin. Non sans relever la carte
d’identité de la propriétaire du Bazaar …
Raison populaire
21h30. Le night-club est quasiment plein. Les nombreux
spectateurs restés sur le carreau ont été conviés à une seconde
représentation. Se frayant un passage à travers la foule,
majoritairement debout, Dieudonné entre enfin sur « scène ».
D’entrée de jeu, l’humoriste improvise autour des raisons
hallucinantes qui lui font rencontrer son public dans… une boîte
de nuit. Pendant cinq minutes, l’artiste censuré fera hurler de
rire la salle en décrivant la manière dont le gérant
d’Anderlecht s’est couché devant la pression politique.
Apparemment imperméable aux conditions liberticides comme aux
divers cafouillages techniques, le comédien va prouver qu’il
reste le meilleur des humoristes francophones actuels. Donné
pour « mort » chaque année par les médias français, ce maître du
rire alternera autodérision, improvisations chirurgicales,
satires multidirectionnelles et dénonciations pertinentes durant
près de trois heures. Une performance magistrale que peu de ses
collègues pourraient égaler, nous confie Dieudonné Kabongo,
comédien et humoriste belgo-congolais.
Dès que lui est parvenu la nouvelle, Kabongo s’est rendu au
Bazaar. Si son célèbre homonyme lui a fait connaître moult
confusions agaçantes, il ne l’avait jamais vu jouer « Sandrine
». A la sortie, Dieudonné Kabongo a ces mots : « Il possède une
répartie énorme et une faculté d’adaptation au lieu comme au
public proprement impressionnante. Pour jouer dans de telles
conditions, il faut vraiment être costaud à l’intérieur. C’est
une rare conjugaison d’intelligence, de comédie et d’humour. La
plupart des humoristes français ont raison lorsqu’ils disent que
c’est le meilleur ».
Vers une heure du matin, les deux collègues échangeront leurs
vécus, entrecoupés de grands éclats de rire. Une belle rencontre
que devrait immortaliser une prochaine édition du magazine
culturel Kiosque …
Au final, que retenir de cette soirée « interdite » mise sur
pied en quelques heures par des citoyens ordinaires ? Sans
toujours le savoir, ces anonymes ont appliqué et défendu les
articles 19 (9) , 23§5 (10), 26 (11) et
27(12) de la Constitution belge. Et ont rappelé, sans violence
ni débordement, que la raison vient toujours du peuple lorsque
le pouvoir politique, conforté par une majorité de médias,
s’abîme dans la censure et l’autoritarisme.
Quant à l’auteur de ces lignes, l’un des deux journalistes
présents ce soir-là, il invoque l’article 25 (13) de cette même
Constitution. Tout en invitant les véritables démocrates à agir
enfin contre ceux qui s’attaquent aux libertés en principe
garanties dans notre « démocratie » ...
Olivier Mukuna
(1) A cet égard, lire l’hebdo
satirique Pan du 5 mai 2010, seul média francophone à tailler en
pièces les « motifs » d’interdiction avancés par Van
Goidsenhoven (http://www.lepan.be/?p=5236 ).
(2) Lire « Egalité Zéro – Enquête sur le procès médiatique de
Dieudonné », O. Mukuna, Editions Blanche, Paris, 2005.
(3)
http://www.rtbf.be/info/economie/le-bourgmestre-danderlecht-interdit-une-representation-de-dieudonne-212824
(4)
http://www.rtlinfo.be/info/magazine/arts_et_spectacles/467173/une-representation-de-dieudonne-interdite-au-dernier-moment-a-anderlecht
(5)
http://www.lesoir.be/regions/bruxelles/2010-04-30/un-spectacle-de-dieudonne-interdit-a-anderlecht-767467.php
(6)
http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/580001/le-bourgmestre-d-anderlecht-interdit-une-representation-de-dieudonne.html
(7)
http://archives.sudpresse.be/anderlecht-interdit-un-spectacle-de-dieudonne_t-20100430-H2FKUL.html?queryand=Dieudonn%E9+Anderlecht&when=-1&firstHit=0&by=10&sort=datedesc&pos=0&all=69&nav=1
(8) http://www.dhnet.be/dhjournal/archives_det.phtml?id=1043263
(9) « La liberté de manifester ses opinions en toute matière
est garantie, sauf la répression des délits commis à l’occasion
de l’usage de cette liberté. »
(10) « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité
humaine », en ce compris « le droit à l’épanouissement culturel
et social ».
(11) « Les Belges ont le droit de s’assembler paisiblement et
sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler
l’exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une
autorisation préalable. Cette disposition ne s’applique point
aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis
aux lois de police. »
(12) « Les Belges ont le droit de s’associer; ce droit ne peut
être soumis à aucune mesure préventive. »
(13) « La presse est libre; la censure ne pourra jamais être
établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains,
éditeurs ou imprimeurs. »
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