In These Times
La véritable menace à
bord de la flottille de la liberté
Noam Chomsky
Noam Chomsky
Jeudi 10 juin 2010
La Flottille de la Liberté défiait la politique israélienne qui
consiste à saboter toute solution au conflit Arabo-israélien
basée sur des décisions et accords internationaux et devait donc
être écrasée. L’attaque violente d’Israël contre
la Flottille qui transportait de l’aide humanitaire à Gaza a
choqué le monde entier.
Le détournement de navires dans les eaux
internationales et l’assassinat de passagers constituent, bien
sûr, un crime.
Mais le crime n’a rien de nouveau. Depuis des
décennies, Israël détourne des bateaux entre Chypre et le Liban
et tuent ou enlèvent des passagers, et parfois les retient en
otage dans des prisons israéliennes.
Israël présume qu’il peut commettre impunément
de tels crimes parce que les Etats-Unis les tolèrent et que
l’Europe en général leur emboîte le pas.
Comme l’a fait remarquer le quotidien
(britannique) The Guardian du 1er juin
(2010), « Si un groupe armé de pirates somaliens
avait accosté hier six navires en pleine mer, tuant au moins 10
passagers et en blessant beaucoup plus, une force d’intervention
de l’OTAN se dirigerait dés aujourd'hui vers les côtes de la
Somalie. » Dans ce cas, le traité de l’OTAN oblige ses
membres à porter secours à un pays membre – la Turquie – attaqué
en pleine mer.
Le prétexte avancé par Israël était que la
Flottille transportait du matériel que le Hamas pouvait employer
pour construire des bunkers pour tirer des roquettes sur Israël.
Ce prétexte n’est pas crédible. Israël peut
facilement faire cesser la menace des roquettes par des moyens
pacifiques.
Le contexte est important. Hamas a été désigné
comme une menace terroriste importante lorsqu’il a remporté les
élections libres en janvier 2006. Les Etats-Unis et Israël ont
sévèrement renforcé leurs mesures punitives contre les
Palestiniens, cette fois-ci pour avoir commis le crime de mal
voter.
Le résultat fut le siège de Gaza, qui comprend
un blocus naval. Le siège fut nettement durci en juin 2007 après
une guerre civile qui a vu le Hamas prendre le contrôle du
territoire.
Ce qui est communément décrit comme un coup
d’état militaire du Hamas fut en réalité provoqué par les
Etats-Unis et Israël qui ont ouvertement tenté d’inverser le
résultat des élections remportées par le Hamas.
Ceci est connu depuis au moins le mois d’avril
2008, lorsque David Rose a révélé dans (le magazine)
Vanity Fair que George W. Bush, le
Conseiller en Sécurité Nationale Condoleeza Rice et son adjoint,
Elliot Abrams (*), « ont soutenu une force armée
sous les ordres de l’homme fort du Fatah Muhammad Dahlan,
déclenchant ainsi une guerre civile sanglante à Gaza d’où le
Hamas est sorti renforcé. »
Le terrorisme du Hamas comprenait des tirs de
roquettes sur les villages israéliens avoisinants – un acte
criminel sans aucun doute, mais un acte qui ne représente qu’une
infime fraction des crimes couramment commis par les Etats-Unis
et Israël à Gaza.
Au mois de juin 2008, Israël et le Hamas ont
conclu un cessez-le-feu. Le gouvernement israélien a
formellement reconnu que le Hamas n’a plus tiré une seule
roquette avant qu’Israël ne viole le cessez-le-feu le 4 novembre
de la même année pour envahir Gaza et tuer une demi-douzaine de
militants du Hamas.
Le Hamas a offert un nouveau cessez-le-feu. Le
gouvernement israélien a examiné l’offre et l’a rejeté,
préférant lancer une invasion meurtrière sur Gaza, le 27
décembre.
Comme pour tous les autres états, Israël a le
droit de se défendre. Mais Israël avait-il le droit d’employer
la force dans Gaza au nom de son autodéfense ? Le Droit
International, dont la Charte des Nations Unies, ne laisse aucun
doute : un état a ce droit uniquement lorsqu’il a épuisé tous
les moyens pacifiques. Dans ce cas précis, les moyens pacifiques
n’ont même pas été tentés, malgré – ou peut-être à cause de –
les bonnes chances d’aboutir.
Ainsi, l’invasion fut littéralement un acte
d’agression criminel, et il en est de même pour l’attaque de la
Flotille.
Le siège contre Gaza est cruel et son but est de
maintenir les animaux en cage en état de survie, juste de quoi
éviter les protestations internationales, mais guère plus. C’est
le dernier volet d’un plan israélien à long terme, appuyé par
les Etats-Unis, pour séparer Gaza de la Cisjordanie.
Le journaliste israélien Amira Hass, éminent
spécialiste de Gaza, décrit les grandes lignes du processus de
séparation. « Les restrictions imposées au
mouvement palestinien qui ont été mises en place par Israël en
janvier 1991 ont renversé un processus initié en juin 1967.
« A cette époque, et pour la
première fois depuis 1948, une large portion du peuple
palestinien vivait à nouveau sur le territoire en un seul
morceau d’un seul pays – un pays occupé, certes, mais entier... »
Hass conclut : « La séparation
totale de la bande de Gaza de la Cisjordanie est une des plus
grandes réussites de la politique israélienne, dont l’objectif
ultime est d’empêcher toute solution basée sur des décisions et
accords internationaux et d’imposer un accord basé sur la
supériorité militaire d’Israël. »
La Flottille défiait cette politique et devait
donc être écrasée.
Un cadre pour résoudre le conflit
Arabo-israélien existe depuis 1976, lorsque les états arabes de
la région ont présenté une résolution au Conseil de Sécurité qui
appelait à la création de deux états le long des frontières
internationales, en incluant toutes les garanties de sécurité
exigées par la Résolution 242 de l’ONU qui fut adoptée après la
guerre de juin 1967.
Ses principes les importants sont soutenus par
pratiquement le monde entier, y compris par la Ligue Arabe,
l’Organisation des Etats Islamiques (dont l’Iran) et les
organisations non étatiques concernées, dont le Hamas.
Mais depuis trente ans les Etats-Unis et Israël
ont toujours rejeté cet accord, à une exception prés qui est
révélatrice et mérite d’être notée. En janvier 2001, au cours de
son dernier mois du mandat, Bill Clinton a initié des
négociations israélo-palestiniennes à Taba, Egypte, qui étaient
sur le point d’aboutir, selon les participants, lorsqu’Israël a
décidé de rompre les négociations.
Aujourd’hui encore, les conséquences de cet
échec se font cruellement sentir.
Le Droit International ne peut pas être imposé
aux états puissants, sauf par leurs propres citoyens. C’est
toujours une tâche difficile, surtout lorsque l’opinion qui se
fait entendre déclare que le crime est légitime, soit
explicitement soit en instaurant tacitement un cadre criminel –
ce qui est plus insidieux et rend les crimes invisibles.
Noam Chomsky
Article original
http://inthesetimes.com/article/606...
Traduction VD pour le Grand Soir
(*) EN COMPLEMENT : Elliot Abrams : Membre du
Conseil National de Sécurité, en charge de la "promotion de la
démocratie et des droits de l’homme" (sic). Spécialité :
Mensonges éhontés et couverture des escadrons de la mort au
Guatémala. Autre personnage au service de la
Miami Connection, conspirateur du scandale Iran-Contra, doit
au pardon présidentiel de George Bush père de ne pas avoir connu
la prison. Il est désormais membre du Conseil national de
Sécurité où il est responsable de la « promotion de la
démocratie et les droits de l’homme ». Comme si personne ne se
souvenait qu’il a été le cerveau maudit de la guerre sale en
Amérique centrale, qu’il a encouragé l’agression contre le
Nicaragua et le Panama, que face aux commissions d’enquête du
Sénat, il a défendu les pires excès des escadrons de la mort,
niant les massacres et mentant sur les activités clandestines
d’appui à la Contra nicaraguayenne. Chargé
des affaires du Proche et Moyen Orient sous l’administration
Bush.
Publié le 10 juin 2010
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