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Le problème du calendrier
islamique et la solution Kepler (partie 2/2)
Nidhal Guessoum
Vendredi 21 septembre 2007
Dans la première partie de cet article, nous
avons noté que l’observation du croissant qui était érigée
en condition sine qua non pour l’annonce du début des mois
musulmans (du moins les mois sacrés) avait conduit les chercheurs
à proposer des solutions de plus en plus compliquées menant tout
droit à une impasse. Ces solutions consistaient à introduire des
technologies et des systèmes d’analyse et de communication (en
temps réel) complètement démesurés. Cette impasse a démontré
que tous ces systèmes ainsi que ces solutions empêchaient l’établissement
à l’avance d’un calendrier qui serait véritablement
fonctionnel dans nos vies aussi bien « civiles » que
« religieuses ». Nous en avons donc conclu qu’une
solution « à la Kepler » s’imposait.
La solution « à la Kepler »
n’est autre que l’établissement par le calcul d’un
calendrier crédible et cohérent en harmonie avec la visibilité
du croissant, et non un calendrier qui serait régulièrement
contredit par l’observation du croissant.
Avant de présenter une telle solution, il
convient d’aborder deux questions :
a) Les calendriers musulmans proposés dans
le passé
b) L’évolution, voire la convergence, des
calendriers proposés ces dernières années qui prennent en
compte les plus précis des critères de prédiction de visibilité
du croissant.
Les calendriers musulmans passés et
modernes
Un des calendriers musulmans les plus utilisés
dans le passé est le calendrier « arithmétique ». Il
fut très probablement proposé par le grand astronome musulman
Al-Battani (850-929) et utilisé depuis la fin du dixième siècle
jusqu’aux années 1980. Il est dénommé « arithmétique »
car il se base sur une règle de calcul simple :
- Les mois sont alternés entre 29 et 30
jours.
- Un jour est rajouté au douzième mois de
l’année, qui contient alors 355 jours, dans les cas
« bissextiles » afin de conserver une concordance
approximative avec l’apparition du croissant à chaque début
de mois.
- Les années bissextiles sont déterminées
à l’aide de la règle suivante : on divise le chiffre
de l’année (par exemple 1428) par 30, l’année est
bissextile si le reste de la division est 2, 5, 7, 10, 13, 16,
18, 21, 24, 26, ou 29.
Par ce calcul, le nombre moyen de jours par
mois (sur une période de 30 jours) est de 29.53, exactement le
nombre moyen observé pour la lune, bien que ce chiffre fluctue
entre 29.27 et 29.83 en raison de l’ellipticité et de
l’inclinaison de l’orbite de la lune. Ce calendrier arithmétique
ne correspondait à l’apparition du nouveau croissant que dans
les cas « moyens », si bien qu’il ne fut utilisé en
pratique qu’à des fins « civiles ».
Les années 80 et 90 ont été caractérisées
par une meilleure compréhension du problème de la visibilité du
croissant, ce qui a permis à certains astronomes musulmans (Ilyas
en Malaisie, Meziane et Guessoum en Algérie) de proposer des modèles
de calendriers basés sur des critères de visibilité. Un problème
majeur demeurait tout de même : la probabilité de visibilité
du croissant variait énormément d’un pays à un autre, ou du
moins d’une région à une autre, si bien que tout calendrier
« unifié » se trouvait contredit par l’observation
dans tel ou tel endroit du globe. Précisons également, qu’il y
a encore 15 ou 20 ans, les prédictions de visibilité étaient
entachées de larges « zones d’incertitudes ».
Les calendriers proposés durant les années
1980 et 1990 étaient donc régionaux ou « zonaux ».
Ainsi, les astronomes El-Atbi, Meziane et Guessoum, ont proposé
(en 1993 et en 1997) un calendrier quadri-zonal (le monde était
divisé en 4 zones longitudinales), où les débuts de mois étaient
toujours unifiés dans une zone donnée mais pouvait différer
d’une zone à une autre, mais avec des critères précis, si
bien que les différences ne dépassaient jamais 1 jour et
s’accordaient au maximum avec la visibilité du croissant dans
chaque zone.
En 2001, Mohammad Odeh proposa un calendrier
similaire où il réduisit le nombre de zones à 3.
Les tentatives d’établissement de
calendriers musulmans unifiés
Une autre approche commença à se dessiner
auprès d’autres astronomes : la tentative d’établissement
d’un calendrier islamique « unifié » sur la base
d’une règle simple.
En 1997, McNaughton proposa la formule
suivante : le mois musulman, qui traditionnellement commence
au coucher du soleil et non pas à minuit comme c’est le cas
pour les mois solaires (internationaux), est décrété le soir si
la conjonction (le passage de la Lune à travers le plan
Terre-Soleil, c’est-à-dire le début d’une nouvelle orbite)
se produit durant ce jour-là, à savoir depuis le coucher de
soleil précèdent.
Un examen rapide de cette proposition montre
cependant que dans sa formulation, ce calendrier « universel »
n’est nullement unifié : le moment du coucher du soleil
n’étant pas le même partout, la conjonction se produit avant
ou après le coucher du soleil en des endroits différents, le
mois ne débutera pas partout le même jour ! Sans compter
que selon le délai qui se produira entre la conjonction et le
coucher du soleil, le nouveau croissant ne sera pas forcément
visible (un minimum d’environ 15 heures est nécessaire pour
l’observation à l’œil nu). Ce calendrier sera donc souvent
en désaccord avec les observations.
Durant cette période, et surtout dernièrement,
un calendrier a pris une importance particulière, non pas en
raison de la solution qu’il apportait, ou du progrès qu’il
pouvait représenter dans la problématique du calendrier et de la
détermination des mois sacrés, mais tout simplement parce
qu’il émanait d’Arabie Saoudite. Le calendrier d’Umm
al-Qura (un des noms traditionnels de La Mecque) est passé par 4
phases, caractérisées chacune par une règle différente :
- De 1950 à 1972 : le mois commence
(le jour suivant) si le croissant au soir du 29ème
jour d’un mois donné est au-dessus de l’horizon à plus
de 9 degrés.
- De 1973 à 1998 : le mois commence le
jour suivant si la conjonction se produit avant minuit GMT.
- De 1998 à 2002 : le mois commence si
la lune se couche après le soleil, sans condition sur la
conjonction.
- Depuis 2003 : le mois commence si la
lune se couche après le soleil, et si la conjonction s’est
produite (même 1 minute avant).
Dans la plupart des cas, surtout dans les
trois dernières phases de formulation de ce calendrier, les débuts
de mois s’accordaient très mal avec l’observation du nouveau
croissant, qu’il soit déterminé par observation ou par le
calcul. Comme le précise le chercheur Harry R. van Gent : « Strictement
parlant, le calendrier Umm al-Qura est à des fins civiles
uniquement. Ses constructeurs sont bien conscients du fait que
l’observation du nouveau croissant peut se produire jusqu’à
deux jours après la date déterminée par ce calendrier »[1].
Un des développements les plus importants au
sujet du calendrier musulman a vu le jour au Maroc en 2004 et aux
Etats-Unis en 2006. Au Maroc, Jamal Eddine Abderrazik a publié un
livre intitulé « Calendrier Lunaire Islamique Unifié »[2]
dans lequel il proposait un calendrier musulman universel sur la
base de la règle suivante : « Le mois commence
(partout) le jour suivant si la conjonction se produit avant midi
GMT ; le début du mois est reporté au jour d’après si la
conjonction se produit après midi ».
Abderrazik stipule qu’il faut accepter le
principe de « transfert de visibilité », à savoir
accepter de débuter le mois partout dans le monde si le croissant
est observé à n’importe quel endroit du globe un soir donné.
Il ajoute que si ce principe est accepté, ce calendrier
s’accorde alors avec les observations du croissant dans 92 %
des cas.
En Août 2006, ISNA (Islamic Society of North
America), l’organisation islamique la plus importante d’Amérique
du Nord, a déclaré après étude et consultation, que son
Conseil de Fiqh (jurisprudence islamique) avait conclu que les
solutions « anciennes » n’étaient plus acceptables
et qu’il convenait d’ adopter le principe et l’approche du
calendrier établi bien à l’avance (autrement dit adopter la
solution que nous avons dénommé « à la Kepler »).
Il s’est avéré que la règle adoptée par l’ ISNA pour la
construction du calendrier, règle présentée par Khalid Shaukat,
n’était autre que celle proposée – indépendamment – par
Jamal Eddine Abderrazik deux ans auparavant.
Cette constatation a été effectuée lors
d’une « réunion d’experts » organisée à Rabat
par l’ISESCO (l’Organisation Islamique pour l’Éducation,
les Sciences et la Culture) en Novembre 2006 avec la présence de
tous ces acteurs.
Tout cela est certes intéressant, il faut
cependant s’assurer que les mois déterminés par ce calendrier
concorderont avec les observations des nouveaux croissants. Et
c’est ici malheureusement que l’on paie le prix de cette
« belle » unification. En effet, dans une étude[3]
réalisée sur la période 2006-2010 (c’est-à-dire sur 60
mois), nous avons démontré que ce calendrier Est convenait pour
le continent américain, en revanche pour le « monde
musulman (traditionnel) » (Asie-Afrique-Europe), les mois débutaient,
alors que le croissant n’était visible nulle part. Il y avait
en effet 32 % de cas d’impossibilité, 10 % de cas
« difficiles » (visibilité peu probable) et 58 %
d’accord entre le calendrier et les observations.
C’est ce qui nous a incité à proposer un
calendrier bi-zonal, où le continent américain était distinct
du « monde ancien » (y compris l’Australie), où la
règle de construction du calendrier était modifiée ainsi :
« Le nouveau mois commence dans les deux zones si la
conjonction se produit avant l’aube à La Mecque. Le nouveau
mois commence dans la zone américaine pour être reporté dans la
zone « Est » si la conjonction se produit entre
l’aube de La Mecque et midi GMT. ». Nous avons alors démontré
que l’étude des 60 mois de la période 2006-2010 était à
hauteur de 73 % en accord total avec les observations, 25 %
de cas « difficiles » et moins de 2 % de cas
d’impossibilité, c’est-à-dire où le mois est décrété
selon le calendrier, mais le croissant n’est pas visible.
Conclusions
Ainsi que nous venons de le démontrer, nous
parvenons (presque) maintenant à établir un calendrier musulman,
qui est non seulement d’une grande simplicité, mais tout à
fait cohérent et en harmonie avec la visibilité du croissant
lunaire dans une région donnée du monde.
Nous pouvons donc pratiquement nous défaire
de la pratique d’observation et de témoignage par une personne
ou un groupe durant « la nuit du doute ». Nous remplaçons
ainsi toutes ces « solutions » incroyablement compliquées
proposées de nos jours, tels les télescopes, les webcams, les
appareils photos à bord d’avions et les imageurs à bord de
satellite. En bannissant toutes ces approches complexes, nous rétablissons
une caractéristique fondamentale de toute société « civilisée »
qui est celle d’avoir la capacité de planifier ses activités
à l’avance.
Mais pour effectuer ce « changement de
vitesse », je dirai même ce décollage, il nous faut aussi
bien abandonner l’obsession de l’observation « la veille »
du mois sacré (la « nuit du doute ») que
l’observation tout court. Il est fondamental d’intégrer que
Dieu nous a offert la lune et le soleil, en vue de nous faciliter
la vie et non pour la rendre compliquée, provoquant ainsi la
discorde entre les pays et les peuples, ( rappelons seulement que
de nos jours les mois sacrés sont déclarés au moins 3 jours
dans les pays musulman…). Nous notons toutefois avec une grande
satisfaction qu’une prise de conscience a commencé dans se
sens. Beaucoup de musulmans, notamment parmi certains astronomes
et fouqahas, se rejoignent sur le fait qu’il convient
d’abandonner l’observation visuelle au profit du calcul de prédiction
de visibilité.
Ce dernier, s’il n’est pas fiable à 100 %
(il ne le sera jamais et aucune prédiction de nature scientifique
sur un quelconque problème ne le sera jamais), est désormais crédible,
surtout sur de grandes zones. Ce qui va dans le sens du progrès
préconisé par l’Islam tout en étant en harmonie avec la
solution adoptée depuis très longtemps pour les horaires de prière.
Enfin notons la convergence graduelle des
systèmes de calendriers islamiques vers la quasi-unification. La
proposition que nous venons de présenter ne constitue pas
l’ultime solution au problème posé, mais elle s’en approche
en étant une synthèse des propositions effectuées jusqu’à présent.
[2]
Jamal Eddine Abderrazik, « Calendrier Lunaire Islamique
Unifié », Editions Marsam, Rabat, 2004.
[3]
Nidhal Guessoum, « Progrès dans la solution du problème
du calendrier islamique », 1ere Conférence d’Astronomie
des Emirats « Applications of Astronomical Calculations »,
Abu Dhabi, Décembre 2006
Nidhal Guessoum, astrophysicien, a travaillé au
Goddard Space Flight Center de la Nasa. Auteur avec Jamal
Mimouni du livre « Histoire du Cosmos » édité en
langue arabe, est actuellement professeur à l’Université Américaine
de Sharjah (Emirats Arabes Unis).
Le
problème du calendrier islamique et la solution Kepler (partie
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