Analyses
Musulmans européens:
que d'orages en perspective
Ennasri Nabil
Vendredi 18 décembre 2009 La situation qui
règne en France à la suite de la votation suisse interdisant la
construction des minarets a quelque chose de surréaliste. Cette
première moitié du mois de décembre 2009 a vu la France - et,
avec elle, tout le continent européen - plongé dans une espèce
de psychose collective, où la peur de l’islam et le danger de la
présence des musulmans en Europe ont dominé toutes les
discussions.
Exit la grippe A, la crise économique, la
montée du chômage ou les réformes de l’éducation. Seul peut-être
le Sommet international sur l’avenir du climat à Copenhague a pu
tirer son épingle du jeu.
A part ça, l’espace médiatique a été archi
dominé par la controverse dont les médias raffolent et que
l’extrême droite européenne a malheureusement réussi à placer au
cœur du débat européen : le spectre de la présence de plus en
plus visible de dizaines de millions de musulmans sur le
continent.
Le vote suisse représente un tournant dans la
façon dont l’Europe s’apprête à gérer l’avenir de l’islam et de
ses musulmans sur son territoire. En effet, il ne faudrait
surtout pas sous-estimer la portée continentale du référendum
suisse ainsi que ses retombées inquiétantes. Depuis le dimanche
29 novembre 2009, toute une parole populiste et xénophobe s’est
libérée faisant craindre des lendemains difficiles pour les
millions de citoyens européens de confession musulmane.
De la Belgique à la France en passant par
l’Espagne, l’Italie et jusqu’aux Pays-Bas, c’est le même climat
délétère qui prospère. L’hostilité à la deuxième religion
européenne progresse et il y a fort à parier que ce lourd climat
risque de se renforcer dangereusement.
Disons-le sans fioritures : toute cette
excitation collective trouve largement racine dans le fait que
de plus en plus d’Européens ont du mal à accepter le fait que
leur pays a changé. L’incroyable crispation autour de l’islam
n’est finalement que le reflet d’une peur et d’une crainte de
voir l’identité européenne (certains en France parleront
d’« identité nationale »...) se diluer dans un territoire dont
le paysage sociologique a été bouleversé par plus de quarante
ans d’immigration étrangère massive.
Seulement, cette crispation, qui peut
apparaître au départ comme naturelle, verse allègrement dans un
racisme affiché, dont la nouveauté principale est qu’il gangrène
peu à peu l’ensemble de la société européenne.
Il faut savoir prendre acte de cette
évolution périlleuse. A ne pas y prendre garde, l’opinion
publique européenne, chauffée à blanc par des médias peu
scrupuleux et travaillée au corps par des mouvements qui ont
fait de la peur de l’islam leur principal cheval de bataille,
risque de développer une animosité croissante à l’égard de la
religion musulmane.
Les musulmans européens ont assurément une
large part de responsabilité dans la situation actuelle mais il
leur appartient plus que jamais d’œuvrer intelligemment pour
éteindre ce début d’incendie. Même si les prochaines années
s’annoncent orageuses, il leur faudra ne pas céder à la pression
et aux sirènes de la victimisation, mais développer un discours
et des actes positifs de contribution citoyenne. L’affaire a son
importance : il en va de la santé de nos sociétés comme de
l’avenir du vivre-ensemble.
Ennasri Nabil,
Diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, il étudie
actuellement la théologie musulmane à l’Institut européen des
sciences humaines de Château-Chinon (IESH) ; il est membre du
Collectif des musulmans de France (CMF).
Les analyses de Nabil Ennasri
Chronique publiée par le site
www.saphirnews.com le
15 décembre 2009
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