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L'EUROPE ET LES MUSULMANS
Guerre ou paix
Mustapha Cherif
Photo: Saphir news
Jeudi 19 août 2010 Des Européens
affirment sans preuve que les Musulmans sont inaptes à la
modernité, que les pays musulmans ne sont pas mûrs pour intégrer
l’Union européenne ou bâtir un partenariat fondamental.
La diversion xénophobe s’amplifie en Europe. Les hurlements
haineux des courants de la droite extrême débordent. La
politique envers les musulmans et les étrangers est de plus en
plus discriminatoire. Le ressentiment croît au Sud et les
relations entre les deux rives ne sont pas au niveau souhaité.
Il faut agir avant que ne dégénère une situation indigne des
aspirations des peuples.
Les Européens sont-ils conscients que nous sommes voisins,
partageons le même monde, que nous avons des valeurs communes,
malgré des différences? Les credos racistes, les politiques
xénophobes qui généralisent l’amalgame, stigmatisent les
musulmans et les migrants, les surenchères politiciennes et le
refus d’un partenariat stratégique entre l’Occident et le Monde
arabe, tout comme le refus d’admettre des pays musulmans au sein
de l’UE sont symptomatiques des fuites en avant vouées à
l’échec.
Des Européens s’opposent à la reconnaissance de l’altérité, aux
liens naturels entre les deux rives et refusent un vrai dialogue
euro-arabe, tout en exprimant un souci de relations. Ils
rappellent l’importance d’une Méditerranée de paix et d’un
Maghreb qui coopère avec l’Europe, mais pas membre de l’Union
européenne, ni à égalité des droits, notamment pour ce qui est
de la circulation des personnes. Comment retrouver une nouvelle
Andalousie et faire reculer la logique de guerre? Le monde
musulman et tous les citoyens du monde attachés au droit et à la
justice doivent entrer en insurrection pacifique et civique pour
barrer la route à la bête immonde. Les années trente sont devant
nous.
Le veto concerne la religion
Des Européens affirment sans preuve que les musulmans sont
inaptes à la modernité, que les pays musulmans ne sont pas mûrs
pour intégrer l’UE ou bâtir un partenariat fondamental.
Pourtant, le passé et le présent prouvent que l’Islam a
participé de manière décisive au progrès, et sur le plan
pratique, des processus comme celui d’EuroMed montrent que les
pays de la rive Sud sont demandeurs de modernisation.
Tout le monde sait que la cause du veto à la demande d’adhésion
de la Turquie à l’UE, concerne la religion: les Turcs, 73
millions d’habitants, sont musulmans. Tout comme les
Palestiniens parce qu’ils sont musulmans, subissent la
colonisation et la dictature d’Israël qui agit dans l’impunité,
voire avec la complicité occidentale.
Des Européens ne tiennent pas compte que l’avenir de leur
influence, du droit international et des relations
Occident-Islam se joue en Palestine et en ce qui concerne le
rapport avec la rive Sud. Il serait temps de clarifier le
rapport de l’Europe et de l’Islam, en particulier avec le
Maghreb, sur la base d’une connaissance précise et de la
diffusion du savoir et mettre fin aux ignorances.
Des Européens ne tiennent pas compte du fait que le Maghreb est
proche sur tous les plans, avec ses problèmes propres, sachant
que la démocratie n’est exemplaire nulle part et qu’elle est
toujours à venir. L’Algérie, en particulier, de par son
histoire, sa position géostratégique et ses nombreux citoyens
émigrés et binationaux, modernes, ouverts et de culture du juste
milieu, peut être un partenaire de premier plan.
L’avenir se jouera dans la manière d’articuler la religion et la
raison moderne, le progrès et des valeurs morales. Malgré des
écarts entre théorie et pratique, l’Islam et la culture
arabo-berbère en Algérie, tels que vécus et compris depuis des
siècles, représentent la communauté du juste milieu.
L’interlocuteur porteur d’avenir, valable et légitime est celui
de la ligne médiane. De l’Emir Abdelkader au Message du 1er
Novembre, au principe de la recherche d’un ordre international
juste, l’Algérie a toujours su conjuguer l’universel et le
spécifique, en privilégiant la solution diplomatique, la
franchise et la réciprocité. Cependant, on constate que des pays
européens préfèrent des idéologies rétrogrades pour les utiliser
comme épouvantail et ghettoïser les musulmans.
Les Etats-Unis et les Britanniques disent s’inquiéter de voir
par exemple, la Turquie, bloquée par les lenteurs du processus
d’adhésion. Cette position signifie-t-elle que des pays
occidentaux respectent plus le droit à la différence et la
religion musulmane? Répondre par l’affirmative serait aller vite
en besogne.
Ce que craignent les USA et la Grande-Bretagne c’est à leurs
yeux le risque de voir leur allié ne plus assumer comme il se
doit son rôle dans la région, de se tourner davantage vers ses
voisins musulmans, notamment l’Iran, et de s’impliquer
tactiquement pour la défense des Palestiniens. La Turquie a
initié une action avec le Brésil pour une solution diplomatique
à la question du nucléaire iranien et a refusé de voter, au
Conseil de sécurité de l’ONU, de nouvelles sanctions contre
l’Iran. Cela est perçu comme une alerte. Quel est l’avenir des
relations Islam-Occident?
Les pays du Maghreb, à leur tête l’Algérie, restent des
partenaires incontournables au sud de l’Europe. Ceux qui
s’opposent à une vraie et profonde relation entre l’UE et le
Maghreb pensent que les pays arabo-musulmans doivent choisir
entre l’Orient et l’Occident et que choisir les deux n’est pas
une option. Nous sommes au coeur de l’inadmissible. Nous sommes
Orient et Occident. Certains opposent le Monde musulman et
l’Europe comme s’ils étaient incompatibles, alors que le passé
est imbriqué et l’avenir dépend de la qualité de leurs
relations. Penser l’organisation et l’avenir de la diversité
humaine, trouver les règles du vivre-ensemble et de la cohérence
sont urgents. Le vivre-ensemble et l’intérêt commun doivent
prévaloir. Le Monde musulman a le droit de préserver des valeurs
propres tout en aspirant au progrès.
L’idée de civilisation et l’attachement à l’une ou à l’autre
d’entre elles n’ont de sens que sur le fond de l’ouverture et de
la conjonction avec les autres cultures. Nulle part, l’oeuvre
d’une seule civilisation est irréversible, n’est suffisamment
accomplie pour protéger des dérives. On a besoin les uns des
autres pour faire reculer l’ignorance et l’extrémisme partout.
En France, notamment, les citoyens algériens ou d’origine, sont
une chance pour tous, un vivier incontournable pour que les
brassages et le vivre-ensemble soient possibles.
Piégées par la désinformation
Certains en Occident, ont besoin de nier, d’ignorer ou de
supprimer la possibilité de l’échange avec le Monde musulman et
toutes les traces des différences pour imposer leur seul point
de vue.
Poser la question en ces termes ne signifie pas qu’il faille
céder, de quelque façon que ce soit, à une quelconque théorie du
complot, mais il est clair que les nostalgiques de la nuit
coloniale, les religiophobes qui nient les valeurs abrahamiques
et les sionistes oeuvrent pour empêcher tout rapprochement entre
les deux mondes. Pourtant, à un moment, les Turcs par exemple,
avaient cru que les Israéliens pouvaient les aider à accéder au
statut d’Européens. La désillusion est grande.
Depuis 1967, insidieusement, puis ouvertement après 1989, et
brutalement depuis 2001, des puissances occidentales, inspirées
par le sionisme, au prix de manipulations sophistiquées,
déplacent les problèmes du monde, cherchent à masquer leurs
échecs et impasses par l’idée d’un nouvel ennemi dans la figure
du musulman. La culture de la peur et de l’ennemi est fabriquée
et amplifiée.
L’image dépréciative des musulmans, des Arabes et des Turcs est
ancienne, mais elle a pris des proportions alarmantes. Des
Occidentaux sont piégés par des discours de la désinformation,
qui profitent des errements d’extrémistes. L’altérité du
musulman est déformée. L’Occident se forge une identité contre
l’autre, comme «meurtrière». Pour affirmer son identité,
être reconnu dans telle ou telle appartenance, l’Occident
demande de souscrire à une image stéréotypée de l’Islam.
Les appels à la tolérance, en Orient et en Occident, se heurtent
à la haine et au mépris, construits et prescrits, imposés comme
des signes de reconnaissance et d’appartenance, comme une partie
de l’identité elle-même.
L’arrogance de certains Occidentaux entraîne le ressentiment des
citoyens du Sud, qui constatent le double langage et la volonté
de transformer la mondialisation en occidentalisation, signe du
refus du vivre-ensemble. Les musulmans résistent, même si c’est
sous des formes maladroites et parfois aveugles.
Il faut transformer cette résistance en oeuvre de civilisation,
en relation avec tous ceux qui refusent la marchandisation du
monde. Voilà pourquoi le rapport entre le monde musulman et
l’Occident concerne le monde entier.
La possibilité d’une vie commune juste
Il faut que les Européens, qui s’opposent au rapprochement, ou
qui le soutiennent timidement que pour des intérêts
conjoncturels, sachent que les citoyens du monde, comme les
musulmans, qui se réclament d’identités culturelles à la fois
différentes et semblables, n’exigent pas seulement que leur
différence soit tolérée. Ils demandent davantage qu’un simple «droit
de survivre», mais à savoir, le droit de vivre avec.
Il faut penser à un ensemble commun et non à des substituts et
projet de demi-mesures. L’ordre de la tolérance est insuffisant,
on appelle l’ordre de la reconnaissance qui ouvre la possibilité
d’une vie commune juste, multiforme et non biaisée. D’autant que
la complémentarité saute aux yeux. Toute revendication
identitaire, tout droit à la différence, pour une «communauté
singulière», toute affirmation d’un ensemble donné, comme
celle des musulmans se voit injustement soupçonnés d’un
particularisme opposé au progrès.
Pourtant, la conjugaison entre authenticité et progrès est
vitale. Ce besoin d’allier l’origine et le devenir n’exclut pas
la possibilité d’une distance critique vis-à-vis de la tradition
ou de la modernité. Nul n’a le monopole de la raison. De quel
droit des Occidentaux ou des intégristes refusent-ils un besoin
d’appartenance multiple, qui signifie que tout peuple et être
humain perçoit son aspiration à un héritage culturel comme une
dimension fondamentale de son existence, sans nier les autres,
bien plus en recherchant la symbiose.
Ceux qui pratiquent l’islamophobie, privilégient Israël
l’oppresseur et le colonisateur, et refusent au Maghreb un
partenariat stratégique, alimentent la propagande du choc des
civilisations. Parler de dialogue ou de choc des «civilisations»
n’a aucun sens, si l’on ne rappelle pas que ces appellations
recouvrent des ensembles complexes d’individus qui assument leur
singularité dans l’échange et le partage. Nous sommes Orient et
Occident. Sans relativisme, on peut dire que l’Occident et
l’Orient sont imbriqués et redevables l’un à l’autre. Il est
temps de mettre fin aux accusations infondées et aux frontières
factices et inhumaines qui alimentent un climat malsain. Faire
renaître l’esprit de l’Andalousie est possible.
Mustapha Cherif, Philosophe
www.mustapha-cherif.net
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Publié le 20 août 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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