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Opinion
Les formes du lutte
et l'expérience palestinienne
Munir Shafiq
As-Sabil (Jordanie) 30 novembre
2010
Quiconque se trompe s’il ne lit
pas le conflit en Palestine comme étant exceptionnel, en
comparaison avec les différents conflits menés par les
mouvements de libération nationale, bien que chacun de ces
mouvements ait sa spécificité ou sa particularité. Toutefois, le
sujet palestinien présente également une particularité et une
spécificité incomparables, à cause de la nature de l’ennemi
auquel fait face le peuple palestinien, et de son projet
fondamentalement différent des projets de la domination
coloniale et impériale, et même colonialiste connus par tous les
peuples colonisés. Cet état se rapproche plutôt des cas qu’ont
affronté les peuples autochtones dans les deux Amériques, en
Australie et Nouvelle-Zélande, même si le peuple palestinien n’a
pas subi une extermination concrète comme ces peuples. La
ressemblance concerne plutôt l’installation par des groupes
coloniaux à la place du peuple autochtone. La Palestine,
cependant, ne fait pas non plus partie de cette catégorie, non
pas seulement parce que la suppression par l’extermination n’a
pas eu lieu, mais parce qu’il n’a pas été possible de trancher
définitivement le conflit au profit de l’entité sioniste comme
cela a eu lieu en Amérique, Australie et Nouvelle-Zélande.
L’installation et la conversion de
groupes de colons en un peuple à la place du peuple palestinien,
dans sa patrie, ont été exécutées grâce à la domination
colonialiste et impérialiste sur le rapport de forces
international et avec le soutien et l’aide des Etats
impérialistes qui ont même protégé et adopté le projet de la
fondation de l’entité sioniste. Au départ, le colonialisme
britannique en a été le père et le fer de lance. Il fut son
protecteur et celui qui lui a permis d’arriver jusqu’en
Palestine et de s’y implanter, puis de s’y renforcer
militairement pour lui assurer une suprématie sur le peuple de
Palestine, après avoir désarmé ce dernier et avoir coupé ses
liens avec sa nation arabo-islamique, en procédant au
morcellement et à la domination de ses Etats.
Par la suite, la protection, la
sauvegarde, l’aide militaire et financière sont passées à
l’impérialisme américain qui continue à diriger les Etats
impérialistes et d’autres Etats, pour l’aider d’une part et pour
mettre le plus possible d’Etats arabo-musulmans sous sa
domination, et utiliser ce qui en est possible contre la
résistance du peuple palestinien, pour faire des concessions sur
le droit palestinien et arabe en Palestine.
Deux caractéristiques principales
rendent la situation
palestinienne particulière et spécifique :
La première : la nature du conflit
qui consiste à installer un « peuple » à la place d’un autre,
déraciné de son pays et expulsé par la force, avec des
massacres, des actes terroristes et toutes formes de pression,
ce qui s’est passé pendant la guerre de 1948, puis imposer des
lignes de trêve qui protègent l’instauration de l’entité
sioniste : armée, société et Etat, et imposer sa suprématie
militaire sur toutes les armées arabes réunies. Le projet de
cette installation s’est déroulé par étapes, au gré de
l’évolution des rapports de force et les conditions, données et
équations palestiniennes, arabes, islamiques, tiers-mondistes et
internationales qui émergeaient. Mais ce parcours zigzagant est
resté dans le cadre de l’objectif principal.
La deuxième : l’ennemi qu’a
affronté et que continue à affronter le peuple palestinien
représente un large front international qui s’est ligué contre
lui, ce qui est différent de ce qu’ont affronté les peuples des
colonies lors de leurs luttes contre un seul ennemi
colonialiste. Ce qui rend la confrontation menée par le peuple
palestinien beaucoup plus large que toute autre confrontation
connue par un mouvement de libération nationale. Il n’est pas
exagéré de dire que le peuple palestinien n’a pas combattu le
colonialisme britannique seul, au cours du mandat, ni combattu
l’armée sioniste seule, pendant la guerre de 1948, mais qu’une
ligue mondiale des grandes puissances s’est opposée à lui, et
notamment après l’instauration de l’Etat de l’entité sioniste.
L’Inde a combattu la Grande-Bretagne seule, l’Algérie a combattu
la France seule, le Vietnam a combattu les Etats-Unis seuls, et
l’Afrique du Sud a combattu les colons racistes qui étaient
protégés par un seul Etat ou plusieurs de second rang, quant au
rapport de forces, mais elle a pu, dans les étapes ultérieures,
gagner la majorité des grandes puissances pour démanteler le
régime raciste.
Mais en Palestine, il y a l’entité
sioniste elle-même super-armée, et avec elle, de manière
organique, les mouvements sionistes mondiaux qui sont devenus
influents à l’intérieur des cercles de décision et des
concepteurs de stratégies dans les Etats occidentaux, et
notamment aux Etats-Unis. Ces Etats se sont engagés, et
s’engagent, à protéger l’Etat de l’entité sioniste, à le
soutenir, le renforcer pour mener le processus de l’occupation
et du déracinement qui ont eu lieu, ou qui sont susceptibles de
se poursuivre jusqu’au bout, si possible.
Il faut ajouter ici que la
complicité de l’impérialisme mondial avec l’entité sioniste a
joué et joue encore un rôle décisif, en paralysant les Etats
arabo-musulmans et du tiers monde, en les empêchant de soutenir
le peuple palestinien et en mobilisant l’opinion internationale
en faveur de l’entité sioniste. Ainsi, le déséquilibre du
rapport de forces dans ce conflit n’a jamais été aussi évident
pour aucun peuple ni mouvement de libération nationale dans le
monde.
C’est à partir de là qu’il faut
comprendre la nature du conflit en Palestine, la nature de
l’ennemi sioniste et des forces mondiales qui le soutiennent,
mais aussi la paralysie des situations palestinienne et arabe,
due au morcellement par pays et à la domination impérialiste
qu’elles subissent, en général.
Cette équation complexe et très
difficile, même si en fin de compte elle est susceptible d’être
démantelée et changée (ce qui est un autre sujet), explique
pourquoi le projet sioniste est parvenu à instaurer son entité
et son Etat, pourquoi il poursuit son expansion et la
judaïsation en Cisjordanie, et pourquoi il pose la condition de
la reconnaissance de la judaïté de l’Etat en contrepartie de
concessions sur des miettes où s’installerait un mini-Etat pour
les Palestiniens.
Cette équation complexe et très
difficile qui caractérise la question palestinienne et qui a
donné naissance à une particularité et spécificité
exceptionnelles, explique pourquoi existent deux Autorités,
l’une à Ramallah qui agit en collaboration avec l’entité
sioniste contre la résistance et poursuit les négociations, et
l’autre dans la bande de Gaza, qui est une base militaire
libérée mais encerclée de tous côtés et qui a mené la guerre de
2008-2009, qui a fait échec à l’attaque et qui vit l’expérience
de la division entre la Cisjordanie et la bande de Gaza et entre
deux stratégies.
Il faut ajouter l’expérience des
Palestiniens restés dans le cadre de l’Etat de l’entité
sioniste, qui ont enduré les pleins pouvoirs, le racisme et
toutes formes de pression pour les expulser, mais qui ont
résisté et lancé plusieurs formes de lutte pour maintenir leur
présence dans leur pays.
Par ailleurs, la résistance a fait
l’expérience en Jordanie, entre 1968 et 1970, puis au sud du
Liban, entre 1971 et 1982, elle a mené deux grandes guerres en
1978 et 1982, tout comme elle a fait l’expérience de la première
intifada entre 1978 et 1993 pendant que l’OLP se trouvait dans
l’exil tunisien. Puis ce fut l’expérience de la résistance
nationale puis de la résistance islamique au Liban qui furent
couronnées par la libération du sud en 2000 puis la guerre de
2006 et la défaite de l’armée sioniste.
En d’autres termes, dans le
conflit avec le projet sioniste depuis le début jusqu’à
aujourd’hui, l’expérience palestinienne est passée par plusieurs
formes principales de lutte armée, de guérilla au cours de
1936-1938, puis la guerre de « surface », puis la résistance de
l’extérieur vers l’intérieur entre 1965 et 1982, puis de
l’intérieur vers l’extérieur entre 1985 et 2006, puis les
véritables guerres qui se caractérisent par la confrontation et
l’affrontement, tout comme le peuple palestinien a expérimenté
l’action dans les bases libérées, où se font les préparatifs
militaires, y compris la consolidation et le développement de
l’armement, le creusement des tunnels, la préparation à
l’affrontment de l’armée ennemi (au sud Liban et actuellement
dans la bande de Gaza).
De même, toutes les formes du
refus politique et populaire, de boycott économique et de lutte
contre l’impérialisme, et notamment contre les Etats-Unis et son
alignement du côté de l’entité sioniste, ont été exercées de
1948 à 1967, et ensuite, même à toutes les étapes. Comment
peut-on alors évaluer les résultats des stratégies de la
résistance, de la protestation, de boycott, de l’intifada
populaire et des guerres ?
Ceux qui ont condamné les diverses
expériences de la résistance armée et celles de l’objection
politique et populaire les
ont jugées inutiles parce qu’elles n’ont pu empêcher
l’instauration de l’Etat de l’entité sioniste ni les résultats
de la guerre de 1967. Ils leur ont même fait porter la
responsabilité des guerres et les atrocités et crimes de
l’ennemi sioniste, mais ces condamnations ne sont pas
justifiées, comme le fait de considérer la résistance armée
comme ayant échoué parce qu’elle n’a pas pu empêcher la
fondation de l’Etat de l’entité sioniste, ce qui n’était pas
possible, à l’époque, avec toutes les conditions et
circonstances, les données de l’équilibre des forces, la nature
de l’entité sioniste, les politiques des grandes puissances et
la faiblesse arabe due au morcellement et la domination. La
résistance ne pouvait qu’empêcher l’effondrement et limiter la
progression du projet, tout en maintenant l’état de
confrontation avec lui et l’empêcher de tout avaler, de la
manière la plus facile et la plus rapide.
De ce point de vue, limiter la
vitesse de la progression du projet et lui mettre des entraves à
telle ou telle étape, ou garder telle ou telle limite, tout
comme le fait de garder attisée la flamme de la résistance et la
passer de génération en génération, représente en soi un grand
acquis, si l’on discute la question dans un cadre de
relativité ; mieux, elle mérite tous les sacrifices qui ont été
consentis.
Ces paroles s’appliquent à toutes
les étapes pécédentes, mais la résistance, et notamment après
2000, que ce soit au Liban ou en Palestine, a réalisé des acquis
qui dépassent ceux d’empêcher l’effondrement et la dégringolade,
pour entamer une phase de semi-équilibre stratégique, comme
l’ont montré les guerres de 2006 au Liban et de 2008-2009 dans
la bande de Gaza. Dans les deux cas, il est possible de parler
de libération de terres et de formation de bases libérées ou
semi-libérées, même si la bande de Gaza est encerclée. L’ennemi
ne peut plus y entrer qu’au moyen de la guerre et de la
confrontation armée, d’une rue à l’autre et d’une maison à
l’autre.
C’est pourquoi il est possible de
dire que la statégie de la résistance et de la protestation
peuvent, avec une mobilisation arabe, islamique et mondiale pour
l’aider et isoler l’entité sioniste, imposer le retrait de
Cisjordanie et le démantèlement des colonies, inconditionnels,
comme cela a eu lieu au sud du Liban et dans la bande de Gaza.
Mais ce qui les a corrompus est venu de la stratégie du
processus politique et des négociations et d’avoir compté sur la
supervision américaine, au niveau palestinien et arabe. C’est ce
qui a transformé la Cisjordanie, avec l’Autorité de Ramallah et
la coopération sécuritaire avec l’occupant, en une base contre
la résistance, collaborant avec l’occupation et prisonnière
financièrement des Etats donateurs.
Si l’état présent en Cisjordanie
n’est pas brisé par la suppression de l’accord sécuritaire, et
par l’annulation et l’anéantissement de la stratégie des
négociations, il y a risque de liquider la cause palestinienne.
Cette situation est arrivée au point de négocier pour un
mini-Etat dont le prix serait l’échange de territoires de la
Cisjordanie, l’acceptation de la colonisation, la concession sur
les terres occupées et usurpées en 1948 et le droit au retour,
mais aussi la reconnaissance de l’Etat de l’entité sioniste en
tant qu’Etat juif, ce qui s’oppose au principe du droit sur la
Palestine et la fin de la réclamation des droits historiques du
peuple palestinien sur la Palestine : voir les déclarations de
Abbas, de Abd Rabbo sur la reconnaissance de la judaïté de
l’Etat et de Salam Fayyad sur son acceptation du récit biblique.
Atteindre ce stade dans ce
parcours de concessions et d’insertion dans le processus de
règlement ne laisse aucune possibilité de doute quant au fait
que les formes de lutte, la résistance, l’intifada, le refus, le
boycott, l’attachement aux constantes précises de la Charte de
l’OLP de 1964 et 1968 sont les seules à pouvoir être
caractérisées comme des formes de lutte efficaces et sérieuses.
Quant aux autres formes de la gestion du conflit, les
concessions sur les constantes et les droits, l’acceptation des
résolutions des Nations-Unies, les conditions du processus de
règlement et les négociations, ne sont en rien des formes de
lutte. Elles n’ont rien sauvé du tout mais au contraire, elles
ont dilapidé jusqu’à se trouver prêtes à accepter le prétendu
« droit des juifs » historique et l’abandon du droit
palestinien, arabe et islamique certain sur la Palestine, toute
la Palestine.
Ce serait une falsification que de
considérer les négociations et le processus de règlement dans la
situation palestinienne comme étant semblables à d’autres
expériences pratiquées par des mouvements de libération
nationale et la résistance, ou de considérer la négociation
comme une forme de lutte alors que c’est une voie pour corrompre
la lutte et liquider la cause et les droits fondamentaux. Une
telle assertion n’est plus basée seulement sur la spécificité de
la cause palestinienne, la nature de l’ennemi et la nature du
conflit mais elle a été démontrée par l’expérience réaliste et
pratique, qui a le dernier mot et qui tranche la question.
Munir Shafiq,
Ecrivain et penseur – Jordanie.
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