Opinion
Le maccarthysme
newlook
et les nouvelles chasses aux sorcières
Mohamed
Bouhamidi
Jeudi 7 mars 2013
Dans sa mort, comme de son vivant,
Stéphane Hessel reste hors de portée des
menaces du CRIF de « déconstruire » sa
vie et son aura. La charge de Pasquier a
été lourde dès la formulation de l’idée
de transfert au Panthéon de la dépouille
du vieux résistant.
La panique suinte de la « littérature
» de Pasquier. Jugez-en : « Nous ne
pensons pas que la mise au pavois de
Stéphane Hessel, malgré ses
accommodements avec la vérité historique
et sa faiblesse argumentative, en dit
beaucoup sur le désarroi intellectuel de
notre société et sur le rôle aberrant
qu’y joue le marketing des individus
qu’on transforme à bas prix en
luminaires idéologiques. Stéphane Hessel
fut avant tout un maître à ne pas
penser. » Pasquier veut s’en prendre au
« désarroi intellectuel » et promet la
traque aux « accommodements ».
Chacun peut deviner les difficultés
supplémentaires de Pasquier de
s'attaquer à un Hessel transféré au
Panthéon et son affolement devant cette
consécration pour un homme déjà immense
par ses engagements. Hessel était déjà
plutôt insupportable à beaucoup pour sa
contribution à un modèle social français
qui, par un compromis historique,
faisait échec en 1945 au modèle
anglo-saxon du capitalisme. Malgré son
annulation sur demande du CRIF, Pasquier
n’a pas avalé le projet de débat, en
2011 à l’ENS de Paris, entre Hessel et
la Palestinienne Leïla Shahid sur la
question du boycott des produits
israéliens. Ce débat aurait cassé la
vision binaire qu’on veut nous imposer
d’un monde livré à une guerre sans merci
entre axe du Mal et axe du Bien. Toute
pensée qui s’écarte de l’oukase est un
soutien au terrorisme, à la dictature, à
la barbarie, etc. Pasquier ne s’est pas
attaqué à une seule idée de Hessel, mais
à sa personne-même, renouvelant la
vieille technique fasciste et sioniste
de l’intimidation, de la menace et de
l’amalgame entre vie privée et vie
publique qui ferait hésiter les plus
courageux de se sentir ainsi exposés.
Hessel, là où il est, doit en rire. On
peut parier que les menaces n’ont jamais
dû le faire trembler. De fait, la menace
vise ceux qui auront trop l’envie de
s’appuyer sur sa personnalité et sur ses
engagements pour contrevenir à l’ordre
idéologique que le CRIF a imposé à la
France.
Le sort fait à l’Abbé Pierre revient
spontanément à l’esprit. Le vieillard,
brisé malgré son immense aura, obligé
(par ses proches soucieux de «
respectabilité médiatique » et de
garantir les rentrées d’argent
nécessaires à la survie d’Emmaüs ?) de
s’excuser publiquement, puis exécuté
socialement et politiquement. Le style
de vie de Hessel, son bilan personnel,
le registre de ses engagements le
mettaient hors de portée de ce type de
menace. Mais pour toute personnalité,
dont le métier, les revenus, la carrière
ou la vocation dépendent de sa
visibilité et de la qualité de ses
relations publiques, une telle menace
recèle un vrai danger de mise à mort
sociale dans un pays et une société
rendus incapables de protéger ses
propres repères du calibre de l’Abbé
Pierre, qui a su si bien conforter
l’image d’une France généreuse et
fraternelle, et finalement abandonné aux
loups dans l’ingratitude générale. Tout
le monde connaît les autres réussites de
ce tribunal sans règles et sans codes
qui scanne en permanence la vie
intellectuelle française pour y
interdire toute parole contraire aux
intérêts d’Israël et, partant, de
l’ensemble du bloc occidental tel qu’il
s’est configuré dans l'ultralibéralisme
sous la direction unipolaire US.
Comment ne pas penser au maccarthysme
et à la chasse aux sorcières quand la
commission des activités antiaméricaines
allait chercher le communiste sous les
prétextes les plus extravagants et dans
les activités les moins politiques ?
Bien sûr, la commission s’intéressait
prioritairement aux intellectuels,
artistes, écrivains, cinéastes, poètes,
c'est-à-dire toutes fonctions de
médiation sociale, de représentation du
monde et de formation d’une opinion
publique. La commission avait pour
principe de soupçonner les gens et
d’aller chercher leurs aveux tout à fait
comme l’Inquisition. Et comme sous
l’Inquisition, il fallait, pour échapper
aux soupçons, constamment montrer patte
blanche et rejoindre la horde zélée des
délateurs. Dans le maccarthysme
n’importe quelle dénonciation anonyme
entraînait l’enfer des enquêtes et des
interrogatoires. Depuis, l’inquisition
moderne s’est démocratisée. Le délateur
devient lui-même le tribunal et il
suffit qu’il vous accuse d’être du côté
du dictateur Kadhafi ou Assad, ou Chavez
pour vous basculer dans la géhenne. Les
fascismes naissent ainsi. Leurs
fossoyeurs aussi.
Publié sur
Reporters.dz
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