Mondialisation.ca
Qui sont les artisans de la débâcle
économique ?
Le gouvernement Obama inversera-t-il la tendance ?
Michel Chossudovsky
Michel Chossudovsky
16 novembre 2008
La plus grave crise
économique de l'histoire moderne
L’effritement financier d’octobre 2008 n’est pas l’effet d'un
phénomène économique cyclique. C’est un aboutissant calculé de
la politique du gouvernement des États-Unis, orchestré par le
Trésor américain et le Federal Reserve Board.
C’est la
plus grave crise économique de l'histoire.
Le « plan de
sauvetage » («The Bailout») proposé par le Trésor américain ne
constitue pas une « solution » à la crise. C’est en fait tout le
contraire : il provoque davantage de débâcle. Il crée une
concentration de richesses sans précédent, qui à son tour
contribue à creuser les inégalités économiques et sociales, au
sein des nations et entre les nations.
Le niveau
d'endettement est monté en flèche. Poussées à la faillite, les
corporations industrielles sont rachetées par les institutions
financières mondiales. Le crédit, c’est-à-dire, l'offre de prêts
de financement, qui constitue la bouée de sauvetage de la
production et de l'investissement, est contrôlé par une poignée
de conglomérats financiers.
Avec le
«plan de sauvetage» la dette publique a dérapé. Les États-Unis
sont le pays le plus endetté de la planète. Avant le «
renflouage », leur dette publique était de l'ordre de 10
billions de dollars. Cette dette libellée en dollars US se
compose de bons du Trésor et d’obligations en souffrance,
détenues par des particuliers, des gouvernements étrangers, des
entreprises et des institutions financières.
« Le plan de sauvetage»: le
gouvernement des États-Unis finance son propre endettement
Ironiquement, les banques de Wall Street bénéficiaires de
l'argent du plan de sauvetage sont aussi les courtiers et les
assureurs de la dette publique des États-Unis. Bien que les
banques ne détiennent qu’une partie de la dette publique, elles
font des affaires et du commerce dans le monde entier avec les
titres de la dette publique libellés en dollar.
Dans une
conjoncture déplaisante, les banques sont bénéficiaires d’une
aumône de plus de 700 milliards de dollars, et agissent en même
temps à titre de créanciers du gouvernement.
Nous avons
affaire à un cercle vicieux absurde : pour financer le plan de
sauvetage Washington doit emprunter à des banques qui
bénéficient du plan de sauvetage.
Le
gouvernement des États-Unis finance ses propres dettes.
Les
administrations fédérales, étatiques et municipales sont de plus
en plus paralysées, sous strict contrôle des conglomérats
financiers mondiaux. Les créanciers réclament de plus en plus au
gouvernement le lancement d’une réforme.
Le plan de
sauvetage incite à la consolidation et à la centralisation du
pouvoir bancaire, ce qui à son tour produit des retombées sur
l'activité économique réelle, conduisant à une série de
faillites et au chômage de masse.
Le
gouvernement Obama inversera-t-il la tendance ?
La crise
financière fait suite à la déréglementation du système
financier.
Obama a
déclaré sans équivoque sa volonté de s'attaquer aux échecs
politiques du gouvernement Bush, et de « démocratiser » le
système financier étasunien. Barack Obama, le président élu,
affirme être déterminé à inverser la tendance :
«
Rappelons-nous que si cette crise financière nous a appris
quelque chose, c'est que nous ne pouvons avoir une Wall Street
prospère pendant que le commun des mortels souffre. Dans ce
pays, nous nous élevons ou chutons en tant que nation, en tant
que peuple. » (Président élu Barack Obama, 4 novembre 2008,
souligné par l’auteur)
Avec
désinvolture, les démocrates reprochent au gouvernement Bush la
débâcle financière d’octobre.
Obama a fait
savoir qu'il établira un programme politique tout autre, qui
servira les intérêts du commun des mortels:
« Demain,
vous pourrez tourner la page sur les politiques qui poussent à
la cupidité et à l'irresponsabilité de Wall Street devant le dur
labeur et le sacrifice des hommes et des femmes de la rue.
Demain, vous pourrez choisir les politiques qui investissent
dans notre classe moyenne, créent de nouveaux emplois et
accroissent cette économie, de sorte que tout le monde ait une
chance de réussir, du directeur général à la secrétaire et au
concierge, du propriétaire de l'usine aux hommes et femmes qui y
travaillent.» (Barack Obama, campagne électorale, 3 novembre
2008. Souligné par l’auteur.)
Obama est-il
engagé dans le « domptage de Wall Street » et dans la «
neutralisation des marchés financiers ? »
Ironiquement, cette politique de « cupidité et
d'irresponsabilité » fut instaurée sous Le gouvernement Clinton.
La
Financial Services Modernization Act (FSMA ou loi de
modernisation des services financiers) de 1999 a incité à
abroger la Glass-Steagall Act de 1933. La Glass-Steagall Act, ce
pilier du « New Deal » du président Roosevelt, fut instaurée en
réponse au climat de corruption, de manipulation financière et
de « délit d'initié » qui mena à la faillite de plus de 5.000
banques dans les années qui suivirent le krach de Wall Street en
1929.
Bill Clinton signe
la Gramm-Leach-Bliley Financial Services Modernization Act,
12 novembre 1999
Dans le
cadre de la Financial Services Modernization Act de 1999, le
contrôle effectif de l'ensemble du secteur des services
financiers des États-Unis (incluant les compagnies d'assurance,
les fonds de pension, les titres, etc) a été cédé à une poignée
de conglomérats financiers et à leurs associés, les fonds
spéculatifs (hedge funds).
Les instigateurs
du désastre financier
Qui sont les
artisans de cette débâcle ?
Ironie
amère, l’équipe de transition du président élu Barack Obama
songe à présent aux instigateurs du désastre financier pour le
poste de secrétaire au Trésor:
Lawrence
Summers a joué un rôle clef dans le lobbying au Congrès pour
l'abrogation de la Glass Steagall Act. Sa nomination opportune
au poste de secrétaire au Trésor par le président Clinton en
1999 a permis de forcer l'adoption de la Financial Services
Modernization Act en novembre 1999. Au terme de son mandat à la
tête des Finances, il est devenu président de l'université de
Harvard (2001-2006).
Paul Volker
était président de la Réserve fédérale dans les années 1980 de
l'ère Reagan. Il a joué un rôle central dans la mise en œuvre de
la première phase de déréglementation financière, qui a favorisé
la foule de faillites, fusions et acquisitions menant à la crise
financière de 1987.
Timothy
Geithner est directeur général de la Banque de la Réserve
fédérale de New York (FRBNY), la plus puissante institution
financière privée d’Amérique. Il est aussi ancien fonctionnaire
des Finances du gouvernement Clinton. Il a travaillé pour
Kissinger Associates et fut aussi en poste au FMI. La FRBNY joue
un rôle en coulisses dans la mise au point de la politique
financière. Geithner agit pour le compte de puissants financiers
derrière la FRBNY. Il est en plus membre du Council on Foreign
Relations (CFR).
Jon Corzine,
aujourd’hui gouverneur du New Jersey, est un ancien directeur
général de Goldman Sachs.
Larry Summers (à
gauche) et Timothy Geithner
Au moment de
la rédaction de cet article, le favori d’Obama pour le poste de
secrétaire au Trésor était Larry Summers.
Lawrence
Summers, professeur d'économie à l'université de Harvard, a
servi d’économiste en chef à la Banque mondiale (1991-1993). Il
a contribué à la conception des réformes macro-économiques
imposées à nombre de pays émergents endettés. Dans le cadre du
programme d'ajustement structurel (PAS), parrainé par le FMI et
la Banque mondiale, l'impact social et économique de ces
réformes a été dévastateur, entraînant une extrême pauvreté.
La période
de Larry Summer à la Banque mondiale coïncidait avec
l'effondrement de l'Union Soviétique et l'imposition de la «
médecine économique » mortelle du FMI et de la Banque mondiale
en Europe de l'Est, dans les anciennes républiques soviétiques
et dans les Balkans.
En 1993,
Summers est passé au Trésor des États-Unis. Il a d'abord occupé
le poste de sous-secrétaire au Trésor pour les affaires
internationales et, plus tard, secrétaire d’État adjoint. En
liaison avec ses anciens collègues du FMI et de la Banque
mondiale, il a joué un rôle clef dans l'élaboration du «
traitement de choc » économique lié au train de réformes
imposées à la Corée du Sud, à la Thaïlande et à l’Indonésie,
lors de l’apogée de la crise asiatique de 1997.
Les accords
de plan de sauvetage négociés avec ces trois pays ont été
coordonnés au Trésor par Summers, en liaison avec la Banque de
la Réserve fédérale de New York et les institutions de Bretton
Woods à Washington. Summers a travaillé en étroite collaboration
avec le directeur général adjoint du FMI, Stanley Fischer, nommé
ensuite gouverneur de la Banque centrale d'Israël.
Larry
Summers est devenu secrétaire su Trésor en juillet 1999. C’est
un protégé de David Rockefeller. Ce fut l'un des principaux
artisans de l'infâme Financial Services Modernization Act, qui,
purement et simplement, légitima le délit d’initié et la
manipulation financière.
Larry Summers et David Rockefeller
« Mettre
le renard à la garde du poulailler »
Summers est
aujourd’hui consultant pour Goldman Sachs et directeur général
de DE Shaw Group, un organisme de fonds spéculatifs. En tant que
gestionnaire de fonds de spéculation, ses contacts avec les
Finances ainsi que Wall Street lui procurent de précieuses
informations privilégiées sur le mouvement des marchés
financiers. Sous la gouverne de Larry Summers, et en conséquence
directe de la crise financière, le DE Shaw Group a fait des
bénéfices records. À la fin octobre 2008, à l’apogée de la crise
financière, le DE Shaw Group a annoncé 7 milliards de dollars de
revenu, en augmentation de 22 pour cent sur l'année précédente,
« avec près de trois fois plus d'argent dans la main qu’il y a
un an » (2theadvocate.com 31 octobre 2008).
Mettre un
gestionnaire de fonds de spéculation (ayant des liens avec
l’establishment financier de Wall Street) en charge des Finances
équivaut à placer le renard à la garde du poulailler.
Le Consensus de
Washington
Summers,
Geithner, Corzine, Volker, Fischer, Phil Gramm, Bernanke, Hank
Paulson, Rubin, sans oublier Alan Greenspan, et autres, sont des
copains. Ils jouent au golf ensemble ; ils ont des liens avec le
Council on Foreign Relations et les Bilderberg ; ils agissent de
concert conformément aux intérêts de Wall Street ; ils se
rencontrent à huis clos ; ils sont sur la même longueur d'onde ;
ils sont démocrates et républicains.
Bien qu'ils
puissent être en désaccord sur certaines questions, ils sont
fermement attachés au consensus Washington-Wall Street. Ils sont
absolument impitoyables dans la gestion de leurs opérations
économiques et financières. Leurs actions sont motivées par le
profit. En dehors de leur strict intérêt envers le « rendement »
des « marchés, » ils sont peu concernés par la « vie des êtres
humains, » par l’impact de l’éventail d’implacables réformes
macro-économiques et financières sur la vie des gens, réformes
qui poussent à la faillite des secteurs entiers de l'activité
économique.
Le
raisonnement sous-jacent au discours économique néolibéral est
souvent cynique et méprisant. À cet égard, le discours
économique de Lawrence Summers se distingue. Il est connu chez
les écologistes pour avoir proposé de déverser les déchets
toxiques dans les pays du tiers monde, car, là-bas, les gens ont
la vie plus courte et le coût de main-d'œuvre est extrêmement
bas, ce qui signifie essentiellement que la valeur de marché des
gens du tiers monde est très inférieure. Selon Summers, cela
rend l’exportation des matières dangereuses vers les pays
pauvres beaucoup plus « rentable ». En 1991, une note de service
controversée de la Banque mondiale, signée par l’économiste en
chef Larry Summers, indique ce qui suit (extraits, souligné par
l’auteur) :
Date : 12
décembre 1991 – Pour : Distribution – De : Lawrence H. Summers –
Objet : GEP
[GEP signifie Bonnes Pratiques Environnementales, ndt]
Industries « sales « : Juste entre vous et moi, la Banque
mondiale ne devrait-elle pas encourager DAVANTAGE la migration
des industries sales vers les pays les moins développés ?
Je pense à trois raisons :
1)
La mesure du coût de la pollution altérant la santé dépend des
gains prévus de l'augmentation de la morbidité et de la
mortalité. .. De ce point de vue une quantité donnée de
pollution affectant la santé doit être faite dans le pays ayant
les coûts les plus faibles, qui sera le pays dont les salaires
sont les plus bas. Je pense que la logique économique
derrière le déchargement de déchets toxiques dans le pays aux
salaires les plus bas est irréprochable et nous devons la
regarder en face.
2) Le
coût de la pollution est susceptible d'être non linéaire, car
l’augmentation initiale de pollution a sans doute un coût très
bas. J'ai toujours pensé que les pays sous-peuplés d'Afrique
sont infiniment peu pollués, la qualité de leur air est sans
doute considérablement peu rentable par rapport à Los Angeles ou
Mexico. Ce qui empêche l’amélioration du bien-être mondial du
commerce de la pollution de l'air et des déchets, c’est le seul
fait déplorable que tant de pollution soit produite par des
industries non négociables (transport, production
d'électricité), et que le coût unitaire du transport des déchets
solides soit si élevé.
3)
La demande d’un environnement propre pour des raisons
esthétiques et de santé est susceptible d'avoir une très grande
élasticité de revenus. [La demande augmente avec le niveau
de revenu]. L'inquiétude à propos d’un agent ayant une chance
sur un million de provoquer le cancer de la prostate est de
toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les gens
survivent au cancer de la prostate que dans un pays où le taux
de mortalité des moins de 5 ans est de 200 pour mille. . .
www.globalpolicy.org/socecon/envronmt/summers.htm
L’attitude
de Summers sur l'exportation de la pollution vers les pays
émergents a eu un impact marqué sur la politique
environnementale des États-Unis :
En 1994, «
pratiquement tous les pays du monde se sont dissociés des
réflexions de « logique économique » de M. Summers formé à
Harvard, sur le déversement des poisons des pays riches chez
leurs voisins plus pauvres, et ils ont décidé d'interdire
l'exportation des déchets dangereux de l'OCDE vers les pays
[émergents] non membres de l'OCDE dans le cadre de la Convention
de Bâle. Cinq ans plus tard, les États-Unis sont l'un des rares
pays n'ayant toujours ni ratifié la Convention de Bâle ni
l'Amendement d'Interdiction de la Convention de Bâle sur
l'exportation des déchets dangereux de l'OCDE vers les pays hors
OCDE. (Jim Valette,
La guerre contre la Terre de Larry Summers, Counterpunch,
non daté)
Crise asiatique
de 1997 : Répétition générale des choses à venir
Au cours de
l’année 1997, la spéculation monétaire, instrumentée par de
grandes institutions financières et dirigée contre la Thaïlande,
l'Indonésie et la Corée du Sud, a favorisé l'effondrement des
monnaies nationales et le transfert de milliards de dollars des
réserves des banques centrales entre les mains de financiers
privés. Plusieurs observateurs ont signalé la manipulation
délibérée du marché des actions ordinaires et des devises par
des banques d’affaires et des sociétés de courtage.
Bien que les
accords de plan de sauvetage asiatiques étaient négociés
officiellement par le FMI, les grandes banques de commerce de
Wall Street (dont Chase, Bank of America, Citigroup et JP
Morgan), ainsi que les « cinq grandes » banques d'affaires (dont
Goldman Sachs, Lehman Brothers, Morgan Stanley et Salomon Smith
Barney) ont été «consultées» sur les clauses à inclure dans ces
accords.
Le Trésor
des États-Unis, en lien avec Wall Street et les institutions de
Bretton Woods, ont joué un rôle central dans la négociation des
accords de sauvetage. Larry Summers et Timothy Geithner, ont
participé activement au nom du Trésor des États-Unis au
sauvetage de la Corée du Sud en 1997 :
[En 1997] MM
Summers et Geithner s’activaient à persuader M. Rubin de
soutenir l'aide financière à la Corée du Sud. M. Rubin se
méfiait de pareille mesure, s’inquiétant du fait que fournir de
l'argent à un pays en situation désespérée pourrait être une
affaire perdue d’avance. . . (WSJ, 8 novembre 2008)
Ce qui est
arrivé en Corée du Sud du fait des conseils du secrétaire
adjoint au Trésor Larry Summers et des autres, n'a rien à voir
avec l’« aide financière. »
Le pays a
été littéralement mis à sac. Le sous-secrétaire des Finances,
David Lipton, a été envoyé à Séoul en début décembre 1997. Des
négociations secrètes ont été engagées. Washington a exigé le
congédiement du Ministre des Finances de Corée du Sud et
l’acceptation sans réserve du « sauvetage » du FMI.
Aussitôt
après sa nomination, le nouveau secrétaire au Trésor, qui était
un ancien fonctionnaire du FMI et de la Banque mondiale, est
parti précipitamment à Washington pour des « consultations »
avec son ancien collègue Stanley Fischer, directeur général
adjoint du FMI.
« Le corps
législatif coréen s’est réunis en sessions extraordinaires le 23
décembre. La décision finale, concernant le marché de 57
milliards de dollars, a été prise le lendemain, le 24 décembre,
lors du réveillon de Noël, après les heures de bureau à New
York. Les plus hauts financiers de Wall Street, de Chase
Manhattan, Bank America, Citicorp et JP Morgan, ont été
convoqués pour une réunion à la Banque de la Réserve fédérale de
New York. C’est aussi dans la salle du réveillon de Noël oû se
retrouvaient les représentants des cinq grandes banques
d’affaires de New York, notamment Goldman Sachs, Lehman Brothers,
Morgan Stanley et Salomon Smith Barney. Et à minuit, au
réveillon de Noël, recevant le feu vert des banques, le FMI a
accordé à la hâte 10 milliards de dollars à Séoul pour répondre
à l'avalanche de dettes à court terme venant à échéance.
Les coffres de la Banque
centrale de Corée du Sud ont été mis à sac. Les créanciers et
les spéculateurs attendaient anxieusement pour toucher leur
butin. Ces mêmes institutions, qui spéculaient contre la
victoire coréenne, ont encaissé l’argent du plan de sauvetage du
FMI. C’était une escroquerie.» (Voir Michel Chossudovsky,
The Recolonization of Korea, publié par la suite en chapitre
de The Globalization of Poverty and the New World Order, Global
Research, Montréal, 2003.)
Cette « puissante médecine économie » est la prescription du
Consensus de Washington. « Souffrance à court terme pour gains à
long terme » était la devise de la Banque mondiale durant la
période où Lawrence Summers était économiste en chef.
(Voir IMF,
World Bank Reforms Leave Poor Behind, Bank Economist Finds,
Bloomberg, 7 novembre 2000)
Nous avons
affaire à tout un « réseau de vieux copains » fonctionnaires et
conseillers du Trésor, de la Réserve fédérale, du FMI, de la
Banque mondiale, des groupes de réflexion de Washington, qui
sont en lien permanent avec les principaux bailleurs de fonds de
Wall Street.
Quel qu’il
soit, celui que choisira l’équipe de transition d’Obama fera
partie du Consensus de Washington.
La Financial
Services Modernization Act de 1999
Ce qui est
arrivé en octobre 1999 est décisif.
À la suite
de longues négociations à huis clos dans les salles de réunion
de Wall Street, dans lesquelles Larry Summers joua un rôle
central, le cadre réglementaire contrôlant les puissants
conglomérats bancaires de Wall Street fut abrogé « d’un trait de
plume. »
Larry
Summers travaillait en étroite collaboration
avec le sénateur Phil Gramm
(1985-2002), président du comité sénatorial des banques,
qui fut l'artisan législatif de la Gramm-Leach-Bliley Financial
Services Modernization Act, promulguée le 12 novembre 1999 (voir
la photo de groupe ci-dessus). (Pour le texte complet voir sur
le site du Congrès des États-Unis :
Pub.L. 106-102
). En tant que sénateur du Texas, Phil Gramm fut étroitement
associé à Enron.
En décembre
2000, en fin du mandat de Clinton, Gram présenta un deuxième
projet de loi appelé Gramm-Lugar Commodity Futures Modernization
Act (FSMA), qui ouvrait la voie à l'attaque spéculative dans les
produits de base, notamment le pétrole et les denrées
alimentaires.
«Cette
loi, a-t-il déclaré, permettrait de s'assurer que ni la
SEC ni la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) ne
pouvaient contrôler les affaires des produits financiers
modernes appelés swaps, et donc " protégerait les institutions
financières de la sur-réglementation » et la « positon de leader
mondial de notre secteur des services financiers dans le nouveau
siècle. » (Voir David Corn, Foreclosure Phil,
Mother Jones, juillet-août 2008)
Phil Gramm
était le premier choix de McCain pour le poste de secrétaire au
Trésor.
Dans le cadre des nouvelles règles de la FSMA, ratifiée par le
Sénat américain en octobre 1999 et approuvée par le Président
Clinton, les banques commerciales, sociétés de courtage, fonds
spéculatifs, investisseurs institutionnels, fonds de pension et
compagnies d'assurance, peuvent investir librement dans toute
autre entreprise, ainsi que regrouper entièrement leurs
opérations financières.
Un «
supermarché financier mondial » a été créé, ouvrant la voie à
une énorme concentration de puissance financière. L'un des
personnages clefs à l’origine de ce projet fut le secrétaire au
Trésor Larry Summers, en coopération avec David Rockefeller.
Summers décrivait la FSMA comme « le fondement législatif du
système financier du 21ème siècle. » Ce fondement législatif est
l'une des principales raisons de la débâcle financière de 2008.
Désarmement financier
Il ne peut y
avoir de solution constructive à la crise, sauf réforme majeure
dans le système financier, ce qui implique, entre autres, le gel
du négoce spéculatif et la «neutralisation des marchés
financiers.» Le projet de neutralisation des marchés financiers
fut proposé pour la première fois dans les années 40 par John
Maynard Keynes, comme un moyen d’instaurer un système monétaire
international multipolaire. (Voir JM Keynes, Activities
1940-1944, Shaping the Post-War World: The Clearing Union, The
Collected Writings de John Maynard Keynes, Royal Economic
Society, Macmillan et Cambridge University Press, Vol.
XXV, Londres
1980, p. 57) .
Le commun des
mortels contre Wall Street
Où sont «les
candidats du Main Street» retenus par Obama ? C’est-à-dire, ceux
qui obéissent aux intérêts des gens des quatre coins des
États-Unis. Aucun leader du milieu communautaire ou représentant
des travailleurs n’est sur la liste des postes clefs d’Obama.
Le président
élu désigne les artisans de la déréglementation financière.
Aucune
réforme financière constructive ne peut être adoptée par des
fonctionnaires nommés par Wall Street et agissant en son nom.
Ceux qui en
1999 ont incendié le système financier, sont rappelés pour
éteindre le feu.
La «
solution » du « sauvetage » proposée pour la crise provoque
davantage de débâcle économique.
Il n'y a
aucune solution politique à l'horizon.
Les
conglomérats bancaires mènent le bal. Ils décident de la
composition du gouvernement Obama. Ils ont aussi choisi l'ordre
du jour du sommet financier de Washington (15 novembre 2008),
prévu pour jeter les bases de la création d'un nouveau «système
financier mondial.»
Le plan de
Wall Street a déjà été discuté derrière les portes closes : le
programme secret est d'établir un système monétaire
international unipolaire, dominé par la puissance financière des
États-Unis, qui à son tour serait protégée et sécurisée par la
supériorité militaire du pays.
Le néolibéralisme
à « visage humain »
Rien
n'indique qu’Obama rompra les ponts avec ses commanditaires de
Wall Street, qui ont largement financé sa campagne électorale.
Goldman
Sachs, JP Morgan Chase, Citigroup, Microsoft de Bill Gates sont
parmi ses principaux donateurs de la campagne.
Au nombre
des individus les plus riches du monde, Warren Buffett n’a pas
fait que soutenir la campagne électorale de Barak Obama, il est
membre de son équipe de transition, jouant un rôle clef dans la
formation de ses ministères.
Warren Buffett
À moins d’un
bouleversement majeur dans le système des nominations politiques
aux postes clefs, un ordre du jour économique alternatif de Barack Obama axé sur la lutte contre la pauvreté et la création
d'emplois est grandement improbable.
Barack Obama à la conférence de presse du 7 novembre.
Joe Biden (à gauche), Rahm Emanuel (à droite),
récemment nommé secrétaire général de la Maison Blanche (Chief
of Staff). Photo : Charles Dharapak
Ce à quoi
nous assistons est la continuité.
Obama
procure un « visage humain » au statu quo. Ce visage humain sert
à tromper les Étasuniens sur la nature de l'économie et de
l’action politique.
Les réformes
économiques néolibérales restent inchangées.
L’essentiel
de ces réformes, dont le « plan de sauvetage » des plus
importantes institutions financières étasuniennes, détruit en
fin de compte l'économie réelle, tout en forçant à la faillite
des régions entières du secteur manufacturier et de l'économie
des services.
Original :
Who are the Architects of Economic Collapse? Will an Obama
Administration Reverse the Tide?,
publié le 9 novembre 2008.
Traduction libre de Pétrus Lombard.
Révisée par Julie Lévesque pour
Mondialisation.ca.
Michel Chossudovsky est directeur
du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur
d'économie à l'Université d'Ottawa. Il est l'auteur de
Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre
et de la
Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller
international publié en 11 langues).
© Copyright Michel Chossudovsky, Global Research, 2008
Publié le 19 novembre 2008 avec l'aimable autorisation de Michel Chossudovsky
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