Opinion
Après le
"printemps", l'automne des Frères
Mehdia
Belkadi
Lundi 29 juillet 2013
L’islamisme modéré va
mal ! C’est dans ce contexte que la plus
importante partie de sa branche
algérienne tient son conseil national.
Alors qu’on annonçait l’islam politique
mort, les élections post « Printemps
arabe » ont prouvé le contraire, mais
pour une courte durée seulement. Tandis
que le bilan de la gouvernance des
islamistes est des plus catastrophiques,
quelle perspective s’offre à la filiale
algérienne des Frères musulmans,
« dégagés » du pouvoir dans leur pays
natal et en proie à la contestation
populaire ailleurs?
D’emblée, le président du
Mouvement de la société pour la paix, Abderrezak Mokri, indique à l’ouverture
des travaux de la première session
ordinaire du conseil national
consultatif de son parti que ce dernier
«ne veut pas évoquer l’article 88 de la
Constitution car ne détenant pas
d’éléments sur l’état de santé du
Président». Parti d’opposition depuis
mars 2011 à un pouvoir avec lequel il
s’était pourtant allié depuis 2004 (à la
veille des présidentielles), le MSP fait
dans l’opposition soft et préfère
ne pas taper trop fort. Il faut dire que
ce n’est pas tant son attachement à la
rupture et au changement avec le pouvoir
actuel qui a motivé sa
reconversion, mais plutôt l’opportunité
qu’offrait un contexte régional propice
à l’ascension des islamistes au pouvoir.
N’est-ce pas dans un contexte marqué par
l’arrivée des islamistes « modérés » au
pouvoir - par les urnes mais grâce à un
important soutien médiatique et
financier occidental et de leurs alliés
- en Tunisie, en Egypte et au Maroc, que
les islamistes modérés locaux ont décidé
de se ranger du côté de l’opposition en
prévision des législatives de mai 2011 ?
Une décision qui avait fait dire à de
nombreux observateurs que les islamistes
avaient obtenu des garanties d’un bon
résultat. Des garanties qui auraient
poussé le pouvoir à distribuer des
quotas ! La rumeur prit de l’ampleur
quand Abdelaziz Belkhadem a estimé à 40%
le score des islamistes dans les
législatives en préparation en mars
2011. Mais voilà que les résultats les
affichent grands absents. Et pour cause,
contrairement aux autres partis
islamistes de la région, les islamistes
algériens avait déjà été au pouvoir!
Ainsi, bien que les députés MSP se
fussent opposés aux textes de loi des
réformes engagés par Bouteflika, une
mesure ayant pour but de satisfaire son
électorat selon le politologue Rachid
Grim, les quatre ministres MSP étaient
toujours en poste.
Entrisme
Un pied dans le pouvoir,
l’autre dans l’opposition, ce que
l’électorat islamiste n’aurait pas
apprécié. Mais pas seulement ! Sa
présence au pouvoir n’aurait également
rien apporté de bon, sinon, comment
expliquer que le MSP n’ait obtenu aucun
siège à Blida, son fief, avaient noté
des observateurs ? Victime de ses
mauvais calculs, le parti verra ses
ministres remerciés et son seul gagnant,
Amar ir son propre parti.
Son nouveau chef, Abderrezak Mokri, se
voit attribuer la lourde tache de
remettre le parti sur les rails et
l’encrer dans l’opposition. Difficile
mission dans un contexte qui a beaucoup
changé. Car soucieux de préserver leurs
intérêts, voire les accroitre, les
Etats-Unis avaient misé sur ces
islamistes « modérés » au lendemain des
soulèvements populaires pour la
démocratie dans les pays dits arabes.
Considérés comme proches du peuple et
bénéficiant presque d’une « légitimité
divine », ils étaient tout droit
désignés à remplacer ces « laïcs » ,
jusque là présentés comme des
remparts contre l’islamisme, et qui se
sont avérés les pires dictateurs. La
machine propagandiste occidentale se met
alors en marche pour promouvoir « le
model AKP ». Ennemis jurés d’hier, les
islamistes se sont transformés par la
force des choses en la seule alternative
démocratique dans ces pays. On apprend
alors que l’islamisme politique n’est
pas mort, et surtout, qu’il n’y a pas de
contradiction entre islamisme et
démocratie, ou encore, qu’il n’y a plus
de péril islamiste! Et pour cause :
encrés dans l’ultralibéralisme, ayant
des relations avec Israël et
d’importantes bases militaires
américaines sur leur sol, faisant
partie, ou presque de l’Otan, les
islamistes « modérés » étaient les mieux
à même de garantir les intérêts
occidentaux. Seulement, les calculs
américains se sont avérés pas si bons
que cela.
Mauvais calculs
Un an de règne aura suffi
aux Frères musulmans en Egypte à
détruire ce qu’ils avaient construit en
80 ans ! Outre la concentration des
pouvoirs, on se rappellera surtout du
bilan économique désastreux alors que
l’argent du Qatar affluait. Baisse de la
croissance du PIB, réduction des
réserves de change, forte augmentation
du chômage, prolifération des marchés
informels, pénuries à répétitions et
dévissage substantiel de la valeur de la
livre égyptienne, les Egyptiens se
souviendront du bref mandat des
islamistes pendant lequel les dirigeants
se sont affreusement enrichis, et qui a
provoqué le plus important mouvement de
contestation populaire dans le pays. Y
aura-t-il un effet domino cette fois-ci
aussi ? Très probablement et à des
degrés différents, estime Alaya Allani,
historien, professeur à l'université de
Tunis et spécialiste des questions
islamiques, pour qui, ce serait « le
début de la fin de l’islamisme politique
dans les pays du Printemps arabe ». Il
ajoute que « la Tunisie risque de
rejoindre l’Egypte si Ennahdha ne
corrige pas sa copie ». Elue pour un an,
l’Assemblée constituante tunisienne
avait pour mission de rédiger la
nouvelle constitution du pays et la
soumettre à un référendum. Cela fera
bientôt trois ans qu’elle y travaille !
Une période durant laquelle l’insécurité
s’est accentuée et la menace du
terrorisme pèse plus que jamais
(assassinat ciblé du militant Chokri
Belaid le 6 février dernier), d’où des
retombées catastrophiques sur le
tourisme, secteur stratégique de
l’économie tunisienne. Là encore on
enregistre une forte augmentation de
taux de chômage et une dégringolade de
la valeur du Dinar tunisien, pendant que
l’on s’agite autour de questions
identitaire et idéologiques ! La grogne
sociale, qui n’avait jamais disparu,
risque de s’accentuer en raison des
appels à une campagne Tamarrod
similaires à celle de l’Egypte.
Début de la fin
Suivant la tendance
régionale, le Maroc, monarchie proche de
celles du Golf, avait lui aussi opté
pour un gouvernement islamiste. Bilan ?
Le Premier ministre islamiste doit faire
face à la démission simultanée de sept
ministres alors que le Maroc est dans
une situation économique délicate
marquée par des réserves financières
nettes en forte baisse, un net
ralentissement du taux de croissance à
seulement 2,7% en 2012 et un coût de la
vie qui a augmenté de 2,3% en juin 2013
par rapport au même mois de l'année 2012
en raison de la hausse de l'indice des
produits alimentaires de 3,2% et de
celui des produits non alimentaires de
1,5% selon le rapport annuel sur la
situation économique, monétaire et
financière du Maroc pour l'année 2012.
Même le model suprême des « islamistes
modérés » dont il fallait suivre les pas
n’est pas en reste. Le premier ministre
turc, Tayyeb Erdogan, fait toujours face
à un important mouvement de protestation
dans le pays et est accusé de s’être
embarqués dans des conflits régionaux en
délaissant la politique interne. Bien
que la contestation soit en perte de
vitesse, la violente répression des
manifestations en a dit long sur le
degré de démocratie de ces islamistes
« occidentalisés ». Mis à mal par leur
propre politique de gouvernance, le
protecteur américain n’est, contre toute
attente, pas venu à la rescousse. Bien
au contraire, il s’est allié à l’armée
contre les Frères musulmans en Egypte et
avait rappelé à l’ordre M. Erdogan pour
sa gestion des manifestations qui lui
sont hostiles. Mais l’abandon des
islamistes par les Etats-Unis avaient
commencé un peu avant ces évènements
quand le Qatar s’est vu contraint de
subir une « transition démocratique en
douceur » pour n’avoir pas su gérer
certains dossiers et préservé les
intérêts américains. Rejeté par les
populations et abandonné par les
bailleurs de fond, l’islamisme politique
semble plus que jamais fini. A sa
branche algérienne maintenant de
survivre !
Les dernières mises à jour
|