Quelle est la réaction des instances européennes
et internationales à la tragédie qui se déroule à Gaza ?
Leïla Shahid. Pour l’instant, aucune.
Lorsqu’on présente les événements comme une guerre civile
dont les Palestiniens sont les seuls responsables, cela permet
à tous les protagonistes, en premier lieu Israël et les États-Unis,
mais aussi l’Europe et l’ONU, de se laver les mains en
disant : regardez, ils s’entretuent, c’est leur affaire
et leur responsabilité. Cela permet d’occulter le contexte.
Et cela permet aussi d’évacuer la part de la communauté
internationale dans ce qui se passe.
Quelle est-elle ?
Leïla Shahid. La première responsabilité est
celle d’Israël : quarante ans d’occupation imposée
aux Palestiniens ! Il ne devrait pourtant pas être
difficile aux Européens d’en imaginer les conséquences,
quand on pense que de la manière dont ils parlent encore, plus
de soixante ans après, des cinq années d’occupation qu’ils
ont subies comme des années les plus terribles et les plus
noires du XXe siècle. En Palestine, pendant ces quarante années
terribles, les jeunes Palestiniens ont subi une violence israélienne
qu’ils reproduisent entre eux.
La deuxième responsabilité est celle des États-Unis
et de l’Europe : ils ont recommandé aux Palestiniens
d’organiser des élections, ce qu’ils ont fait à tous les
niveaux. Le monde entier les a saluées comme un exemple de
transparence et de démocratie. Mais ceux-là même qui les
avaient voulues en ont refusé les résultats et rejeté le
gouvernement qui en était issu. La troisième responsabilité
est celle des Européens et des États arabes qui ont fortement
appuyé la formation d’un gouvernement d’union nationale.
Mais une fois ce gouvernement formé, en mars, ils ont refusé
de le soutenir et de renouer les relations avec lui. Voilà
trois raisons qui expliquent pourquoi aujourd’hui le Hamas a décidé
de régler le problème par la force.
Peut-on parler de guerre - civile ?
Leïla Shahid. Pas encore, car pour l’instant
seules les combattants du Hamas et du Fatah sont impliqués. Ce
n’est pas encore une guerre entre les citoyens, mais cela peut
le - devenir. Il se passe des choses atroces qui peuvent
conduire à des vendettas. Le fait qu’on torture, qu’on tue
les familles des responsables... On voit là des formes de
violence qu’on n’a jamais connues en - quarante ans
d’occupation. C’est le résultat d’une violence intériorisée
pendant quarante ans et qui explose par manque de perspectives.
Une violence qui devient de l’autodestruction. Une violence
pathologique qui s’apparente au suicide. C’est le résultat
de - quarante ans d’humiliation, d’oppression mais aussi
d’impunité d’Israël. C’est le résultat du silence et de
l’absence de la communauté internationale qui s’est impliquée
en Yougoslavie, en Afrique du Sud, en Irlande, mais pas en
Palestine.
Est-il encore temps pour l’Union européenne
d’agir ?
Leïla Shahid. Il n’est jamais trop tard. Il y
a une prise de conscience de la majorité des membres du
Parlement européen qui demandent le rétablissement des
relations directes avec le gouvernement palestinien. L’UE est
la seule partie qui a continué l’aide, mais de façon
indirecte, ce qui a contribué à affaiblir l’Autorité
palestinienne. Mais l’UE reste assujettie à la position américaine.
Les États-Unis et Israël ne sont intéressés que par la
politique de force : ils n’ont parlé que d’armer
Mahmoud Abbas contre le Hamas, ce qui a eu un effet complètement
destructeur.
Que doit faire l’Europe ?
Leïla Shahid. Elle doit prendre ses
responsabilités. Elle dispose déjà d’une force le long de
la frontière égyptienne. Elle doit maintenant envoyer une
force de protection de la population palestinienne. Il y a
urgence. Sinon, la guerre civile risque de s’étendre à toute
la Cisjordanie, car les familles de ceux qui sont massacrés à
Gaza voudront se venger. Et peut-être même à toute la région.
Je me demande parfois si ce n’est pas là le choix stratégique
des États-Unis, à voir ce qui se passe déjà en Irak et au
Liban.
N’y a-t-il pas une forme de contagion de
l’exemple - irakien ?
Leïla Shahid. Bien sûr. L’influence de
l’extérieur est évidente. Celle de la guerre en Irak mais
aussi celle des - réseaux al Qaeda qui circulent d’un pays à
l’autre et que la guerre contre le terrorisme à la manière
de Bush a contribué à étendre partout. Il faut y ajouter la
guerre souterraine entre puissances qui utilisent la question
palestinienne pour s’affronter.
Comment interprétez-vous le fait qu’Israël
se rallie soudain à l’idée d’une force internationale à
Gaza ?
Leïla Shahid. Parce que les Israéliens
commencent à paniquer. Ils jouent les pompiers pyromanes. Ils
ont peur d’être gagnés par le feu qu’ils ont eux-mêmes
allumé.
Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin