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CounterPunch

Israël : en quel état j'erre ? ou de l'état de l'Etat d'Israël
Larry Portis

(A propos du film Restless, d’Amos Kollek)

on CounterPunch, 14-16 novembre 2008

http://www.counterpunch.org/portis11142008.html

Israël est dans l’œil d’un cyclone ethnique, qui aspire des juifs fanatisés grâce à son inique « Loi du Retour » et qui recrache ses âmes les plus sensibles, révoltées qu’elles sont par la culture raciste que ce pays engendre en son sein.

Amos Kollek est un metteur en scène de cinéma qui allie la sensibilité du Newyorkais John Cassavetes et de son collègue israélien Amos Gitaï, dans un des films les plus puissants qu’il m’ait été donné de voir, cette année, au Festival du Film Méditerranéen de Montpellier, en France. Il pose une question fondamentale : y a-t-il une quelconque solution à un conflit inhérent à une société contrôlée par un Etat théocratique fondé sur des bases racistes ? Tel est le problème que les partisans d’une « paix » entre les Israéliens et les Palestiniens ont tellement de difficulté à regarder en face. De plus ils trouvent particulièrement difficile ne serait-ce que de poser cette question, et a fortiori combien plus difficile encore d’en proposer une solution réaliste…

C’est la raison pour laquelle le dernier film d’Amos Kollek, Restless, est tellement prenant : il va au cœur du problème posé par la création et la perpétuation de l’Etat appelé Israël. Kollek ne propose aucune solution, mais il n’épargne aucun uppercut direct dans son évaluation d’une société et d’une culture qui méritent amplement cette caractérisation de Frank Zappa (au sujet des Etats-Unis) : « une caricature de nation, devenue complètement folle ».

Dans le film, le grand acteur israélien Moshe Ivgy joue le rôle de Moshe, un écrivain âgé, vivant dans un exil auto-imposé, à New York, où il survit de ses arnaques. Ses innombrables entourloupes sont basées sur des tromperies alambiquées qui ne lui valent que des vengeances violentes et de l’amertume. Un peu comme si vous pouviez extraire un Israélien d’Israël, mais que vous ne puissiez extraire Israël dudit Israélien. Kollek, à travers l’expérience de Moshe, me touche personnellement.

Voici la situation : Moshe, auteur de romans rencontrant un succès assez modéré en Israël, a laissé ce pays pour aller s’installer à New York, il y a une vingtaine d’années, en raison du dégoût qu’il éprouve, tant d’Israël que de sa propre personne. Il a laissé derrière lui une épouse et un jeune fils. L’épouse a fini par mourir de la drogue et de dépression. Quant au fils, il est entré dans l’armée au titre du service obligatoire, où il est devenu un sniper doué, spécialisé dans les assassinats extrajudiciaires de militants palestiniens dans les territoires occupés. Une part importante du récit concerne le conflit entre le père absent et son fils abandonné, qui dit, à un certain moment : « Je pense toujours à mon père, avant d’appuyer sur la gâchette… »

Après des années d’expédients à New York, l’alcoolisme et les affaires foireuses de Moshe lui ont fait toucher le fond. C’est alors qu’un sympathique propriétaire de bar offre à notre Moshe complètement bourré la possibilité de payer son ardoise en récitant, sur une scène, les poèmes de sa composition, afin de distraire les consommateurs. A la surprise générale, les vers de Moshe suscitent à la fois de l’hilarité et du respect chez les patrons du bar, majoritairement des juifs. Ses mots passionnés expriment quelque chose de profondément honnête, exprimé dans un style d’un dépouillement cru, provoquant, évoquant celui de Lenny Bruce. Pénétré par la réaction en retour de son public, Moshe trouve l’inspiration, et il commence à se produire régulièrement, avec un public assez restreint, mais fidèle. Vers la fin du film, nous apprenons que Moshe a produit un CD de ses lectures de poèmes, et qu’un recueil de ces poésies, portant le titre ‘Poèmes d’un homme instable’ est sur le point d’être édité. Bien qu’un actionnaire sioniste du bar ait exigé que Moshe soit mis à l’écart de la petite scène qu’il comporte, Moshe s’était vu offrir, immédiatement, un autre engagement dans un cabaret de Greenwich Village.

Pour Moshe, Israël est un pays où une idéologie raciste sert à dissimuler l’oppression sociale et l’occupation militaire.

« J’ai grandi dans une famille où nous ne possédions rien,
Des immigrés marocains, dans un pays plein d’Ashké-nazis,
Mes parents étaient trop pauvres pour m’acheter des chaussettes,
Je savais que ma seule échappatoire, c’était ma vivacité d’esprit, ma façon de jouer avec les mots, mon esprit,
Alors, j’ai essayé de devenir poète.
Comme mon fils, aujourd’hui, j’ai été soldat, à l’époque,
Je n’ai fait qu’obéir aux ordres, mais au plus profond de moi, je pensais : « Bon, mais, et ma vie ? »
Ainsi, j’ai servi mon pays, et puis, un jour, je me suis barré.
Je n’ai jamais jeté un seul regard en arrière, ça, je peux vous le garantir.
Je ne voulais pas voir ce que je laissais derrière moi, vous auriez sans doute fait comme moi.
Après tout, je suis un juif doté d’une conscience.
Quand je tue, cela m’étouffe.
Je sentais que j’étais au bout du rouleau.
Je voudrais dire que… j’ai eu le courage de faire un choix.
Voilà : c’est moi, en quelques mots. »

Après la déclamation de ce premier poème, un homme, qui s’avère être son ancien officier, agresse Moshe verbalement : « Pourquoi n’es-tu pas resté là-bas ? », demande-t-il. « Qu’est-ce que tu peux bien foutre dans ce putain de New York ? »

La réponse de Moshe est laconique, mais elle va droit au but : « J’étais perdu, au pays. Vous tuiez des femmes et des enfants palestiniens, et vous appeliez ça servir le pays ! » Ce à quoi le sioniste réplique, de manière bien moins pertinente : « Non. Moi, je fais dans la high-tech… » Comme si des moyens technologiquement sophistiqués de destruction des êtres humains excusaient les massacres, et comme si des méthodes « artisanales » avaient quoi que ce soit de plus répréhensible. Inutile, à ce sujet, de pontifier sur la différence entre le terrorisme et la violence insurrectionnelle. Dans une « guerre asymétrique », le puissant a l’avantage moral. Après tout, Israël n’est-il pas une démocratie ?

Lors de l’autre lecture de poèmes du film, Moshe développe le thème de la notion de démocratie, en tant que ‘meilleure’ ‘justification’ de l’injustice.

Il commence par lire les droits de Miranda, comme le fit jadis Lenny Bruce. Comme celui de Bruce, le talent de Moshe réside dans son utilisation de l’intelligence vive et du bon sens commun pour briser des tabous. En assumant sa propre culpabilité, il met à nu l’hypocrisie des autres. Cette fois-ci, ses mots s’écoulent à la manière de ceux d’un Allen Ginsberg :

« Vous avez le droit de continuer à vous taire
Tout ce que vous direz pourrait – et sera – être utilisé contre vous devant un tribunal.
Personne ne m’avait lu ces droits, car j’étais né dans un pays lointain, dans une mer d’aristocratie ashkénaze.

Et quand vous entrez dans l’armée pour tuer ou être tué, par des gens contre lesquels je n’avais rien et qui ne m’en voulaient pas non plus, dans le royaume lointain-même de Saul, de David et de Salomon, qui est aujourd’hui une démocratie d’espoir, de maisons et d’enfants, et vous avez le droit continuer à vous taire quand vous verrez le cortège funèbre arriver et que vous vous contenterez de retenir vos larmes, tandis que vos enfants hurlent, à côté des cercueils, sur vos écrans de télévision. »

Dans le film de Kollek, les « enfants d’Israël » pleurent à cause de la fausse promesse de l’Etat sioniste. Des gens comme Moshe sont Israéliens ; ce ne sont plus des pionniers sionistes, mus par une vision utopiste, par un délire nationaliste qui les rendraient aveugles aux réalités de l’épuration ethnique. Moshé est le nouveau « juif errant » ; errant, parce qu’il ne saurait continuer à exister, dans le pays où il a vu le jour. Sa prise de conscience des horreurs causées par le rêve sioniste, ce rejeton pervers du « rêve américain » - les Etats-Unis étant la première « Jérusalem nouvelle » - est une forme d’internalisation de la violence d’Etat. Israël aurait dû être le foyer du « nouveau juif » ; il est devenu un piège, dans lequel l’identité est dialectiquement liée au déni systématique de l’Autre – un déni qui requiert une inhumanité raciste. 

La souffrance existentielle causée par le projet sioniste est symbolisée par la désolation (au sens étymologique du terme : la perte du sol, sous les pieds, ndt) de Moshe et de son fils, Trach, auquel on a refusé de le recruter à nouveau dans l’armée israélienne en raison de son plaisir exagérément évident lors de l’exécution de Palestiniens pris dans une embuscade. Trach a fait également l’expérience d’un trauma émotionnel d’un autre genre après avoir tué, accidentellement, un enfant palestinien. Quand Trach se rend à New York pour s’y confronter avec son père prodigue, et peut-être le tuer, la scène est campée d’un clash très classique entre un père et son fils, mais il s’agit ici d’un clash opposant deux générations d’Israéliens dont les problèmes personnels sont conditionnés par un état de militarisation et de haine raciste permanente, indispensables à la perduration de l’Etat sioniste.

Il y a une sorte de résolution, dans ce film. Moshe et son fils sont attirés l’un vers l’autre par leur peine et leur déracinement réciproques, mais cela se produit hors d’Israël, dans cette zone relativement neutre qu’est New York, où la judéité est acceptée comme un statut social et personnel banal, qui n’implique nullement l’oppression d’autres groupes humains. En même temps, Moshe se voit offrir une nouvelle chance de reconstruire son estime de lui-même, non seulement par son nouveau succès en tant que poète-acteur, mais aussi grâce à une nouvelle relation. Symboliquement, il trouve pour compagne une ancienne soldate de métier, très rude, qui a servi en Irak en tant qu’officier (et qui est à l’époque du film la tenancière d’un bar d’un quartier juif aisé). Très « baroudeuse », cette forte femme, qui a un enfant en bas âge, a, de la même manière, fui un univers de violence raciste et d’inhumanité et elle s’est réfugiée dans un monde marginal où, au moins, elle peut se réconcilier avec elle-même, sans avoir à dominer ou à exploiter de gens différents d’elle-même.

Dans son show final, dans le bar, Moshe s’exprime en hébreu. Il dit :

« Je veux dire encore une chose, à mes frères, vivant en Israël :

« Mes frères glorieux, héros de batailles, éduqués dans la souffrance… où pourrais-je trouver des gens aussi magnifiques, aussi magnifiques que vous, à qui d’autre pourrais-je parler de moi, de nous, de notre pays, du pays qui n’est à nul autre, de nos filles, de notre armée, qui n’est qu’à nous, et à nul autre, qui a battu sept armées, en six jours ?
Sans doute avons-nous été pourris, corrompus, depuis lors. Nous sommes devenus confus. Nous avons perdu notre chemin.
Mais où, ailleurs dans le monde, pouvons-nous nous sentir davantage chez nous qu’à Tel Aviv ou à Jérusalem, avec, ou sans le Mont du Temple ?
Et ça sera tout,  pour aujourd’hui, depuis la forteresse israélienne de New York ! »

Ironie d’un « juif se haïssant lui-même » ? Peut-être. Mais l’auto-flagellation et la culpabilité de Moshe sont manifestement intimement imbriquées avec son identité d’Israélien. Ce n’est pas parce qu’il est juif, qu’il est perdu émotionnellement et insatisfait artistiquement. Non, c’est parce qu’il est Israélien, parce qu’il est citoyen d’un pays impérialiste et obnubilé par sa « sécurité nationale », impitoyable dans sa recherche de la domination territoriale et dans l’exploitation des ressources d’autres peuples. A New York, au contraire, en tant que juif et en tant qu’artiste, il a trouvé refuge, puis l’apaisement (dans les bras et dans le cœur d’une femme « gentille », c’est-à-dire non juive). A New York, il a pu retrouver son fils et assumer sa culpabilité. Ce n’est qu’à New York qu’une solution s’est avérée possible.

Israël peut-il continuer ainsi à être un « projet national » ? Le peuple juif peut-il se permettre de nourrir des « aspirations nationalistes » ? L’épuration ethnique et le chauvinisme national sont-ils toujours la modernité politique, le front avancé du progrès social, comme on le croyait généralement au dix-neuvième, puis au vingtième siècle ? « Globalisée », la planète deviendra-t-elle une juxtaposition de ghettos surpeuplés d’élites – comme ceux que représentent Israël et les Etats-Unis – ou bien une société et une culture authentiquement démocratiques et cosmopolites émergeront-elles du désastre du capitalisme et de ses pathologies idéologiques ?

Le film de Kollek a le mérite de poser ces questions à un niveau humain et émotionnel tellement profond. En voyant cette œuvre puissante consacrée à la représentation de la réalité psychique de la société israélienne, nous ne pouvons pas ne pas évoquer le pathos d’une situation qui a détruit les vies de générations de personnes appartenant à différentes identités ethniques et confessionnelles.

[* Larry Portis est un historien et écrivain, vivant en France, qui a publié récemment une histoire du fascisme aux Etats-Unis (Histoire du fascisme aux Etats-Unis, Paris, Editions CNT-RP, 2008). Vous pouvez le contacter à l’adresse mél suivante : larry.portis@orange.fr]

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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