La torture comme source de renseignement
Abou Zoubeida, la
« balance d'Al-Qaida »
Kevin Ryan
Jeudi 17 janvier
2013 Toujours
emprisonné à Guantánamo Gay, Abou
Zoubeida est la principale source de
renseignement occidental sur Al-Qaida.
Il a donné sous la torture le nom
d’autres responsables de l’organisation
terroriste qui ont été arrêtés à leur
tour et ont fourni les autres
informations dont disposent les
autorités états-uniennes. Bref, ce que
les autorités US disent savoir sur
Al-Qaida, elles le doivent d’abord à
cette source. Problème : il est
aujourd’hui admis qu’Abou Zoubeida n’a
jamais été membre d’Al-Qaida et que ses
aveux obtenus sous la torture n’étaient
qu’un moyen pour lui d’abréger ses
souffrances. L’essentiel de ce que le
contre-espionnage US déclare savoir d’Al-Qaida
est sorti de son imagination fertile. Et
tout est faux.
Abou Zoubeida, un homme autrefois
qualifié de « chef des opérations
» d’al-Qaïda, semble être au cœur d’une
remise en cause de la légende officielle
autour de cette organisation. Depuis sa
capture au début de l’année 2002,
Zoubeida est connu comme le premier «
détenu » à avoir été torturé [par la
CIA]. Les informations que ses
tortionnaires lui auraient extirpées
furent déterminantes dans l’élaboration
du récit officiel du 11-Septembre, ainsi
que dans la justification du recours
permanent à de telles méthodes.
Pourtant, en septembre 2009, le
gouvernement des États-Unis a admis que
Zoubeida n’avait jamais été un membre ou
un associé d’al-Qaïda. Ces faits
soulèvent un nombre alarmant de
questions quant à la véracité de ce que
l’on sait à propos d’al-Qaïda. Ils nous
amènent également à reconsidérer nos
certitudes quant à la véritable identité
des personnes suspectées d’être derrière
les attaques du 11-Septembre.
Contrairement aux autres leaders
présumés d’al-Qaïda, dont Khaled Cheikh
Mohammed (KCM) et Ramzi ben al-Chaïba,
Zoubeida n’a jamais été accusé d’un
quelconque crime. Alors que les autres
principaux suspects du 11-Septembre
attendent un procès militaire
continuellement repoussé, Zoubeida est
balayé de l’histoire. Pourquoi le
gouvernement des États-Unis voudrait-il
que l’on oublie cet homme, pourtant
considéré comme le premier et le plus
important des agents d’al-Qaïda arrêtés
après le 11-Septembre ?
La Commission sur le 11-Septembre a
qualifié Zoubeida d’« associé d’al-Qaïda
», d’« allié de longue date de ben
Laden », de « lieutenant de ben
Laden » et de « lieutenant d’al-Qaïda
». [1]
Cependant, les allégations de la
Commission étaient quelque peu
contradictoires puisque, dans son
rapport officiel, elle décrivait
Zoubeida comme un leader d’al-Qaïda.
Dans le même temps, elle l’accusait
d’être un simple partenaire terroriste
de cette organisation, avec laquelle il
collaborait dans le recrutement et
l’entraînement d’agents opérationnels.
Par exemple, la Commission rapporta que
Zoubeida « contribua à faire
fonctionner un célèbre camp
d’entraînement terroriste près de la
frontière avec le Pakistan [le camp
Khalden] ». Parallèlement, elle affirma
que ben Laden avait passé un accord avec
lui afin de « mener des efforts
réciproques de recrutement [,]
par lesquels on promettait aux individus
s’entraînant dans les camps qu’ils
seraient invités à rejoindre al-Qaïda
». La raison pour laquelle un «
lieutenant de ben Laden » aurait eu
besoin d’un tel accord réciproque n’est
pas claire.
La Commission sur le 11-Septembre
lança d’autres accusations, avançant que
« KCM [Khaled Cheikh Mohammed]
et Zoubeida [avaient] tous deux
joué un rôle central dans la
facilitation des voyages des agents d’al-Qaïda
», et que « Zoubeida avait été une
figure clé dans les projets terroristes
[de cette organisation prévus pour le
passage à l’an 2000]. » Ces allégations
s’appuyaient principalement sur les
témoignages obtenus par les
tortionnaires de Zoubeida et d’autres
individus, et sur le « journal »
de ce dernier.
La série
télévisée 24 (2001-2010), distribuée
mondialement,
a progressivement évolué jusqu’à
présenter la torture comme une technique
banale d’interrogation.
Ce feuilleton a été co-financé par la
CIA.
En 2009, à l’occasion d’un
incroyable revirement, un avocat de
Zoubeida écrivit dans The
Guardian que la majorité des
accusations contre son client
étaient considérées comme fausses
par chaque partie. En réalité, il
écrivit que « leur caractère
fallacieux était connu dès lors
qu’elles furent prononcées. » [2]
Ainsi, l’avocat Brent Mickum déclara
que son client, qui était décrit
comme « le numéro trois d’al-Qaïda
», n’avait jamais été un associé ou
un membre de cette organisation, et
que « [c]es faits [n’étaient]
vraiment plus remis en cause :
Zoubeida ne fut pas, et n’a jamais
été, un membre des talibans ou d’al-Qaïda.
La CIA put le déterminer après
l’avoir longuement torturé. » En
fait, il n’avait « jamais été un
membre ou un partisan de telle ou
telle force armée liguée contre les
États-Unis », ni même le «
chef d’un camp militaire qui
entraînait des terroristes. Cette
accusation est totalement fausse.
»
Il s’avère que l’article du
Guardian était exact, et que la
« relation supposée d’Abou
Zoubeida avec al-Qaïda [était]
entièrement une légende. » [3]
Nous pouvons l’affirmer car, à
partir de septembre 2009, le
gouvernement des États-Unis reconnut
que Zoubeida n’avait jamais été un
agent d’al-Qaïda. Lors de la requête
en habeas corpus de cet homme
[, soit la dénonciation
judiciaire de sa détention
arbitraire], le gouvernement
admit qu’Abou Zoubeida n’avait
jamais fait partie de cette
organisation, et qu’il n’avait
jamais été impliqué dans les
attentats contre les ambassades US
en Afrique ou dans les attaques
contre les États-Unis le 11
septembre 2001. [4]
La requête, présentée par le
gouvernement US, affirma que :
« […] dans cette procédure, le
Gouvernement n’a pas soutenu que le
Requérant [Zoubeida] était un
membre d’al-Qaïda, ou qu’il était
formellement identifié comme faisant
partie de cette organisation.
Le Défendeur
[le Gouvernement des États-Unis]
ne soutient pas que le Requérant
ait été un ‘membre’ d’al-Qaïda, au
sens qu’il ait prêté serment
d’allégeance (bayat) ou qu’il
ait rempli tout autre critère
considéré comme nécessaire par le
Requérant ou par al-Qaïda afin
d’intégrer cette organisation. Le
Gouvernement ne maintient pas non
plus en détention le Requérant sur
la base d’une accusation voulant que
ce dernier se considère comme
faisant partie d’al-Qaïda, dans sa
conscience personnelle et
subjective, son idéologie ou sa
vision du monde.
Dans cette procédure, le
Gouvernement n’a pas soutenu que le
Requérant ait joué un rôle direct ou
qu’il ait eu une pré-connaissance
des attaques terroristes du 11
septembre 2001.
[…] le Gouvernement n’a pas
soutenu que le Requérant ait été
personnellement impliqué dans la
planification ou l’exécution des
attentats à la bombe de 1998 contre
les ambassades [US] […] ou
des attaques du 11 septembre 2001.
»
Dans son article du Guardian
de 2009, Maître Mickum poursuivit
ses révélations en soulignant que
Zoubeida était une figure centrale
dans les enregistrements des
tortures détruits par la CIA – à
propos desquels cette dernière avait
d’abord menti auprès de la
Commission sur le 11-Septembre –.
Selon Mickum, « les bandes vidéos
de ses tortures furent supprimées.
Très récemment, le gouvernement a
révélé que 90 vidéos sur les 92
détruites par la CIA concernaient
notre client. » Il fit de plus
amples révélations en déclarant que
le gouvernement des États-Unis avait
effacé toute « référence à
[son] client sur les
procès-verbaux et sur les factual
returns [, soit les réponses
gouvernementales aux requêtes en
habeas corpus] des autres
prisonniers qui étaient poursuivis.
Les récits des médias et les
documents officiels de [la
prison de] Guantánamo ont lié
Abou Zoubeida à presque 50 détenus
et anciens prisonniers. Parmi eux,
environ 25 ont vu leurs accusations
abandonnées, ou ont été libérés de
prison. » En réalité, [le
gouvernement des États-Unis a] «
balayé Abou Zoubeida de l’histoire
».
Évidemment, cette tentative de
faire oublier un important
responsable présumé du 11-Septembre
devrait changer radicalement le
récit officiel de ces événements. En
effet, puisque nous savons que cet
homme n’a jamais eu aucun lien avec
al-Qaïda, nous devrions nous
attendre à d’importantes révisions
du Rapport de la Commission sur le
11-Septembre.
Afin de comprendre à quel point
Zoubeida fut une source majeure dans
le récit officiel du 11-Septembre,
nous devons analyser les très
nombreuses accusations que le
gouvernement US et les médias grand
public ont proférées à son encontre
au fil des années. Nous avons vu que
la Commission sur le 11-Septembre
l’appela (à tort) un « lieutenant
d’al-Qaïda ». Dans l’enquête de
la commission mixte du Congrès, il
fut également appelé le «
lieutenant de ben Laden capturé en
mars 2002 », ainsi qu’« Abou
Zoubeida, un leader d’al-Qaïda
». Aussi tard qu’en 2006, le rapport
de l’inspecteur général du
département de la Justice sur les
attaques du 11-Septembre le qualifia
de « lieutenant de ben Laden
».
En mars 2002, lorsque Zoubeida
fut capturé, les responsables du
gouvernement des États-Unis le
présentèrent comme la plus grosse
prise dans la guerre contre le
terrorisme, du moins jusqu’à
l’arrestation de Khaled Cheikh
Mohammed (KCM). Robert Mueller,
alors directeur du FBI, déclara que
sa capture contribuerait à empêcher
d’autres attaques. [5]
Ari Fleischer, le porte-parole de la
Maison Blanche, affirma que Zoubeida
pourrait fournir une mine de
renseignements sur al-Qaïda. [6]
Le secrétaire à la Défense Donald
Rumsfeld avança qu’il était « un
homme au courant d’autres attaques
», qui avait « entraîné des gens
pour cela », et qu’il était un
gros poisson ayant de vastes
connaissances [à propos d’al-Qaïda].
[7]
Les nombreuses accusations
lancées contre Abou Zoubeida se
multiplièrent. Il fut notamment
avancé qu’il était :
avec KCM, l’un des « principaux
dirigeants opérationnels d’al-Qaïda
» – Richard Clarke, le « tsar du
contreterrorisme » des
présidents Bill Clinton et George W.
Bush, dans son livre Contre tous
les ennemis ;
« sinistre », et qu’« il
existe des preuves démontrant qu’il
est un planificateur ainsi qu’un
dirigeant [d’al-Qaïda]. Je
pense qu’il est une figure clé
[de cette organisation] ». – Michael
Sheehan, l’ancien directeur du
contreterrorisme au sein du
Département d’État ; [8]
« extrêmement dangereux », et
qu’il était un organisateur du
11-Septembre – John B. Bellinger
III, conseiller juridique du
Département d’État, dans un briefing
de juin 2007 ; [9]
un formateur, un recruteur, qu’il
comprenait la fabrication des
bombes, qu’il était un
falsificateur, un logisticien,
quelqu’un qui concrétisait les
projets et qui avait fait «
fonctionner al-Qaïda » – Bob
Grenier, ancien chef de station de
la CIA ; [10]
« un proche associé d’[Oussama
ben Laden] et, à défaut d’être le
numéro deux, [il était] très
proche de la personne qui occupe
cette position au sein de
l’organisation [al-Qaïda]. Je
pense que tout cela est bien établi.
» – Le secrétaire à la Défense
Donald Rumsfeld ; [11]
« un très haut responsable d’al-Qaïda
qui a été étroitement impliqué dans
une série d’activités pour la
al-Qaïda [sic]. » – Donald
Rumsfeld ; [12]
un « très important agent d’al-Qaïda
» – Donald Rumsfeld ;
un « recruteur essentiel de
terroristes [,] un
planificateur opérationnel et un
membre du premier cercle d’Oussama
ben Laden » – Ari Fleischer, le
porte-parole de la Maison Blanche ;
[13]
quelqu’un dont la capture était un «
très sérieux revers » pour
al-Qaïda et que par conséquent,
l’une des « nombreuses tentacules
» de cette organisation avait été «
coupée » – Ari Fleischer ;
« l’un des plus importants agents
[d’al-Qaïda,] élaborant et
planifiant la mort et la destruction
aux États-Unis » – Le Président
George W. Bush ; [14]
« l’un des plus hauts dirigeants
d’al-Qaïda », qui « était
parmi les principaux responsables
opérationnels [de cette
organisation], consacrant
beaucoup de temps à élaborer et à
planifier des meurtres. » – Le
Président George W. Bush ; [15]
« le chef des opérations d’al-Qaïda
» – Le Président George W. Bush ; [15]
« l’un des trois plus hauts
responsables » au sein d’al-Qaïda
– Le Président George W. Bush ; [16]
quelqu’un dont les interrogatoires «
menèrent à des renseignements
fiables », un « fournisseur
prolifique » d’informations, qui
fut à l’origine d’environ 25 % des
renseignements d’origine humaine au
sujet d’al-Qaïda – Le directeur de
la CIA Michael Hayden ; [17]
l’un des trois individus les mieux «
placés pour être au courant
d’atrocités terroristes imminentes
» – Michael Hayden. [18]
-
-
Dans Unthinkable (2010),
le contre-espionnage US doit
obtenir les aveux d’un
terroriste musulman avant que
n’explosent des bombes
nucléaires. Pour protéger leur
patrie, ils sombrent dans la
plus profonde barbarie.
Alors que la légende autour
d’Abou Zoubeida s’étoffait, il fut
rapporté dans la presse que cet
homme :
« valait une tonne de gars à
Guantánamo » ; [19]
était « un haut responsable de
ben Laden » et l’« ancien
chef du Jihad islamique basé en
Égypte » ; [20]
« joua un rôle central dans les
attaques contre les ambassades
[des États-Unis] en Afrique de
l’Est » ; [21]
était listé comme étant un «
adjoint de confiance » de ben
Laden, ayant un « pouvoir
grandissant [au sein de son
organisation] » ; [22]
contrôlait al-Qaïda ; [23]
était un adjoint de ben Laden qui
avait dirigé des camps
d’entraînement en Afghanistan et qui
avait « coordonné des cellules
terroristes en Europe ainsi qu’en
Amérique du Nord » ; [24]
était un « recruteur essentiel de
terroristes, un planificateur
opérationnel et un membre du premier
cercle d’Oussama ben Laden » ; [25]
était le « PDG de ben Laden
», [26]
ainsi qu’« une figure centrale au
sein d’al-Qaïda » ; [27]
était le « planificateur des
voyages » de ben Laden ; [28]
faisait partie d’« une poignée
d’hommes chargés de diriger le
réseau terroriste en cas de mort ou
de capture d’Oussama ben Laden »
; [29]
était un important lieutenant de ben
Laden, suspecté « d’organiser les
ressources d’al-Qaïda afin de
perpétrer des attaques contre des
cibles US » ; [30]
était le numéro quatre d’al-Qaïda
après Oussama ben Laden, Ayman al-Zawahiri
et Mohammed Atef ; [31]
connaissait les identités de «
milliers » de terroristes qui
étaient passés par les camps
d’entraînement d’al-Qaïda en
Afghanistan ; [32]
était un collègue de Richard Reid,
le terroriste aux chaussures piégées
; [33]
était l’un des principaux
planificateurs d’opérations
terroristes pour le compte de ben
Laden, et qu’il connaissait les
plans d’al-Qaïda ainsi que ses
cellules ; [34]
incarnait la « connexion entre
ben Laden et la plupart des cellules
opérationnelles d’al-Qaïda » ; [35]
était la source de l’information
selon laquelle le Vol 93 d’United
Airlines devait frapper la
Maison-Blanche. [36]
Puisque l’on sait à présent que
Zoubeida n’a jamais été un agent ou
même un associé d’al-Qaïda, nous
sommes contraints de réaliser avec
stupeur que toute cette histoire
était fausse. Parmi les questions
ainsi soulevées, quelle part de ce
que l’on sait sur al-Qaïda et sur la
guerre contre le terrorisme fut
élaborée grâce aux témoignages –
obtenus sous la torture – d’un homme
qui ne pouvait absolument rien
savoir de cette organisation ?
Initialement, on nous a dit que
Zoubeida fût le premier à identifier
KCM comme étant l’associé de ben
Laden que l’on surnommait «
Mokhtar ». Cette information
nous vient d’Ali Soufan, le
fonctionnaire du FBI qui a été la
première personne à interroger
Zoubeida dans une prison secrète de
la CIA en Thaïlande. Soufan avança
également que ce dernier avait
accusé KCM d’être le « cerveau
» des attaques du 11-Septembre. Dans
son livre publié en 2007, le
directeur de la CIA George Tenet
alla encore plus loin, affirmant
qu’« interroger Abou Zoubeida
avait conduit à Ramzi ben al-Chaïba
». [37]
Mais comme nous le savons à
présent, lors d’un interrogatoire,
la CIA aurait affirmé à Zoubeida
avoir découvert qu’il n’était pas un
combattant, un membre ou même un
partenaire d’al-Qaïda. [38]
Pourtant, KCM et ben al-Chaïba
furent malgré tout capturés et
torturés.
Le Rapport de la Commission sur
le 11-Septembre se basait beaucoup
sur des récits élaborés par des
tiers à partir de ce que ces détenus
déclarèrent sous la torture – «
deux des trois parties dans la
communication étant des employés
gouvernementaux » –. [39]
La Commission elle-même écrivit que
« [l]es chapitres 5 et 7
s’appuient largement sur les
renseignements obtenus des membres
capturés d’Al-Qaida ». [40]
En réalité, plus de la moitié du
Rapport de la Commission sur le
11-Septembre se base sur des
témoignages totalement biaisés car
extirpés sous la torture, auxquels
la Commission n’a eu absolument
aucun accès – n’ayant même pas été
autorisée à questionner les
interrogateurs –. Les témoignages de
KCM obtenus sous la torture sont
cités à 221 reprises dans le
Rapport, et ceux de ben al-Chaïba 73
fois. Au total, la Commission a
utilisé comme source un ou plusieurs
de ces « interrogatoires » à
441 reprises dans les notes de son
rapport.
Le gouvernement des États-Unis a
admis que Zoubeida avait subit le
supplice de la baignoire à 83
reprises, et que KCM fut torturé de
cette manière 183 fois. Sachant que
la plupart des gens ne peuvent
supporter cette torture au delà
d’une poignée de secondes, ces
sessions n’étaient visiblement pas
destinées à obtenir des
renseignements. En revanche, elles
auraient pu être menées afin
d’éliminer des informations
sensibles à travers la destruction
psychique des victimes. Dans les
brefs témoignages que ses avocats
ont été autorisés à produire,
Zoubeida a également décrit comment
il fut maintenu pendant de longues
périodes dans une cage, qu’il
qualifia de « minuscule cercueil
». [41]
-
-
Nominé aux Golden Globes
et aux Oscars, Zero Dark Thirty
(2012) met en scène
l’élimination de Ben Laden grâce
à des renseignements obtenus
sous la torture.
Les tortures infligées à Zoubeida
furent spécifiquement utilisées pour
soutenir les allégations sur les
plans et les actions de ben Laden,
les orientations d’al-Qaïda, le
recrutement des pirates de l’air et
des autres agents de cette
organisation, ainsi que les détails
sur les responsables de la
planification du 11-Septembre. [42]
Selon l’auteur Jane Meyer, l’agent
de la CIA John Kiriakou déclara que
« Zoubeida admit ouvertement son
rôle dans les attaques du
11-Septembre [, et qu’il]
prétendit regretter d’avoir tué
autant de citoyens des États-Unis.
» [43]
Visiblement, la Commission sur le
11-Septembre considéra que cette
assertion n’était pas crédible, bien
qu’elle ait repris d’autres
informations douteuses qui auraient
été obtenues en torturant les
suspects [du 11-Septembre].
Au vu des « erreurs »
évidentes liées au fait que Zoubeida
ait été décrit comme un leader d’al-Qaïda,
il semble que d’importantes
révisions du récit officiel du
11-Septembre soient nécessaires.
Mais en réalité, il est peu probable
que les informations attribuées à
Zoubeida soient si tardivement
expurgées du mythe officiel
légitimant la guerre contre le
terrorisme, ainsi que les actions
correspondantes du gouvernement des
États-Unis. La raison à cela est que
les tortures infligées à cet homme
ont été utilisées afin de soutenir
des actes et des bouleversements
politiques sans précédent :
Le Président Bush en personne se
servit de l’importance attribuée à
la capture et à la torture de
Zoubeida afin de justifier les
méthodes de torture de la CIA, ainsi
que la détention de suspects dans
les prisons secrètes de l’Agence à
travers le monde. [44]
Le gouvernement des États-Unis
utilisa les renseignements douteux
obtenus [en torturant] Zoubeida afin
de justifier l’invasion de l’Irak.
Les responsables gouvernementaux
déclarèrent que ce dernier était la
source des allégations liant
al-Qaïda et l’Irak. Celles-ci
avançaient que cette organisation et
ce pays entraînaient conjointement
des individus à utiliser des armes
chimiques. Ces accusations n’ont
jamais fait l’objet d’une
vérification indépendante. [45]
Le témoignage sous la torture de
Zoubeida fut également utilisé afin
de justifier le recours aux
tribunaux militaires, empêchant le
procès des prétendus suspects d’al-Qaïda
devant des juridictions civiles et
publiques. Lors d’un discours
prononcé en septembre 2006, le
Président Bush demanda au Congrès
d’élaborer des règles spéciales afin
de juger Abou Zoubeida devant une
commission militaire à Guantánamo. [46]
Pourtant, à la fin du mois d’avril
2002, soit moins d’un mois après sa
capture, les responsables du
département de la Justice
déclarèrent qu’il était « un
candidat presque idéal pour un
procès devant les tribunaux
[civils] ». [47]
Ironiquement, Zoubeida pourrait être
le seul principal suspect [du
11-Septembre] à ne jamais être jugé.
En plus de la justification du
recours à des méthodes de torture
illégales, l’administration Bush
utilisa la capture de Zoubeida afin
d’accélérer la mise en œuvre de son
programme d’espionnage intérieur. À
l’époque, l’argument avancé était
que ce programme permettrait d’agir
rapidement afin d’exploiter les
numéros de téléphone et les adresses
saisies durant l’arrestation de
Zoubeida. [48]
Récemment, un second avocat
d’Abou Zoubeida écrivit un autre
article, qui parut dans la presse
grand public. Dans celui-ci, Maître
Amanda Jacobsen souligna que :
« Les responsables [du
gouvernement] US ont déclaré
qu’Abou Zoubeida était un terroriste
de premier plan au sein d’al-Qaïda.
Ils avancèrent qu’il était le «
Numéro 3 » de cette organisation,
son chef des opérations qui
travaillait directement avec Oussama
ben Laden. Ils prétendirent qu’il
était personnellement impliqué dans
les attaques du 11 septembre 2001,
ainsi que dans chaque opération
majeure d’al-Qaïda, et qu’il
connaissait en détail les plans des
futures attaques.
Mais toutes ces accusations étaient
fausses. » [49]
Le gouvernement des États-Unis
ayant admis qu’il n’existe aucune
raison de poursuivre Abou Zoubeida,
et que ce dernier n’a jamais eu
aucun lien avec al-Qaïda, va-t-il le
libérer ? Comme Maître Mickum l’a
demandé, son client sera-t-il
autorisé à raconter sa propre
version de l’histoire ? Question
encore plus déterminante : Afin que
les fausses informations sur
Zoubeida cessent d’alimenter la
guerre contre le terrorisme, le
récit officiel du 11-Septembre
sera-t-il révisé pour être expurgé
des affirmations attribuées à cet
homme (ainsi que des accusations
proférées à son encontre) ?
La réponse est non, presque
certainement non.
Une décision juridictionnelle
impose de classifier « chaque
témoignage prononcé par les accusés
» lors des procès de KCM et des
autres suspects [du 11-Septembre]. [50]
Cependant, si l’on autorise Zoubeida
à s’exprimer, nous pourrions
découvrir que son esprit n’a pas été
totalement anéanti par les tortures
qu’on lui a infligées. Et la légende
officielle sur le 11-Septembre et
al-Qaïda pourrait s’effondrer face
aux témoignages publics – non
contraints par la torture – des
personnes accusées d’avoir commis
ces crimes. Finalement, il semble
que l’affaire Zoubeida soit une
menace pour al-Qaïda elle-même. Elle
constitue également un aveu public
que certains mensonges doivent
subsister afin de protéger
l’imposture globale qui légitime la
guerre contre le terrorisme.
Traduction
Maxime Chaix
Conséquences des
aveux extorqués d’Abou Zoubeida
en France
« Le comité exécutif d’Al-Qaida
est alors formé, en dehors de
Ben Laden, [notamment d’une]
section d’accueil des
moudjahidin. Cette dernière est
placée sous l’égide d’Abou
Zoubeida, dont le nom reviendra
constamment dans toutes les
procédures judiciaires
françaises. »
Juge Marc Trevidic, Au cœur
de l’antiterrorisme (février
2011)
Les faux aveux obtenus sous
la torture d’Abou Zoubeida ont
été transmis au Parquet
anti-terroriste français et
utilisés dans de nombreuses
procédures. Ils ont été validés
par les aveux tout aussi
imaginaires de Djamel Beghal,
considéré pendant un temps comme
le responsable d’Al-Qaida en
France.
Ce qui importe ici, c’est que
des aveux obtenus sous la
torture ont servis de base à des
analyses politiques et
militaires erronées qui ont
justifié des restrictions
inutiles des libertés publiques.
On observera que les nombreux
ouvrages rédigés par des «
experts anti-terroristes » sur
Al-Qaida et les réseaux
jihadistes à partir des faux
aveux d’Abou Zoubeida sont
toujours en circulation et
servent toujours de base à des
analyses politiques et
militaires bien que leurs
fondements soient imaginaires.
RV
[1]
Commission nationale sur les
attaques terroristes contre les
États-Unis,
Rapport final
de la commission nationale sur les
attaques terroristes contre les
États-Unis
, 2 février 2005 pour l’édition
française, 22 juillet 2004 pour
l’édition originale (téléchargeable
ici).
[2]
Brent Mickum, «
The truth
about Abu Zubaydah
», The
Guardian,
30 mars 2009.
[3]
Ibid.
[4]
Zayn al Abidin
Muhammad Husayn v. Robert Gates,
Respondents Memorandum of Points and
Authorities in Opposition to
Petitioner’s Motion for Discover and
Petitioner’s Motion for Sanctions.
Civil Action No. 08-cv-1360 (RWR),
septembre 2009.
[5]
«
NEWS SUMMARY :
Arrest May Deter Attacks
», New
York Times,
4 avril 2002.
[6]
World : United States Western Mail,
3 avril 2002.
[7]
Donald
Rumsfeld News Transcript
, Département de la Défense, 3 avril
2002.
[8]
«
Report :
Insider May Testify On Zubaydah
», United Press International (UPI),
2 avril 2002.
[9]
United States Helsinki Commission
Briefing Transcript Political/Congressional
Transcript Wire, 22 juin 2007.
[10]
Transcription
d’un reportage de Kelli Arena sur
Guantanamo, diffusé par CNN le 24
septembre 2006.
[11]
Department of
Defense News Briefing
, Département de la Défense, 1er
avril 2002.
[12]
Gerry Gilmore, «
Rumsfeld
Confirms Capture of Senior Al Qaeda
Leader
», Département de la Défense, 2
avril 2002.
[13]
«
Profile : Abu
Zubaydah
», BBC News, 2 avril 2002.
[14]
Remarks by the
President at Connecticut Republican
Committe Luncheon,
discours du Président George W.
Bush, Hyatt Regency Hotel, Greenwich
(Connecticut), 9 avril 2002.
[15]
Remarks by the
President in Address to the Nation,
discours du Président George W.
Bush, Maison Blanche, 6 juin 2002.
[16]
Remarks by the
President at Thaddeus McCotter for
Congress Dinner,
discours du Président George W.
Bush, Ritz Carlton Hotel, Dearborn
(Michigan), 14 octobre 2002.
[17]
Jeff Bliss et Tony Capaccio, «
Iraq Group May
Attack Outside Nation, McConnell
Says Bloomberg.com
», 5 février 2008 ; Richard Esposito
et Jason Ryan, «
CIA Chief : "We
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», ABC News, 5 février 2008.
[18]
Philip Shenon, «
MIDEAST
TURMOIL : INTELLIGENCE ; Officials
Say Qaeda Suspect Has Given Useful
Information
», New
York Times,
26 avril 2002.
[19]
«
More attacks
have been prevented, officials say
», The
Seattle Times,
11 janvier 2003.
[20]
David A. Vise et Lorraine Adams, «
Bin Laden
Weakened, Officials Say
», The
Washington Post,
11 mars 2000.
[21]
Ibidem.
[22]
Ibidem.
[23]
Massimo Calabresi et Romesh Ratnesar,
« Can we stop the next attack ?
http://edition.cnn.com/ALLPOLITICS/...
», CNN News, 4 mars 2002.
[24]
Ibidem.
[25]
« Who’s Who in al-Qaeda ?
http://news.bbc.co.uk/2/hi/2780525.stm
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[26]
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[27]
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A NATION
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», New
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[28]
«
Bin Laden
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», The
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[29]
Philip Shenon,
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; U.S. Labels an Arab Captive a
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[30]
«
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15 février 2002.
[31]
Ibidem.
[32]
Ibidem.
[33]
«
Profile : Abu
Zubaydah
», BBC News, 2 avril 2002.
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Bush Faces Dissent on European Triphttp://edition.cnn.com/TRANSCRIPTS/...
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[40]
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[41]
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(First Anchor Books, New York,
2009).
[42]
Le Rapport de
la Commission sur le 11-Septembre
a basé onze de ses accusations sur
les témoignages d’Abou Zoubeida
obtenus sous la torture : les notes
18, 43 et 75 dans le chapitre 2 ;
les notes 19, 31, 35 et 106 dans le
chapitre 5 ; les notes 8 et 125 dans
le chapitre 6 ; et les notes 90 et
108 dans le chapitre 7.
[43]
Jane Meyer,
The Dark Side.
[44]
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septembre 2006 ; «
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CIA Held Suspects in Secret Prisons
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[45]
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Bush Says He
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[50]
Peter Finn, «
Judge’s Order
Could Keep Public From Hearing
Details of 9/11 Trials
», The
Washington Post,
7 janvier 2009.
Kevin Ryan, Ancien directeur du
laboratoire d’expertise chimique de
Underwriters Laboratories. Il fut
renvoyé après avoir mis en cause le
rôle de sa compagnie dans
l’établissement du rapport du NIST
sur les attentats du 11-Septembre.
Il est co-rédacteur en chef du
Journal of 9/11 Studies. Il est
membre fondateur de Scholars for
9/11 Truth & Justice et du 9/11
Working Group of Bloomington.
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