|
Réseau Voltaire
Les
projets d'attentats déjoués en Allemagne : menace réelle ou
imaginaire ?
« Fritz le terroriste », un conte
à dormir debout
Jürgen Elsässer* 24
septembre 2007 Le 5 septembre
2007, les autorités de Berlin ont annoncé l’arrestation de
trois islamistes, deux Allemands et un Turc, accusé de préparer
un attentat de grande ampleur contre des intérêts états-uniens
en République fédérale. Cette nouvelle a suscité une hystérie
médiatique et une généralisation du soupçon : de bons
Allemands, peut-être des voisins, peuvent se transformer en
dangereux terroristes. Cependant, observe Jürgen Elsässer, les
éléments connus de cette affaire permettent de conclure que les
suspects ne représentaient aucun danger réel et que leurs
agissements sont un grossier montage destiné à être repéré et
interrompu.
Juste au moment de la commémoration
du 11-Septembre, des terroristes islamiques voulaient commettre un
« attentat atroce » avec « un nombre très élevé
de morts » (Spiegel Online) qui aurait
« fait surgir en Allemagne une dimension de la terreur
jamais connue auparavant » (Frankfurter
Allgemeine Zeitung – FAZ) et qui a pu être évité
seulement « à la dernière minute » (Lausitzer
Rundschau) grâce à l’action résolue des forces de sécurité.
Il y a un an, de telles prophéties avaient déjà eu lieu autour
de la prétendue valise à la bombe découverte à la gare
principale de Cologne. Pourtant, depuis, la situation s’est
aggravée comme le résume l’éditorialiste du FAZ,
Berthold Kohler : « Les bombes deviennent plus grandes
et leurs poseurs apparemment plus professionnels. C’est une réalité
à laquelle on doit faire face également dans notre pays. Elle
est depuis la récente opération policière si évidente que Schäuble [1]
a pu se passer d’ajouter son éternelle revendication pour une
perquisition online. »
Cependant, pour le malheur du
ministre de l’Intérieur et de ses ventriloques de Frankfort,
l’attentat a prouvé le contraire : les prétendus poseurs
de bombes font preuve de plus en plus d’amateurisme et
d’idiotie. Fritz G., le prétendu meneur du trio, appréhendé
le 11 septembre à Oberschledorn dans le Sauerland, rappelle
involontairement le personnage principal de la comédie de Woody
Allen Prends l’oseille et tire-toi.
Dans Wikipedia,
le dictionnaire sur internet, il est écrit sur ce malchanceux
personnage de cinéma : « Né dans un environnement
pauvre, il a dû s’exposer très tôt déjà aux difficultés
rencontrées dans un milieu défavorisé. On lui casse toujours
ses lunettes. Plus tard, on lui détruira également son cher
violoncelle. C’est pourquoi, il décide de prendre ce qu’il
veut. Certes, il devient très vite évident, que Virgil est plein
d’énergie criminelle mais que la réalisation de ses plans
hardis échoue toujours à cause de sa maladresse. Après s’être
évadé plusieurs fois de prison et avoir essayé de s’améliorer,
Virgil est condamné finalement à 800 ans de détention, mais il
espère, pour son bon comportement, n’en devoir faire que la
moitié. »
0,7 tonnes d’un seul coup
« Le terroriste Fritz et ses
dangereux complices » —tel est le titre de Die
Welt du 8 septembre— ont en tout cas fait preuve d’une
semblable maladresse. Bien qu’ils aient été prétendument
instruits dans un camp de formation dans le Nord du Pakistan pour
répandre la terreur, ils voulaient précisément mixer leurs
bombes avec un produit chimique qui n’est absolument pas
approprié pour cela : le péroxyde d’hydrogène est
jusqu’à aujourd’hui plutôt connu comme substance de base
pour la fabrication de produits décolorants pour les cheveux des
blondes artificielles de mauvaise réputation. Le Frankfurter
Allgemeine Zeitung forgea déjà l’expression de « bombes
au péroxyde d’hydrogène » ce qui est complètement
insensé, mais paraît très dangereux du fait de la résonance
ressemblant au terme : « bombe à l’hydrogène ».
En se référant aux attentats de la capitale espagnole du 11 mars
2004, qui ont fait près de 200 morts, on sait que le trio aurait
déjà préparé « une quantité vingt fois plus grande que
l’explosif utilisé à Madrid ».
Ce qui est prouvé, c’est
seulement que le groupe a acheté douze tonneaux avec en tout 730
kilogrammes de péroxyde d’hydrogène et les a stockés
provisoirement dans une maison près de Freudenstadt dans la Forêt
noire. Cependant, cette substance en elle-même n’est pas
dangereuse. Cela change seulement lorsque le produit chimique réagit
avec de l’acétone et d’autres acides ; alors, il en résulte
du triacétone tripéroxyde (TATP) ou l’apex. Le mélange est
toutefois tout à fait inutilisable pour la construction de bombes
car il explose trop facilement et de manière incontrôlée. Le Frankfurter
Allgemeine Zeitung doit même avouer que « l’apex est
très sensible en particulier à un coup, au frottement et à la
chaleur. Si l’explosif est conservé dans un récipient avec une
fermeture à vis, le frottement lors de l’ouverture peut déjà
provoquer l’explosion. L’important c’est que le mélange
soit au moment même de la production suffisamment froid, sinon il
explose. » Comment les auteurs auraient-ils pu sortir leurs
bombes à l’apex du garage de leur maison de vacances, et encore
plus vouloir les transporter à leur prétendue destination dans
un établissement états-unien quelconque sans qu’elles leur
explosent à la figure ?
D’ailleurs, l’apex n’a rien
à voir avec l’attentat à la bombe de Madrid —là, on sait
que de la dynamite issue des mines d’Asturie a été utilisée.
En ce qui concerne les attaques sur le réseau du tramway de
Londres le 7 juillet 2005, le TATP est toujours désigné par les
médias comme l’explosif utilisé, mais les rapports officiels
de la Chambre des Communes britannique et des services de
renseignement se taisent là-dessus.
Bien qu’aucun attentat dans les
métropoles occidentales n’ait été jusqu’à maintenant
commis au moyen du péroxyde d’hydrogène, cette substance
surgit toujours dans les histoires de chasseurs de terroristes :
comme il appartient aux produits chimiques en usage dans le
commerce, on provoque facilement la crainte du « terroriste
d’à côté » qui peut se procurer, dans une droguerie,
tout ce dont il a besoin pour commettre un massacre.
Malgré l’effet du péroxyde
d’hydrogène, inoffensif dans le meilleur des cas et même
contreproductif dans le cas d’un mélange, le terroriste Fritz
et ses compagnons se sont procurés sucessivement plus de 0,7
tonnes du produit chimique chez un grand distributeur d’Hanovre
et les ont charriées lors de plusieurs transports à travers la République
vers leur cachette dans la Forêt noire. Comme s’ils voulaient
mettre les enquêteurs sur la bonne piste…
Fritz fait ce qu’il veut
Même en ce qui concerne
d’autres éléments, Fritz G. en particulier, le meneur présumé
du trio, n’oublia rien afin d’attirer l’attention sur lui et
sur son plan. Bien qu’on ait enquêté sur lui déjà en 2005
pour formation d’une association criminelle et incitation
populaire et qu’on l’ait arrêté pour une courte durée, il
ne sombra pas dans la clandestinité, ne changea pas son
apparence, ne se procura pas d’autre identité.
Au plus tard au printemps 2007, il
aurait dû remarquer que le Service de la protection de l’État
était de nouveau derrière lui : son appartement à Ulm
avait été perquisitionné. Le Frankfurter
Allgemeine Zeitung s’étonne du fait « que Fritz G. et
ses complices présumés ne se soient pas laissés effrayer par la
perquisition de leur maison, qu’au contraire, ils commencèrent
seulement après à se procurer, jerrycan après jerrycan des
substances explosives, à louer des maisons et des garages, à se
pourvoir de détonateurs militaires et même à insulter les enquêteurs
soi-disant par emails (interceptés). Cela soulève des questions
sérieuses. »
Début mai est apparu un rapport
alarmant dans le magazine Focus. « Le
groupe y était décrit de manière assez détaillée, on rendait
compte de ses relations au Pakistan et en Ousbékistan et de fait
que les hommes auraient déjà tourné des vidéos d’adieu à la
façon des auteurs d’attentats suicide. Pour les services de sécurité,
ce rapport de Focus était une petite
catastrophe. Ils s’attendaient à ce que le groupe tombe dans la
clandestinité… ».
Toutefois, le contraire s’est
produit encore une fois : Fritz et Cie ont continué en toute
tranquillité. Finalement, le trio choisit précisément
Oberschledorn, un village idyllique du Sauerland, pour fabriquer
leurs bombes. Sur cet endroit, la Frankfurter
Allgemeine Zeitung écrit que « dans le village, où
vivent environ 900 personnes, tout le monde se connaît ainsi que
les vacanciers ». Dans cet environnement, au milieu des
estivants et des excursionnistes, ces hommes obscurs certains aux
cheveux longs et barbus, d’autres chauves, devaient attirer
l’attention comme les Rapetou lors d’une fête
d’anniversaire d’enfants chez Donald Duck. Pourquoi
n’ont-ils pas loué un appartement dans un immeuble anonyme avec
un garage souterrain et accessible par l’autoroute, comme
l’ont fait les membres de la RAF [Fraction armée rouge] en leur
temps ?
L’histoire précédant
directement la saisie policière du 4 septembre est également très
informative : le 3 septembre, tous les trois circulaient en
voiture en plein jour, leurs feux de distance allumés, et c’est
pourquoi ils ont été arrêtés lors d’un contrôle routier.
Bien qu’un policier de patrouille ait dit imprudemment à haute
voix à son collègue lors du contrôle que les passagers du véhicule
sont inscrits « sur la liste du BKA [Office fédéral de la
police criminelle] », ils ont pu continuer leur route.
L’exemple le plus net du
comportement des prétendus poursuivants et poursuivis a été révélé
finalement par Spiegel Online, malheureusement
sans indiquer le moment exact de la situation. En tout cas, un
jour, les trois se seraient fâchés contre les policiers qui les
filaient et « l’un des islamistes […] serait descendu à
un feu rouge et aurait éventré les pneus de la voiture du
service de renseignement intérieur qui les poursuivait. »
Beaucoup de points sur
l’histoire du terroriste Fritz et de ses deux complices seraient
encore à éclaircir. Mais une chose est sûre : à la manière
dont ils s’y sont pris, ils n’auraient jamais pu commettre un
attentat de grande ampleur.
Trois théories mènent à la
solution de l’énigme. Soit la troupe était trop idiote pour
employer son énergie criminelle vers le but visé —comme cela
est montré dans le film de Woody Allen. Soit —c’est ce que
suppose le journaliste de la FAZ, Peter
Carstens— ils voulaient, en se faisant remarquer dans leurs
agissements, détourner l’attention des services de sécurité
d’autres cellules terroristes qui entre-temps ont pu continuer
à mener sans gêne leurs propres activités. Soit les trois se
sentaient préservés d’une arrestation parce qu’ils
accomplissaient un travail d’initiés et croyaient profiter
d’une protection de haut rang.
Au vu de l’état actuel des
informations, on ne devrait exclure aucune de ces possibilités.
Peut-être qu’elles sont vraies toutes trois : trois types
particulièrement fous ont été embauchés par un groupe du
Service de renseignement pour tenir en haleine le reste des
services de sécurité et les détourner des véritables
terroristes dangereux. D’une manière perverse, la déclaration
de Wolfgang Schäuble, comme quoi la fin de l’alerte ne peut être
donnée, serait donc correcte.
Jürgen Elsässer
Journaliste allemand. Dernier ouvrage publié
Comment
le Djihad est arrivé en Europe, préface de Jean-Pierre
Chevènement. Xenia, 2005.
[1]
Wolfgang Schaüble est ministre de l’Intérieur de la République
fédérale allemande.
|