Jürgen Cain Külbel réagit aux propos de Robert Kagan selon
qui l’expansionnisme serait inscrit dans l’ADN des États-Unis.
Il rappelle que ce pays s’est construit sur le massacre des
Indiens et que l’actuelle administration se réclame de
philosophie post-fasciste de Leo Strauss.
Robert Kagan : « L’esprit américain
fait partie de l’ADN des États -Unis »
« Il nous
est impossible de fermer la bouche des autres » dit un
dicton japonais de ceux qui se vantent de tout savoir, ont la
langue trop bien pendue, et se livrent à un verbiage stupide.
Ce dicton s’applique fort bien à ces néoconservateurs qui
feignent d’ignorer le monde, persistent dans leurs sottises
malgré le déclin de George W. Bush et de ses Républicains, et
continuent à publier leurs radotages dans les colonnes du Washington
Post et leurs divagations intellectuelles dans la presse à
sensation, comme le Weekly Standard. Ces néoconservateurs
envoient des inepties dans l’esprit de leurs compatriotes et
des habitants du globe, à travers les medias et avec l’aide
de ces journaleux qui font partie du paysage de la presse néoconservatrice
dans tous les pays du monde.
On a pu le voir dernièrement,
de manière absurde, avec le publiciste états-unien Robert
Kagan. Cet ancien membre du Carnegie
Endowment for Peace [1]
publie une tribune mensuelle dans le Washington
Post. Il a aussi travaillé, de 1984 à 1998, comme
conseiller au Council on Foreign Relations [2].
Il a publié, le 16 octobre 2006, une analyse abominable dans la
gazette New Republic sous le titre « Cowboy
Nation ». [3].
Kagan, ce « connaisseur du
monde », essaye d’expliquer la mainmise états-unienne
sur le soleil, la lune et les étoiles, le pétrole, bref le
monde. Il prétend que les USA ont, depuis leur création, suivi
leurs penchants expansionnistes, impérialistes et évangéliques :
« Depuis que le premier pèlerin a posé
le pied sur le continent- il y a 400 ans- l’Amérique a été
une puissance expansionniste et n’a cessé de l’être, et
ce, sur le plan territorial, économique, culturel et géopolitique.
Les États-Unis d’Amérique n’ont jamais été une puissance
du statu quo, mais toujours une force révolutionnaire.
Le besoin de s’ingérer dans les affaires des autres, n’est
ni un phénomène moderne ni une trahison de l’esprit américain.
Il fait partie de l’ADN de l’Amérique. »
C’est le summum de
l’arrogance ! Selon lui, « l’esprit américain »
serait inscrit héréditairement dans l’ADN états-unien.
Kagan, « le souffleur » de Bush serait-il devenu généticien,
ou aurait-il acquis, contrairement à ses « collègues »
scientifiques qui ne veulent absolument pas partager ses
inepties, de nouvelles connaissances dans ce domaine des
sciences modernes ? En aucun cas ! Celui qui pense que
cet homme est mégalomane, ou fou à lier, ou simplement stupide
parce qu’il voudrait convaincre ses compatriotes et quelques
Européens par un mode de pensée simpliste, se trompe gravement !
Le simplisme démagogique des
fantaisies génétiques de Robert Kagan, n’est pas un « faux-pas ».
Comme dans toute idéologie fasciste, les sottises de Kagan sont
associées à des théories pseudo scientifiques racistes,
sociales darwinistes, néo-malthusiennes, et autres piliers de
soutien indispensables à la politique étrangère agressive de
tels États. De nos jours, l’anti-islamisme poussé à
l’extrême fournit les moyens d’une terreur effrénée
contre toutes les forces progressistes. Déguisé sous des prétextes
de « lutte contre le terrorisme international », de
« démocratisation » des régions « incultes »,
« l’esprit de conquête américain » devrait en
fait s’appeler, correctement traduit : « colonisation
et soumission » au profit des trusts militaro-industriels
et pour des raisons géostratégiques. Rien de nouveau :
Hitler avait envoyé ses guerriers vers l’Est, soi-disant
parce que « le peuple allemand manquait
d’espace ». « Nous voulons
chevaucher vers les pays de l’est, » disait-on à
l’époque, pour repousser la « marée
asiatique ». Les grands consortiums étaient les
gagnants.
« Nous ne sommes pas des âmes pacifiques »
Le rêveur impérialiste Kagan
n’a pas eu peur non plus, dans sa récente philippique, de dénaturer
l’histoire, pour faire croire au lecteur naïf que « des
colonisateur britanniques s’efforçaient d’exterminer
presque tous les indigènes d’Amérique longtemps avant la
fondation de l’État (USA). Les Américains se sont installés
avec violence entre 1740 et 1820 et aussi vers 1840 jusqu’à
l’extermination des Indiens et l’éviction de la France, de
l’Espagne et de la Russie. Il serait extraordinaire de croire
que les premiers Américains aient conquis tout le pays et le
pouvoir sans vraiment le vouloir ».
Donc, ce sont les Britanniques
et pas les Américains qui ont décimé les Indiens nord-américains.
Les ancêtres des actuels Américains, si l’on en croit Kagan,
se sont seulement « multipliés ». Malin, Monsieur
le néoconservateur, mais c’est un mensonge éhonté : il
y avait, en 1600, environ 1,5 à 5 millions d’Indiens qui
vivaient en Amérique du Nord. En 1608, dans l’actuelle
Virginie, débarquèrent plusieurs navires avec 900
colonisateurs anglais qui devaient s’établir pour le compte
d’une société commerciale de Londres. Ils fondèrent
Jamestown, la première colonie anglaise en Amérique du Nord.
La moitié des colons succomba cependant aux conditions de vie
indescriptibles et, sans l’aide des Indiens, les autres
n’auraient pas survécu non plus. Londres envoya d’autres
colons avec l’ordre de faire rentrer des profits. Ils commencèrent
alors à chasser les Indiens de leurs champs, à brûler leurs
villages, et à utiliser les Indiens comme esclaves. De nombreux
colons arrivèrent et ils achetèrent les terres des Indiens. Si
ces derniers refusaient de partir, l’armée états-unienne réglait
l’affaire en organisant des massacres terrifiants.
Conséquence : le scalp
d’indien devint également une marchandise capitaliste ;
en 1760, les autorités payaient 134 $ pour un scalp d’homme
et 50 $ pour celui d’une femme. Les chasseurs de buffle
professionnels abattirent en quelques années 7 millions de
bisons et ils privèrent ainsi les indigènes de leur base
alimentaire. Les bouchers gardaient seulement la peau et la
langue et ils laissaient pourrir les cadavres. Les bisons ayant
été exterminés en 1874, les Indiens furent menacés de famine
et de mort ; il était dorénavant facile de les soumettre.
La convoitise des terres, de l’or, de l’argent, du charbon,
des trésors qui avaient été découverts sur les territoires
des Indiens étaient, pour les Américains, la véritable raison
de poursuivre la conquête et d’achever le génocide des indigènes.
Beaucoup moururent de la variole que l’homme blanc avait
introduite et propagée délibérément. Le Professeur Eva Lips
(1906-1988), directrice de l’Institut Julius Lips pour
l’ethnologie de Leipzig, a résumé la chose ainsi : « nous
savons ce qu’étaient ces marchands de peaux criminels, avec
leurs barils de whisky et le principe du gouvernement et du
Ministère de la Défense qui déclarait les Indiens nord-américains
comme ennemis. Nous connaissons les contrats de cession
frauduleux qui ont dépouillé les Indiens de leur liberté, de
leur terre et de leur base alimentaire, et nous connaissons
aussi le proverbe du temps des pionniers : « Seul un
Indien mort est un bon Indien. » [4]
Les derniers Indiens furent repoussés dans des camps de
concentration, ou dans des réserves offrant des conditions de
vie misérables. Là-bas beaucoup succombèrent à l’alcool ou
moururent le cœur brisé.
L’auteur états-unien Henry
Miller (1891-1980) nous a fourni des renseignements sur ces
"Américains", qui ont perpétré ces actes inhumains.
L’auteur a défini ses compatriotes dans son ouvrage The
Air-Conditioned Nightmare (Le Cauchemar
climatisé, paru en 1945) et il nous en fait une description
totalement à l’opposé de celle que veut nous vendre Kagan :
« L’Amérique, tout le monde le sait,
est faite de gens qui ont voulu fuir des situations. L’Amérique
est par excellence la terre des expatriés, des fugitifs, des
renégats, pour user d’un terme énergique. Quel monde
merveilleux, neuf et entreprenant nous aurions pu faire du
continent américain si nous avions vraiment coupé les ponts
avec nos congénères d’Europe, d’Asie et d’Afrique, si
seulement nous avions eu le courage de tourner le dos au passé,
de repartir de zéro, d’éliminer les poisons qu’avaient
accumulés des siècles d’amère rivalité, de jalousie et de
différends. On ne fait pas un monde nouveau en essayant
simplement d’oublier l’ancien. Il faut pour faire un monde
nouveau un esprit neuf et des valeurs neuves. Peut-être notre
monde américain a-t-il commencé dans ce sens, mais ce n’est
plus aujourd’hui qu’une caricature. Notre monde est un monde
d’objets. Il est fait de conforts, de luxes ou sinon du désir
de les posséder. Ce que nous redoutons le plus, en face de la débâcle
qui nous menace, c’est de devoir renoncer à nos gris-gris, à
nos appareils et à tous les petits conforts qui nous ont rendu
la vie si inconfortable. Il n’y a rien de brave, de
chevaleresque, d’héroïque ni de magnanime dans notre
attitude. Nous ne sommes pas des êtres amis de la paix ;
nous sommes timides, pleins de suffisance, nous avons perpétuellement
la tremblote et le cœur sur les lèvres. » [5]
Miller se plaignait que les émigrants
avaient fait table rase des idéaux du siècle des Lumières
européen et qu’ils n’avaient pas trouvé le courage de créer
une nouvelle manière plus moderne du vivre ensemble en société.
Ce regard sur l’histoire était
nécessaire pour mieux comprendre Robert Kagan et « son
mystère de la masse héréditaire », car toute l’énergie
criminelle que ses ancêtres avaient déployé contre la vie
humaine - ici je ne parle que des indigènes exterminés, sans
inclure les meurtres américains de l’histoire moderne (les
Japonais, les Vietnamiens, les Afghans, les Irakiens etc.
massacrés) - devrait, logiquement, compléter sa thèse de
recherche. Sa théorie selon laquelle l’esprit américain
ferait « partie de l’ADN des États-Unis » devrait
être complétée par le « deliquente nato »,
le criminel né. Le médecin italien Cesare Lombroso, professeur
de médecine légale, de psychiatrie et fondateur de
l’anthropologie criminelle (« Scuola
positiva di diritto penale »), avait déjà publié en
1876 son ouvrage « L’Uomo delinquente »
(L’Homme délinquant), dans lequel il décrivait le criminel
comme un type humain particulier à classer entre les aliénés
et les primitifs. Il avançait, à l’époque, la thèse selon
laquelle la parenté directe de l’homme contemporain avec un
ancêtre agressif, non domestiqué par la culture, apparaît
clairement chez certaines personnes dans leurs caractéristiques
physiques.
Avec son bavardage pseudo
scientifique, Robert Kagan n’a vraiment pas rendu service à
ses compatriotes ; au contraire : il se révèle même,
dans ce cas concret, comme un anti-américain invétéré pour
qui la réputation de ses concitoyens compte manifestement pour
rien, et qui aspire seulement à influencer les masses pour
imposer ses objectifs politiques.
La montée des néoconservateurs
Jetons d’abord un coup d’œil
sur l’histoire politique américaine la plus récente, pour dévoiler
la charlatanerie intellectuelle de Kagan et des néoconservateurs.
George W. Bush a accédé au
pouvoir en automne 2000, par des élections douteuses, et il
s’est aussitôt entouré d’un groupe de gens appartenant au
centre des néoconservateurs, fondé dans les années
soixante-dix, un courant intellectuel rallié par « un
petit groupe d’auteurs, de reporters médiatiques,de forces
politiques motrices, et d’universitaires extrêmement
influents » selon James Zogby, président de l’AAI (Arab
American Institute). Ils obtinrent des postes gouvernementaux :
Dick Cheney, l’homme aux mains barbouillées de pétrole
devint vice-président, Donald Rumsfield, le fanatique de la
guerre en Iraq, secrétaire à la Défense et le va-t-en guerre
Paul Wolfowitz, son adjoint ; l’abominable John Bolton
fut nommé sous-secrétaire d’État chargé des questions de désarmement,
le menteur Richard Perle, directeur de l’American Defense
Policy Board, et Kristol, déjà mentionné, devint conseiller
du président.
Il y a en ce moment une valse
des postes, mais la politique de la « junte de Bush »
a été, dès le début, une politique impérialiste, arrogante
et unilatérale, selon la définition de l’ancien « agent
secret » du service britannique et auteur anglais de
romans policiers, John le Carré. Les néoconservateurs ont pris
en main les rênes de la politique du gouvernement Bush,
« du pays de Dieu », et ils ont cherché à imposer
leurs projets mondiaux, concoctés dans leurs think-tanks depuis
la fin de la guerre froide : un monde unipolaire, les États-Unis
en position de superpuissance, une doctrine militaire « anticipatrice »
avec des opérations de guerre ciblées, la négation du droit
international et des accords internationaux.
L’industrie pétrolière américaine
était alors dans l’impasse. Les réserves pétrolières du
pays paraissaient devoir être épuisées dans les dix années
à venir et les réserves mondiales, qui se trouvent en Asie
Centrale, en Iraq, en Iran et en Arabie Saoudite, étaient
vitales pour le marché mondial de l’énergie. Bush, le
millionnaire texan, le représentant de la puissance des trusts
du pétrole, a créé, avec son gouvernement, la base idéologique
et politique pour exécuter les visées géostratégiques du
lobby pétrolier. Le projet mondial impérialiste des néoconservateurs,
en sommeil pendant des années, a tout à coup donné
satisfaction aux convoitises néocoloniales de l’économie pétrolière :
la carte mondiale pourrait changer en fonction de la carte pétrolière.
Bush a auprès de lui Cheney, un expert en opérations
militaires et en renseignements, un millionnaire du pétrole qui
rejette de toutes les façons l’ordre mondial basé sur le
droit international. Il a, depuis toujours, cherché à imposer
la démocratie à l’américaine dans le monde entier, si
besoin par la force d’une armée dotée de moyens de haute
technologie.
Wolfowitz, n’a jamais caché
son néoconservatisme extrémiste. En 1992, il a rédigé le
document définissant la vision stratégique d’une
superpuissance états-unienne visant à maintenir sa supériorité
militaire sur ses rivaux, comme l’Allemagne et le Japon, et
capable de mener plusieurs guerres simultanément [6].
Quelques jours avant l’élection présidentielle, en septembre
2000, la droite néoconservatrice publiait un rapport de 80
pages Rebuilding Americas Defenses :
Strategies, forces and Resources For a New Century, une
variante plus raffinée du rapport de Wolfowitz, et qui disait
clairement ce qui viendrait après la prise du pouvoir : développement
des forces armées états-uniennes, développement de nouvelles
armes atomiques, établissement de bases militaires en Asie,
guerres contre l’Iraq, l’Iran et la Corée du Nord. Le
document précisait en outre : « le
processus de transformation durera probablement longtemps à
moins que ne survienne un événement effroyable qui servira de
catalyseur - comme un nouveau Pearl Harbor » - ou un
11 septembre 2001 !
Wolfowitz désigna les
coupables, trois jours après les attentats : Oussama Ben
Laden, Al Qaïda, Saddam Hussein. Vouant une haine invétérée
à Saddam, il avait déjà insisté, en 1991 et en 1998, pour
l’éliminer du pouvoir. L’adversaire numéro un, Ben Laden
et Al-Qaida, a été créé chez les Talibans. La guerre d’Afghanistan,
prélude à la « guerre mondiale contre le terrorisme »,
est un maillon dans la chaîne des plans du groupe pétrolier
Unocal, qui voulait construire un gazoduc et un pipeline du
Turkménistan vers le Pakistan, à travers l’Afghanistan. Mais
le régime des Talibans avait contrecarré le projet. Hamid
Karzai, le président afghan, marionnette des Etats-Unis et
ancien consultant de l’Unocal, a par la suite, en mai 2002,
signé le contrat pour la construction du tracé.
Des preuves établissant un lien
entre les attentats terroristes et l’adversaire numéro deux,
Saddam Hussein, n’ont jamais été produites par le Pentagone
et pas davantage des documents qui montreraient un lien entre
l’Iraq et son prétendu programme de construction d’armes de
destruction massive et le terrorisme. Des « preuves »
ont été fabriquées et l’invasion de Iraq a été décidée.
Wolfowitz a expliqué par la suite que l’existence des armes
de destruction massive iraquiennes n’a jamais été la raison
la plus importante de la guerre menée par les États-Unis, mais
seulement le prétexte, parce que « c’était
la raison que chacun pouvait saisir ».
Les élèves modèles de Hitler
Le mouvement néoconservateur
est une école philosophique élitiste. Les adeptes
s’appellent des « straussiens », parce qu’ils se
soumettent corps et âme au dogme de Leo Strauss (1899-1973).
Strauss a été soutenu en 1934 par Carl Schmitt, le « Kronjurist »
de Hitler, pour l’obtention d’une bourse à la Rockefeller
Foundation. Arrivé aux Etats-Unis en 1938, il enseigna
ensuite durant des décennies à l’University
of Chicago. Leo Strauss resta fidèle, jusqu’à sa mort en
1973, à son maître national socialiste Carl Schmitt.
Strauss et Schmitt
transmettaient dans leurs « enseignements » une
vision absolutiste de la vie, au prétexte que, sous de telles
conditions, l’esprit pourrait triompher. Carl Schmitt, guide
spirituel du Führerstaat de Hitler, professait un césarisme
libéré des normes et des institutions, un signe précurseur du
national-socialisme : « C’est sur
l’égalité de race que reposent le contact permanent entre le
führer et ses partisans ainsi que leur fidélité mutuelle.
Seule l’égalité de race peut empêcher que le pouvoir du führer
ne devienne tyrannie et arbitraire. »
Leo Strauss suivit le dogme de
son maître. Les deux haïssaient le « monde moderne ».
Strauss exigeait un système totalitaire directement gouverné
par les philosophes, le respect de leurs structures mentales,
une philosophie d’élite. Il croyait avoir trouvé, lui seul,
la vérité, les messages dissimulés à l’intérieur de la
« grande tradition ». Depuis Platon, en passant par
Hobbes jusqu’à Locke, il n’y a pas de Dieu, la morale est
un préjugé pitoyable car une société ne se fonde pas
seulement sur la nature. Il dédaignait les philosophes « Modernes »,
mais prenait très au sérieux les « Anciens ». Il
invitait à les comprendre, « en
comprenant l’auteur tel qu’il se comprenait lui-même »,
en opposant « l’immoralité » libérale des temps
modernes à une philosophie de la vertu et du bons sens. L’égalitarisme
libéral, mal principal des temps modernes, rend selon Strauss,
la philosophie, la créativité, l’héroïsme, l’autorité
et toutes les qualités « élitistes » absolument
impossibles. Le philosophe était pour lui un « surhomme »,
le gardien de l’enseignement ésotérique abandonné.
Strauss, le « grand
prêtre des ultraconservateurs », comme l’a appelé The
Observer britannique, écrivait à son maître Schmitt :
« C’est parce que l’homme est par
nature mauvais, qu’il a besoin de domination ». Des
philosophes élitistes peuvent prendre le pouvoir, selon
Strauss, s’ils « manipulent les masses
au moyen de la religion », bien que les « vrais
hommes intelligents » sachent que la religion n’est
qu’une « tromperie des masses ».
Avec le refus des principes du Droit naturel, il est de votre
devoir de législateurs absolus de tromper et de mentir à la « masse
populaire », d’utiliser la religion et la politique
comme moyens de transmettre des légendes, et de maintenir le
peuple « commun » dans un état
de servitude. Les tromperies doivent cependant rester secrètes
pour préserver le contrôle. La religion était pour Strauss
l’opium du peuple.
Les États-Unis eux-mêmes sont,
pour Strauss et ses élèves, un objet de haine : un « nouveau
Weimar », une faiblesse, la répétition pathétique
de Allemagne « libérale démocratique »
de Weimar. L’Amérique a été fondée par un petit nombre de
réalistes désabusés, qui sont partis du principe que « la
vérité, Dieu et le Droit naturel, sont inexistants »,
affirmait le juif « conservateur » Strauss de la République
de Weimar. Cependant ils admettaient que cela concernait
seulement leur propres rangs (ésotériques), parce qu’ils
savaient qu’ils ne pouvaient pas l’exiger de « la
masse », du peuple « stupide ».
C’est pourquoi ils ont continué de vendre au peuple la Vérité,
Dieu et la Loi (exotériques), car une société sans
valeurs communes et sans « vérité » leur semblait
ingouvernable. La « masse stupide »
doit croire à « quelque chose »
pour pouvoir être guidée par l’élite vers des tâches « héroïques »
qui devraient les mener ensuite à quelque chose de « grandiose ».
Pour Strauss, c’étaient des valeurs esthétiques qui résistent
au nihilisme général. L’Amérique libérale était
moralement en déclin, incapable d’autorenouvellement. Il
exigeait un patriotisme basé sur la vertu des citoyens, afin
que les Américains puissent défendre leur train de vie contre
leurs ennemis.
Seymour Hersh, doyen du
journalisme d’investigation états-unien en avait parlé, en
mai 2003, et il avait décrit dans The New
Yorker, comment cette « bande de
straussien » — dont Paul Wolfowitz, aujourd’hui président
de la Banque mondiale — avait préparé la guerre contre
l’Iraq. Ce groupe a adopté les objectifs straussiens, à
savoir que « tromperie et supercherie sont
la norme dans la vie politique ». Strauss avait en
effet enseigné à ses élèves que la politique est mieux
pratiquée par un roi ou un tyran, lequel est conseillé par un
petit nombre de maîtres élitistes qui n’ont pas de scrupules
pour tromper à tout moment leurs sujets. Pour Jeffrey
Steinberg, rédacteur de l’Executive
Intelligence Review publiée par l’ennemi juré de Bush,
Lyndon LaRouche, Leo Strauss est « le
parrain fasciste des néoconservateurs ».
Le professeur Allan Bloom,
compagnon de route et élève modèle de Leo Strauss, était,
jusqu’à son décès en 1992, le leader intellectuel des néoconservateurs
états-uniens. Dans son pamphlet « The
Closing of the American Mind » (1987) (en français :
L’Âme désarmée), il écrivait que « les
sciences perfectionnées par les émigrants européens en Amérique
auraient pitoyablement perverti la démocratie américaine, en
inculquant aux responsables l’esprit de la rationalité
critique ». Par cette déclaration il ne portait pas
seulement le mythe de la fondation des États-Unis au summum
mais il indiquait aussi que l’Amérique est la patrie du « Bien »
et que le « Mal » se trouve
ailleurs. L’idéologie manichéenne des néoconservateurs,
dominée par un dualisme entre le « Bien » et le
« Mal », devenait transparente.
Déjà dans les années
soixante-dix, pendant la Guerre froide, l’Union soviétique était
pour les néoconservateurs le « l’Empire
du Mal », parce qu’elle avait refusé aux juifs
russes l’émigration vers Israël. La terminologie triviale de
l’administration Bush — « l’axe du
Mal », les États « consentants »
et les États « indignes » et « celui
qui est n’est pas avec nous est contre nous » — a
justement ces traits manichéens. Et, quand Robert Kagan pense
que les Européens vivent sur Vénus en rêvant de la paix éternelle,
tandis que les Américains viennent d’une autre planète et
vivent dans la dure réalité et les pièges de la politique
internationale, dans la guerre de tous contre tous, il rend
hommage à ses maîtres Strauss et Bloom.
Celui qui croit que Bush est un
étourdi ne se trompe que de peu, car le rôle straussien
qu’il joue est tromperie, ruse et séduction et vaut largement
un Oscar politique. « La force de la
religion », que l’administration néoconservatrice a
ancrée dans la politique états-unienne, est le contraire de la
constitution classique de la séparation de l’Église et de
l’État. Elle oriente actuellement les masses, comme l’a
voulu Leo Strauss. George W.Bush était heureux à son quarantième
anniversaire car « Jack Daniels m’a
quitté et Jésus Christ est venu ». Dorénavant « sa
foi » le laisse clairement différencier « entre
le Bien et le Mal », car « Dieu
a un plan pour son pays et pour lui personnellement ».
Il mènera « un combat grandiose »
(il a vite appris à éviter le mot « croisade »), « par
lequel le bien primera sur le mal », car « les
États-Unis sont appelés à conduire le monde vers la paix »,
parce que « l’appel historique fut envoyé
au pays digne ». Cet appel est une « guerre
qui a été imposée à l’Amérique » et, pour cette
mission, Bush cherche le réconfort et la confiance dans la prière
qui lui donne aussi le courage de défendre la « Terre
Promise », « pour créer sur le
Mont du Temple à Jérusalem les conditions qui permettront le
retour du Christ ». Les Américains croyants se
laissent bercer par ces paroles enivrantes.
Les disciples actuels de Leo
Strauss croient pourtant que leur force est dans « l’intellectualisme » ;
néanmoins ils savent aussi remarquablement comment relier avec
agressivité la philosophie de leur maître avec leurs propres
affaires et leurs convoitises : Cheney s’emploie à
arracher au Proche-Orient son pétrole, Rumsfeld aspire à un
pouvoir hégémonique, Wolfowitz est le grand espoir des extrémistes
de la droite israélienne, et Condoleezza Rice veut démocratiser
le Proche-Orient par la guerre dans le but d’ offrir à l’État
d’Israël une paix durable.
Tous les « objectifs »
ne doivent cependant pas être nécessairement atteints par la
guerre. Les néoconservateurs de Washington ne sont pas obsédés
par l’idée de la guerre, car la guerre est pour eux leur
destin ! « Les straussiens ne croient
pas à un ordre mondial pacifique ». D’où leur méfiance
à l’égard de l’ONU dont ils souhaitent la disparition. Ils
excluent un ordre mondial basé sur le droit international. Les
États ont des ennemis (Strauss) qui doivent être traités
comme tels, et la consolidation du pouvoir impérialiste des États-Unis
est la priorité, car les néoconservateurs ont « l’objectif
héroïque » d’apporter la démocratie américaine « exceptionnelle »
au monde , la Pax Americana du vingt-et-unième siècle, et ils
sont fermement convaincus que les valeurs de l’Amérique sont
uniques et supérieures et qu’elles séduisent le monde . Ceux
qui ne sont pas convaincus pourront être secourus par des
interventions militaires car, selon Robert Kagan : « les
États-Unis exercent un pouvoir dans un monde hobbesien, dans
lequel chacun combat contre l’autre et où nous ne pouvons pas
compter sur des règlements internationaux et le droit
international ». Un straussien l’a exprimé plus
clairement dans The Observer : « si
nous acceptons une nouvelle guerre de Cent Ans, elle aura lieu » !
Robert Kagan l’impérialiste,
ne cesse d’écrire : « Le besoin
d’expansion des États-Unis et la tendance à la domination ne
sont pas une trahison de notre propre nature - ils sont notre
nature. Cette conviction mène à la suivante : que les intérêts
des États-Unis ne se distinguent pratiquement pas de ceux du
reste du monde et que les USA ont joué un rôle particulier,
voire unique comme accélérateur de la transformation de
l’humanité. Si nous avons du succès ou si nous échouons
nous resterons toujours une nation « dangereuse »-
dangereuse pour les tyrans et pour ceux qui ne partagent pas
notre compréhension du libéralisme, - y compris les Américains
- qui craignent l’esprit de guerre et qui préfèrent un ordre
mondial qui ne serait pas érigé autour d’une Amérique
dominante tenant le monde sous son hégémonie, »
Une nation « dangereuse »
surtout pour la population de ce monde : au cours de plus
de 100 guerres d’agressions depuis la fondation des Etats-Unis,
les Américains ont tué avec leur propres armes des millions
d’hommes. Ils ont décapité, démembré des femmes et des
petits enfants sans défense, massacré avec du Napalm et incinéré
ou réduit des êtres humains à des ombres avec leur bombe
atomique…