Le Hezbollah en ligne de mire
Mais revenons en arrière, un an
plus tôt pour être précis. L’assassinat spectaculaire de
Hariri, le 14 février 2005 et la « révolution des cèdres »
qui s’ensuivit eurent pour conséquence de provoquer - une
fois versées les inévitables larmes de crocodile -
l’euphorie des dirigeants « démocrates »
occidentaux. En effet ces évènements leur faisaient espérer
un effet domino : dans la foulée de la démocratisation du
Liban, les masses populaires se soulèveraient à Damas et à Téhéran
et renverseraient successivement les régimes syriens et
iraniens. Ces messieurs-dames de « l’Internationale démocratique »
voyaient déjà se profiler à l’horizon « le nouveau
Proche-Orient. »
À vrai dire le diktat permanent
- et pressant - de l’administration Bush junior exigeant la
soumission « démocratique » du Proche et
Moyen-Orient reçut un premier camouflet dès les premières élections
« libres et démocratiques » au pays du Cèdre. Le
19 juin 2005, après quatre tours, le résultat des élections
n’était pas tout à fait du goût des pouvoirs en place à
Washington et Tel-Aviv, malgré la victoire de l’opposition
pro états-unienne et antisyrienne. Au grand dam d’Israël et
du grand frère états-unien le Hezbollah « prosyrien »,
à la fois parti politique et milice armée, remporta avec son
allié, le parti chiite « Amal » 35 sièges de députés
sur 128 au Parlement libanais - un succès confortable.
Tant pour les empereurs romains
de Washington et leurs projets de mise en coupe réglée du
Proche et Moyen-Orient au profit de leurs intérêts politiques
et économiques, que pour les dirigeants de Tel-Aviv, qui rêvent
d’une balkanisation de la région sous l’hégémonie d’un
Grand Israël, le Hezbollah, un parti politique qui défend le
pluralisme, la démocratie ainsi que la mise en œuvre de réformes
économiques et politiques, constitue, une épine dans le pied -
voire pire.
Encouragé par son succès aux
élections, le parti chiite alla même jusqu’à réclamer,
lors de la formation du nouveau gouvernement libanais, le
portefeuille des Affaires étrangères. Aussitôt on sonna le
tocsin à Washington, le secrétariat d’État dépêcha sa
chargée de mission pour le Proche-Orient, Elisabeth Dipple, qui
s’envola pour Beyrouth où elle provoqua la chute du premier
cabinet Siniora. Les chiites refusant de lâcher le morceau,
elle dut intervenir de nouveau peu de temps après et menacer :
« Il sera difficile pour les États-Unis
de négocier avec un ministre des Affaires étrangères proche
du Hezbollah. ». Le président Bush et le président
français Chirac exigèrent alors l’application de la résolution
1559 de l’ONU qui a conduit au retrait des troupes syriennes
hors du Liban mais prévoit également le désarmement du
Hezbollah. C’est seulement quand cette résolution serait intégralement
appliquée, affirma Chirac, que « la
communauté chiite pourra pleinement prendre part à la vie
politique, économique et sociale du Liban. ». [1]
Si les choses s’étaient déroulées
selon les désirs des dirigeants du « Pays béni de Dieu »
, de la « Terre Sainte » ainsi que de la « Forteresse
Europe », le Hezbollah aurait été désarmée depuis
longtemps. En effet il a été mis au ban des nations par les États-Unis
qui l’accusent d’être une « organisation terroriste »,
d’être responsable de l’attentat contre le quartier général
des US Marines à l’aéroport de Beyrouth (qui fit 242 morts
en 1983), l’auteur de nombreux enlèvements et de prôner l’éradication
d’Israël. Quand le bruit courut à Beyrouth que le député
« prosyrien » Nabih Berri, leader du parti chiite
« Amal » - et président du Parlement libanais
depuis 1992 - serait maintenu à son poste, le voisin du Sud vit
rouge. Le soir même l’opinion internationale fut informée
par une porte-parole de l’armée israélienne que les Syriens
avaient ouvert le feu sur les soldats israéliens stationnés
sur les hauteurs du Golan au sud de la ville de Qunaytra.
Personne n’ayant été touché, « les forces israéliennes
avaient renoncé à riposter, pour éviter l’escalade. »
Israël qui, au cours de la
guerre des Six Jours en 1967 avait occupé - en violation du
droit international- les hauteurs du Golan, déposa aussitôt
une note de protestation auprès des troupes onusiennes de
maintien de la paix qui surveillent depuis 1973 l’application
du cessez-le-feu entre les deux pays. Le jour même un représentant
du gouvernement syrien démolit l’affirmation des Israéliens :
« C’est un mensonge. Quelques jeunes
gens ont tiré des fusées de feu d’artifice pour célébrer
l’anniversaire de la libération de Qunaytra et de la fin de
l’occupation israélienne. ». De fait les Israéliens
s’étaient retirés de cette région en juin 1974, après
avoir rasé la ville et environ 122 villages syriens.
Cet incident sur les hauteurs du
Golan coïncidait avec la livraison par la Russie à la Syrie,
pour plusieurs centaines de millions de dollars, de missiles
russes sol-air dernier modèle destinés à combattre les hélicoptères
et les avions volant à basse altitude. La transaction était
motivée par des attaques répétées de l’armée de l’air
israélienne contre de prétendues « cibles terroristes »
situées en territoire syrien et le survol en 2004 du palais présidentiel
syrien par des avions militaires israéliens. Israël et les États-Unis
avaient vainement protesté contre cette transaction et le général
Shakedi, commandant de l’armée de l’air israélienne,
redoutait que ces missiles, qui peuvent être tirés depuis l’épaule,
ne soient en fin de compte mis à la disposition du Hezbollah
libanais ou « d’organisations terroristes » opérant
en Irak.
Lorsque, fin juin 2005, la
forteresse de béton hyper-armée qu’est devenu Israël a fait
manœuvrer ses blindés et menacé de lancer une opération
militaire d’envergure contre Gaza si les organisations
palestiniennes du Hamas et du Jihad islamique maintenaient leurs
attaques contre Israël, le Hezbollah redevint à nouveau la
cible privilégiée de ceux, aux États-Unis et en Israël qui rêvent
d’une conversion démocratique forcée pour les pays arabes de
la région. Selon eux, cette milice, formée jadis pour « libérer
Jérusalem » constitue sans nul doute la principale menace
pour la stabilité au Moyen-Orient. Les services secrets israéliens
prétendirent même que « la Syrie avait
donné au Hezbollah et à ses alliés palestiniens le feu vert
pour attaquer Israël à partir du Liban. » En conséquence
le Hezbollah portait la responsabilité de la plupart des
attaques lancées à partir de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza, étant donné qu’il faisait passer des armes des
munitions dans Gaza à partir du Liban et recrutait des auteurs
d’attentats.
De fait l’émergence du
« Parti de Dieu » est une conséquence directe de
l’invasion du Liban par l’État sioniste. Le prétexte à
l’attaque du Liban en 1982 fut en effet la légende selon
laquelle les commanditaires de l’attentat contre
l’ambassadeur israélien à Londres se trouvaient au Liban.
Mais en réalité le but de cette invasion brutale était l’élimination
de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui,
sous la direction de Yasser Arafat, menait à partir de Beyrouth
la lutte contre Israël, un État artificiel, fondé par la
force, épine dans la chair de la Palestine.
Le Hezbollah, crée à l’époque
avec l’aide de l’Iran et de la Syrie, appela les chiites
vivant dans le Sud du pays à prendre les armes contre la
puissance occupante et promit en échange aux couches défavorisées
une aide sociale et la prise en charge de ses besoins. En
retour, le ministre israélien de la Défense de l’époque,
Ariel Sharon, fit réduire Beyrouth en cendres et massacrer de
sang-froid la population civile palestinienne. Après quoi, les
troupes israéliennes se replièrent sur le Liban-Sud, où elles
furent, des années durant, la cible des attaques du Hezbollah.
Le retrait définitif d’Israël, en 2000, est encore célébré
chaque année par le parti comme une victoire personnelle.
C’est grâce à cette victoire que le Hezbollah acquit la
stature de principale force politique libanaise et mit ses
promesses à exécution : elle mit en place des réseaux
sociaux qui prirent en charge plus d’un million de Libanais
vivant à la limite du seuil de pauvreté. « Ce
n’est plus un secret depuis longtemps déjà que nos
associations humanitaires sont financées par l’Iran »
dit en juin 2005 un porte-parole du Hezbollah. Et les unités
armées du parti défendent, avec l’accord du Parlement
libanais, nos frontières au Sud contre « notre
ennemi public n°1 », c’est à dire Israël.
Le 29 juin, l’annonce
officielle de la nomination de Nabih Berri au siège de Président
du Parlement fit sortir les Israéliens de leurs gonds et ils
envoyèrent des avions de combat et des hélicoptères larguer
des roquettes sur des cibles situées dans la zone frontalière
entre Israël et le Liban. À en croire les Israéliens il
s’agissait d’une riposte à un tir de mortier par la milice
du Hezbollah dans la zone occupée des « fermes de Cheba »
dans le triangle frontalier entre la Syrie, Israël et le Liban.
Au cours de ces combats un soldat israélien et un milicien du
Hezbollah trouvèrent la mort. Selon une mise en garde d’Israël,
le Hezbollah cherchait à ouvrir un nouveau front dans le Nord
de la zone frontalière. Israël déposa une protestation auprès
du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’ambassadeur
israélien auprès des Nations Unies, Dan Gillermann, rendit le
gouvernement libanais responsable de ces incidents. :
« Le gouvernement de Beyrouth doit immédiatement
désarmer le Hezbollah. ». Le Conseil de sécurité
s’empressa dès le lendemain d’exiger du gouvernement de
Beyrouth « l’arrêt immédiat de toute attaque à partir
de son sol. » Des députés du Hezbollah au Parlement de
Beyrouth apportèrent un démenti et reprochèrent de leur côté
à Israël d’avoir violé l’espace frontalier :
« C’est pour cette raison qu’ils ont été attaqués. »
Dès cette époque la démarche
du fac-totum des États-Unis, Israël, était claire :
Tel-Aviv voulait mettre sous le nez de la « communauté
internationale » les activités prétendument « terroristes »
du Hezbollah et de son complice, la Syrie. Le soutien - proclamé
haut et fort par le « monde démocratique » - au désarmement
complet de la « milice » pour le bien d’Israël
serait obtenu lors d’un prochain « incident frontalier »
aussi artificiel soit-il. Rumsfeld, le secrétaire à la Défense
des États-Unis était encore moins enclin au compromis. Il
jugeait plus avantageux, aux dires de sources proches des
milieux de la « guerre contre le terrorisme », de créer
« une agitation » dans la plaine
de la Békaa au voisinage de la frontière syrienne en
positionnant des unités spéciales états-uniennes face aux
bases militaires du Hezbollah afin « de
provoquer les troupes syriennes à engager le conflit, chose
qu’ils feront certainement si nous les provoquons. ».
L’ange de la mort états-unien prévoyait ensuite de chasser
le président Assad de son poste, couper le soutien logisitique
que la Syrie est censée fournir à la résistance
palestinienne, confisquer les armes de destruction massive
qu’on trouverait en Syrie et enfin détruire le Hezbollah pour
le plus grand profit des sionistes [2].
Mais ce projet d’une intervention directe de la démocratie américaine
au Liban fut rapidement écarté.
Un attentat contre le cheikh Nasrallah déjoué
Cependant une intervention
directe d’un autre genre était prévue pour avril 2006. Mais
les services secrets de l’armée libanaise purent la prévenir.
Au cours du premier week-end d’avril 2006, l’armée arrêta
neuf « membres bien entraînés d’un réseau »
, dont huit Libanais et un Palestinien, qui complotaient pour
assassiner le chef du Hezbollah chiite, le cheikh Sayyed Hassan
Nasrallah. Ce « groupe d’individus
organisés, tous professionnels et bien entraînés »
avait planifié l’attentat pour le 28 avril, c’est à dire
lors de la prochaine séance du « dialogue
national » qui se déroulait alors entre les chefs des
fractions politiques libanaises rivales.
Le général de brigade Saleh
Suleiman, porte-parole de l’armée, déclara que l’affaire
en était « au stade de la préparation »
et n’avait pas encore atteint le « stade
de l’exécution. ». La bande avait espionné depuis
début mars tous les déplacements de Nasrallah et était équipée
de roquettes anti-chars qui, le jour de l’attentat devaient
faire sauter le véhicule blindé du chef du Hezbollah. Les
autorités mirent la main sur un important arsenal de
lance-roquettes, grenades à main, fusils à pompe, fusils
mitrailleurs, pistolets et silencieux ainsi que toute une
batterie d’ordinateurs et de CD-ROM.
Selon le quotidien libanais As
Safir, il était prévu qu’un tir de roquettes de
fabrication états-unienne fasse sauter Nasrallah et son véhicule
blindé, le 28 avril à Beyrouth. Selon les interrogatoires des
15 délinquants appréhendés et menés par Rashid Mizher, juge
militaire, 90 personnes au moins étaient impliquées dans la préparation
du crime. Certaines d’entre elles auraient épié le convoi de
Nasrallah 40 jours durant, tandis que d’autres auraient
transformé un garage en cache d’armes, où ils auraient
dissimulé des roquettes américaines, des fusils mitrailleurs
russes et des grenades à main chinoises. Les organisateurs
avaient aussi essayé de se procurer du C4 et autres explosifs,
car ils projetaient d’autres assassinats de personnalités
ainsi que des attentats à l’explosif, y compris contre des
mosquées. Hussein Rahal, porte-parole de la milice, confirma
ces dires auprès de l’AFP.
Les conjurés - qui avaient été
arrêtés à proximité du quartier général du Hezbollah au
Sud de Beyrouth, furent d’abord interrogés par des hommes
appartenant aux services secrets militaires avant d’être
remis aux mains du juge des affaires militaires. Selon certains
informateurs libanais ils auraient été inculpés le lundi
suivant « de tentatives d’actions visant
à détruire l’autorité du gouvernement » et de détention
d’armes. Les autorités poursuivirent leur recherche
d’autres complices et tentèrent de démasquer les
commanditaires, c’est à dire « tout État
ou parti qui financerait, entraînerait et équiperait le réseau. »
Les arrestations suivirent de
peu la déclaration de la Secrétaire d’État aux affaires étrangères
des États-Unis, Condoleezza Rice, à Washington, selon laquelle
les relations du « Parti de Dieu » avec Téhéran et
Damas « sont le problème le plus
important auxquels les Libanais ont à faire face en ce moment. »
Bien qu’à cette époque
Washington accordât un délai au gouvernement libanais pour -
comme nous l’avait expliqué Madame Rice - « lui
permettre de résoudre ses problèmes internes par le dialogue
national » elle s’en tint inébranlablement à
l’exigence de désarmement de toutes les milices du pays, et
en premier lieu du Hezbollah, conformément à la résolution
1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Cela n’empêcha pas Rice, ni
la fraction du monde qui est partie en guerre contre le « terrorisme
international », d’observer un silence total au
sujet de la tentative d’attentat contre le chef de la milice.
Ni l’ONU, ni les chefs politiques en place à Washington ou
Bruxelles, ni les grands médias internationaux n’eurent un
mot pour féliciter les services secrets de l’armée libanaise
d’avoir démantelé cet important réseau terroriste. Sans
doute les grands noms du monde politique se sentaient-il mal à
l’aise car ces « terroristes » avaient visé
uniquement le secrétaire général de la milice chiite :
c’est à dire le chef d’une organisation dont il est de
notoriété publique qu’elle figure sur la liste des
organisations terroristes si chère au cœur de George Bush [3].
Ce qui pourrait bien en outre
avoir coupé le souffle à « l’Internationale démocratique »
est la pénible révélation que les inculpés étaient en
possession de permis de port d’armes qui leur avaient été
fournis de manière détournée par le parti au pouvoir :
un ancien député, membre du groupement politique « Future
Movement » (FM) conduit par Saad Hariri, principal allié
des États-Unis et fils de l’ex-Premier ministre libanais
assassiné en 2005, avait procuré aux conjurés des permis de
port d’armes de différentes catégories. Cet ancien député
est Salim Diyab, ancien directeur de campagne de Hariri junior,
ancien ami intime de Hariri senior et toujours considéré comme
étant le « chef offensif de la branche politico-militaire »
de son parti. Dès juillet 2005, Diyab avait fait distribuer des
armes à ses partisans. Un membre du Parti socialiste
progressiste druze, partenaire de coalition avec le FM, fut également
arrêté par le police. Le chef de ce dernier parti est Walid
Joumblatt, le caméléon politique libanais, et vitrine de la
« révolution démocratique » qui après
l’assassinat de Hariri fit passer en force, avec l’appui des
États-Unis, la tenue « d’élections libres » au
Liban qui aboutirent au retrait de la Syrie.
Joumblatt et Hariri junior - qui
ne manquent jamais une occasion de désigner la Syrie comme
commanditaire des crimes au Liban, se retrouvaient soudain également
mis en cause dans cette affaire louche.
L’anéantissement du réseau
terroriste avait préservé le pays des troubles politiques
internes. Selon des informations qui ont filtré des milieux
libanais du renseignement, le groupe terroriste comptait sur
l’assassinat de Nasrallah pour provoquer dans le pays des
tensions religieuses sectaires entre sunnites et chiites - à
l’image de ce qui se passe en Irak. Le président Emile Lahoud
réclama une enquête approfondie et mit en garde les ennemis
qui s’en prennent à l’unité nationale libanaise. Il
rappela que Nasrallah avait, selon lui, apporté une
contribution essentielle à la libération du Sud-Liban et a
toujours travaillé pour la paix de la nation. Le Premier
ministre Fouad Siniora déclara que « tout projet de ce
type constituait une menace pour la paix civile. » Le
porte-parole du Parlement, Nabih Berri, pensait à l’époque
qu’Israël se cachait derrière ce complot afin de ruiner le
dialogue national - un Liban réunifié et en paix représentant
un « danger » pour l’ennemi public n°1 sur la
frontière Sud. Berri ajouta que toutes ces opérations visaient
en fait la Syrie, pour le punir de son soutien au Hezbollah
libanais. [4].
Des bombes à sous-munitions sur le Liban
Le dimanche 28 mai 2006 un
groupe d’inconnus tirait trois roquettes Katiouscha contre un
campement militaire israélien dans le nord du pays, près de
Safed. Cette attaque, dans laquelle un soldat israélien fut légèrement
blessé, provoqua une escalade de la tension sur la frontière
entre les deux pays, à un niveau jamais vu depuis des années.
Bien que les responsables des milices libanaises, parmi eux
Sheikh Naim Qaouk, représentant du Hezbollah chiite pour le
Liban Sud, aient rejeté la responsabilité de ces tirs de
roquettes, le ministre israélien de la Défense, Amir Peretz déclara
qu’il ne tolèrerait pas « qu’on tire
sur Israël » , et ordonna huit campagnes de
bombardement sur des villages dans les collines de Nuamah, au
Sud de Beyrouth, ainsi que sur des camps du Front Populaire pour
la Libération de Palestine (FPLP), près de Sultan Yaacoub dans
l’Est du pays. Les avions de chasse israéliens tirèrent même
des fusées à retardement, qui explosent après dix minutes.
Simultanément Israël bombardait des localités libanaises le
long de la frontière, tuant un combattant palestinien ainsi
qu’un milicien du Hezbollah et endommageant sérieusement
plusieurs maisons.
Le lundi suivant on découvrait,
dans les zones bombardées, des « Cluster-Bombs » ,
des bombes à sous munitions qui projettent leur sous-bombes sur
une vaste zone et augmentent ainsi la possibilité des « dommages
collatéraux ». L’usage de ces bombes est une violation
du droit humanitaire international et est interdit par la
Convention de Genève : entre 5 et 10 % des sous-bombes
n’explosent pas à l’impact et restent éparpillés dans la
nature, représentant un danger équivalent aux mines
anti-personnel pendant de nombreuses années. Leur petite taille
et leur couleur vive les rend particulièrement attractifs pour
des enfants. Des unités de l’armée libanaise s’empressèrent
donc de neutraliser ces terribles engins de guerre israéliens.
L’ONU, elle, s’empressa le
jour même non pas de condamner Israël pour son usage d’armes
interdites par les conventions internationales mais de sermonner
le Liban pour « son attaque contre son voisin israélien » :
« Il est de la responsabilité des autorités
libanaises de faire respecter la Ligne bleue (définie par l’ONU)
et d’empêcher toute attaque dans cette zone » déclara
Milos Strugar, conseiller du commandant de la FINUL au Liban.
Une source anonyme lança la
rumeur que le Jihad islamique palestinien aurait tiré les
roquettes pour venger la mort d’un de ses commandants, Mahmoud
Al-Majzoub, tué le 26 mai 2006 par l’explosion d’une
voiture piégée dans la ville sud-libanaise de Sidon. Le chef
au Liban du Jihad islamique, Abou Imad Rifaï, démentit cette
« rumeur mensongère », accusant
le Mossad en retour : l’attentat « fait
partie de l’escalade de la violence israélienne contre le
peuple palestinien, et notamment contre le Jihad Islamique ».
A Beyrouth, le gouvernement
condamna également l’attentat, affirmant, « qu’il
porte la marque de l’occupation israélienne » . Même
pour le Premier ministre Fouad Siniora « Israël
est le suspect principal ». Particulièrement
significatif est le type de bombe télécommandée utilisée à
Sidon : 500 g d’explosif hautement comprimé ayant le même
effet que 5 kg d’explosif conventionnel. Selon les services de
sécurité libanais, ce type de bombe avait déjà servi l’année
précédente pour assassiner l’ancien chef du parti communiste
libanais George Hawi et le journaliste Samir Kassir :
« Les éclats et billes d’acier, trouvés
en grand nombre sur le site de l’explosion, prouvent que la
bombe était une mine spécialement conçue pour assassiner des
personnes de manière ciblée, et elles sont identiques à ceux
trouvés sur les lieux de l’attentat contre Hawi et Kassir ».
A l’époque, Shakib al-Aein, chef du Jihad islamique au Liban
Sud, avait affirmé : « Israël vient
de commettre une erreur stratégique ». Et en effet,
l’ONU enquête également sur les attentats contre Hawi et
Kassir dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de
l’ancien premier ministre Rafik Hariri, le 14 février 2005 [5].
Un mirage crée par les services secrets
Après ce ballet d’ombres on
assista à une nouvelle phase de la bataille de propagande
contre le Hezbollah. Les États-Unis, qui ont tué des centaines
de milliers de personnes en lançant les bombes nucléaires
« Fat Man » sur Nagasaki et « Little Boy »
sur Hiroshima, avaient ajouté une nouvelle dimension dans leur
campagne contre le programme nucléaire iranien. Début juin
2006, à Washington, des représentants des services secrets,
s’inquiétaient publiquement de la possibilité que « l’État
voyou » iranien puisse « dans les
prochaines semaines, utiliser les nombreux et vastes réseaux de
la milice chiite Hezbollah au Liban pour mener des attaques
contre des cibles occidentales. ». Aux dires de l’Associated
Press les services secrets auraient « détecté
des signaux montrant que des convoyeurs de fonds, des officiers
recruteurs et des militants du Hezbollah pourraient être utilisés
pour fournir une assistance logistique à des projets
d’attentats contre des intérêts occidentaux ».
L’administration Bush et ses alliés se montrèrent convaincus
que l’Iran pourrait ordonner des attentats terroristes.
D’autres « experts » affirmaient même qu’une
« unité secrète » du Hezbollah avait été
constituée avec pour unique but l’élimination du vice-président
états-unien Dick Cheney.
Simultanément, le média en
ligne Yedioth Internet affirmait que,
« Israël a mis en garde les services
secrets d’Europe et des États-Unis contre la possibilité que
des cellules du Hezbollah organisent des attentats lors de la
Coupe du monde de football en Allemagne ». Téhéran
utiliserait cette stratégie pour, « prouver
sa capacité de nuisance à la communauté internationale et
l’avertir de possibles représailles terroristes au cas où le
pays serait attaqué militairement ». Le quotidien
israélien Ha’aretz, de son côté,
croyait savoir que le Hezbollah disposait désormais de fusées
ayant une porté de 200 km et donc capables de frapper toutes
les grandes villes israéliennes. Seule puissance nucléaire de
la région, l’État d’Israël se refusa à commenter ces
informations.
Quelques jours plus tard ce fut
au tour de la station de télévision libanaise LBC de cibler le
secrétaire général du Hezbollah, Cheikh Sayyed Hassan
Nasrallah. Dans un « sketch » on demandait à son
sosie si la milice accepterait de déposer les armes en échange
d’un retrait israélien de la région dite « des fermes
de Chebaa », occupée par Israël. Le faux « Nasrallah »
rétorqua qu’il n’en était pas question, on avait encore
besoin de ces armes pour « libérer la
maison de Abu Hassan, à Detroit, de ses voisins juifs ».
Des milliers de chiites protestèrent à Beyrouth, Baalbek,
Sidon, Tyr et Nabatijeh contre ces calomnies, incendièrent des
pneus et érigèrent des barricades, barrant par exemple la
route menant à l’aéroport international de Beyrouth. Le
« vrai » Nasrallah calma le jeu en demandant à tout
le monde, « de cesser de manifester et de
rentrer chez soi ». La station de télévision LBC a
été fondée en 1980 par les Forces Libanaises, qui se sont
distinguées par leur collaboration étroite avec Israël lors
des 15 ans de guerre civile au Liban.
Assassinats sur ordre du Mossad
Au beau milieu de tout cela, une
nouvelle tempête se déclencha - à nouveau grâce au travail
d’enquête des services secrets de l’armée libanaise. La sécurité
militaire enquêtait sur l’attentat à la voiture piégée, le
26 mai 2006, à Sidon qui avait causé la mort d’un haut cadre
du Jihad Islamique, Mahmoud Al-Majzoub ainsi que de son frère.
Mi-juin 2006, les services secrets libanais débusquèrent un réseau
terroriste installé par les services secrets israéliens au
Liban, réseau dont faisaient partie ceux qui avaient commis
l’attentat de Sidon. Parmi les 7 membres du groupe interpellés
se trouvait Mahmoud Rafé, un Libanais de 59 ans originaire du
village druze de Hasbaya. Rafé est un gendarme libanais à la
retraite, ancien membre des Forces de sécurité intérieure (FSI).
Il a indiqué à la police avoir été recruté en 1994 par le
Mossad et que son groupe avait été entraîné en Israël et équipé
de technologies dernier cri par le Mossad, qui dirigeait toutes
ses opérations. Parmi les autres personnes arrêtées se
trouvait un autre officier des FSI à la retraite, Charbel
Samara. Rafé avoua avoir organisé pour Israël, au cours des
dernières années, plusieurs attentats au Liban contre des
cadres de la milice du Hezbollah ainsi que contre des factions
palestiniennes pro-syriennes. L’assassin avait également fait
partie de l’Armée du Liban-Sud, une milice crée et armée
par Israël lors de l’occupation du Sud-Liban, de 1982 à 2000
.
Elias Murr, ministre de la Défense
libanais, indiqua, le jeudi 15 juin 2006, qu’un avion israélien
avait déclenché à distance l’explosion de la voiture piégée
à Sidon : « Les informations
obtenues jusqu’ici permettent de déduire de manière très
vraisemblable que la détonation de la voiture piégée a été
déclenchée par un avion israélien qui suivait les mouvements
de la voiture en question par le biais d’une caméra de
surveillance, montée sur un camion pisteur. ». Le
ministre Murr précisa également que « c’est
la première fois en 30 ans d’interventions militaires israéliennes
au Liban, qu’une opération est menée à l’aide de
technologies aussi sophistiquées. Face à une telle suprématie
dans la technologie terroriste et les explosifs, nul n’est à
l’abri nulle part ». [6]
A la télévision, l’armée
libanaise présenta les pièces à conviction de l’attentat de
Sidon ; parmi celles-ci figure une caméra israélienne
d’un type particulier, des permis de conduire et des papiers
d’identité falsifiés ainsi qu’un système d’air
conditionnée modifié pour permettre le transport d’explosifs
et un haut-parleur piégé. L’armée déclara que l’équipe
terroriste avait finalement opté pour l’utilisation d’une
portière de voiture bourrée d’explosifs et passée en
contrebande au Liban.
L’armée libanaise précise en
outre, dans son communiqué : « L’enquête
de la sécurité militaire montre que ce réseau terroriste
sophistiqué était en contact depuis plusieurs années avec le
Mossad israélien et que ses membres ont été formés par lui,
en Israël comme à l’extérieur du pays. Le réseau (...) a
été équipé, par les services israéliens, des matériel
permettant la communication et la surveillance discrète ainsi
que l’identification des cibles visées. Figurent également
des documents falsifiés et des sacoches à double-fond. »
Le Mossad fournissait également les munitions.
Outre le récent attentat de
Sidon qui avait fait deux morts, le chef du réseau terroriste
avoua l’assassinat des cadres du Hezbollahd Ali Hassan Dieb,
le 6 août 1999 à Arba et Ali Saleh, le 2 août 2003,
l’assassinat par une voiture piégée, de Jihad Ahmad Jibril,
fils du commandant du Front Populaire pour la Libération de la
Palestine, Ahmad Jibril, une tentative d’attentat déjouée
par la police le 18 janvier 2005 près de Al-Zahrani et enfin
une bombe près de Jissr Al-Nameeh le 22 août 1999, qui visait
un cadre du mouvement palestinien.
Le ministre de l’Intérieur
refusa, au cours de sa conférence de presse, de rattacher ce réseau
terroriste à la série d’attentats qui avait secoué le Liban
après l’attentat à la bombe contre l’ancien premier
ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005. Le ministre Murr
avait lui-même été la cible d’un de ces attentats : à
Antelias, à l’Ouest de Beyrouth, une voiture garée sur le
bord de la route avait explosé au passage de sa voiture, le
blessant grièvement. Mais, selon Murr « il
n’y a pour l’instant aucune indication permettant de relier
les suspects arrêtés (...) et les attentats à la bombe »
étant donné que, selon lui, « les
techniques de fabrication des bombes ne sont pas les mêmes ».
A noter toutefois que, selon
certaines sources d’information au Liban, le chef du réseau
terroriste, Rafé, aurait avoué avoir « joué un rôle de
soutien logistique dans d’autres opérations » . Il
aurait ainsi, depuis le printemps 2005, livré des sacoches
noires contenant des bombes à divers endroit de Beyrouth Est,
du Mont-Liban et du Liban-Sud. Le ministre libanais de l’Intérieur
indique de son côté : « des commandos spéciaux
israéliens livraient par voie maritime des sacoches remplies
d’explosifs à Rafé, qui les réceptionnait au nord de
Beyrouth. »
Rafé a également affirmé
avoir, lors de certaines actions criminelles, travaillé avec
Hussein Khattab, membre du FPLP. Le Palestinien, qui dirige son
propre réseau et est accusé d’avoir commis des assassinats
et des attentats pour le compte du Mossad, a entre-temps disparu
de la circulation et se cacherait en Israël. Son épouse, qui
avait été arrêtée et interrogée, a fourni des informations
importantes qui, aux dires de certains enquêteurs, pourraient
ouvrir de nouvelles pistes dans l’enquête. Aux dires de Rafé,
Khattab aurait participé à l’attentat de Sidon du 26 mai et
à la voiture piégée du 20 mai 2002 qui avait tué Jihad Ahmad
Jibril, le fils d Ahmad Jibril, chef du FPLP Commandement général [7].
Hussein Khattab, qui aurait été
recruté en 1982 par le Mossad alors qu’il se trouvait dans
une prison israélienne, a été libéré en 1985 suite à un échange
de prisonniers et travaillait depuis cette date pour les Israéliens.
Après l’assassinat du fils Jibril il avait été emprisonné
pendant six mois par le FPLP en Syrie (où cette organisation
est basée) avant d’être remis aux services de sécurité
libanais. Mais ceux-ci le laissèrent en liberté.
Pour Nicholas Blanford, dans un
article du Times du 15 juin 2006 :
« les récentes révélations de réseaux
d’espionnage israéliens au Liban pourraient aboutir à des
implications surprenantes, dans le cas Hariri comme dans celui
des 14 attentats à la bombe, assassinats et tentatives
d’assassinat qui l’ont suivi et qui sont inclus dans
l’enquête de Serge Brammertz ».
« L’affaire
prend une tournure particulière quand on sait que Hussein
Khattab, membre palestinien du réseau d’espionnage (…) est
également le frère de Cheikh Jamal Khattab, un imam radical
qui est soupçonné d’avoir recruté des combattants arabes
pour Al-Qaïda en Irak. » [8].
Certains auteurs se sont saisis de ce fait pour envisager une
relation entre le Mossad et Al-Qaïda, si pour autant cette
organisation existe vraiment.
Mais il y a une relation bien
plus importante qui nécessiterait qu’on s’y intéresse de
manière urgente - et notamment dans l’enquête sur la mort de
Hariri. Le frère de Hussein Khattab, le Cheikh Jamal Khattab,
est un étroit collaborateur de Cheikh Abou Obeida. Or Abou
Obeida est la personne qui a apporté son aide à Abou Adas
quand celui-ci était à Ain Al-Hilweh. Et Abou Adas est désigné
par le premier rapport Mehlis comme étant le kamikaze
responsable de l’attentat contre Hariri.
Mehlis lui même confirme la
relation entre Abou Adas et Cheikh Abou Obeida : le service
de sécurité Al-Ahbash a établi que Adas « allait
souvent à Ain Al-Hilweh » pour rendre visite à Abou
Obeida, celui-ci occupant les fonctions de « représentant
du chef de Jund Al Sham » et « chef
par intérim du groupe terroriste Asbat Als Ansar » [9].
L’enquêteur allemand a toutefois rejeté ces informations
comme étant peu fiables. Mais c’est précisément parce que
cette information est rejetée par Mehlis un enquêteur amateur,
dont les rapports pour le conseil de sécurité de l’ONU
oscillent entre la fiction et la vérité, qu’il faudrait la vérifier
de manière approfondie.
Pour le président libanais
Emile Lahoud ces révélations apportent la preuve que « Israel
n’a cessé de tenter de saboter le Liban ». Il déclara
que les enquêtes se poursuivraient et que les résultats
seraient remis à l’envoyé de l’ONU, Serge Brammertz, qui
dirige la commission d’enquête sur l’assassinat de
l’ancien Premier ministre libanais Hariri ainsi que sur 14
autres attentats terroristes.
Le premier ministre libanais
Fouad Siniora félicita la sécurité militaire pour sa découverte
des réseaux du Mossad et affirma : « Nous
considérons ces agissements comme des actes d’agression
contre notre pays ». Le gouvernement de Beyrouth décida
alors de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU sur cette
affaire, dès que l’enquête serait terminée. Le ministre
libanais des Affaires étrangères, Fawzi Salloukh exprima son
espoir que le Conseil de sécurité se préoccuperait également
« des violations continuelles de
l’espace aérien libanais par des avions militaires et des
avions de chasse israéliens qui ont été utilisés dans la
planification des activités terroristes contre le Liban » [10].
Quant au ministre libanais de l’Information, Ghazi Aridi, il
se mit à rêver que la communauté internationale, au vu
« des preuves accablantes fournies par son
pays, en viendrait à condamner l’agression constante et les
intentions belliqueuses d’Israël. ».
Les autorités israéliennes, de
leur côté, qui nient toute implication dans les attentats du
26 mai à Sidon contre le chef du Jihad islamique, refusa de réagir
aux déclarations de Rafé. Seul le quotidien israélien Jediot
Aharonot réclama une commission d’enquête sur la
question [11].
Meir Dagan, le chef du Mossad, dans la
tourmente
Mais le prochain coup de
tonnerre fut encore plus impressionnant. Aux dires du service
d’informations israélien Debka File
c’est Meir Dagan lui-même, le vieux compagnon d’armes d’Ariel
Sharon et actuel chef du Mossad, qui aurait recruté le criminel
Rafé. L’agent emprisonnée avoua avoir été recruté en 1989
par Dagan pour mettre en place un « centre
logistique et d’informations qui préparerait le terrain aux
opérations israéliennes contre les cibles visées par l’État
hébreu » [12].
En 1981 l’officier de Tsahal Meir Dagan avait occupé le poste
de commandant du Sud-Liban sous occupation israélienne. Il y
avait organisé des attentats à le voiture piégée destinés
à éliminer des cadres palestiniens. Quand il fut nommé chef
du Mossad en 2002 il s’empressa d’appliquer cette méthode
d’assassinat ciblés au Liban [13].
Lors de leurs actions au Pays du
Cèdre, les services israéliens prenaient grand soin de ne
jamais informer leur collaborateurs libanais de la véritable
« cible » de l’opération. Leur rôle était
« simplement » de déposer des « éléments »
à certains endroits secrets afin qu’ils soient récupérés,
le moment venu, par leurs « collègues » israéliens.
Ainsi, dans le cas Majzoub, deux agents du Mossad arrivèrent
avec de faux passeports via l’aéroport de Beyrouth, trois
jours avant l’attentat. A Sidon ces agents préparèrent la
voiture piégée et quittèrent le pays peu de temps après
« le succès de l’opération ». Les collaborateurs
libanais obtenaient de « l’équipement » depuis
Israël par voie terrestre entre Kfarkila et Chebaa ainsi que
via des liaisons maritimes clandestines. Rafé, formé en Israël,
était en contact direct avec le Mossad depuis sa maison à
Hasbaya et utilisait des communications codées ; Israël
lui avait fourni un ordinateur dernier cri, des appareils
d’enregistrement ainsi que des faux passeports, documents et
licences. Lors de la perquisition, les enquêteurs trouvèrent
également un appareil électronique qui permettait de
transmettre les coordonnées de « cibles » désignées
aux avions israéliens.
Les libanais étaient excédés.
Le 24 juin 2006, deux semaines avant le début de la guerre, le
ministre libanais des affaires étrangères, Fawzi Salloukh, déclara
que « son pays se réservait le droit
d’en appeler au conseil de sécurité de l’ONU afin que
celui-ci se penche sur l’espionnage du Mossad israélien, récemment
mis à jour au Liban ». Salloukh déclara également
vouloir communiquer les informations recueillies sur le réseau
d’espionnage israélien et les personnes impliquées au Secrétaire
général de l’ONU, Kofi Annan. Le ministre était en colère
car l’ONU n’avait pas inclus cette affaire dans son rapport
mensuel. « Cette affaire est très
dangereuse, notamment à cause de la violation de l’espacé aérien
libanais par les Israëliens. » [14].
Quand les Libanais eurent enfin
le courage de déposer une plainte auprès du Conseil de sécurité
de l’ONU contre Israël pour « sabotage
continuel et violation de l’intégrité territoriale »,
le représentant à l’ONU Gere Pederson, l’ambassadeur
britannique James Watt et l’ambassadeur états-unien à
Beyrouth, Jeffrey Feltman s’agitèrent comme des poules face
à un renard et se mirent à tirer les ficelles pour sortir leur
compère israélien d’affaire.
Feltmann eut une idée ;
selon sa manière de voir les choses ce n’étaient pas
« les services secret libanais, mais le
Hezbollah » qui aurait « débusqué » le réseau
d’espionnage, ce qui consisterait « une
tentative (de la part du Hezbollah) de dépasser les
attributions dont il dispose au sein de la coalition
gouvernementale. ». Pour le Monsieur-Je-Sais-Tout des
États-Unis, « un tel facteur risquerait
d’avoir une influence négative sur les relations libano-états-uniennes
et affecterait également l’aide militaire au pays ».
De son côté, David Satterfield,
le conseiller pour l’Irak de la secrétaire d’État
Condoleeza Rice, alla jusqu’à avertir Damas que « la
stabilité de la Syrie ( !) risquait d’être menacée par
l’extrémisme en Irak. ». Selon lui le Hezbollah ne
se contentait pas d’agir sur le frontière sud-libanaise
contre « l’ennemi héréditaire » israélien mais
qu’il avait participé également « activement,
aux côtés de l’Iran, à des actions violentes (en Irak)
qui avaient causé la mort de soldats irakiens, états-uniens,
britanniques et d’autres pays de la coalition. La
participation iranienne à cette violence est multiforme mais
son aspect le plus nocif est probablement la dissémination
d’engins explosifs sophistiqués, et il faut mettre fin à
cela. ». Satterfield refusa de donner des détails, se
contentant de brandir sous le nez de « l’Internationale
démocratique » la même affirmation déjà proférée par
Dagan : c’est l’Iran et son « bâtard » le
Hezbollah qui sont directement responsables de la terreur et des
attentats à la bombe en Irak.
Mi-juin 2006, lors d’une conférence
de presse avec le belliqueux Donald Rumsfeld, le général
George Casey, commandant de l’armée US en Irak, enfonça le même
clou : « Nous avons quelques
indications que le Hezbollah est utilisé pour certaines actions
d’entraînement des Iraniens ».
Le but de toute cette agitation
et de ces élucubrations états-uniennes étaient de mettre un
frein à l’apparition de questions de plus en plus nombreuses
et qui demandaient si - plutôt que la Syrie - ce n’était pas
Israël qui était impliqué dans l’attentat contre l’ancien
Premier ministre Rafic Hariri.
Assassinat de Hariri : ne pas ignorer la
piste israélienne !
L’auteur du présent article
envoya, le 26 juin, une lettre ouverte à Kofi Annan, secrétaire
général des Nations Unies et à Serge Brammertz, responsable
de la commission d’enquête internationale et indépendante
des Nations Unies (UNIIIC), chargé de trouver les coupables de
l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais. La
lettre leur fut remise directement, son texte fut également
publié sur Internet tandis qu’une traduction arabe était
publiée en première page du quotidien libanais Ad
Diyar :
Très chers
Messieurs,
Grâce au travail d’enquête
efficace de l’armée libanaise, la commission d’enquête
internationale et indépendante des Nations Unies (UNIIIC) se
trouve depuis quelques jours dans une situation avantageuse qui
susciterait la jalousie de tout enquêteur criminel de par le
monde ayant à résoudre une affaire dont les auteurs sont
inconnus. Monsieur Brammert a à sa disposition une bande de
malfaiteurs sous les verrous, dont l’interrogatoire permettra
peut-être d’obtenir de nouvelles pistes permettant d’éclaircir
l’enquête sur le crime commis contre Rafic Hariri voire
d’identifier ses véritables instigateurs.
Comme vous le savez, la sécurité
militaire libanaise a récemment débusqué deux réseaux
terroristes mis en place par le Mossad, service secret israélien
et qui pratiquaient depuis des années de l’espionnage, du
sabotage, des assassinats et des attentats à la voiture piégée
au Liban, contre des palestiniens et des activistes du
Hezbollah. Une de ses dernières victimes est Mahmoud Majzoub,
chef du Jihad islamique, assassiné en mai dernier à Sidon par
une voiture piégée. Il semblerait que ce soit un avion
militaire israélien qui a détonné la bombe, via un laser. En
outre la bande a avoué entre autres l’assassinat des cadres
du Hezbollah Ali Saleh en 2003, Ali Hassan Dieb en 1999 et Jihad
Jibril 2002.
Il s’est avéré que c’est
Meir Dagan, l’actuel chef du Mossad, qui a personnellement
recruté l’un des « chefs » du réseau terroriste,
en l’occurrence le druze Mahmoud Rafé. Ce dernier a avoué
avoir été recruté en 1989 par Dagan pour mettre en place un
centre d’appui logistique et de collecte d’informations afin
de préparer le terrain aux opérations israéliennes contre des
cibles terroristes. Les Libanais étaient chargés de convoyer
l’équipement nécessaire aux opérations et de le déposer
aux endroits où leurs « collègues » israéliens
pourraient les récupérer. Ainsi, dans le cas Majzoub, deux
agents du Mossad dotés de faux passeports sont arrivés trois
jours avant l’attentat à Beyrouth. Ils ont préparé la
voiture piégée à Sidon avant de quitter le pays peu après le
« succès » de l’opération. Les collaborateurs
israéliens obtenaient tout leur équipement d’Israël, par le
bais d’une connexion terrestre entre Kfarkila et Shebaa ainsi
que par des voies maritimes clandestines. Rafé, formé en
Israel, était directement en contact avec le Mossad depuis sa
maison à Hasbaya et communiquait par le biais de systèmes codés ;
Israël lui avait fourni un ordinateur dernier cri, des
appareils d’enregistrement ainsi que des faux passeports,
documents et licences, et autres équipements. Lors de la
perquisition, les enquêteurs ont également trouvé un appareil
électronique qui permet de transmettre les coordonnées de
« cibles » désignées aux avions israéliens. En
1981, Dagan, officier de l’armée israélienne, était
commandant du Sud-Liban occupé et responsable de la campagne de
voitures piégées contre des chefs palestiniens. Quand, en
2002, il est devenu le chef du Mossand, il a réactivé, au
Liban, cette méthode d’assassinat.
Indépendamment de la décision
du Liban d’user ou non de son droit de déposer une plainte
contre Israël auprès du Conseil de securité de l’ONU pour
« sabotage continuel et violation de son territoire »
, il est important que vous, Messieurs, agissiez sans tarder
afin de ne pas perdre de temps et nuire à l’enquête.
L’opinion mondiale préférerait connaître aujourd’hui plutôt
que demain la vérité sur les responsables de l’attentat
ignoble qui a coûté la vie à Rafic Hariri.
En conséquence, au nom également
de nombreux amis de la vérité et de militants pour la paix à
travers le monde, je vous prie d’étendre le champ de votre
enquête sur l’assassinat de Hariri et de vous pencher sur
l’hypothèse d’une implication d’Israël et du Mossad
ainsi que de leurs collaborateurs locaux.
Etant donné que ce type
d’actions criminelles du Mossad - comme l’a montré le cas
Majzoub - ne peut être mené sans l’approbation du premier
ministre israélien, je vous invite, très cher Monsieur Annan,
à permettre à l’UNIIIC - s’il le faut par résolution du
conseil de sécurité de l’ONU - d’interroger les
responsables du gouvernement israélien, et en premier lieu le
premier ministre Ehud Olmert et le chef du Mossad, Meir Dagan.
En effet, comme le montrent les enquêtes de la sécurité
militaire libanaise, Israël dispose d’une vaste expérience
et d’un savoir faire pointu dans le domaine criminel et lâche
de l’organisation d’attentats à la voiture piégée.
Par ailleurs l’UNIIIC et Serge
Brammertz ainsi que ses enquêteurs zélés ont la chance unique
de pouvoir pénétrer un appareil terroriste agissant à un
niveau logistique et technique très élevé, ce qui leur
permettra d’obtenir la réponse à de nombreuses questions
encore ouvertes dans leur enquête - ou au moins de mieux
comprendre et comparer certaines éléments. Et notamment de découvrir
avec quelles méthodes high-tech l’attentat contre Hariri a été
exécuté.
Comme on dit dans le métier,
suivez cette piste tant qu’elles est encore tiède.
Bien sûr, parallèlement à
ceci vous devriez vérifier si le témoin douteux Mohammad
Zuheir al-Saddiq, interrogé par Detlev Mehlis,
n’appartiendrait pas lui aussi à un tel réseau du Mossad.
N’oubliez pas que que c’est à cause de ses déclarations très
douteuses que les anciens policiers Ali Al Hajj, Jamil El Sayyed,
Mustafa Hamdan et Raymond Azar sont emprisonnés depuis 2005 et
maintenus en confinement solitaire... et ce alors que aucune
preuve valide n’ait été produit contre les accusés. Une
telle situation, et vous le savez d’expérience est indigne
des démocraties européennes. Je vous prie donc de vérifier
sans tarder si, outre les motivations de vengeance politique il
existe des preuves véritables justifiant le maintien en garde
à vue de ces hommes. Si c n’est pas le cas, alors, conformément
aux principes d’un État de droit, ces quatre présumés
innocents doivent être remis en liberté. S’il devait s’avérer
que le droit libanais n’est pas adapté à ce genre de
situation, alors je vous prie, M. Kofi Annnan de faire
pression sur les responsables libanais, s’il le faut en les
menaçant d’une plainte pour possible violation des droit de
l’homme.
Je vous prie de bien vouloir étudier
l’hypothèse d’une implication israélienne sans trop
tarder. Cette piste pourrait s’avérer être la clé de la résolution
de l’enquête sur l’abominable assassinat de Hariri. Je vous
souhaite de réussir dans cette entreprise et que, par une
approche objective, vous résolviez rapidement l’affaire et
pourrez bientôt annoncer les résultats à l’opinion
internationale.
Salutations respectueuses
Jürgen Cain Külbel, Berlin
Auteur de l’ouvrage « Mordakte Hariri. Unterdrückte
Spuren im Libanon » , Mars 2006 [15]
Quatre jours avant le début de la guerre, les
agents du Mossad en Liban étaient plaçés en alerte
Entre-temps, les préparations
de guerre israéliennes étaient entrées dans leur dernière
phase. Le 7 juillet le Daily Star nous
informait que, « l’armée israélienne
se trouve depuis deux semaines en état d’alerte maximale »
le long de la frontière libanaise « et a
recommencé ses violations du territoire aérien libanais » [16].
Quatre jours plus tard, le mardi
11 juillet 2006, le bulletin d’informations de la chaîne de télévision
Al Manar, annonce que le gouvernement
libanais exige du Conseil de sécurité de l’ONU à New York
une résolution - ou au moins une déclaration - condamnant au
nom du droit international les activités terroristes menées
par Israël sur le territoire libanais depuis le début de
l’année. Le bulletin d’Al Manar précise
que cette exigence « embarrasse les États-Unis
et la France ». Le bulletin indique par ailleurs que
des sources diplomatiques anonymes au Liban ont indiqué que
« des pays occidentaux exercent des
pressions sur Beyrouth afin qu’il n’exige pas du Conseil de
sécurité la convocation d’une réunion à propos des réseaux
du Mossad à l’étranger. » [17] ».
Le ministère des Affaires étrangères
libanais a confirmé le jour même que « parmi
ceux qui ont fait pression sur les représentants du
gouvernement libanais » pour amener Beyrouth à
abandonner ses exigences vis à vis du Conseil de sécurité,
« se trouvait également l’ambassadeur
états-unien Jeffrey Feltman ». Le ministère des
Affaires étrangères libanais poursuit en « regrettant
que les puissances occidentales pratiquent une politique du deux
poids/deux mesures mais que Beyrouth continuera à exiger une réunion
du Conseil de sécurité sur la question » [18].
Quelques heures plus tard, la
milice du Hezbollah fit prisonnier les deux soldats, offrant
ainsi un prétexte à la machine militaire israélienne de
lancer sa guerre inhumaine et planifiée de longue date contre
le Liban. Mais malgré les bombardements les services de sécurité
libanais continuèrent leur travail.
Ainsi, le journal arabophone de
Beyrouth Liwaa annonçait le 27 juillet 2006
que les autorités avaient arrêté 53 personnes depuis le début
de la guerre, « pour avoir pactisé avec
l’ennemi et lui avoir transmis des informations et fait des
repérages sur des localités qui ont ensuite été attaqués
par des avions de combat et des navires du guerre ennemis. ».
Le quotidien de Beyrouth Ad Diyyar écrivait
la veille que plus de 70 agents avaient été arrêtés jusqu’à
présent, soupçonnés d’espionnage au profit de l’ennemi ,
20 d’entre eux rien que dans les banlieues Sud de Beyrouth.
Le dimanche auparavant, le
quotidien libanais réputé Al Safir avait
publié un article relatant qu’un « des
hauts cadres de ce réseau d’espionnage » avait avoué
lors de son interrogatoire que, « quatre
jours avant la capture des deux soldats, Israël avait placé
tous ses agents en alerte maximale et avait fourni des consignes
et des technologies aux agents dormants afin qu’ils
surveillent les différents centres ainsi que les bureaux du
parti Hezbollah, sur tout le territoire libanais mais avant tout
dans la banlieue Sud de Beyrouth ».
Toujours selon ce quotidien une
« personnalité haut placée dans les
services secrets israéliens », aurait fourni des
informations sur « un réseau étendu sur
le territoire libanais, composé de nombreux agents israéliens
à Beyrouth et dans le Sud-Liban, et actif depuis de nombreuses
années ». La police libanaise aurait ainsi arrêté
un « Israélien qui aurait avoué avoir
marqué plusieurs bâtiments à Beyrouth avec de la poudre
phosphorécente afin qu’ils soient précisément repérés et
bombardés par l’aviation israélienne. Cet agent aurait également
mené la police à des caches contenant des appareils sophistiqués
et des équipements d’espionnage ». L’article
poursuit, « les membres de ce réseau
avaient accès à des technologies sophistiquées et des
appareils de communication dernier cri qui permettaient
d’identifier précisément des cibles dans la banlieue Sud de
Beyrouth, de les marquer et de guider les bombardiers israéliens
vers ces cibles. ». La chaîne de télévision Al
Arabija avait déjà annoncé le 20 juillet 2006, que les
espions avaient préparé les bombardements avant même le début
des hostilités en communiquant à l’armée israélienne des
« informations sur des cibles vacantes.
Selon le journal Liwaa, les agents israéliens
utilisent également des peintures phosphorescentes pour
faciliter le travail des pilotes des avions bombardiers. »
Dans le milieu du renseignement,
on estime que « les aveux des suspects arrêtés
ces derniers jours pourraient permettre de débusquer un certain
nombre de cellules d’espionnage israéliennes au Liban ».
De source informée, on apprend que, « l’étendue
des actions menées par le réseau d’espionnage découvert ces
derniers jours dépasse de loin tous les autres réseaux découverts
jusqu’à présent. » A ce jour l’armée israélienne
a, bien évidemment, refusé tout commentaire à ce sujet. » [19]
En conclusion
Malgré la guerre inhumaine d’Israël
contre le Liban et les enquêtes des autorités libanaises sur
l’ampleur des activités criminelles du Mossad au Pays du Cèdre,
les « leaders démocratiques » du monde occidental
continuent à refuser ne serais-ce que d’envisager l’hypothèse
que l’État d’Israël puisse être impliqué dans
l’assassinat de Hariri et dans la campagne d’attentats qui a
ensuite secoué le Liban.
Le président français Jaques
Chirac, dont l’esprit se refuse apparemment même à considérer
les résultats des enquêtes des services de police libanais, a
continué à tonner, au beau milieu de la guerre, que la Syrie
devait enfin accepter de participer à l’enquête sur les
auteurs de l’attentat contre Hariri - il ne fait peu de doute
qu’il parlait également au nom de ses compères en
Angleterre, aux États-Unis, en Israël et ailleurs.
Et son ministre des Affaires étrangères,
Philippe Douste-Blazy a mis en garde la Syrie, le 25 août 2006
au micro de la radio RTL, « de ne pas
instrumentaliser le conflit israélo-libanais pour tenter de
revenir dans la communauté internationale et se dispenser de
participer à l’enquête (sur le meurtre de Hariri) » [20]..
Que faut il conclure de tout
cela ? Qu’Israël continue à être considéré comme
innocent malgré ses mains couvertes de sang. Et que ses
complices se trouvent dans les palais présidentiels en Europe
et de l’autre côté de l’Atlantique où ils font semblant
de croire à la démocratie.