Le massacre de
l'OTAN à Majir et la propagande
impériale
Julien Teil - Mathieu Ozanon
Majir - Moussa Ibrahim
Conférence de Presse de Moussa Ibrahim,
porte parole officiel du gouvernement
libyen
Majir - 9 Août 2011
Tripoli, le 17
août 2011
Dans la nuit
du 8 au 9 août 2011, l’OTAN a bombardé à
trois reprises le village de Majir,
situé au sud de Zlitan. Le Colonel
Roland Lavoie, porte parole de l’OTAN, a
désigné les deux fermes frappées par les
forces alliées comme étant des cibles
militaires. Il ajoute que les frappes
ont respectivement eu lieu à 23 h 30,
23 h 45 et 02 h 34. Première
observation : l’argument de la « cible
militaire » ne
justifie en aucun cas la décision de
bombarder ces sites. En effet, en vertu
d’une jurisprudence du Tribunal Pénal
International sur l’Ex-Yougoslavie :
bombarder une cible militaire au milieu
d’une présence civile nombreuse
constitue un crime de guerre. Présents
sur place le lendemain avec l’ensemble
des journalistes, nous avons pu nous
faire notre propre opinion.
L’OTAN face à l’unité nationale
libyenne
Les raisons de ces frappes semblent
être bien différentes de ce qui est
avancé par le porte parole de l’OTAN. Il
s’agit d’abord de semer la terreur au
sein de la population civile puis, de
favoriser l’avancée des forces
d’occupation de Misrata vers la
capitale, Tripoli. Pour cela, il faut
prendre Zliten, ville qui résiste depuis
plusieurs semaines aux bombardements et
tentatives d’incursions des forces
d’occupation. Les bombardements du 8
août, situés au sud de Zliten,
permettent ainsi d’ouvrir la voie vers
Tripoli. Ils sont couplés aux
bombardements du port de Zliten (au
nord), et dévoilent une stratégie
d’encerclement de la ville. Au nom de
cette tactique militaire, l’OTAN
s’autorise à tuer femmes et enfants. Les
frappes ont délibérément visé des
populations civiles : 85 personnes sont
mortes, dont de nombreuses femmes et 33
enfants. 12 familles différentes ont été
touchées par ce massacre. Certaines
avaient fuit Misrata, devenue invivable
depuis que des groupes armés y sèment
l’anarchie et la terreur. Il s’agit du
plus important massacre de civils commis
par l’OTAN depuis le début de la guerre
contre la Libye.
Conduits dans l’après-midi sur les
lieux des bombardements, nous avons pu
constater le désastre. Tous les
villageois furent unanimes quant à la
nature des cibles des bombardements.
Celles-ci étaient uniquement civiles. «
Il n’y a aucune présence militaire dans
les environs ! », clamaient-ils en
cœur. D’après les villageois interrogés,
de nombreux civils sont morts alors
qu’ils étaient venus porter secours aux
victimes des premiers bombardements.
Comment expliquer que deux frappes aient
eu lieu à 23 h 30 et 23 h 45, puis une
dernière a 02 h 34 ? La réponse est
simple : l’Alliance a volontairement
ciblé les personnes venus secourir les
premiers blessés. L’OTAN souhaite ainsi
provoquer la déstabilisation
psychologique de la population et la
fracture de l’unité nationale.
Ces bombardements sont un message
clair à destination de la population
civile de Tripolitaine qui soutient
Kadhafi dans son écrasante majorité. Le
message consiste à faire entendre que
tout civil, toute famille, toute tribu
supportant Kadhafi est un ennemi de
l’Alliance et peut être visé à tout
moment. La tribu Amaim, habitant Majir,
le village visé, a clairement affiché
son engagement auprès de Kadhafi et
refuse toute incursion de groupe armé,
jurant ainsi de défendre son territoire
contre l’invasion étrangère. Ces
attaques de l’OTAN constituent donc des
crimes de guerre. Si ce massacre révèle
que l’OTAN a largement outrepassé le
mandat confié par les Nations Unies, il
dévoile également que le traitement de
l’information par la presse dominante
est tout aussi central dans la conduite
de l’agression armée menée par la
coalition.
La propagande
des médias impériaux
Les médias liés à l’OTAN ont dès le
jour même modifié la réalité des faits,
sous entendant qu’il s’agissait d’un
grotesque montage du gouvernement
libyen. Tandis que toutes les
affirmations de l’OTAN sont reprises
sans le moindre doute, le massacre
commis par l’organisation militaire a
été largement occulté. Ainsi, la
majorité des articles et reportages de
la presse impériale utilisèrent le terme
de « propagande » et les formules
« le régime de Kadhafi prétend que » ;
« selon les autorités libyennes » ;
etc.
Lors de la visite de la morgue, un « journaliste »
d’une grande chaîne de télévision
britannique a prétendu que les victimes
étaient décédées depuis plus de 12
heures. Il enjoignait ainsi un membre du
bureau de presse libyen ainsi que le
médecin responsable de la morgue, de
répondre à son insultante affirmation.
Il concoctait alors une stratégie de
désinformation en essayant d’obtenir un
aveu quant à la décomposition des corps,
cherchant ainsi à prouver qu’il
s’agissait d’une manipulation. Le «
journaliste » en question n’a bien
entendu aucune compétence médicale comme
le lui a fait remarquer le membre du
bureau de presse libyen. Il tentait
simplement de trouver un moyen de
dédouaner l’OTAN de ses crimes.
Les « journalistes » ont
également pu assister aux funérailles.
Ces dernières ont rassemblés plus de
1 000 personnes dont la détermination à
tenir tête à l’Alliance et à se
rassembler autour de Mohamar Kadhafi, ne
fut que renforcée. Le chef de la tribu
du village touché, Mohamad Idjmid al-Jash,
raconte que le cimetière pour enterrer
les victimes n’a pas été utilisé depuis
1911. « C’est la première fois en un
siècle que nous rouvrons ce cimetière.
Ce sont des martyrs comme leur
grands-pères ! ». À l’époque, leurs
ancêtres se sont battus contre
l’occupation italienne. L’armée
italienne utilisait exactement les mêmes
pratiques de bombardements intensifs,
ces derniers étant à l’origine de cette
doctrine militaire.
Par ailleurs, les « journalistes
» présents ont utilisé tout au long
de la journée un téléphone satellitaire
afin de communiquer avec leurs
supérieurs liés aux forces armées. Ces
communications ont deux utilités.
Premièrement : signaler à l’OTAN les
conséquences des frappes sur place et ce
qui se déroule en temps réel.
Deuxièmement : recevoir les instructions
de leurs supérieurs pour établir la
stratégie du traitement médiatique du
massacre : nier ; minimiser ; affirmer
que c’est une propagande. La stratégie
sera alors la même pour l’ensemble des
médias impériaux.
Les événements ici relatés démontrent
que le journalisme de guerre, tel qu’il
est pratiqué lors des missions de
l’OTAN, ne constitue pas seulement un
appui à la propagande de guerre. En
particulier dans le cas de la guerre en
Libye, les médias ne se suffisent pas
d’éviter toute considération politique,
juridique, morale ou sociale quant aux
agressions illégales et inhumaines
perpétrées par l’OTAN contre des
populations civiles. Ils assistent
également les forces armées en tant
qu’office de liaison direct avec le
commandement des opérations, voire
directement avec des entités politiques
ayant des intérêts dans le conflit. Dés
lors, ces médias ne peuvent plus être
considérés comme des organisations à but
informatif mais comme faisant
intégralement partie du système de
domination impériale. La responsabilité
de ces derniers dans la guerre de Libye
est centrale et ne trouve aucune
justification.
Néanmoins et malgré la propagande
impériale et la violence des agressions
de l’OTAN envers la population libyenne,
le peuple libyen résiste toujours. Comme
l’a déclaré le porte parole libyen,
Moussa Ibrahim, face aux journalistes à
Majir « Comment un régime isolé dont
les gens ne veulent pas pourrait-il être
assez résistant pour rester debout face
à l’OTAN, face au pouvoir de l’OTAN,
face aux rebelles armés, à l’embargo
maritime, à la zone d’exclusion
aérienne, au gel des avoirs, à la guerre
diplomatique ? Quel type de régime
surhumain et isolé peut faire ça ? Nous
pouvons faire ça : rester résistant,
parce que le peuple, ces gens, sont avec
nous ! Arrêtez les mensonges ! Arrêtez
la désinformation ! Transmettez la
vérité ! »
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