Les Accords d'Oslo : le cadre de construction et d'exercice
du pouvoir de l'élite palestinienne
A) Les Accords d'Oslo comme réactualisation du Plan Allon
Un examen du contenu des Accords d'Oslo, signés à Washington le
13 septembre 1993 et des nombreux accords intérimaires qui
s'ensuivent (Accords du Caire, Protocole de Paris, Accords dits
de « Gaza-Jéricho », Accords dits « Oslo II », Protocole sur
Hébron…) permet de définir le cadre général d'exercice du
pouvoir et les prérogatives de la nouvelle Autorité
palestinienne. Avant d'entrer dans les détails des textes, il
convient de noter en préalable que contrairement à ce qu’a pu
affirmer un certain consensus majoritaire à l'époque, les
Accords d'Oslo ne sont pas des accords « équilibrés », qui
auraient signifié, pour les deux parties des « sacrifices »
équivalents.
Négociés dans un rapport de forces très défavorable à la partie
palestinienne, avec entre autres l'isolement diplomatique et
économique de l'OLP, l'absence de mobilisation populaire sur le
terrain et la toute-puissance des Etats-Unis sur la scène
internationale après la chute de l'URSS et la Guerre du Golfe,
les « Accords de paix » sont avant tout l'expression d'une
défaite du mouvement national palestinien, au regard des
revendications qu'il portait depuis les années 70 et des
aspirations de la population palestinienne.
Je m'appuierai ici sur la thèse de Gilbert Achcar selon laquelle
le processus d'Oslo (entendu comme la somme des divers accords mentionnés plus haut) n'est en réalité que la
réactualisation d'un projet datant de 1967, le Plan Allon,
du nom du Général travailliste qui l'a élaboré, Ygal Allon.
L'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza a
posé, dès 1967, un problème fondamental à Israël, dans la
mesure où cet Etat se définit simultanément comme « Etat
juif » et « Etat démocratique ». L'intégration de près de
deux millions de Palestiniens à la zone d'exercice de la
souveraineté israélienne a eu comme principale conséquence
de mettre en contradiction les deux termes énoncés
ci-dessus. Soit l'Etat renonçait à son caractère « juif » en
attribuant la citoyenneté aux Palestiniens de Cisjordanie,
de Gaza et de Jérusalem, soit l'Etat renonçait à ses
prétentions « démocratiques » en maintenant toute une partie
de la population sous son autorité dans une situation de
sous-citoyenneté. Personne n'envisageant sérieusement, dans
l'establishment sioniste, de donner la nationalité
israélienne aux Palestiniens des territoires occupés, le
choix a été fait de gérer ces zones et leurs populations
sous un mode proche du colonialisme classique. Mais chacun
avait conscience que cette solution n'était pas viable sur
le long terme. Deux conceptions s'affrontèrent alors.
La première, prônée au départ par une majorité du Likoud et
défendue notamment par le Général Ariel Sharon, consistait à
maintenir l'occupation militaire le plus longtemps possible
et, en réprimant sévèrement le mouvement national, en
empêchant l'émergence de toute structure locale de pouvoir,
en se saisissant de terres via la colonisation et en
expropriant de plus en plus de Palestiniens, à contraindre
le plus possible d'habitants arabes à quitter les
territoires occupés. Ce « transfert de population », qui
devait en outre faire partie de tout éventuel accord
international à venir, permettait de résoudre le « problème
démographique » tout en assurant la souveraineté aux
Israéliens sur l'ensemble de la Palestine du mandat
britannique. Dans les années 1980, Sharon aimait à dire que
l'Etat palestinien existait déjà, à l'est du Jourdain, et
que tous les Palestiniens qui aspiraient à vivre dans un
Etat indépendant et souverain pouvaient se rendre en
Jordanie.

Le plan Allon
La seconde option, prônée notamment par les Travaillistes,
s'est incarnée dans le Plan Allon. La philosophie générale
du Plan Allon était de résoudre la contradiction énoncée
plus haut en prenant acte du fait que, contrairement à ce
qui s'était passé en 1947-1948, les Palestiniens ne
quitteraient pas leurs terres pour les Etats voisins. Pour
Allon, la solution consistait donc en l'évacuation, par
Israël, des zones palestiniennes densément peuplées
(agglomérations de Cisjordanie et intégralité de la bande de
Gaza) et au renoncement à toute prétention de souveraineté
sur ces zones, tout en annexant à l'Etat juif le reste de la
Cisjordanie et en contrôlant les « frontières » de Gaza. Des
enclaves palestiniennes seraient ainsi établies, avec un
statut qui resterait à définir (placées sous souveraineté
jordanienne ou exerçant une forme ou une autre
d'auto-administration avec des attributs de souveraineté
très limités), permettant à Israël de résoudre simultanément
le problème démographique et le problème démocratique tout
en étendant au maximum sa superficie. Ce plan impliquait lui
aussi de maintenir l'emprise militaire sur la Cisjordanie et
Gaza le plus longtemps possible, « une occupation prolongée
et un processus d'annexion par réquisition de terres et
création d'implantations, de manière à occuper physiquement
le territoire qu'il visait à acquérir de manière définitive
» 1 (voir carte ci-contre et
ici).
Le plan Allon, beaucoup plus réaliste et beaucoup plus
acceptable par la « communauté internationale », dont l'Etat
d'Israël est totalement dépendant du point de vue financier,
a fini par être adopté par la majorité de l'establishment
sioniste. « Le plan des travaillistes s'est ainsi imposé de
fait comme ligne de conduite fondamentale de l'Etat sioniste
dans les territoires de 1967, même sous le Likoud qui, bien
que l'ayant amendé à sa façon, n'en a pas moins renforcé les
dispositions essentielles » 2. La colonisation,
les annexions, la construction du réseau routier se sont
inscrites dans ce cadre général, les gouvernements
israéliens sachant que, tôt ou tard, le moment viendrait où
il faudrait aboutir à une solution négociée. La combinaison
de l'Intifada et des pressions de l'administration Bush, en
quête de légitimation de son hégémonie sur « nouvel ordre
mondial » et de stabilité dans le monde arabe, a amené
Israël à « s'asseoir à la table des négociations » et à
imposer à la partie palestinienne une version à peine
modifiée du Plan Allon.
Comme indiqué plus haut, l'une des dispositions qui n'était
pas précisée dans le plan original était le statut exact des
enclaves palestiniennes et l'autorité à qui serait
transférée la souveraineté sur ces zones. Avec les
négociations secrètes d'Oslo qui débouchent sur les Accords
du même nom, Rabin et Pérès font le choix d'en appeler à
l'OLP-Tunis qui répond de leur point de vue à trois
exigences :
- être suffisamment affaiblie financièrement et
politiquement pour accepter des accords aussi défavorables à
la partie palestinienne
- avoir la légitimité suffisante dans les territoires
occupés pour les faire accepter à la population
- disposer de l'appareil bureaucratico-militaire nécessaire
à leur mise en oeuvre.
B) L’Autorité palestinienne
a) L'Autorité palestinienne : structures et compétences
La Déclaration de principes (DOP), dite « Accords d'Oslo »,
signée le 13 septembre 1993, indique que le processus de
négociation qui s'ouvre a notamment pour objectif «
[d']établir une Autorité palestinienne intérimaire autonome
(...) pour les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande
de Gaza » 3, à qui seront transférées
progressivement un certain nombre de compétences, en premier
lieu « éducation et culture, santé, protection sociale,
impôts directs et tourisme » 4. Ces compétences
seront transférées au « Conseil » (à l'Autorité
palestinienne) au fur et à mesure du redéploiement de
l'armée israélienne, qui commencera par évacuer la bande de
Gaza et la ville de Jéricho. Dans la DOP, est indiqué qu'un
accord intérimaire à venir « spécifiera la structure du
Conseil, le nombre de ses membres, et le transfert au
Conseil des pouvoirs et responsabilités du gouvernement
militaire israélien et de son administration civile » 5.
Les Accords du Caire, dits de « Gaza-Jéricho », signé le 4
mai 1994, précise que « l'Autorité palestinienne sera
composée d'un organe de 24 membres qui assurera la mise en
œuvre et sera responsable de tous les pouvoirs et
responsabilités législatifs et exécutifs qui leur seront
transférés (…) ainsi que l'exercice des fonctions
judiciaires » 6. L'Autorité est nommée par la
direction de l'OLP mais sa composition doit être approuvée
par Israël. Son domaine de compétence n'est pas élargi par
rapport à la DOP. C'est le 27 août 1995, dans le « Protocole
sur le transfert ultérieur des pouvoirs et des
responsabilités » que huit nouveaux domaines de compétence
sont ajoutés aux précédents, parmi lesquels l'agriculture,
le travail, le commerce et l'industrie, l'essence et le gaz…
Enfin, les seconds accords intérimaires, dit « Accords de
Taba » ou « Oslo II », « précise[nt] les compétences des
divers organes de l'Autorité et leur mode de désignation
(processus électoral) » 7. Les accords stipulent
que l'Autorité palestinienne issue des accords précédents et
nommés par la direction de l'OLP sera remplacée par une «
Autorité palestinienne d'autogouvernement intérimaire » (son
nom officiel, bien que rebaptisée par les Palestiniens «
Autorité Nationale Palestinienne »), composée d'un Conseil
élu et « d'un comité qui exercera l'autorité exécutive du
Conseil ». C'est l'Autorité en place qui est chargée
d'organiser les élections et de rédiger la loi électorale,
en consultation avec la partie israélienne. On peut noter,
avec Jean-François Legrain, qu'il est rappelé et confirmé
dans les Accords de Taba que « le Conseil n'a aucune
compétence en matière de politique étrangère (…), [et que]
seule l'OLP est habilitée à conduire des négociations et à
signer des accords pour le compte du Conseil dans les seuls
domaines économiques, culturels et scientifiques » 8.
Dans les faits, « l'Autorité palestinienne » est composée,
de 1994 à 1996, d'un Cabinet et d'un Président nommés par la
direction de l'OLP puis, à partir des élections du 20
janvier 1996, d'un Président et d'un Conseil législatif de
88 membres élus par la population palestinienne de
Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-est, le Président
proposant un gouvernement (cabinet) qui doit recevoir un
vote de confiance du CLP. Il n'y aura pas de Premier
Ministre avant la réforme de la loi fondamentale
palestinienne en mars 2003 et la nomination de Mahmoud Abbas
(Abu Mazen).
La composition, la structuration et les prérogatives de
l'Autorité palestinienne sanctionnent deux phénomènes : le
rapport de forces défavorable aux Palestiniens et le
monopole du pouvoir palestinien entre les mains du noyau
dirigeant de l'OLP-Tunis. S'exprime en effet, dans le
contenu de ces textes, le déséquilibre en défaveur des
Palestiniens : leurs compétences et leurs marges de manœuvre
dans l'exercice du pouvoir sont réduites et l'ensemble de
leurs décisions (nominations, lois…) sont soumises à
l'approbation israélienne. Mais il faut également noter
qu'au sein de ce rapport de forces dé-séquilibré, les textes
entérinent le fait que le monopole du pouvoir palestinien
est dans les mains de l'extérieur puisque c'est bel et bien
la direction centrale de l'OLP-Tunis, celle-là même qui
conduit les négociations, qui est chargée de nommer les
membres de l'exécutif et de proposer un calendrier électoral
et le mode d'organisation des élections. Près de deux ans et
demi s'écoulent entre la Déclaration de Principes et les
premières élections dans les territoires palestiniens. Rien
n'est précisé quant aux structures locales de pouvoir qui
existaient avant l'ensemble des accords du processus d'Oslo
(municipalités, gouverneurs de districts notamment) : leurs
responsables seront directement nommés par le Président
jusqu'aux élections municipales de 2005. Notons enfin que le
fait que l'Autorité palestinienne n'ait formellement aucune
compétence dans le domaine de la politique étrangère et des
négociations avec Israël, s'il s'agit avant tout d'une
exigence israélienne qui refuse de donner à l'Autorité les
prérogatives d'un Etat, participe du monopole sur les étapes
du « processus de paix » d'une équipe restreinte de
négociateurs non élus par la population.
b) La souveraineté territoriale
À aucun moment, dans les accords, n'est évoqué un « retrait
» de l'armée israélienne de l'ensemble des territoires
occupés. Le « retrait » est mentionné lorsque l'on parle de
zones précises (bande de Gaza, Jéricho), tandis que sinon le
terme utilisé est « redéploiement ». La DOP évoque le
retrait de la bande de Gaza et de Jéricho, les Accords du
Caire (mai 1994) précisent les modalités de ce retrait
tandis que les Accords de Taba (septembre 1995) divisent la
Cisjordanie en trois zones (zone A, zone B et zone C) et
indiquent que le redéploiement israélien en Cisjordanie se
fera en trois étapes dans le cadre d'un processus négocié.
Un accord spécifique sur Hébron sera signé en janvier 1997.

Accords d'Oslo II
Après les Accords du Caire, Israël évacue environ 80% de la
bande de Gaza et, alors que les Palestiniens revendiquent
l'évacuation de l'ensemble de la zone qui constituait le
district de Jéricho à l'époque de l'Administration
jordanienne (un peu plus de 200 km2), Israël ne leur
transfère qu'une zone d'un peu plus de 60 km2. Les Accords
de Taba créent des zones dans lesquelles l'Autorité
palestinienne est en charge des questions civiles et de
sécurité (zones A), des zones dans lesquelles l'Autorité
n'est en charge que des questions civiles, la sécurité
restant du domaine d'Israël (zones B) et des zones dans
lesquelles l'Autorité ne jouit que de pouvoirs limités dans
le domaine civils (pouvoirs « qui ne seront pas liés au
territoire »), le reste des questions demeurant de la seule
responsabilité d'Israël (zones C) (Articles 10 et 11). Les
zones A représentent un peu moins de 3% de la Cisjordanie
(les villes palestiniennes, c'est à dire Jénine, Tulkarem,
Kalkylia, Naplouse, Ramallah, Bethléem et, après 1997, 80%
d'Hébron), les zones B environ 23% de la Cisjordanie
(environ 440 villages et leurs terres avoisinantes) et les
zones C 74%. Après de nombreux reports de calendrier et en
contradiction avec les accords intérimaires, le dernier
redéploiement israélien a lieu en mars 2000. À son terme,
18% de la Cisjordanie est en zone A, 22% en zone B et 60% en
zone C 9 (voir carte ci-contre et
ici).
La « juridiction territoriale » de l'Autorité palestinienne
est définie dans l'article 5 des Accords du Caire (mai 1994)
: « [elle] inclut le sol, le sous-sol et les eaux
territoriales » de Gaza et Jéricho puis, après les Accords
de Taba (septembre 1995) et les divers redéploiements, des
zones A. L'espace aérien reste sous contrôle israélien, de
même que les routes reliant entre elles les différentes
zones A, dans la mesure où elles passent par des zones B et
C. À plusieurs reprises est évoqué dans les négociations
l'établissement de deux « passages sûrs » entre la
Cisjordanie et Gaza, c'est à dire de routes qui relient les
deux entités géographiques et qui peuvent être empruntées
par les Palestiniens (sous contrôle israélien). « Le "
Protocole concernant le passage sûr entre la Cisjordanie et
la bande de Gaza " est signé le 5 octobre 1999. Le passage
sud n'est ouvert que le 25 octobre 1999 ; fin 2000, le
passage nord n'est toujours pas ouvert » 10. En
2008, il ne l'est toujours pas.
Le nouveau pouvoir palestinien est confronté à quatre
difficultés majeures. En premier lieu, Israël ne respecte
pas les étapes prévues dans les accords intérimaires pour
les différents moments du redéploiement, que ce soit du
point de vue du calendrier ou de l'espace qui passe
effectivement sous autorité palestinienne. En second lieu,
quand bien même Israël aurait respecté ces étapes, il ne
s'agit en aucun cas d'un retrait total de la Cisjordanie et
de Gaza (la question des colonies est renvoyée à des
négociations ultérieures), retrait total qui était au cœur
des préoccupations de la population des territoires occupés
et des structures de commandement de l'Intifada. En
troisième lieu, la poursuite (et même l’accélération) de la
colonisation des territoires occupés réduit considérablement
la future « zone de souveraineté » palestinienne et
délégitime rapidement la direction de l'Autorité
palestinienne. Enfin, les zones qui passent sous son
autorité, notamment en Cisjordanie, sont très fragmentées et
isolées les unes des autres. Loin de faciliter la tâche de
la nouvelle administration, cette fragmentation est un
obstacle majeur pour la construction de l'Autorité
palestinienne : comment assurer la continuité du pouvoir
quand il n'y a pas de continuité territoriale ?
c) L'économie
La DOP et le « Protocole de Paris sur les relations
économiques » sont les deux documents qui posent les
principes des relations économiques entre Israël et les
zones autonomes palestiniennes et les organisent. Il
convient de noter que c'est dans le domaine économique que
l'unanimité entre les deux parties est la plus manifeste. «
À son retour de Paris, Peres fit savoir que " les
Palestiniens sont aujourd'hui d'accord avec [Israël] pour
créer une économie de marché, avec la libre circulation des
biens et le libre-échange entre [les deux parties] ", tandis
que Nabil Shaath, responsable de la délégation de l'OLP,
s'extasiait du fait que la Déclaration de Principes
signifiait " une paix totale avec Israël, avec des
frontières complètement ouvertes " qui allait " créer, avec
Israël, une communauté économique dans tout le Moyen-Orient
" » 11. Négocié pour la partie palestinienne par
une délégation conduite par Ahmad Qoreï (Abu Ala),
responsable de la Samed (l'organisme financier de l'OLP), le
Protocole de Paris détaille de manière précise les règles de
fonctionnement économique entre Israël et l'Autorité
palestinienne. Formellement, il donne à l'Autorité
palestinienne le droit de décider elle-même de ses
politiques d'importation et d'exportation pour un certain
nombre de marchandises (avec des restrictions sur d'autres),
ainsi que le droit, dans le domaine financier, d'établir sa
propre autorité monétaire et d'organiser le système
bancaire. Un Comité économique conjoint est créé pour
superviser l'ensemble des questions économiques.
La majorité des analystes s'accordent pourtant à dire que le
Protocole de Paris, loin de donner à la partie palestinienne
les moyens de l'autonomie et la possibilité de s'émanciper
de la domination économique israélienne, entérine le fait
que l'économie des territoires palestiniens est subordonnée
à l'économie d'Israël. En faisant de la « loi du marché » et
de la « libre entreprise » la règle de fonctionnement des
relations économiques entre Israël et les zones autonomes
palestiniennes, les arrangements économiques imposent en
fait la loi de la libre concurrence entre une économie
moderne et dominante et une économie dominée et déformée par
plus de 20 ans d'occupation militaire.
Le débat, chez les économistes palestiniens, ne porte pas
sur cette relation inégalitaire structurelle, ni sur le fait
que la « petite » économie palestinienne ne pèsera pas lourd
face à l'économie israélienne, elle-même intégrée au
processus de mondialisation économique. Il s'agit plutôt de
savoir si cette intégration « officielle » à l'économie
israélienne mais dans laquelle la partie palestinienne a
formellement un certain nombre de marges de manœuvre qu'elle
n'avait pas auparavant va permettre, avec le temps, d'aider
au développement économique des zones autonomes. Tandis que
certains pensent que l'établissement d'une zone de
libre-échange et le retour de la stabilité dans la région
vont favoriser les investissements étrangers dans les
territoires palestiniens (y compris les investissements
israéliens), vont progressivement renforcer le poids
économique de ces derniers et donc changer la nature des
relations avec l'économie israélienne, d'autres affirment
que « le rôle du capital palestinien [sera] moins celui d'un
compétiteur que celui d'un partenaire subalterne de
l'expansionnisme économique israélien » 12.
Dans le domaine économique comme dans les autres domaines,
la partie palestinienne est dans un rapport de forces très
défavorable face à Israël. Le Comité économique conjoint est
dominé par Israël qui, à de nombreuses reprises, utilisera
son droit de veto pour invalider certaines décisions
palestiniennes, l'inverse ne se produisant jamais. Les
dirigeants palestiniens se plaindront à de nombreuses
reprises du non-respect par Israël de plusieurs dispositions
de l'accord et demanderont la révision de certains de ses
termes, démarches qui n'aboutiront jamais. Mais, même au
sein de cette relation déséquilibrée, il est essentiel de
noter, de nouveau, que les négociateurs palestiniens
obtiennent un certain nombre de dispositions qui leur assure
la prééminence dans le volet « économie » de la construction
de l'autonomie.
En premier lieu, ils sont les interlocuteurs de l'économie
dominante, ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas de
relations directes entre entrepreneurs privés palestiniens
et entrepreneurs israéliens mais qu'à l'échelle nationale
ils sont les seuls dépositaires de l'autorité à négocier
avec le pouvoir israélien.
En second lieu, il convient de noter qu'une contradiction
existe entre l'idée d'une économie de marché où règne la
libre entreprise et le nombre d'attributions dans le domaine
économique dont bénéficie la direction de l'Autorité
palestinienne. On peut parler d'une économie dont le
caractère libéral n'est que très relatif et sous l'étroit
contrôle de l'Autorité palestinienne.
Enfin, la direction de l'Autorité hérite du monopole sur la
redistribution des taxes reversées par Israël (sur les
importations et sur les salaires des Palestiniens employés
en Israël) et sur les aides internationales (estimées par
la Banque Mondiale à 2,45 milliards de dollars entre 1993 et
1998), une manne financière considérable au regard de la
situation économique des territoires occupés.
Tous ces éléments créent un terrain favorable à la mise en
place d'un système politique et de relations économiques
dans lesquels la corruption et le clientélisme jouent un
rôle central.
d) La sécurité
Les questions de sécurité occupent une place prépondérante
dans l'ensemble des accords signés au cours du processus
d'Oslo. Dès la Déclaration de principes il est indiqué «
[qu']afin de garantir l'ordre public et la sécurité interne
des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, le
Conseil [l'Autorité palestinienne] établira une puissante
force de police » 13. Les Accords du Caire
précisent « les devoirs, fonctions, structure, déploiement
et composition de la police palestinienne » 14 et
établissent « un Comité conjoint de coordination et de
coopération pour les questions de sécurité mutuelle »
15, coopération qui se matérialisera sur le terrain,
par exemple, par la mise en place de « patrouilles jointes »
dont les modalités d'exercice sont précisément définies
16. Les accords indiquent également « [qu'] Israël et
l'Autorité palestinienne chercheront à entretenir la
compréhension et la tolérance mutuelles » 17 et
plus loin « [que] la partie palestinienne prendra les
mesures nécessaires pour empêcher tout acte d'hostilité à
l'encontre des implantations, des infrastructures les
desservant et de la Zone d'installation militaire » 18.

Forces de sécurité palestiniennes
Les Accords du Caire fixent à 9000 le nombre maximum de
policiers palestiniens « recrutés localement ou à l'étranger
(parmi les Palestiniens possédant un passeport jordanien ou
un pièce d'identité palestinienne émise par l'Egypte) »,
limitant à 7000 le nombre de recrues de l'extérieur, « dont
1000 arriveront dans les trois mois qui suivent la signature de l'accord » 19. Les Accords de
Taba font passer le nombre total de policiers à 24 000
(18 000 à Gaza et 6 000 en Cisjordanie) et indique que 6
000 policiers supplémentaires pourront être installés en
Cisjordanie au fur et à mesure du redéploiement
israélien 20. Il formule en des termes précis
les obligations de la police palestinienne, qui doit
entre autres « agir systématiquement contre toute
incitation au terrorisme et à la violence [chez les
Palestiniens] », « arrêter et traduire en justice toutes
les personnes [palestiniennes] suspectées de perpétrer
des actes de violence ou de terrorisme », « confisquer
toute arme illégalement détenue [par un civil
palestinien] » et « coopérer pour échanger les
informations et coordonner ses activités et ses
politiques » avec les services de sécurité israéliens
21. L'article 4 de l'annexe 1 précise en
outre que la police palestinienne doit être divisée en
six branches, coordonnées entre elles dans chaque zone
autonome et sous un commandement unique.
À la lecture des dispositions concernant les questions
sécuritaires, quatre constats s'imposent.
Premièrement, les accords demandent à l'Autorité
palestinienne non seulement de se conformer aux
engagements pris par Yasser Arafat dans la lettre
envoyée à Itzhak Rabin en septembre 1993 quant à «
l'arrêt des violences » contre Israël mais aussi de
l'imposer, y compris par la force, dans l'ensemble des
territoires qui sont sous sa responsabilité. Il s'agit
là d'une condition pour que les négociations
progressent.
Deuxièmement, le nombre de policiers fixé par les
accords est très élevé par rapport au nombre
d'habitants. Deux conséquences sont à prévoir : une
place démesurée des forces armées dans la construction
du pouvoir palestinien et une place très importante de
ces forces par rapport au nombre total d'emplois
rémunérés en Palestine. On peut par ailleurs noter que
ce nombre, déjà élevé, sera très rapidement dépassé sans
qu'Israël ne proteste outre mesure. À la veille de le
deuxième Intifada, on estime que le nombre total de
membres des diverses forces de sécurité est compris
entre 60 000 et 70 000 (estimation d'Hussam Khadr, élu
au Conseil législatif palestinien, qui rejoint la
plupart des estimations des différents travaux de
recherche sur la question).
Troisièmement, la taille et la multiplication des
services (au moins six d'après les accords, mais plus de
vingt selon certains travaux), combinées à la
fragmentation géographique et à l'arrivée de plusieurs
milliers d'hommes de l'extérieur, peuvent entraîner des
conflits entre les divers organes et des difficultés à
avoir une action coordonnée au niveau central.
Enfin, la centralité des questions sécuritaires, la
taille de l'appareil mis en place (avec l'accord
d'Israël), le fait qu'Israël autorise (et dans une
certaine mesure recommande) que des Palestiniens de
l'extérieur soient largement impliqués dans les forces
de sécurité indiquent clairement que le gouvernement
israélien voit dans le processus d'Oslo un moyen de se
décharger sur l'OLP-Tunis du maintien de l'ordre dans
les territoires palestiniens.
e) Synthèse
Les Accords d'Oslo, s'ils sont une conséquence indirecte
de l'Intifada, n'en sont pas pour autant l'aboutissement
logique. Ils sont au carrefour de quatre facteurs :
- la nouvelle situation internationale et la volonté
états-unienne d'imposer un « nouvel ordre mondial » qui
passe par un règlement de la question palestinienne et
une normalisation des relations entre Israël et les
Etats arabes.
- la volonté israélienne, dans le cadre de négociations
qui lui ont été imposées par les Etats-Unis, d'en tirer
un maximum de bénéfices du point de vue du projet
sioniste en donnant une légitimité internationale à la
politique qu'Israël mène depuis plus de vingt ans,
définie dans le Plan Allon.
- la longue quête de légitimité de la direction de
l'OLP-Tunis et son projet d'exercice du pouvoir sur «
toute portion de territoire libéré » de la Palestine du
mandat.
- le soulèvement palestinien de 1987 qui a rendu
visibles les revendications et les aspirations de la
population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza et
rendu inévitable, sinon la fin de l'occupation
israélienne, du moins un changement significatif dans le
mode d'administration des territoires occupés depuis
1967.
L'examen du contenu des Accords d'Oslo (et des divers
accords intérimaires qui ont suivi) révèle l'écrasante
domination des deux premiers acteurs (Etats-Unis et
Israël), la soumission du troisième (l'OLP-Tunis) et
l'exclusion du quatrième (la population des territoires
occupés) dans le processus de négociations.
Les éléments examinés ci-dessus aboutissent à la
formulation d'un certain nombre de questions :
- L'exclusion des Palestiniens « de l'intérieur » du
processus de négociations, si elle s'inscrit, comme on
l'a vu, dans une longue histoire de dépossession de
l'initiative et de la décision politiques de l'intérieur
par l'extérieur, ne va pas sans poser de nombreuses
questions quant à la construction de l'Autorité
d'autonomie. Quelle place sera accordée aux acteurs
palestiniens « de l'intérieur » ? La direction de
l'OLP-Tunis, qui a le monopole des négociations et qui
bénéficie de l'ensemble du pouvoir politique central
dans la construction de l'autonomie partagera-t-elle le
pouvoir ? Quelle perception aura la population
palestinienne de ces dirigeants qui arrivent de Tunis et
ont connu une histoire différente bien
qu'intrinsèquement liée à celle des habitants des
territoires occupés ?
- Le rôle dévolu à la nouvelle autorité d'autonomie
(maintenir l'ordre et gérer le quotidien des zones
autonomes) semble répondre à la prédiction formulée par
Ygal Allon plus de quinze ans avant les Accords d'Oslo :
« Bien sûr, si l'OLP cessait d'être l'OLP, nous
pourrions cesser de la considérer comme telle. Ou si le
tigre se transformait en cheval, nous pourrions
l'enfourcher » 22. Comment l'Autorité
palestinienne va-t-elle pouvoir gérer la contradiction
entre les aspirations de la population des territoires
occupés (la fin de l'occupation militaire) et la
situation d'indirect rule produite par les Accords
d'Oslo ?
- Le monopole du noyau dirigeant de l'OLP sur les
négociations avec Israël (dans tous les domaines) et sur
les ressources financières crée un terrain favorable à
la mise en place d'un vaste réseau de clientélisme et de
corruption. Quelle en sera la réalité ? Quel usage le
nouveau pouvoir palestinien va-t-il faire de ce monopole
dans le cadre de la construction et de la légitimation
de l'Autorité palestinienne ?
- Avec la concentration de l'essentiel du pouvoir
politique dans les mains du président et du gouvernement
palestiniens, quelle sera la place des structures
intermédiaires de pouvoir (municipalités, gouvernorat)
et de la seule structure nationale élue par la
population (le Conseil législatif palestinien) ? Quels
rapports entretiendra le pouvoir central avec ces autres
centres de pouvoir ?
- Quelle place sera accordée aux forces politiques
critiques ou opposées aux Accords d'Oslo ? Comment le
nouveau pouvoir va-t-il se comporter vis-à-vis de ces
forces dans la mesure où l'une de ses tâches est de
contenir toute manifestation d'hostilité à l'égard
d'Israël et/ou du processus de paix ?
- Quelle politique vis-à-vis des structures «
traditionnelles » de pouvoir dans la société
palestinienne, et notamment les grandes familles de
notables qui, bien qu'affaiblies, représentent, par leur
influence locale, un défi pour la mise en place d'un
pouvoir central, défi renforcé par la fragmentation
géographique imposée par les Accords d'Oslo ?
- Enfin, et de manière plus générale, la contradiction
entre ce qui fait la légitimité de la direction Arafat
vis-à-vis de la communauté internationale (son
engagement à faire cesser la violence et à être partie
intégrante du « règlement » de la question
palestinienne) et vis-à-vis des Palestiniens des
territoires occupés (incarner la lutte contre
l'occupation et la résistance contre Israël) est-elle
surmontable ?
Notes
1. Gilbert Achcar,
L’Orient incandescent, Lausanne, Editions Page Deux,
2003, p. 278.
2. Ibid., p. 279.
3. Déclaration de principes
sur les arrangements intérimaires d’autogouvernement
(DOP), article 1.
4. Ibid., article 6.
5. Ibid., article 7.
6. Accords du Caire,
article 4, alinéa 1.
7. Jean-François Legrain, “
Retour sur les Accords israélo-palestiniens ”, dans
Maghreb-Machrek n° 170, pp. 96-125.
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Ibid.
11. Graham Usher,
Dispatches From Palestine, The Rise and Fall of the Oslo
Process, Londres, Pluto Press, 1999, p. 43.
12. Graham Usher,
Palestine in Crisis, The Struggle for Peace and Political
Independance After Oslo, Londres, Pluto Press, 1995, p.
41.
13. DOP, article 8.
14. Accords du Caire,
articles 3 et 9 de l’annexe 1.
15. Ibid., article 8.
16. Ibid., article 3
de l’annexe 1.
17. Ibid., article 12.
18. Ibid., article 18.
19. Ibid., article 3
de l’annexe 1.
20. Ibid., article 4
de l’annexe 1.
21. Ibid., article 2
de l’annexe 1.
22. Cité par Achcar, op.
cit., p. 280.