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S'ils
vendent le droit au retour, il y aura une troisième Intifada »
Réfugiés palestiniens : la question-clé.
Entretien avec Munther Ameera.
Julien Salingue
Mardi 13 mai 2008
Munther Ameera est le directeur du Centre d’Activité pour la
Jeunesse du camp de réfugiés d’Aïda, près de Béthléem. Il est le
principal coordinateur des initiatives prises par les divers
comités et associations de réfugiés de la région de Béthléem à
l’occasion du soixantième anniversaire de la Nakba.
A quelques kilomètres d’ici on célèbre actuellement les 60
ans de la naissance de l’Etat d’Israël. Ici les Palestiniens
commémorent le soixantième anniversaire de la « Nakba ». Que
signifie ce terme et quelle est son actualité ?
En arabe la Nakba signifie la « Catastrophe ». Car pour le
peuple palestinien la naissance de ce qu’ils appellent
aujourd’hui Israël a été un désastre. Sous la menace des milices
armées juives, qui commettaient de véritables massacres, comme à
Deir Yassin1, plus de 800 000 Palestiniens, soit plus
de 80% de ceux qui vivaient dans la zone qui est devenue l’Etat
d’Israël, ont dû tout abandonner et fuir leurs maisons. Ils
n’ont jamais pu rentrer chez eux. 60 ans plus tard, il y a 4.5
millions de réfugiés palestiniens enregistrés à l’UNRWA2.
Mais on estime que le total des réfugiés, des déplacés et de
leurs descendants avoisine les 7 millions.
La plupart des réfugiés vivent dans des camps, en Cisjordanie et
à Gaza, mais aussi en Jordanie, au Liban ou en Syrie. Ils vivent
dans des conditions très difficiles et ici, ils sont les
premières victimes de la répression israélienne. Prenez un camp
comme Aïda : sur 4500 habitants, plus de 350 ont été arrêtés
depuis septembre 2000 ; les incursions israéliennes sont
incessantes ; nous sommes encerclés par les postes militaires
israéliens et par le mur… Nous n’acceptons pas cette vie et nous
ne l’accepterons jamais.
Quel type d’initiatives organisez-vous à l’occasion des 60 ans
de la Nakba ?
Il y a beaucoup d’initiatives, partout en Palestine, mais aussi
dans les camps de l’extérieur. Elles sont de deux types :
certaines s’adressent aux réfugiés eux-mêmes et d’autres au
reste du monde et à la communauté internationale.
Pour ce qui est du premier type, il s’agit essentiellement de
faire un travail de mémoire vis-à-vis des jeunes générations. Ce
travail est fait en permanence mais à l’occasion des 60 ans nous
avons multiplié les initiatives : dans les écoles, dans les
centres culturels, des discussions et des expositions sont
organisées pour expliquer aux plus jeunes l’histoire des
réfugiés. Nous avons édité des documents, des brochures… Ils
apprennent ainsi en détail l’histoire de l’expulsion, de l’exil,
mais aussi le fait que la plupart des terres et des villages
desquels leurs grands-parents ont été chassés sont toujours
inhabités, là-bas, en Palestine occupée, dans ce qu’ils
appellent aujourd’hui Israël.
Il y a aussi beaucoup d’initiatives du second type. Des
manifestations ont lieu, ici et dans les pays arabes, mais aussi
dans le reste du monde, en lien avec les autres associations de
réfugiés ou en soutien aux réfugiés. Nous organisons aussi des
actions plus symboliques : par exemple un drapeau palestinien de
27 000 m2 a été fabriqué en Syrie. Dans la zone de Béthléem,
nous avons fait une grande marche qui est partie du camp de
réfugiés de Dheisheh, passant par celui d’al-Azzah et qui a fini
ici, à Aïda. Les jeunes des camps ont construit ici un immense
portail, de 12 mètres de haut et une clé de 10 mètres de long et
de 2 tonnes3. La marche a transporté la clé jusqu’au
portail, symbolisant le retour dans nos foyers et nos terres.
Nous espérons aussi que cette clé rentrera dans le Livre
Guinness4. Le 15 mai une grane manifestation est
organisée à Ramallah.
En voyant tous ces préparatifs pris en charge par les plus
jeunes, un vieil homme du camp a dit : « Je suis sûr que
lorsque je mourrai il y aura des gardiens de nos droits, qui ne
les abandonneront jamais ».
Quel message que voulez-vous faire entendre au reste du monde ?
Notre message est très clair : le droit au retour des réfugiés
sur leurs terres est un droit inaliénable, individuel et
collectif, garanti entre autres par la résolution 194 de l’ONU.
Nous connaissons les textes, nous connaissons nos droits et
jamais nous ne les abandonnerons, pas plus que les générations
futures ne le feront.
Mais au-delà de la seule référence à la résolution 194, nous
voulons faire passer un second message : la question des
réfugiés n’est pas une question humanitaire mais une question
politique. Nous ne voulons pas être considérés comme des
assistés, à qui l’on donne de la nourriture et à qui l’on
propose de construire des maisons plus agréables, mais toujours
dans les camps. Non. C’est bien une question politique. Les
réfugiés sont la majorité du peuple palestinien et ils exigent
que leur voix soit entendue et que leurs droits soient intégrés
à tout « plan de paix ». Le droit au retour n’est pas
négociable. Sur la clé géante figure le message suivant : « Ceci
n’et pas à vendre ».
Justement Condoleeza Rice était aujourd’hui à Ramallah4,
où elle a rencontré Mahmoud Abbas, dans le cadre d’une série
d’entretiens visant à élaborer un « plan de paix ». D’après vous
quelle place les différents acteurs des négociations
accordent-ils à la question des réfugiés ?
Il n’y aura pas de « plan de paix » avec Condoleeza Rice. Ce que
nous proposent les Etats-Unis et Israël, c’est une « paix » sans
libération des prisonniers, sans droit au retour, sans
démantèlement des colonies et sans que le mur ne soit détruit.
Dans ces conditions il ne peut y avoir de paix. Les jeunes du
camp ont dessiné une fresque où figurent 3 enfants qui
représentent les réfugiés aujourd’hui. Le premier tient dans sa
main un livre, qui symbolise le fait que nous sommes cultivés,
que nous connaissons nos droits et notre histoire et aussi que
nous sommes prêts à prendre en main notre destinée, à gérer nos
propres affaires. Le second tient un rameau d’olivier, qui
indique que nous sommes prêts à vivre en paix avec nos voisins.
Le troisième a lui une pierre dans la main : cela signifie que
nous sommes prêts à nous battre jusqu’au bout si nos droits ne
sont pas satisfaits.
Abu Mazen [Mahmoud Abbas] et [le Premier Ministre] Salam Fayyad
savent qu’ils ne peuvent pas accepter que le droit au retour des
réfugiés soit sacrifié. Même Fayyad, que j’appelle le « bad guy
» et en qui nous n’avons guère confiance, a été contraint de
nous dire, lorsque nous l’avons rencontré, qu’il n’abandonnerait
pas les réfugiés. Et si jamais ils osent le faire, personne ici
n’acceptera la « paix » qu’ils nous proposeront. Croyez-moi si
une telle chose arrive, s’ils vendent le droit au retour ou
s’ils nous « oublient » dans les négociations, alors il y aura
une troisième Intifada. Ce sera l’Intifada des réfugiés.
Notes
1 Le 9 avril 1948, un commando de l’Irgun,
milice juive dirigée par Menahem Begin (futur Premier Ministre
de l’Etat d’Israël), attaque le village palestinien de Deir
Yassin. Plus de 150 civils seront massacrés. La nouvelle de
cette tuerie va pousser de nombreux Palestiniens à la fuite.
2 L’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for
Palestine Refugees in the Near East) est l’organisme de
l’ONU chargé de l’aide et de l’assistance aux réfugiés
palestiniens. Il a été créé en 1949. Son mandat, qui devait être
provisoire, a régulièrement été reconduit depuis.
3 Lorsqu’ils ont fui leurs villes et villages, les Palestiniens
pensaient qu’ils regagneraient leurs foyers rapidement. Beaucoup
d’entre eux n’ont emporté que quelques vêtements, ainsi que les
titres de propriété de leurs maisons et leurs clés. La clé, que
la plupart d’entre eux ont conservée, est devenue l’un des
symboles de la cause des réfugiés palestiniens.
4 Voir un article sur la manifestation
ICI et une vidéo
ICI.
5 L’entretien a été réalisé le 4 mai dernier.
NB : Entretien publié dans
Rouge N°2252 (15 mai 2008)
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