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« Leur indépendance, c'est notre Nakba »
Commémoration des 60 ans de la Nakba à
Béthléem, 8 mai 2008
Julien Salingue
Vendredi 9 mai 2008
Tandis que l'Etat d'Israël a amorcé aujourd'hui les célébrations
des 60 ans de sa Déclaration d'indépendance, les Palestiniens
ont de leur côté commencé à commémorer les 60 ans de la Nakba.
Ce mot arabe désigne la « Catastrophe » que représente pour eux
la naissance de l'Etat d'Israël, concrétisation du projet
sioniste d'établissement d'un Etat juif en Palestine. Dans un
territoire où les Juifs ne représentaient qu'une minorité de la
population, ce projet induisait l'expulsion, hors de frontières
du futur Etat d'Israël, du maximum de non-Juifs. Ce qui fut fait
entre 1947 et 1949, période durant laquelle plus de 800 000
Palestiniens ont dû fuir leurs terres, qu'ils n'ont jamais pu
regagner depuis.
L’Etat juif était né. Celui qui s’avance sur l’estrade pour
prendre la parole a vécu la Nakba. Nous sommes le 8 mai 2008,
dans le camp de réfugiés d’Aïda, près de Béthléem, il est un peu
plus de 13h30 et la manifestation touche à son terme. L’homme
est âgé, il s’approche péniblement de la tribune, prenant appui
sur sa canne, soutenu par un adolescent dont il est peut-être le
grand-père. Il commence à parler, d’une voix tremblante et
presque inaudible. Dans l’assistance, tout le monde se tait et
tend l’oreille. C’est alors que le vieil homme décide de se
saisir du micro qui est jusqu'à présent tenu par l'adolescent.
Mais pour y parvenir il doit se débarrasser d’un objet qui
encombre sa main droite. L'objet change de main et rejoint la
canne. Cet objet n’est pas fait de bois mais de métal. C’est une
clé.
Quelques dizaines de minutes auparavant une autre clé était
l’objet de l’attention de tous les participants à la
commémoration de la Nakba. Une clé gigantesque, d’une longueur
de 10 mètres, d’une hauteur atteignant 3 mètres et d’un poids de
2 tonnes. Au terme d’un périple de plusieurs kilomètres dans les
rues de Béthléem, cette énorme clé venait d’être déposée, sous
les applaudissements, au sommet d’un autre édifice monumental
conçu à l’occasion du soixantième anniversaire de la Nakba : un
portail en bois, baptisé « Portail du Retour », d’une douzaine
de mètres de haut, sur lequel les enfants des camps de la région
inscriront bientôt les noms des villages desquels leurs
grands-parents ont été chassés.
La clé est l’un des symboles de la cause des réfugiés
palestiniens. Comme le rappellent en effet ceux qui ont connu la
Nakba, ils n’envisageaient pas, à l’époque où ils ont dû fuir
leurs foyers, qu’ils ne les reverraient jamais. La plupart ont
donc quitté leurs maisons en y laissant l’essentiel de leurs
effets personnels et ont fermé la porte à clé, en imaginant
qu’ils reviendraient quelques semaines, ou au pire quelques mois
plus tard. 60 années se sont écoulées et nombre d’entre eux ont
conservé leur clé. Symbole d’une vie meilleure, avant l’exil et
les camps, symbole d’une maison et d’une terre qu’ils n’ont
jamais oubliées, symbole aussi du fait qu’ils n’ont pas renoncé,
bien au contraire, à revenir un jour dans leur pays.
Le défilé qui accompagnait la clé géante dans les rues de
Béthléem ne laissait planer aucun doute à ce sujet. 3
générations de réfugiés, les plus jeunes n’étant pas les moins
vindicatifs, entendaient en effet rappeler à qui ne voudrait pas
l’entendre que leur revendication essentielle n’avait pas changé
: le droit au retour. Les banderoles et panneaux brandis dans
les cortèges ne souffraient aucune ambiguïté : « Le droit au
retour est une ligne rouge politique qui ne peut être franchie
» ; « Le retour est un droit inaliénable et non négociable
» ; et, sur la clé elle-même, ces quelques mots, en anglais et
en arabe : « Ceci n’est pas à vendre ».
Le message est clair, et il a vocation à être entendu par tout
le monde, y compris par les dirigeants de l’Autorité
palestinienne. « Ceux qui négocient actuellement avec Israël
doivent savoir qu’il n’est pas question que nous abandonnions la
revendication du droit au retour », m’affirmait ainsi au
départ de la manifestation l’un des organisateurs de
l’événement, membre du Fatah. « Ceux qui pensent que nous
allons continuer à vivre dans des camps de réfugiés et nous
soumettre se trompent. Il n’y aura pas de paix sans droit au
retour. Nous reconnaître ce droit c’est tout simplement nous
rendre justice, et il ne peut y avoir de paix sans justice. Les
conventions internationales et les résolutions de l’ONU le
rappellent : les réfugiés palestiniens ont le droit de rentrer
chez eux », poursuivait-il, sous le regard approbatif d’un
militant du FPLP.
« Leur indépendance, c’est notre Nakba », proclamait
une autre banderole, suspendue au point de départ de la
manifestation. On est en effet conscient, dans les territoires
palestiniens, de l’importance et de l’écho international des
célébrations du soixantième anniversaire de la Déclaration
d’indépendance de l’Etat d’Israël. On sait que seront présents,
entre autres, Georges W. Bush et Nicolas Sarkozy. On espère
secrètement que l’intérêt politique et médiatique qui sera porté
aux cérémonies qui auront lieu à quelques kilomètres offrira la
possibilité aux réfugiés de faire entendre leur voix. Cependant
on sait également, à regret, que la population des camps a
beaucoup moins à offrir aux dirigeants des grandes puissances
que l’Etat d’Israël et que la route est donc encore longue avant
le retour à la maison.
Mais les réfugiés palestiniens sont ceux qui ont tout perdu. Ils
sont donc ceux qui n’ont plus rien à perdre. C’est ce qui permet
de comprendre pourquoi, lors de la première et de la deuxième
Intifada, ce sont eux qui se sont le plus massivement soulevés
et qui ont en conséquence le plus souffert de la répression
israélienne. C’est ce qui permet aussi de comprendre pourquoi ce
sont ceux qui sont les plus enclins à critiquer ouvertement, y
compris chez de nombreux membres du Fatah, les renoncements
successifs de la direction de l’Autorité palestinienne. C’est ce
qui permet enfin de comprendre pourquoi, 60 ans après la Nakba,
ils ont encore là, dans les rues de Béthléem et des autres
villes palestiniennes, à manifester pour exiger que leur voix
soit entendue et leurs revendications satisfaites.
60 ans après avoir été expulsé, il est là, debout sur l’estrade.
Il tient le micro d’une main tremblante. Il parle. Il dit
notamment sa joie de voir les jeunes générations perpétuer la
mémoire de la Nakba et reprendre le flambeau de la lutte. Mais
de nouveau on ne l’entend plus. Une demi-douzaine d’avions de
chasse israéliens passent dans le ciel, crachant de la fumée
bleue et blanche dans leur sillage. Un petit avant-goût du grand
spectacle qui sera organisé la semaine prochaine. Quand les
sifflets à l’attention des F16 se taisent, il reprend la parole.
Progressivement la colère monte et sa voix tremble de plus en
plus. Il dénonce tous ceux qui soutiennent Israël. Il dénonce
ceux qui taisent le sort des réfugiés palestiniens. Il dénonce
ceux qui veulent leur faire renoncer à leurs droits. Enfin,
brandissant la clé de sa maison, il termine en mettant au défi
quiconque de lui prouver qu’il n’a pas, là-bas, une terre qui
lui appartient et qui lui a été volée.
Son nom ? J’ai choisi de ne pas le dire. Cela n'aurait selon moi
pas beaucoup de sens. Le vieil homme du Camp d’Aïda est en
effet, comme tous les réfugiés palestiniens, à la recherche
d’une identité qu'on refuse de lui rendre, perdue il y a 60 ans,
quelque part, là-bas, dans ce qui s’appelle aujourd’hui Israël.
A VOIR : Vidéo de la manifestation de Béthléem
ICI.
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