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Comment le Premier Ministre palestinien a voulu
contraindre une population exsangue à « payer ses dettes »
Les étranges idées de Salam Fayyad (Episode
1)
Julien Salingue
Salam Fayyad Mercredi 7 mai 2008
Pourquoi le gouvernement de Salam Fayyad est-il aussi
contesté en Cisjordanie ? Question légitime. La réponse la plus
évidente semble être le fait qu'il ait entrepris de
définitivement désarmer la résistance palestinienne. Mais ce
n'est pas la seule. D'autres mesures qu'il a prises ou tenté de
prendre ont largement contribué à renforcer son impopularité,
déjà considérable lors de sa nomination en juin 2007. Voici
l'une d'entre elles. L’affaire s’est déroulée de janvier
à mars 2008. Elle n'a pas fait grand bruit ailleurs que dans les
territoires palestiniens. Mais dans les rues de Ramallah, de
Jénine ou d’Hébron, on en parle encore, avec un mélange de
colère, d’inquiétude et de soulagement en raison de son heureux
dénouement. « Heureux dénouement »… pour la population
palestinienne. Pas pour le gouvernement de Salam Fayyad.
A la mi-janvier, le gouvernement annonce une nouvelle qui se
répand comme une traînée de poudre dans les villes, villages et
camps de réfugiés palestiniens : à partir du 25 janvier, tous
ceux qui souhaiteront obtenir des papiers officiels de
l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie devront produire les
pièces justificatives prouvant qu’ils ont réglé leurs factures
d’eau, d’électricité et autres « services ». C’est l’Utility
Bill Clearance Law , qui, d’après les autorités, a pour
objectif de combler les 500 millions de dollars d’arriérés de
paiement des foyers palestiniens. Il n’y aura pas d’exception :
pour obtenir une carte d’identité, un passeport, un permis de
conduire, un certificat de naissance pour un nouveau-né, pour
immatriculer sa voiture, pour se marier… il faudra payer les
factures.
Chômage endémique (de 30 à 50% en Cisjordanie selon le mode de
calcul adopté), pauvreté grandissante (50% de la population sous
le seuil de pauvreté selon les chiffres officiels), inflation
galopante (le prix du pain a augmenté de 50% en un an, celui de
la farine et du riz de près de 100%), arriérés de salaires des
fonctionnaires (souvent un an de retard)… La situation
économique de la très grande majorité de la population
palestinienne est loin d’être reluisante. Mais ce n’est
visiblement pas le souci principal de Salam Fayyad. Le
porte-parole du Gouvernement et Ministre des Affaires Etrangères
Riyad al-Maliki déclare qu’il s’agit notamment, avec cette
mesure, « [de] se débarrasser de la culture du non-paiement,
d’habituer les citoyens à payer leurs dettes [et de]
réaliser l’égalité et la justice entre ceux qui paient et ceux
qui ne paient pas ».
Les protestations sont multiples. Des moniteurs d’auto-écoles et
chauffeurs de taxi (qui risquent de perdre leur outil de
travail…) aux fonctionnaires (notamment les enseignants, qui
menaçaient déjà de faire grève en raison des arriérés de
salaires et d’accords passés non respectés par le gouvernement),
en passant par les comités populaires des camps de réfugiés (les
plus pauvres parmi les Palestiniens), on marque son opposition à
la nouvelle mesure. De nombreux élus du Fatah au Conseil
Législatif font de même. L’un d’entre eux, Jamal Abu ar-Rub,
déclare ainsi que cette décision peut être assimilée à une «
punition collective ». Du côté des syndicats et des
organisations de gauche comme le FPLP, on n’hésite pas à accuser
le gouvernement de privilégier les intérêts des groupes privés
au détriment de ceux de la très grande majorité des
Palestiniens.
Il s’agit en effet, pour l’essentiel, de récupérer de l’argent
qui n’ira pas dans les caisses du gouvernement mais bel et bien
dans celles des grands groupes qui gèrent les services à la
population. Dans le cas de l’électricité par exemple, les deux
principaux groupes nationaux sont la Palestinian Electric
Company (PEC) et la National Electricity Company (NEC), dans
lesquelles les autorités « publiques » n’ont que de très maigres
parts. L’actionnaire principal de la PEC est la Consolidated
Contractors Company de Saïd Khoury1 et celui de la
NEC est la Padico de Munib al-Masri2 (également
actionnaire de la PEC). On pourrait naïvement se demander si ces
groupes ne sont pas en difficulté financière… Vérification
faite, non. A la fin du premier trimestre 2008, la PEC annoncera
des bénéfices de 2.73 millions de dollars, soit une progression
de 100% par rapport au premier trimestre 2007. Le résultat net
de Padico au 31 mars 2008 sera de 8.3 millions de dollars.
Pour la gauche, les syndicats, et nombre de responsables du
Fatah, les choses sont claires : Salam Fayyad, ancien haut
fonctionnaire de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire
International, applique sans complexe les préceptes du
néo-libéralisme en soutenant prioritairement le secteur privé,
quitte à plonger encore un peu plus la très grande majorité de
la population dans la misère. Certains font en outre remarquer
que le mesure est d’autant plus choquante qu’elle a été annoncée
environ un mois après la Conférence de Paris, au cours de
laquelle les pays donateurs ont promis environ 7.7 milliards
d’euros d’aide à l’Autorité Palestinienne, et que le
gouvernement lui-même n’a pas payé ses dettes en réglant les
arriérés de salaires des fonctionnaires.
Inflexible au début, Fayyad va progressivement céder du terrain.
Si Riyad al-Maliki dénonce au début du mois de février le «
manque de patriotisme » qui caractériserait certains
syndicalistes, des tentatives de conciliation vont être
organisées, notamment avec les représentants des réfugiés et
avec les syndicats de fonctionnaires. Le mouvement de ces
derniers inquiète particulièrement le gouvernement, car il porte
des revendications plus larges que la seule Utility Bill
Clearance Law, notamment sur les salaires, les retraites, ainsi
qu’une réévaluation des frais de transports et de nourriture. Un
médiateur est donc nommé, Rawhi Fattouh, membre du Fatah, haut
responsable de l’Autorité palestinienne, ancien président du
Conseil Législatif et ancien Président par intérim (il avait
assuré la transition entre Yasser Arafat et Mahmoud Abbas).
Plusieurs rencontres ont lieu entre Rawhi Fattouh et les
représentants des syndicats, notamment Jamil Shahada,
secrétaire général du syndicat des enseignants et Bassam Zakarna,
du syndicat des fonctionnaires. Fattouh s’engage à ce que le
gouvernement paye régulièrement les salaires, reconsidère le
montant des charges liées aux transports et adapte l’Utility
Bill Clearance Law afin de ne pas pénaliser trop durement les
fonctionnaires. Mais l’accord tarde à être signé, les salaires
ne sont toujours pas versés, le gouvernement multiplie les
déclarations contradictoires et la protestation ne faiblit pas,
avec d’importantes journées de grève en février et en mars.
Fayyad semble déterminé à ne pas abandonner une mesure pourtant
décriée dans l’ensemble des territoires palestiniens de
Cisjordanie. La « solution » va finalement venir d’ailleurs.
Plusieurs associations, syndicats et individus ont en effet dès
le mois de février déposé des recours devant la Haute Cour de
Justice palestinienne pour faire invalider le décret de Fayyad.
Le 31 mars, l’instance judiciaire rend un arrêt qui met un terme
à l’affaire de l’Utility Bill Clearance Law : la mesure est
considérée comme inapplicable et immédiatement suspendue. Fin de
l’acte.
Rawhi Fattouh
Fin de l’acte, ou presque. Le 6 avril, Rawhi Fattouh,
l’émissaire du gouvernement, présente des excuses publiques.
Mais pas à propos de la décision controversée de Fayyad, même
s’il l’avait lui aussi défendue, comme le reste de l’Autorité,
au nom de la nécessaire contribution de chacun à la remise en
marche de l’économie palestinienne, de la transparence
financière et de l’égalité entre les citoyens. Il s’excuse pour
une toute autre affaire : trois semaines plus tôt, à la
frontière avec la Jordanie, les autorités douanières ont en
effet saisi dans sa voiture environ 3000 téléphones portables,
qu’il avait l’intention de revendre au marché noir.
Notes
1 La CCC (Consolidated Contractors
Company) est une entreprise spécialisée dans la construction,
l’ingénierie et la fourniture d’énergie. Ses deux principaux
actionnaires sont Saïd Khoury et Hasib Sabbagh. Ce dernier est
membre du Conseil National Palestinien (CNP, « Parlement » de
l’OLP). Leurs fortunes étaient estimées en 2007 à respectivement
6 et 4.3 milliards de dollars.
2 La Padico (Palestinian
Development and Investment Company) est une holding possédant
des intérêts dans des domaines aussi divers que le tourisme,
l’industrie pharmaceutique, la finance, l’immobilier, l’élevage
de poulets, les télécommunications ou la production d’énergie.
Son principal actionnaire est Munib al-Masri. En 2007, sa
fortune était estimée à 1.62 milliards de dollars.
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