Opinion
La junte
militaire égyptienne attaque la sit-in
sur la place Tahrir
Johannes Stern
Le 1er
août, les troupes égyptiennes donnent
l’assaut contre les manifestants de la
place Tahrir
[Photo: Nora Shalaby]
Vendredi 5 août
2011
Lundi 1er août, l’armée égyptienne et
les tristement célèbres Amn a-Markazi
(Forces de sécurité centrale) ont
brutalement attaqué les manifestants
pacifiques sur la place Tahrir au Caire,
évacuant la place et mettant fin aux
protestations. Vers 14 heures, des
camions blindés se sont positionnés aux
entrées de la place et l’armée a
commencé à tirer des coups de semonces
en l’air.
La
place Tahrir avait été en grande partie
désertée par les groupes de manifestants
et les partis d’« opposition » officiels
qui avaient abandonné le sit-in
vendredi. Ceux qui étaient restés sur la
place étaient surtout des familles et
des partisans des martyrs – à savoir, de
manifestants tués durant les luttes
révolutionnaires qui avaient entraîné le
11 février l’éviction d’Hosni Moubarak
soutenu par les Etats-Unis.
Des témoins oculaires ont rapporté que
de jeunes manifestants avaient réagi par
des jets de pierres contre les soldats
et les policiers en civil qui étaient
arrivés sur la place Tahrir armés de
fusils automatiques. Durant le raid,
l’armée et les forces de sécurité ont
démonté les tentes et chassé les
manifestants de la place. Plusieurs
manifestants ont été blessés et la junte
a arrêté au moins 25 d’entre eux.
Lorsque l’armée a assiégé la place,
certains manifestants se sont enfuis en
se cachant dans la mosquée Omar Makram
près de la place Tahrir ; l’armée a
aussi commencé à attaquer la mosquée.
D’après des informations reçues,
quelques commerçants du centre ville du
Caire auraient été mobilisés par la
police contre le sit-in et se seraient
associés à l’attaque.
Un
manifestant appelé Galal a ainsi décrit
la scène : « Ils sont arrivés et ont
détruit les tentes alors que nous étions
dedans. Des femmes âgées et des mères de
martyrs se trouvaient parmi nous et ont
dû partir en courant. » Galal est un
membre de l’une des familles de martyrs
qui avaient commencé le sit-in il y a
quatre semaines après que la police eut
brutalement attaqué les manifestants
dans le centre ville du Caire en en
blessant plus d’un millier. Son frère
Nasser avait été tué en janvier devant
le commissariat de police dans le
quartier ouvrier d’Imbaba lors des
premiers jours du soulèvement de masse
contre le régime militaire.
Les chars
évacuent la place Tahrir [Photo:
Jonathan Rashad]
L’assaut renouvelé de l’armée sur la
place Tahrir, l’une des icônes de la
Révolution égyptienne, est
l’aboutissement d’une contre-révolution
organisée après que les travailleurs et
les jeunes eurent renversé en février le
dictateur de longue date Hosni Moubarak.
Ces dernières semaines, la junte
militaire, soutenue par les Etats-Unis,
a collaboré avec tous les groupes et
partis d’« opposition » officiels en
Egypte pour arrêter une vague massive de
protestations et de grèves qui s’est
répandue à travers l’Egypte.
Le
8 juillet, des millions de travailleurs
et de jeunes avaient protesté dans
toutes les grandes villes d’Egypte en
exigeant une « deuxième révolution ». Un
mouvement massif de grève et de sit-in
partout en Egypte avait suivi.
Les masses égyptiennes ont clairement
identifié la junte comme étant le
prolongement de l’ancien régime qui
prône exactement la même politique que
la dictature de Moubarak. Depuis que les
généraux de Moubarak ont pris le
pouvoir, les dépenses sociales ont été
réduites, le régime militaire subsiste
et l’Egypte reste un ferme allié des
Etats-Unis et d’Israël.
L’appel à une « deuxième révolution »
lancé par les travailleurs et les jeunes
inquiète de plus en plus l’impérialisme
américain et la bourgeoisie égyptienne.
Ils ne craignent rien autant qu’un
mouvement indépendant de la classe
ouvrière qui menacerait le régime
capitaliste dans l’ensemble du
Moyen-Orient.
L’impérialisme américain et les autres
régimes réactionnaires apportent de plus
en plus leur soutien aux groupes
islamistes. Récemment, les Etats-Unis
ont annoncé qu’ils entameraient un «
dialogue ouvert » avec les Frères
musulmans. En Egypte, les groupes
salafistes sont largement parrainés par
l’Arabie saoudite qui était contre le
renversement de Moubarak.
Afin de contrôler la situation, les
partis « d’opposition » officiels –
libéraux, islamistes ou pseudo-gauches –
ont formé une alliance pour sauver la
junte. Le 27 juillet, plus de 35 groupes
et partis politiques ont formé un «
Front populaire uni » et ont consenti à
stopper toute discussion politique et à
laisser de côté toutes les « questions
controversées. »
Les
militaires rouant de coups un
manifestant [Photo: Nora Shalaby]
Ceci a ouvert la voie à une provocation
islamiste le 29 juillet. Des partisans
islamistes des régions rurales de
l’Egypte ont été envoyés au Caire dans
une opération soigneusement préparée par
des groupes islamistes tels les Frères
musulmans, les Salafis et al-Gamaa al-Islamiya,
qui soutiennent le régime militaire et
ses lois antigrèves ainsi que les
mesures brutales prises contre les
manifestants et les grévistes. Les
forces pseudo-gauches ont utilisé ces
événements comme prétexte pour
abandonner les manifestants restés sur
la place Tahrir.
Le
rôle le plus cynique pour ouvrir la voie
à la contre-révolution est joué par les
parti pseudo-gauches du Front socialiste
– les Socialistes révolutionnaires (SR),
le Parti démocratique des Travailleurs
et le parti de l’Alliance socialiste. Ce
sont des adversaires déclarés aux appels
en faveur d’une « deuxième révolution »
et présentent au contraire la junte
comme une force progressiste qui
accordera des réformes démocratiques et
sociales.
Les groupes pseudo-gauches ont conclu un
accord avec les Islamistes et rejoint le
« Front populaire uni. » Peu de temps
après, les Islamistes ont commencé le 29
juillet leur marche, trente trois
groupes et partis politiques dont des
forces pseudo-gauches s’en sont servi
comme prétexte pour se retirer des
protestations et mettre un terme au
sit-in.
Cette manoeuvre réactionnaire de la part
de la bourgeoisie égyptienne et appuyée
par la pseudo-gauche a non seulement
ouvert la voie à la violence déclenchée
récemment par la junte militaire contre
la population, mais a aussi préparé le
terrain pour une offensive brutale de la
junte à l’encontre des luttes de classe
en Egypte.
(Article original paru le 1 août 2011)
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Publié le 5 août avec l'aimable
autorisation du WSWS
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