The Independent
La vraie histoire derrière la guerre n'est pas ce que raconte
Israël
Johann Hari
© Photo PCHR
Lundi 29 décembre 2008
Le monde n'est pas
seulement en train de regarder le gouvernement israélien
commettre un crime dans la bande de Gaza, mais nous le voyons
aussi faire du tort à lui même. Ce matin, demain matin, et tous
les matins jusqu'à ce que ce tabassage punitif se termine, les
jeunes de la bande de Gaza vont avoir de plus en plus de haine,
et vont être plus déterminés à combattre, avec des pierres, des
vestes de suicide ou de roquettes. Les dirigeants israéliens se
sont eux-mêmes convaincus que plus on bat les Palestiniens, plus
doux ils deviendront. Mais quand ce sera fini, la rage contre
les Israéliens en sortira plus endurcie, et les mêmes vieux
compromis seront toujours en attente au bord de la route de
l'histoire, négligés et irréalisés.
Pour comprendre
combien terrifiant il doit être à Gaza ce matin, vous avez
besoin d’avoir été dans ce petit bloc de béton au bord de la
Méditerranée et d’avoir senti la claustrophobie. La bande de
Gaza est plus petite que l’ile de Wight, mais elle est entassée
par un million et demi de gens qui ne peuvent jamais la quitter.
Ils vivent leurs vies les uns sur les autres, sans travail,
affamés, dans des grands tours délabrés. Du dernier étage, vous
pouvez voir les limites de leur monde : La Méditerranée et les
fils barbelés israéliens. Quand les bombes commencent à tomber –
comme maintenant, avec encore plus de violence mortelle que ça
n’a jamais été le cas depuis 1967 – il n’y a nulle part pour se
cacher.
Il y aura maintenant
une guerre sur l’histoire de cette guerre. Le gouvernement
israélien dit : « Nous
nous sommes retirés de Gaza en 2005, et en échange nous avons eu
le Hamas et les roquettes al-Qassam arrosant nos villes. Seize
civils ont été tués. Combien de plus sommes-nous censés
sacrifier ? » C’est un récit plausible, et il y a
une part de vérité dedans, mais il est aussi rempli par des
trous. Si nous voulons comprendre la réalité et vraiment arrêter
les roquettes, nous devons revenir quelques années en arrière
pour visionner objectivement l’élan pris vers cette guerre.
Le gouvernement
israélien s’est effectivement retiré de la bande de Gaza en 2005
– afin de pouvoir renforcer le contrôle de la Cisjordanie. Don
Weisglass, un conseiller senior d’Ariel Sharon, était explicite
sur ce point en déclarant : « Le
désengagement [de Gaza] est en fait du formaldéhyde
(Méthanal ou Formol : gaz soluble dans l’eau et
utilisé comme désinfectant, ndt).
Il fournit
le formaldéhyde nécessaire pour qu’il n’y ait pas de processus
politique avec les Palestiniens… Le paquet total qu’on appelle
l’état palestinien a été enlevé de notre agenda, indéfiniment. »
Les Palestiniens
ordinaires furent horrifiés par cela
et par la
corruption puante de leurs propres dirigeants du Fatah, ils ont
alors voté pour le Hamas. Ceci n'aurait certainement pas été mon
choix - un parti islamiste, est contraire à toutes mes
convictions - mais nous devons être honnêtes. C’était un scrutin
libre et démocratique, et ce n'était pas un rejet de la solution
de deux États. Le sondage le plus détaillé sur les Palestiniens,
par l'Université du Maryland, a révélé que 72% souhaitaient une
solution à deux États sur les frontières de 1967, alors que
moins de 20% voulaient récupérer l'ensemble de la Palestine
historique. Alors, en partie en réponse à cette pression,
le Hamas a offert à Israël un
long, long cessez-le-feu et une acceptation de facto de deux
états, si seulement Israël acceptait de retourner à ses
frontières légales.
Plutôt que de saisir
cette occasion et de tester la sincérité du Hamas, le
gouvernement israélien a réagi en punissant l'ensemble de la
population civile. Il a
annoncé qu'il assiégeait la bande de Gaza afin d’« appliquer
une pression » sur ses habitants pour renverser le
processus démocratique. Les Israéliens ont entouré la
bande de Gaza et ont refusé de laisser sortir quiconque ou quoi
que ce soit. Ils ont laissé une petite quantité de nourriture,
de carburant et de médicaments - mais pas assez pour survivre.
Weisglass plaisantait en déclarant que
les habitants de Gaza ont été « mis
au régime ». Selon Oxfam (Oxfam
International, une ONG de 13 organismes qui luttent pour le
changement durable contre la pauvreté et pour les droits de
l’homme, ndt) seuls 137 camions de vivres ont été autorisés à
pénétrer dans la bande de Gaza le mois dernier pour nourrir 1,5
millions de personnes. L'Organisation des Nations Unies affirme
que la pauvreté a atteint un
niveau « sans précédent ». Lorsque j'étais à Gaza
assiégée, j'ai vu des hôpitaux renvoyer des malades parce qu’ils
manquaient d’équipements et de médicaments. J'ai rencontré des
enfants affamés trainant dans les rues pour chercher de la
nourriture.
C’était dans ce
contexte – sous une punition collective organisée pour renverser
une démocratie – que quelques forces à Gaza ont commis quelque
chose immorale : ils ont tiré des roquettes al-Qassam au hasard
sur des villes israéliennes.
Ces roquettes ont tué 16 citoyens israéliens. C’est
odieux : viser des civils est toujours un meurtre. Mais c’est
hypocrite de la part du gouvernement israélien de prétendre
parler pour la sécurité des civils alors
qu’il ne cesse de terroriser les
civils en tant que question de politique d’état.
Les gouvernements
américain EU et européens réagissent avec une partialité qui ne
prend pas en compte ces réalités.
Ils disent
qu’on ne peut s’attendre à ce qu’Israël accepte de négocier sous
le feu des roquettes, mais ils exigent que les Palestiniens le
fassent sous l’état de siège dans la bande de Gaza et
l'occupation militaire violente en Cisjordanie.
Avant que cela ne
disparaisse dans un trou de mémoire, il convient de rappeler
que, la semaine dernière, le
Hamas a offert un cessez-le-feu en échange de compromis
élémentaires et réalisables. Ne me croyez pas sur
parole. Selon la presse israélienne, Yuval Diskin, l'actuel chef
du service de sécurité israélien Shin Bet, « a
informé le gouvernement israélien [le 23 décembre] que le Hamas
est intéressé dans la poursuite de la trêve, mais veut améliorer
ses conditions. » Diskin a expliqué que le Hamas
demandait deux choses : la
fin du blocus, et un cessez-le-feu israélien sur la Cisjordanie.
Le gouvernement – excité avec la fièvre des élections et
désireux d'apparaître dur – a rejeté ces conditions.
Le fond de la
situation a été clairement expliqué par Ephraïm Halevy, ancien
chef du Mossad. Il dit que bien que les militants du Hamas -
comme une grande partie de la droite israélienne - rêvent de
bouter dehors leurs adversaires, « ils
ont reconnu que cet objectif idéologique n'est pas réalisable et
ne le sera pas dans un avenir prévisible. » Au
lieu de cela, « ils
sont prêts et disposés à voir la création d'un état palestinien
dans les frontières provisoires de 1967. » Ils
sont conscients que cela veut dire qu'ils « doivent
adopter une voie qui pourrait les amener loin de leurs objectifs
initiaux » - et vers une paix à long terme fondée
sur le compromis.
Les partisans du
refus des deux côtés - de Mahmoud Ahmadinejad en Iran jusqu’à
Bibi Netanyahou en Israël - seraient alors marginalisés.
C’est la seule voie qui pourrait
conduire à la paix mais c'est le gouvernement israélien qui
refuse de la choisir. Halevy, explique : « Israël,
pour des raisons qui lui sont propres, ne veut pas transformer
le cessez-le-feu en un début d'un processus diplomatique avec le
Hamas. »
Mais pourquoi Israël
agit de cette façon ? Le
gouvernement israélien veut la paix, mais seulement une paix
imposée selon ses propres conditions, sur la base de
l'acceptation de la défaite par les Palestiniens.
Cela veut dire que les Israéliens peuvent conserver les blocs de
la Cisjordanie de « leur » côté du mur. Cela veut dire qu'ils
gardent les plus grandes colonies et le contrôle des sources
d’eau. Et cela veut dire une Palestine divisée, avec la
responsabilité de Gaza confiée à l'Egypte, et la Cisjordanie
morcelée toute seule. Les
négociations menacent cette vision : elles exigeraient d'Israël
de renoncer à plus que ce qu'il veut. Mais une paix
imposée veut dire l’absence totale de paix : elle n’arrêtera pas
les roquettes ou la rage.
Pour une vraie sécurité, Israël aura à parler aux gens qu’il
assiège et qu’il bombarde aujourd'hui, et à trouver des
compromis avec eux.
La voix de Gaza qui
brule devrait être couverte par les paroles de l'écrivain
israélien Larry Derfner. Il dit : « la
guerre d’Israël contre Gaza doit être la plus inégale sur la
terre... Si le but est d'y mettre fin, ou au moins de commencer
à y mettre fin, la balle n'est pas dans la cour du Hamas - il
est dans le nôtre. »
http://www.independent.co.uk/...
Traduction
: I.A.
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