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Asia Times Online
Les faucons tournoient toujours au-dessus
de l'Iran
Jim Lobe
Photo RIA Novosti
Asia Times Online, 9 juin 2008
article original :
"Hawks still circling on Iran'"
WASHINGTON - Une fois encore, notamment dans le sillage de la
conférence politique de l'AIPAC [le Comité des Affaires
Publiques Israélo-Américaines], qui s'est tenue la semaine
dernière, et de la visite dans la capitale [américaine] du
Premier ministre [israélien] Ehoud Olmert, on jacasse beaucoup à
propos d'une possible attaque par Israël et/ou Les Etats-Unis
contre l'Iran.
Il semble qu'après avoir rencontré le Président George W Bush
et préalablement dîné avec le vice-Président Dick Cheney, Olmert
ait quitté la Maison-Blanche plutôt satisfait des résultats
obtenus. En même temps, les rumeurs - exprimées tout
dernièrement par le néoconservateur Daniel Pipes - de projets de
l'administration pour entreprendre une attaque "massive" [contre
l'Iran], pendant la fenêtre entre les élections de novembre et
le départ de Bush de la Maison Blanche - en particulier si le
Sénateur démocrate Barack Obama devient son successeur -
continuent de tourbillonner sur la capitale.
Que faut-il en penser ? Est-ce réel ? Ou s'agit-il d'une guerre
psychologique destinée à persuader Téhéran qu'ils risquent
réellement la dévastation s'ils ne gèlent pas très, très vite
leur programme d'enrichissement d'uranium et/ou à prévenir la
Russie et la Chine qu'elles doivent exercer plus de pression sur
Téhéran ou faire face aux conséquences d'une telle attaque ?
Ainsi que je l'avais mentionné dans un précédent article, j'ai
généralement été sceptique sur les nombreux reportages de ces
deux dernières années, selon lesquels une attaque - des
Israéliens ou des Américains - serait imminente, ainsi qu'ils le
prédisaient au moment de leur publication. Après la sortie de
l'Evaluation Nationale des Services de Renseignements (NIE), je
suis devenu, comme à peu près tout le monde, encore plus
dubitatif sur le fait que Bush ordonne une attaque avant de
quitter le pouvoir (et je n'ai jamais pensé que les Israéliens
lanceraient une attaque sans le feu-vert de Washington). C'est
en partie dû au fait que les néoconservateurs, qui défendaient
et défendent encore avec le plus d'enthousiasme l'action
militaire, ont semblé tout simplement ne plus compter sur Bush
et, en tout cas, ne montraient aucun signe pour orchestrer une
nouvelle campagne médiatique majeure afin de mobiliser l'opinion
publique dans cette direction, comme ils le firent dans la
dernière ligne droite avant l'invasion de l'Irak.
Depuis la brusque démission de l'Amiral William Fallon du
commandement de CENTCOM [le Commandement Central], j'ai
considéré que la faction des réalistes au sein de cette
administration avait reçu une gifle majeure, et, avec la visite
de Cheney qui a suivi dans la région, j'ai toutefois été de plus
en plus inquiet sur la possibilité d'une attaque. Et les
évènements de la semaine dernière n'ont rien fait pour dissiper
cette inquiétude.
Laissez-moi juste exposer quelques points (différents de ceux
mentionnés ci-dessus) que je trouve dérangeants.
D'abord, il y a eu les commentaires très confiants qu'Olmert à
fait après sa rencontre avec Bush mercredi dernier en parlant de
"vaincre la menace". "Je suis parti avec beaucoup moins de
points d'interrogation [qu'en arrivant] concernant les moyens,
les restrictions de calendrier et la résolution de l'Amérique à
s'occuper de ce problème", a-t-il dit après cette rencontre.
Evidemment, c'était le lendemain où Olmert avait dit à l'AIPAC,
"La communauté internationale a un devoir de responsabilité pour
bien faire comprendre à l'Iran, au travers de mesures
drastiques, que les répercussions de leur poursuite
incessante d'armes nucléaires seront dévastatrice".
Maintenant, ceci pourrait n'être que l'expression de la
bellicosité d'un Premier ministre israélien assailli, brossant
dans le sens du poil l'auditoire belliqueux de l'AIPAC, mais je
ne pense pas que cela puisse être facilement écarté (par
opposition aux remarques encore plus bellicistes faites la
semaine dernière par le vice-Premier ministre Shaoul Mofaz, dont
les motivations de politique intérieure sont beaucoup plus
claires, et auxquelles on attribut pour une grande part le bond
historique du cours du brut vendredi dernier).
Deuxièmement, il y a le rôle de "Cheney" qui devient plus
important. Je ne me réfère pas seulement au dîner d'Olmert et de
Cheney mercredi soir, au cours duquel les deux hommes auraient
discuté de "sujets opérationnels", quelle qu'en soit la
signification. (Souvenez-vous, ce fut le principal assistant de
Cheney sur le Moyen-Orient, David Wurmser, au cours du printemps
2007 lorsque les réalistes se trouvaient clairement sur le siège
du conducteur, qui alla vendre aux groupes de réflexion
bienveillants un plan - duquel le bureau du vice-président a été
plus tard obligé de se dissocier - pour forcer Bush vers la
guerre contre l'Iran en obtenant d'Israël qu'il lance un missile
de croisière d'attaque contre une installation nucléaire
iranienne et en comptant sur Téhéran pour riposter contre les
forces américaines.) Autrement dit, le dîner de mercredi n'était
pas un simple rendez-vous de courtoisie : les Israéliens pensent
clairement que Cheney est un protagoniste.
Mais je me réfère aussi à une autre Cheney, Elisabeth,
l'ancienne adjointe au Secrétaire d'Etat délégué aux Affaires du
Proche-Orient et fille de Cheney, qui, durant la session
plénière d'ouverture de la conférence de l'AIPAC lundi dernier,
s'est saisie de chaque occasion pour attaquer la politique de
son ancienne patronne, la Secrétaire d'Etat Condoleeza Rice. Liz
a été particulièrement dure avec le projet chéri de Rice, son
initiative pour obtenir au moins un cadre en vue d'un accord de
paix entre Israël et l'Autorité Palestinienne avant que Bush ne
quitte le pouvoir, en soutenant que le processus de paix au
Proche-Orient d'Annapolis était une perte de temps, comparée à
l'importance de s'occuper de l'Iran dans ce qu'elle a appelé un
"match nul".
"Lorsque nous nous centrons sur ce type d'accord [des
pourparlers de paix israélo-palestiniens], nous n'avons pas le
temps de nous concentrer sur l'Iran", a-t-elle déclaré,
suggérant aussi que les dirigeants à Téhéran n'étaient pas
"rationnels" et que les précédents efforts pour dialoguer avec
eux avaient été aussi une perte de temps, voire pire. L'Iran a
besoin d'être convaincu que s'il ne se soumet pas aux exigences
du Conseil de Sécurité des Nations-Unies d'arrêter
l'enrichissement, "Ils auront affaire à une action militaire.
Nous ne disposons pas du luxe du temps", a-t-elle dit à une
salle qui (de façon surprenante) l'a applaudie du bout des
doigts.
Troisièmement, les remarques de Liz Cheney devraient être vues
dans le contexte d'une attaque plus concertée par les faucons de
Rice, parmi lesquels Stephen Hayes du Weekly Standard, le
journaliste préféré du vice-président, dont le travail de
démolition en règle était peut-être l'élément le plus important.
Hayes a accusé Rice de trahir la Doctrine de Bush et il a centré
une grande partie de son article sur le soutien de celle-ci aux
négociations du Secrétaire d'Etat adjoint, Christopher Hill, au
cours de l'année passée, avec la Corée du Nord, sur lesquelles
le Département d'Etat a déjà été obligé de se mettre sur la
défensive.
Maintenant, vient le rejet total de la politique de Rice au
Proche-Orient - depuis son approbation pour des élections
palestiniennes en 2006 à l'initiative du sommet d'Annapolis au
Maryland l'année dernière, et ensuite l'invitation de la Syrie à
y participer, jusqu'à sa bénédiction pour l'accord de Doha le
mois dernier sur le Liban. Tout ceci, a-t-elle accusé, avait
permis à l'Iran "de réellement étrangler la région".
A présent, je ne pense qu'il ne peut y avoir aucun doute que les
points de vue de Liz et de Hayes reflètent ceux du
vice-président. Qui plus est, parce que leur proximité avec le
vice-président est si claire est sans ambiguïté, le fait que ces
points de vue soient si corrosifs et si publics me suggère que
Cheney se sent plus confiant qu'il ne l'a été depuis quelques
temps. De plus, la campagne pour discréditer Rice semble avoir
atteint son but.
Non seulement a-elle semblé être sur la défensive lors de son
propre discours devant l'AIPAC, qu'elle a prononcé mardi dernier
dans la matinée, mais elle a adopté un ton plus belliqueux sur
l'Iran qu'elle ne l'avait fait précédemment. Et, ainsi que le
New York Times l'a fait remarquer, elle a aussi été
remarquablement plus incertaine que jamais auparavant sur ne
serait-ce qu'atteindre un accord sur un cadre de travail entre
Israéliens et Palestiniens d'ici la fin du mandat de Bush.
(En fait, Bush et Olmert auraient passé plus de temps lors de
leur rencontre à parler de l'Iran que du processus d'Annapolis,
suggérant que le président, qui ne s'est jamais autant engagé
sur ce processus que Rice, avait, en tout cas lors de cette
rencontre, accepté la notion de Liz d'un "match nul" dans lequel
l'Iran devrait avoir la priorité sur le processus
israélo-palestinien.) En d'autres termes, il apparaît qu'il y a
une bataille majeure sur "l'héritage" de Bush au Moyen-Orient (à
part l'Irak) entre Rice, qui a espéré sauver son propre
"héritage" en concluant une sorte d'accord de paix crédible
israélo-palestinien, et les Cheney, qui pensent que la
confrontation avec l'Iran est inévitable et, selon les mots de
Liz, "nous n'avons pas le luxe du temps".
A en juger par les événements de la semaine dernière, je dois
dire que les Cheney ont gagné du terrain.
Cela ne veut pas dire qu'ils prévaudront. Une fois encore, toute
cette bellicosité exposée la semaine dernière - y compris les
avertissements terribles de la part des officiels israéliens, à
la fois aux Etats-Unis et en Israël - pourrait n'être qu'une
guerre psychologique destinée à l'Europe (où l'ancien ministre
allemand des Affaires Etrangères, Joschka Fischer, en tout cas,
semble de plus en plus inquiet) et à l'Iran.
De plus, les récentes déclarations du Secrétaire à la Défense
Robert Gates, à la fois pour "exercer une influence" sur l'Iran
et reconnaître "qu'ils [les dirigeants iraniens] ont besoin
aussi de quelque chose", et les avertissements émis par
commandant de la Navy dans le Golfe, le vice-amiral Kevin
Cosgriff, que la guerre avec l'Iran serait "assez désastreuse"
et qu'un accord sur "les incidents en mer" était hautement
désirable avec Téhéran (reprenant les efforts de Fallon de
l'année dernière) suggèrent que le Pentagone reste opposé à une
attaque, comme il l'a toujours été.
Et, malgré la répudiation efficace par Bush du NIE de décembre
dernier, qui disait que l'Iran avait abandonné ses efforts pour
construire une arme nucléaire, la communauté des renseignements
s'y accroche opiniâtrement, si l'on peut se fier aux
déclarations récentes du Directeur adjoint des Renseignements
Nationaux.
Ensuite, il y a le prix du pétrole, dont le bond record de
vendredi, à la suite des avertissements belliqueux de Mofaz, a
offert une idée de ce que risque l'économie des Etats-Unis (et
du monde), si la faction de Cheney l'emporte sur Bush, soit pour
donner le feu-vert à une attaque israélienne ou la lancer
lui-même.
Donc, même si Cheney neutralise Rice dans la bataille pour
l'esprit de Bush - ou ses tripes - il est toujours confronté à
des obstacles redoutables. Mais je pense qu'il a fait quelques
progrès.
Cet article est reproduit du blog de Jim Lobe,
mieux connu pour sa couverture de la politique étrangère des
Etats-Unis, en particulier l'influence des néoconservateurs dans
l'administration de Bush. Il est le chef du bureau de Washington
de l'agence de presse internationaleInter Press Service.
(Copyright 2008 Jim Lobe / traduction JFG-QuestionsCritiques.)
Publié le 12 juin 2008 avec l'aimable
autorisation de Questions Critiques
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