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Réseau Voltaire
De Bagdad
à Téhéran : l’alignement de la France
Jean-Paul Bled
29
octobre 2007 C’est en évoquant
des « valeurs communes » jamais définies (la torture
à Guantanamo ou le colonialisme en Irak ?) que le gouvernement
de Nicolas Sarkozy aligne la France sur les États-Unis. Pour le
gaulliste Jean-Paul Bled, il s’agit là d’une trahison
irresponsable de l’idée française.
Il y eut d’abord les vacances états-uniennes
de Nicolas Sarkozy, puis le déplacement de Bernard Kouchner à
Bagdad. Fin août, le Président de la République menaçait l’Iran
de la guerre, si Téhéran ne se soumettait pas à la volonté des
Occidentaux. Dimanche dernier, enfin, le ministre des Affaires étrangères
vient d’enfoncer le clou, en prévenant les Français de se préparer
au pire, c’est-à-dire à la guerre. En un mois, la politique de
la France a basculé.
On connaissait la fascination
exercée par les États-Unis sur Nicolas Sarkozy. Celle-ci
l’avait amené à perdre toute mesure, pour ne pas dire toute décence,
quand il n’avait pas craint, l’automne dernier, de dénoncer,
à New York « l’arrogance » de la politique française.
De quelle « arrogance » pouvait-il s’agir, sinon de
l’indépendance marqué par la France dans la crise irakienne ?
Par la suite, il avait expliqué n’avoir jamais approuvé
l’invasion de l’Irak. Ce qui est vrai. Mais il est tout aussi
vrai qu’il ne l’a jamais condamné. Et si un doute était
encore permis, la nomination de Bernard Kouchner à la tête de la
diplomatie française a achevé de le lever. Le choix présidentiel
s’est ainsi porté sur un des rares hommes politiques français
à avoir applaudi à l’intervention anglo-saxonne.
Les vacances états-uniennes de
Nicolas Sarkozy ont bientôt lancé un autre signal inquiétant.
Si encore il avait choisi les Rocheuses ou la Floride pour lieu de
villégiature ! Mais il s’est retrouvé à une heure de
route de la résidence d’été des Bush. On se tromperait à
n’y voir qu’une banale coïncidence. Cette proximité a permis
une rencontre des deux présidents. On n’imagine pas qu’il
n’y fut question des hot dogs.
Fort étrangement, quelques jours
plus tard, Bernard Kouchner s’envolait pour Bagdad. Qu’on nous
comprenne bien ! Le dialogue franco-américain est nécessaire.
D’autre part, un tel voyage n’est pas en soi condamnable. Une
politique est affaire de circonstances. À ce titre, elle peut
donc évoluer. Mais ici ce n’est pas de pragmatisme qu’il
s’agit. Bernard Kouchner n’a en rien cherché à se démarquer
de la politique US. Au lieu de cela, avec une joie non dissimulée,
il a martelé que la politique de la France a changé. Une telle
précipitation est une faute. Alors qu’après le départ de Tony
Blair, les Britanniques prennent leurs distances par rapport à
une politique désastreuse, c’est le moment choisi par Nicolas
Sarkozy pour donner des gages à un président dévalué, dont
l’action en Irak n’est plus soutenue que par un tiers de la
population états-unienne.
L’ultima ratio
Avec l’affaire iranienne, la
boucle est bouclée. La France se range dans le camp des ultras
derrière George W. Bush dont il est à craindre qu’il ne décide
une intervention armée contre l’Iran avant la fin de sa présidence.
Il se dit d’ailleurs de plus en plus qu’avant le recours à
l’ultima ratio, Nicolas Sarkozy serait prêt
à soutenir l’option de sanctions aggravées contre Téhéran, même
si celles-ci ne recevaient pas l’aval des Nations Unies. Si
l’on ajoute que, dans le même temps, la France renforce sa présence
militaire en Afghanistan, on mesure bien que cet alignement est général.
Le mot n’est pas trop fort. Nicolas Sarkozy est en train de
jeter aux orties la politique d’indépendance qui, fût-ce avec
des nuances, fut menée par les divers présidents de la Ve République
dans le sillage de Charles de Gaulle. Ce revirement frise
l’irresponsabilité. Tout se passe comme si Nicolas Sarkozy
voulait occuper auprès de George W. Bush la place laissée libre
par Tony Blair. Tout se passe comme s’il aspirait à devenir le
« brillant second » de la puissance US. Plutôt que de
jouer les Matamore, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner seraient
bien inspirés de faire entendre raison aux États-Unis. Depuis
que l’administration Bush a commis la colossale erreur de livrer
l’Irak aux chiites, les deux dossiers irakien et iranien sont étroitement
liés. La seule alternative à une guerre aux conséquences
incalculables est d’engager avec l’Iran la grande négociation
à laquelle il est prêt. Plutôt que de prendre l’habit du
courtisan, Nicolas Sarkozy doit s’employer à en convaincre ses
partenaires états-uniens. C’est aujourd’hui le meilleur
service qu’un ami des États-Unis puisse leur rendre. Ce ne
serait après tout que suivre les recommandations de la commission
des Sages présidée par James Baker, l’ancien secrétaire d’État
du Président Bush père. Le temps presse.
Jean-Paul
Bled
Professeur d’histoire contemporaine à
Paris IV-Sorbonne, Président du Rassemblement pour l’indépendance
et la souveraineté de la France (RIF).
Cet article a été initialement
publié par la Lettre de l’indépendance.
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